« Afro-Futurisme et production musicale : les contre
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« Afro-Futurisme et production musicale : les contre
« Afro-Futurisme et production musicale : les contre-récits de Parliament / Funkadelic. » Guillaume Dupetit. Publication des actes du colloque international « L’étincelle qui met feu à la plaine, » FLACSO (Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales), Quito, Equateur, les 14, 15 et 16 Mars 2012. Afro-futurisme et production musicale : les contre-récits de Parliament / Funkadelic. « Once upon a time, in the not so distant past, music writers and cultural critics like Mark Dery, Greg Tate, Mark Sinker and Tricia Rose brought science fiction themes in the works of important and innovative cultural producers to our attention. They claimed that these works simultaneously referenced a past of abduction, displacement and aliennation, and inspired technical and creative innovations in the work of such artists as Lee "Scratch" Perry, George Clinton and Sun Ra. »1 Au passage des années 1970, la condition des afro-américains ainsi que la réalité de la rue et des ghettos – souvent prises pour référent dans la musique noire américaine – est éclipsée par un nouvel attrait pour l’Espace sous toutes ses formes. Longtemps placés à l’écart du domaine de la science-fiction – tout comme de celui de la conquête spatiale – les afro-américains s’emparent de cette forme de récits, et selon Mark Dery, « [leurs] voix ont d’autres histoires à raconter au sujet de la culture, de la technologie et des choses à venir […], dans des lieux improbables, constellées depuis de vastes points. »2 Bien avant qu’il fût placé un mot dessus, des artistes tels que Sun Ra, Lee Perry ou encore George Clinton, mêlant musique et sciencefiction, représentaient déjà les premiers bouillonnements de l’Afro-futurisme. Nous aborderons ici ce concept aux multiples ramifications à travers l’univers créé, le discours mis en place et les mises en scène opérées par le collectif Parliament / Funkadelic (sous la direction de George Clinton), afin de restituer au mieux un contexte contigu à sa création musicale. Nous chercherons à assembler différents éléments révélés par plusieurs théories qui ont pu être établies afin de définir et de décrire ce phénomène appelé Afrofuturisme, dans le but non seulement de tenter de colliger des axes de réflexion, d’en tirer une compréhension plus globale du mouvement, mais aussi d’en proposer une exemplification. Cette analyse, quoiqu’il nous sera indispensable de la rattacher à de multiples exemples connexes et à d’autres expressions de l’Afro-futurisme, sera donc essentiellement ciblée sur l’univers de Parliament / Funkedelic, ou P-Funk Universe comme le groupe le caractérise luimême. Suivant cet axe d’étude premier, fil conducteur, tout en gardant une correspondance avec d’autres formes de (contre)-récits tel que l’univers créé par le jazzman Sun Ra, il semble possible de définir un ensemble de traits communs à ce que nous pourrions qualifier de domaine musical de l’Afro-futurisme. 1 « Il était une fois, dans un passé proche, des écrivains musicaux et critiques culturels tels que Mark Dery, Greg Tate, Mark Sinker et Tricia Rose, portèrent à notre attention les thèmes de science-fiction inclus dans les travaux de producteurs culturels importants et novateurs. Ils affirmaient que ces travaux faisaient simultanément référence à un passé d’enlèvement, de déplacement, d’alien-nation, et ont inspiré des innovations techniques et créatives dans les travaux d’artistes comme Lee “Scratch” Perry, George Clinton et Sun Ra. » Présentation extraite du site internet Afrofuturism.net, http://www.afrofuturism.net/text/about.html 2 « African-American voices have other stories to tell about culture, technology, and things to come […], in unlikely places, constellated from far-flung points. » Mark Dery, Flame Wars: The Discourse of Cyberculture, Durnham, Duke University Press, 1994, p. 182. 1 Loin de pouvoir, ni même d’ailleurs de chercher à être exhaustive, cette étude se doit d’être vue plutôt comme une cristallisation de plusieurs références, offrant différentes perspectives d’approche, différentes possibilités d’analyse et d’appréhension du mouvement afro-futuriste, et ce au regard de sa forme musicale. Il semble tout d’abord nécessaire d’envisager une analyse des différentes définitions ayant permis l’introduction du terme Afro-futurisme dans le champ de la pensée critique artistique, de la musicologie, et plus largement de la recherche universitaire. Insistons d’ailleurs sur l’importance de la démarche externe de réflexion des artistes et penseurs tels que Greg Tate, Kodwo Eshun, Mark Dery ou encore Alondra Nelson, qui, de façon discursive, ont cherché à caractériser ce mouvement qui prend naissance au milieu des années 1950 et dont les ramifications s’étendent encore aujourd’hui. En effet, le terme même d’Afro-futurisme a été révélé à postériori pour qualifier un ensemble de productions artistiques cherchant à établir un discours, un univers, parfois même une cosmologie comme contexte de création, assemblant les références d’un passé commun au peuple noir et le projetant dans un futur fictionnel et scientifique. Puisqu’il est basé sur son propos narratif, l’Afro-futurisme ne s’adresse donc, en ce sens, à aucun domaine artistique prédéfinit et se répercute tant dans la musique que dans le cinéma, la peinture, la littérature, les arts visuels... Aussi, nous tenterons dans un premier temps d’explorer le phénomène de façon plus vaste que sa seule application par des artistes musiciens. En 1992, Greg Tate, dans son ouvrage Flyboy in the Buttermilk, cherche à révéler une autre signification de la musique de George Clinton en creusant le terrain d’une conscience noire et de la révision permanente de celle-ci tout en touchant à des zones sensibles de la définition de la blackness. Kodwo Eshun, quelques années plus tard avec More Brillant than the Sun,3 pose les bases de ce qu’il nomme les fictions soniques (sonic fictions) : une capacité des artistes à inventer des mondes fantastiques et virtuels chargés de références, « les mythologies musicales qui hantent toute la musique de la fin du XXe siècle. »4 Ce terme de fictions soniques est d’une importance majeure dans la compréhension de l’Afro-futurisme puisque poussant l’imaginaire à l’intérieur même du réel, les artistes qui s’y rattachent cherchent à créer comme un contexte à la fois pour leur musique mais aussi pour leur vie. Mêlant projection futuriste, science-fiction et imaginaire collectif, l’Afro-futurisme en sol états-unien prend naissance en une forme de (contre)-récits qui s’articulent autour de la question de l’expérience noire au sein de l’Amérique blanche dans laquelle elle s’inscrit, tout en intégrant à cette pensée la considération d’une résonnance diasporique du discours. Engendré par un discours novateur et dualiste, le remaniement des sens et l’utilisation de tropes se confond tant dans l’application artistique que dans l’implication des artistes à développer un univers chargé de symboles réinterprétés et détournés. Ces éléments définissent une constante du phénomène afro-futuriste. 3 Kodwo Eshun, More Brilliant Than the Sun : Adventures in Sonic Fiction. London : Quartet Books, 1998. Jean-Yves Leloup, « Sonic Fiction et Afro-Futurisme », dans Global Techno, article publié le 19 juin 2008, consultable depuis le site internet http://globaltechno.wordpress.com/2008/06/19/sonic-fiction-afro-futurism 4 2 Le terme Afro-futurisme fut introduit notamment par Mark Dery dans son essai Black to the Future,5 lorsque celui-ci laisse entrevoir un ensemble de productions artistiques vaste, tant par sa pluridisciplinarité que par sa continuité. Dery établit une définition qu’il convient de considérer de fondamentale dans la mesure où il caractérise les contours et place un nom sur le mouvement lorsqu’il décrit : « la fiction spéculative traitant des thèmes afro-américains et abordant les préoccupations des afro-américains dans le contexte de la technoculture du XXème siècle – et, plus généralement, la signification qu’ils approprient aux images de la technologie – peut, faute de meilleur terme, être appelé Afro-futurisme. »6 En effet, au terme de science-fiction, nous ajouterons ici celui de fiction spéculative, une branche de la SF qui, à travers des relations imaginaires complexes, lie le savoir ou la croyance à leurs représentations. Ces fictions se focalisent essentiellement sur des thèmes philosophiques, politiques ou sociétaux, et ne cherchent pas, par la création d’un monde imaginaire, la description fidèle mais relèvent plutôt de l’allégorie. Cependant, du fait que la notion de science-fiction introduise de façon directe celle de technologie, le discours afro-futuriste trouve un sens spécifique dans chacune de ces deux qualifications. Poursuivant dans ce même sens, Alondra Nelson dédie en 2002 une publication de la revue Social Text à l’Afrofuturisme. Dans son introduction, elle fait état d’une « exploration de la façon dont se transforme l’innovation technologique et scientifique au regard de la culture populaire et de l’art noir aux Etats-Unis. […] Afro-futurisme signifie utiliser le passé dans le futur – sans oublier le vécu et la culture des Africains et des Afro-américains. »7 Histoire(s) : Images, imageries et représentation « L'historicité d'un groupe humain se confond – comme l'a bien dit Michel de Certeau – avec son existence sociale, laquelle réemploie incessamment, pour survivre, "à d'autres fins et pour des usages nouveaux les moyens dont il dispose", et entre autres du milieu physique et humain ; l'histoire n'est ainsi que l'appropriation de contraintes sociales et mentales à transformer en liberté du sujet, la projection d'une immanence terrestre sur un avenir ou un au-delà, une chaîne sans cesse réactualisée de représentations du monde où la contrainte physique et spatiale n'est qu'un matériau de réemploi pour l'activité de l'esprit humain. »8 5 Mark Dery, « Black to the Future », 1993, Flame Wars: The Discourse of Cyberculture, Durnham, Duke University Press, 1994. 6 « Speculative fiction that treats African-American themes and addresses African-American concerns in the context of twentieth-century technoculture – and, more generally, African-American signification that appropriates images of technology and a prosthetically enhanced futur – might, for want of a better term, be called “Afro-futurism”. » Mark Dery, idem, p. 180. 7 « Afrofuturism means using the past in the future-not forgetting the past lives of Africans and AfricanAmericans and our culture. It's an exploration of how scientific and technological innovation is changing in the face of black art and popular culture. » Alondra Nelson, présentation de l’exposition Afrofuturism at SPACES, 2006, consultable sur http://www.spacesgallery.org/aboutAfrofuturism.htm 8 Jean-Pierre Rioux, « Le jeu des échelles : un biais utile à l'historien », Actes de colloque, 2002, élément consultable sur http://eduscol.education.fr/D0126/hist_geo_Rioux.htm 3 Depuis sa création, le terme Afro-futurisme se réfère à une exploration critique des visions racialisées d’une communauté noire vaudouiste et d’une communauté blanche scientifique. Technologie et science-fiction deviennent de nouveaux vecteurs permettant d’explorer, sous un angle tout autre, la question de la black experience9 au regard de sa construction au sein de la société blanche des Etats-Unis. De nombreuses fois utilisé pour son aspect attractif, inconnu et par conséquent mystérieux, le cosmos devient le théâtre de fictions spéculatives à travers lesquelles les artistes afrofuturistes s’attacheront à la création d’univers signifiants mêlant mythes fondateurs et espace intersidéral (outer space). Suivant la course dictée par les puissances états-uniennes et soviétiques, il ne fallut pas attendre les premiers pas de Neil Armstrong sur la lune pour que l’Espace, rattaché au domaine symbolique de l’évasion, soit considéré comme une utopie, une abstraction qui signifie notamment la participation à un monde distinctement moderne. Nouveau style culturel, il s’inscrit entre rêve et haute technologie, captivant aussi de par son aspect “branché”. Ces éléments, combinés, transformés, sont ici sujets à la réappropriation et au détournement de sens, support à la (re)création d’un monde fantastique sans limite. La conquête d’un ailleurs est rendue possible notamment par le biais du rêve mais aussi de la fiction. Selon John Szwed, « l’Espace était une métaphore qui permettait la transvaluation des termes dominants de sorte qu’ils deviennent aberrants, minoritaires, tandis que les termes de l’extérieur, de l’au-delà, marginaux, deviennent usuels, communs »10 Rejetant alors le cliché selon lequel la musique noire est une recherche perpétuelle d’origines africaines et en écho direct à l’aphorisme de Sun Ra, « Space is the place. »11 L’ancienne Egypte et l’Espace intersidéral sont placés au centre de ce qu’il convient de nommer les cosmologies afro-futuristes, deux éléments forts de leur polarité qui instaurent au sein du discours une friction permanente entre imaginaire ancestral et pensée scientifique. Nous emprunterons alors le terme Astro Black Mythology à Graham Lock, issu de son ouvrage Bluetopia, qui permet de mettre en lumière le discours des afro-futuristes et induit la confusion des sens procurée par ces deux éléments centraux : « [cette expression], que je vois comme possible axe de la cosmologie de Ra, [définit] la création d’un futur et d’un passé alternatifs mythiques pour les Afro-Américains. Dans ce contexte, “Astro Black Mythology” est le terme sténographique idéal pour deux raisons : il met en valeur la construction consciente d’une mythologie, […] et résume commodément les deux facettes de cette mythologie, le côté Astral d’un futur cosmique, et du passé Noir de l’ancienne Egypte. »12 Ces deux références premières assurent une passerelle entre les visions d’un futur anticipé et d’un passé redessiné, tout en laissant transparaître une possibilité de rapprochement entre 9 Nous conserverons l’expression en anglais afin de préserver toutes les significations incluses dans l’évolution du terme. 10 « Space was a metaphor which transvalues the dominant terms so that they become aberrant, a minority position, while the terms of the outside, the beyond, the margins, become standard. » John F. Szwed, Space is the Place: the Lives and Times of Sun Ra, New York, Pantheon Books, 1997, p. 140. 11 Voir l’album de Sun Ra, Space is the Place, Blue Thumb Records, 1973. 12 « I use it to refer to what I see as possibly the axis of the Ra cosmology, that is, the creation of an alternative mythic future and mythic past for Afro Americains. In this context, “Astro Black Mythology” is an appropriate shorthand term for 2 reasons: it emphasizes [the] conscious creation of a mythology, and it conveniently encapsulates the two dominant facets of that mythology, the Astro of outer space future, and the Black of the ancient Egyptian past. » Graham Lock, Blutopia: Visions of the Future and Revisions of the Past in the Work of Sun Ra, Duke Ellington, and Anthony Braxton, Durham, Duke University Press, 1999, p. 14. 4 domaine mythique et domaine scientifique. De cette assemblage se dessinent déjà les possibilités de contourner une pensée dichotomique, de déstabiliser la rationalité, de pousser vers la désorientation. D’ailleurs, l’expression de Lock n’est pas sans faire écho à l’approche dont Sun Ra fait part lorsqu’en 1970 il nomme l’une de ses compositions The Myth-Science Approach. Cette approche est ambivalente dans la mesure où elle intensifie le caractère dichotomique de ces deux éléments, le mythe et la science, tout en proposant un rapprochement plausible, une forme combinatoire. « Le mythe ne peut pas fonctionner sans son parallèle et opposé : la réalité. »13 Sun Ra s’attachera ainsi à raconter non pas l’Histoire, mais son histoire, une histoire. « Certains disent que l’histoire se répète d’elle-même, mais l’histoire n’est que son histoire. Vous n’avez pas encore entendu mon histoire. Mon histoire est différente de son histoire… Je ne fais pas partie de l’Histoire ; je fais plutôt partie du mystère, qui est mon histoire. » 14 Le vaisseau comme trope « The history of the black Atlantic [...] continually crisscrossed by the movements of black people – not only as commodities but engaged in various struggles towards emancipation, autonomy, and citizenship – provides a means to reexamine the problems of nationality, location, identity, and historical memory. [...] The ship is the first of the novel chronotopes presupposed by my attempts to rethink modernity via the history of the black Atlantic and the African diaspora into the western hemisphere. »15 Dans la continuité du récit de science-fiction, revenons désormais à notre objet central pour traiter de l’image du vaisseau. Dans l’univers de Parliament / Funkadelic,16 le vaisseau spatial ou Mothership (vaisseau-mère), devient une figure assurant la liaison entre mythologie et projections futuristes, imaginaire et réel, espace et urbanité. Cet élément, décliné métaphoriquement dans la tradition afro-américaine sous d’innombrables formes, prend une place considérable dans l’univers du collectif tant par son caractère figuratif qu’emblématique, et ce depuis l’album Mothership Connection édité en 1975. Tel un module, au sens d’une unité fonctionnelle d’un ensemble, au sens aussi d’une capsule spatiale 13 « Myth cannot function without its parallel and its opposite: reality. » Sun Ra: A Joyful Process, film documentaire de Robert Mugge, 1980. 14 « They say that history repeats itself, but history is only his story. You haven’t heard my story yet. My story is different from his story… I’m not part of history; I’m more a part of the mystery, which is my story. » Robert Mugge, idem. 15 « L’histoire continuellement entrecroisée par le mouvement du peuple noir – pas seulement en tant que produits mais engagé dans diverses luttes envers l’émancipation, l’autonomie, et la citoyenneté – fournit un sens pour examiner les problèmes de nationalité, d’emplacement, d’identité, et de mémoire historique. […] Le vaisseau est le premier des chronotopes nouveaux pour repenser la modernité à travers l’histoire de l’Atlantique noir et de la diaspora africaine à travers l’hémisphère ouest. » Paul Gilroy, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness, Cambridge, Harvard University Press, 1993, p. 16. 16 Il en est d’ailleurs de même pour l’Univers de Sun Ra, de Lee “Scratch” Perry et encore bien d’autres artistes afro-futuristes. 5 interdépendante, le vaisseau s’impose comme partie intégrante de la cosmologie P-Funk17 et son impact se répercute sur la musique, dans les paroles, lors des mises en scène des spectacles, sur les déguisements ou sur les pochettes d’album. Plus qu’un simple élément scénique ou qu’une illustration, le vaisseau cristallise un ensemble de sens symboliques et de représentations. Dans une inscription directe au récit de science-fiction, dans un rapport étroit aux origines, ou encore dans la considération diasporique de la culture noire, les différentes fonctions du vaisseau spatial peuvent être envisagées dans l’étendue des significations dont il se charge. Ces significations, redoublées à mesure de l’examen, entrelacent les références symboliques de l’espace intérieur et de l’espace extérieur. Rattaché dans un imaginaire culturellement codé au chariot qui délivrerait les esclaves noirs, le vaisseau se charge de multiples références et devient, au-delà du symbole premier de libération, un réseau de connections qui permettent de traiter des fables enseignée par la Nation of Islam jusqu’à l’importance conférée à la technologie. En effet, Elijah Muhammad, leader de la Nation of Islam de 1934 à 1975, enseigne l’existence d’un mother plane, un complexe vaisseau extraterrestre composé d’un assemblage de sphères, aperçu par l’ancien prophète Ezekiel. En 1974, lorsque Parliament lance son Mothership, les enjeux représentés par sa contextualisation sont tout autres. Selon John Szwed, ce processus d’assemblage est vaste et complexe : « Ce discours à propos de la science, de l’Espace, du mysticisme, de la nationalité, de spiritualité, se rencontre à une intersection étrange où la passivité du New Age, l’agressivité de la science-fiction, l’imperturbabilité des mathématiques, l’alternative du mysticisme, et les échos des mythes de la Nation of Islam sont tous rejoints. »18 S’emparant d’un ensemble de symboles en correspondance avec une mythologie rédemptrice, le collectif Parliament / Funkadelic associe le domaine de l’Espace à l’ouverture infinie des possibles qu’il représente, tant dans les références analogiques qui peuvent être établies que dans les réflexions auxquelles elles peuvent conduire. Comme nous l’évoquions, le vaisseau est élément de continuité dans la tradition afro-américaine. Du chariot à la Cadillac, de nombreux tropes sont utilisés pour leur correspondance entre action de déportation et effet diasporique d’une culture. Chacun de ces tropes porte en son sens un caractère temporel et contextuel, soulignant la dualité entre référencement au passé et mutation technologique, sens premier et sens second. Cependant, le vaisseau a cette particularité qu’il permet d’introduire un autre niveau de représentation dans la mesure où il inclut ce potentiel d’élévation, de prise de recul et d’extraction. S’élever de son quotidien, de sa condition afin d’adopter un point de vue extérieur définit un symbole spécifique contenu dans l’image du vaisseau. La notion d’intérieur / extérieur (Inside / Outside) se voit ici bouleversée, en ce sens qu’il est nécessaire de prendre part à la fiction afin d’envisager la réalité. Selon Horace Maxile, « le Mothership, comme extension des tropes de transit, exprime la liberté et la libération en créant un espace de rencontre moderne qui voyage à 17 Un qualificatif utilisé par le collectif comme contraction de son nom. « This discourse of science, of space, of mysticism, of nationhood, of spirituality, meets at a strange intersection where the passivity of the New Age, the aggressiveness of science fiction, the coolness of mathematics, the oppositionality of mysticism, and echoes of the mythos of the Nation of Islam all come together. » John F. Szwed, Space is the Place: the Lives and Times of Sun Ra, op. cit., p. 138. 18 6 travers l’espace alors que les conditions sociales, politiques, et économiques de cette période, pour les afro-américains durant les années 1970, ne s’amélioraient pas sensiblement. »19 Le Mothership créé ainsi un dialogue intertextuel, une résonnance étendue avec de multiples expressions de créativité et de spiritualité. Le vaisseau spatial prend la fonction d’un transporteur, véhiculant des populations inconnues, étrangères. Un regard recontextualisé du passé d’une population déplacée, déportée, qui introduit le concept de nation alien(ée) ou alien-nation. Si le vaisseau spatial, dans le contexte de l’expression afro-américaine, reste dans ses connotations profondes l’élément d’un retour vers la Terre Mère, vers un territoire original et originel – le regard tourné vers le passé d’un hypothétique “back to Africa” – il propose aussi une projection de l’hybridité, de la réseauification, de la communication et de la connectivité. Ruth Mayer affirme d’ailleurs que « c’est une Afrique artificielle qui figure comme un moyen de lutte contre les forces contraires. » S’appuyant sur la relation ambigüe d’un lien symbolique à l’Afrique, le vaisseau spatial permet un mélange entre tradition et futurisme, et déroute ou plutôt reroute le signal pour interconnecter différentes cultures, différentes traditions, différents espaces. Le vaisseau est une proposition tournée vers la réactivation, la relecture et la révision du Passage du Milieu. Il autorise ainsi une reconsidération franche et actualisée de la relation à l’Afrique dans le contexte d’une culture diasporique. Selon Diedrich Diederichsen « la métaphore du voyage est vidée d’une entreprise purement rétrospective, dans laquelle le vaisseau (navire) est envisagé comme véhicule d'un enlèvement d'origine ou du retour à un territoire d'origine. Maintenant, la métaphore, en particulier dans les cultures contemporaines des jeunes des diasporas africaines, est ouverte pour abriter secrètement toutes sortes de notions de développement, de mutation, de croisement, de crossover. » Le vaisseau devient ainsi un symbole connectif, à la fois de l’espace et du temps, projetant les possibilités multiples de son déplacement désentravé, désaliéné. Alter-égo et réitération « Funk upon a time, in the daze of the Funkapus, the Earth was on the One. Funk flowed freely and freedom was free from the need to be free. Even Cro-Nasal Sapiens and the Thumpasorus People lived side by side in P(eace). But soon there arose bumpnoxious empires led by unfunky dictators. These priests, pimps and politicians would spank whole nations of unsuspecting peoples – punishing them for their feelings and desires, constipating their notions and pimping their instincts until they were fat, horny and strungout. 19 « The mothership, as an extension of the tropes of transit, signifies freedom and liberation by creating a modern meeting cite that travels to outer space as the social, political, and economic conditions concurrent with the time were, for some African Americans during the 1970s, not consistently improving. » Horace Maxile, « Extensions on a Black Musical Tropology: From Trains to the Mothership (and beyond) », Journal of Black Studies, Vol. 42, n° 4, Chicago, Mai 2011. 7 The descendants of Cro-Nasal Sapiens fell in line, for their credo was "Get over by any means necessary." They slicked their hair and lost all sense of the Groove. The descendants of the Thumpasorus Peoples knew Funk was Its own reward. They tried to remain true to the pure, uncut Funk. But it became impossible in a world wooed by power and greed. So they locked away the secret of Clone Funk with kings and pharoahs deep in the Egyptian pyramids, and fled to outer space to party on the Mothership and await the time they could safely return to refunkatize the planet. »20 Le collectif Parliament / Funkadelic, au cours des années 1970, décide d’inscrire sa production musicale au cœur d’une narration complexe qui par l’humour et le détournement, l’exubérance et l’ironie, conduit son caractère grotesque à provoquer l’irritation. Envisagé pourtant depuis le LP de Funkadelic America Eats its Young, c’est principalement au sein de Parliament et à partir de l’album Mothership Connection que George Clinton déclinera, au travers des concept-albums, ses nombreux alter-egos. Sir Lollipop, Starchild, Dr. Funkenstein, Mr Wiggle ou encore The Longhaired Sucker, l’identité de Clinton semble être sans limites, (inter)changeante et malléable au fil de la discographie. Les alter-egos sont une pratique effective de l’identité multiple. Ils représentent des changements radicaux de personnalité et deviennent par-là un moyen de défier l’idée même de ne pouvoir représenter qu’une seule et même identité, de ne pouvoir être qu’un. Clinton cherche ainsi à étendre les possibilités de perception relative à la question de la construction de l’identité personnelle, en se dotant lui-même, mais aussi le reste des membres du collectif, d’identités parallèles et parfois contradictoires. Chacun de ces alter-egos, tout comme leur multiplication et leur transfert, n’est pas sans faire penser directement à la figure du trickster, personnage clé du storytelling afro-américain. Le storytelling est une forme de narration qui comporte souvent une large part d’improvisation, une transmission orale des contes populaires, des fables, des légendes ou des mythologies. Ce procédé s’impose plus largement comme une méthode de communication basée sur une narration qui prend la forme d’un récit illustratif, visant à transmettre un message de façon métaphorique ou symbolique. D’une application directe au collectif, Michael O’Neal soutient la portée du storytelling entrepris par Parliament / Funkadelic : « Sir Nose, Starchild et Dr. Funkenstein, en tant que superhéros animés (comme opposés au réel), donnèrent à la jeunesse noire un sens de l’animation modelé 20 « Il était une funk, au temps des Funkapus, la terre était Unie. Le Funk se répandait librement et la liberté était libre du besoin d’être libre. Même les Cro-Nasal Sapiens et le peuple des Thumpasorus vivaient côte à côte en P(aix). Mais bientôt surgissent les empires bumpnoxious dirigés par des dictateurs non-funky. Les prêtres, les proxénètes et les politiciens flanquèrent une raclée à toutes les nations de personnes crédules – les punissant pour leurs sentiments et désirs, conjurant leurs croyances et prostituant leurs instincts jusqu’à ce qu’ils deviennent graisseux, vicelards et à bout de nerfs. Les descendants des Cro-Nasal Sapiens prirent le pas et leur credo fut "Laisser passer le temps par tout les moyens nécessaires." Ils lissèrent leurs cheveux et perdirent tout sens du Groove. Les descendants du peuple des Thumpasorus savaient que le Funk était leur seule compensation. Ils essayèrent de rester vrais pour le Funk pur, intact. Mais cela devint impossible dans un monde courtisé par le pouvoir et la cupidité. Ils enfermèrent alors le secret du Clone Funk avec les rois et les pharaons profondément dans les pyramides d’Egypte, et s’envolèrent vers l’espace intersidéral pour faire la fête à bord du Mothership et attendre le moment où ils pourront sans risque revenir pour refunkyser la planète. » Liner notes de l’album Tear the Roof Off: 1974-1980, Casablanca/Mercury Records, 1993. 8 à leur propre image duquel ils avaient précédemment été privés, particulièrement par les médias. Ces superhéros leur offrent un sens mythique de la possibilité. »21 Tandis que Parliament offre ainsi ce sens mythique de la possibilité, Funkadelic offre à son tour la proposition plus concrète de cette même possibilité. Frank Broughton affirme ainsi que « le soutènement de ces visions caricaturés était une rhétorique révolutionnaire des politiques radicales de l’unité du flower-power et de l’anti-Vietnam, une tentative sérieuse pour éduquer les auditeurs aux maux de leur âge. »22 De façon plus large que les alter-égo de Clinton et selon un principe identique, le Dr. Funkenstein s’entoure de ses clones (selon le titre de l’album The Clones of Dr. Funkenstein). L’établissement des différents caractères accompagnant le discours de l’ensemble du collectif propose alors une lecture à plusieurs niveaux. Les clones sont ainsi, d’une part, une référence à la projection fictive d’un avancement technologique hypothétique, non-maîtrisé – sujet phare de nombreuses nouvelles de science-fiction – mais ils permettent d’autre part d’introduire et de retranscrire le potentiel de multiplicité de production. Tout au long des années 1970, sous le nom de Rubber Band, Quazar, des Brides of Funkenstein, Parlet ou encore des Horny Horns, George Clinton cherche à produire sous diverses configurations les différents membres du collectif Parliament / Funkadelic. Cette diversité de productions, ainsi que le nombre de groupes produits, étend considérablement l’empire P-Funk. La notion de clones qui relève alors d’une volonté affirmée de répandre un « funk pure »23, n’est pas sans se doubler d’une volonté commerciale d’une importance capitale. En effet, au regard de l’étendue des productions musicales rattachées au collectif, nous ne pourrions être indifférents à cette dimension commerciale et à l’impact que représente le Pure Funk dans l’industrie du disque (Parliament / Funkadelic et toutes les productions satellites). Par son autonomie de création et de diffusion, son expansion au sein de plusieurs marchés, le collectif P-Funk est devenu un holding, une entreprise, une organisation indépendante et autosuffisante. L’hypermédiatisation du collectif peut sembler rentrer en rupture directe avec son caractère revendicatif, mais pourtant, c’est cette même visibilité et la position de puissance qu’elle confère qui lui accorde de diffuser librement son message. Bien que cherchant à exploiter chacune des opportunités que présente le système, le P-Funk semble user de toutes les possibilités d’impact (commercial, médiatique, mais aussi idéologique et politique) pour toucher un large public. Ainsi, le collectif s’inscrit principalement dans la black public sphere et dévoile ses idées d’une blackness galactique, mais étend aussi son impact au marché blanc en jouant sur des perceptions et la construction de la signification. C’est d’ailleurs de là que naît probablement la nécessité d’un cryptage (musical et verbal) à plusieurs échelles qui autorise plusieurs niveaux de compréhension. 21 « Michael O’Neal, in a 1987 thesis titled “The P-Funk Aesthetic” wrote: “Sir Nose and Starchild, and Dr. Funkenstein, as animated (as opposed to real) superheroes, give black children a sense of animation in their own likeness that previously they have been denied – especially by the media. These superheroes offer them a mythic sense of possibility.” » Rickey Vincent, Funk: The Music, the People, and the Rhythm of the One, op. cit., pp. 256-257. 22 « Underpinning these cartoony visions were the radical politics of flower-power unity and anti-Vietnam revolutionary rhetoric, a serious attempt to educate listeners to the evils of the age. » Frank Broughton, “George Clinton, The Legendary Funketeer Discusses Life, Love and Spaceships”, i-D Magasine, op. cit. 23 Nommé Pure-Funk par les membres du collectif. 9 De façon très générale, l’étendue des moyens technologiques et le développement des systèmes de communication au cours des années 1970 représentent un tournant majeur dans la commercialisation et la diffusion des musiques populaires. Elle ouvre une porte vers un marché qui tend à confondre, avec toute la relativisation que cela impose, les distinctions de classe et de race. Le P-Funk prend ce tournant de façon remarquable (Parliament en particulier) puisque, bien que le public aux concerts reste jusqu’à la fin des années 1970 essentiellement noir, les deux formations percent avec leurs enregistrements album à la fois dans les charts R&B et les charts Pop de ces mêmes années.24 Portia Maultsby souligne ainsi que « l’objectif premier est de créer de nouvelles formules musicales conçues pour conserver les consommateurs noirs adolescents et simultanément étendre le marché pour que le Funk franchisse les barrières raciales et sociales. »25 En ces termes, le processus de crossover, déjà entamé depuis le milieu des années 1950, prend un sens tout à fait singulier et supplante même parfois la vision qui lui est attribuée de selling-out.26 « La black [music] était toujours populaire » dit Clinton, « mais si vous faites quelque chose, il faut le faire mieux que les groupes noirs et que les groupes blancs. »27 Le principe du crossover est ainsi débarrassé de sa connotation péjorative et de ses préjugés à mesure où son usage transgresse les règles. Le collectif Parliament / Funkadelic associe le principe de croisement des productions à la diversité de ses influences, et l’exploitation des formules de crossover est pensée non pas comme une dilution, un amalgame qui tendrait à blanchir la musique noire ou effacer toutes les traces de la black experience, mais dans l’intention de revisiter chacun de ces principes en profondeur, d’en extraire la substance interne pour aboutir à une combinaison adroite, un tout homogène. Le but n’est pas d’éradiquer la différenciation entre musique blanche et musique noire mais de démontrer que leur opposition est illusoire. John Corbett soutient d’ailleurs que « ce que le P-Funk a réalisé est une version de la Motown de Gordy, un crossover qui n’a pas eu à blanchir la black music, mais qui a extrait la part la plus signifiante, la plus profonde, la plus terrible de la musique blanche pour sa propre forme, sa propre conception. »28 24 Si nous insistons ici à nouveau sur le système de classement américain, c’est que les charts marquent une césure assez nette entre deux publics et sont des indicateurs relativement fiables de la percée d'un artiste auprès d'une communauté. Tandis que les charts R&B attestent de la portée d’un enregistrement auprès d’un public majoritairement noir, les charts Pop représentent un public plutôt blanc. Cette séparation, certes très schématique et pour le moins radicale, est pourtant le reflet de deux communautés auxquelles correspondent différentes valeurs, différentes envies mais aussi différentes aspirations esthétiques et par conséquent différents styles musicaux. Le phénomène de crossover, dans ce contexte, reflète, en une certaine mesure, une alternative à ce cloisonnement. 25 « The primary objective was to create new musical formulas designed to retain Black teenage consumers and simultaneously expand the market for funk across racial and class lines. » Portia Maultsby, Interview personnelle de l’auteur, 09 Juillet 2010. 26 Le terme de selling-out, sell-out ou sold-out, que nous pourrions traduire par vendu, était souvent donné aux artistes qui, par conviction ou concessions, signaient avec les principales major de l’industrie du disque. Synonyme d’une certaine perte de contrôle tant au niveau de la composition qu’au niveau du produit fini, ces musiciens étaient alors considérés comme ayant cédé une part de leur intégrité musicale en échange du profit. 27 « Black was still popular but if you’re gonna do something you gotta do it better than the black groups and better than the white groups. » John Corbett, Extended Play: Sounding Off from John Cage to Dr. Funkenstein, op. cit., p. 150. 28 « What P-Funk has achieved is a version of Gordy’s Motown, a crossover that didn’t have to “blanche” black music, but extracted the meanest, downest, dopest part of white music for its own designs. » John Corbett, idem, p. 149. 10 Le collectif Parliament / Funkadelic représente ainsi une entité autonome et puissance qui permet de définir, au fil des années et par un ensemble de productions concomitantes, une marque collective, une forme de labellisation, matérialisée par des signes musicaux distinctifs. L’hypermédiatisation du collectif et les stratégies commerciales relèvent d’un procédé décrit avec justesse par Johnson au sujet de l’ouvrage d’Ismaël Reed intitulé Mumbo Jumbo : « l’humour utilise le déplacement, la condensation, l’absurde, la représentation indirecte et la représentation par son opposé pour déplacer un matériau émotionnel hautement chargé audelà de la censure omniprésente. »29 Du funk au P-funk « The P-Funk beat, characterized by Jerome “Bigfoot” Brailey’s intricate patterns surrounding his throbbing bassdrum kick, Bootsy’s now legendary rhythmic-melodic complexities, Fred Wesley’s meticulous horn arrangements, Bernie Worrell’s gothic, sinister keyboard work, the many guitarists, and Clinton’s brand of operatic vocal hooks, made P-Funk the untouchable thang it is today. »30 Parliament et Funkadelic n’ont pas la même vocation ni la même fonction. Ces deux entités peuvent être perçues comme complémentaires dans le sens où elles répondent toutes deux à des aspirations compositionnelles, stylistiques et structurelles différentes. Au-delà de l’impact médiatique, il semble aussi nécessaire de mesurer musicalement quels sont les enjeux et stratégies d’une telle production. Depuis ses débuts, Funkadelic se veut être clairement le reflet de son nom, une fusion entre funk et rock psychédélique. Les drogues étant devenues au sein du collectif le lot commun, les morceaux mis au point sont l’expérience de sessions sous acide dont l’atmosphère générale, selon Calvin Simon, s’apparentait à une « fomentation politique et sociale ajoutée à [un] capiteux brassage musical. »31. Funkadelic se veut et devient expérimental (Free Your Mind and Your Ass Will Follow, Maggot Brain), et profitant des libertés qui lui sont offertes, recherche des sonorités et des ambiances aventureuses, envoûtantes, hypnotiques. Parliament représente le vecteur commercial de la cosmologie établie par le collectif. 29 « This is how Reed's radical material is able to be published: humor uses displacement, condensation, absurdity, indirect representation and representation by the opposite to move highly charged emotional material past the ever-present censor. » Carol Siri Johnson, « The Limbs of Osiris: Reed's Mumbo Jumbo and Hollywood's The Mummy », MELUS, Vol. 17, n° 4, Black Modernism and Post-Modernism (Winter, 1991 Winter, 1992), p. 108. 30 « Le rythme P-Funk, caractérisé par les motifs tortueux de Jerome “Bigfoot” Brailey enlaçant ses coups lancinant de grosse caisse, les complexités mélodico-rythmiques désormais légendaires de Bootsy Collins, les arrangements méticuleux des cuivres de Fred Wesley, le travail gothique, patibulaire du clavier de Bernie Worrell, les nombreux guitaristes, et l’accroche vocale d’un chanteur d’opéra, marque de fabrique de Clinton, fait du P-Funk la chose intouchable qu’il est aujourd’hui. » Rickey Vincent, Funk: the Music, the People and the Rhythm of the One, New York : St. Martin’s Griffin, 1996, p. 241. 31 « Hallucinogenic drugs and the general atmosphere of political and social foment added to this heady musical brew […]. » Simon Glickman and Michael Belfiore, George Clinton Biography , extrait du site internet Musician Guide, http://www.musicianguide.com/biographies/1608004073/George-Clinton.html 11 Poussant l’imaginaire jusqu’à son paroxysme, le P-Funk devient pourtant l’emblème axiomatique du collectif au complet lorsque l’expression donne naissance au Pure-Funk, une dénomination globalisante qui caractérise le Funk du collectif comme étant le Funk vrai, pur, ininterrompu,32 et se veut justement amalgamer les différentes orientations musicales au sein du collectif en une même direction. Revenons en ce point sur des caractéristiques très générales du Funk afin de cerner quels en sont les principes que le collectif récupère à son avantage. On note dans le funk une forme de radicalisation de la matrice harmonique, fréquemment réduite à un accord (one chord songs) – un niveau que l’on considèrera comme horizontal – mais aussi une recherche d’une certaine complexification dans l’agencement des différents pupitres et de leurs relations intrinsèques – un niveau perçu comme vertical. Le funk est basé sur une notion tout à fait spécifique correspondant à un traitement rythmique singulier, celle du groove. Tout comme le jazz possède son swing ou encore le reggae sa vibe, le groove peut être défini comme étant une manière distinctive d’envisager le rythme, caractéristique commune aux musiques de funk. Pour le décrire en quelques mots, ce traitement s’opère au niveau de la double croche qui est jouée swinguée sur une base tout à fait binaire, la croche. L’exécution du groove passe donc nécessairement par un ressenti, une appréhension tout à fait particulière du phénomène rythmique. Au sens premier, groove signifie sillon, renvoyant à celui d’une charrue dans le sol ou encore à celui du disque vinyle, imposant ainsi une forte notion de stabilité, de régularité et de linéarité. Ce terme, d’abord utilisé en musique pour qualifier certaines formes de jazz, n’est pas sans faire référence à son utilisation spécifique dans le langage vernaculaire noir américain qui porte en son sens une forte connotation sexuelle (d’ailleurs rattachable de très près à celle portée par le terme funk). Le groove est cette sensation de balancement, d’avancement régulier guidé par une musique au caractère répétitif. Au-delà de la radicalisation de la matrice harmonique, le funk joue de ce caractère entêtant. Les formules rythmiques et souvent même les formules mélodiques sont exécutées de façon cyclique selon des clusters de 1 à 2 mesures. Les séquences ainsi reproduites suggèrent cette notion d’infini, de mouvement, de déplacement perpétuel. La métaphore bien souvent utilisée, évoquée plus haut, est celle du train (funky train ou soul train). Le groove peut donc être perçu comme semblable à l’action d’une machine effectuant une tâche répétitive, exécutée en boucle, renvoyant en musique à l’image du sample. Cependant, après un examen plus profond, on ne peut que constater les micro-variations omniprésentes qui donnent, par le jeu de l’instrumentiste, un autre sens à ce motif répété. Ces mutations, d’ordre improvisé, agissent sur la perception de l’auditeur comme élément de variation, sans pour autant provoquer de rupture dans le principe de cyclicité et de régularité. Le point de rupture entre l’intérieur et l’extérieur devient subjectif et mobile. Il se situe là où la répétitivité et la similitude – des formes qui paraissent monotones et prévisibles – deviennent alors des objets dynamiques, évolutifs, vivants et micro-variés. Combinant à la fois répétition et variation, image technologique et image organique, le groove se servirait-il alors de cet assemblage afin de se référencer à ce concept tant prisé dans le discours AfroFuturiste, le concept d’homme-machine ? 32 « Pure Funk, uncut Funk » George Clinton, Mothership Connection Tour, 1976. 12 Depuis le premier album de Parliament en 1974 pour Casablanca, Up for the Downstroke, le son d’ensemble est métamorphosé par les effets ajoutés, donnant une sonorité générale singulière à la formation. En outre, le groupe est particulièrement attentif et ouvert aux possibilités offertes par de nouveaux procédés d’enregistrement, et notamment la superposition de plusieurs pistes créant une épaisseur d’ensemble et donnant plus de puissance au son. Le positionnement des différents instruments est généralement déterminé par la fonction et le timbre de ceux-ci. Ainsi chaque instrument trouve sa place dans un espace sonore et temporel grâce à un mixage fin et rigoureux du son d’ensemble. L’accessibilité à un enregistrement sur bandes en multipistes ouvrira de nouvelles possibilités au groupe et le développement d’une puissance sonore empruntée à des groupes comme les Stooges ou les MC5, permettront au collectif de développer ce que George Clinton définira comme étant un son s’apparentant à de la Loud Motown, un terme qui souligne l’assemblage entre les harmonies suaves du label de Soul Music et la puissance de la scène Rock expérimentale environnante. Du côté des membres du collectif, Maceo Parker, Fred Wesley, Bootsy et son frère "Catfish" Collins, sont la représentation figurative de cette dualité. Ayant fait leurs armes au sein de l’orchestre de James Brown, leur entrée dans le monde fantastique de George Clinton leur a permis d’étendre leur vision du style, leur ouvrant la porte à un son encore plus fin et précis. Les arrangements de la section cuivres des Horny Horns sous la direction du tromboniste Fred Wesley sont directs, crus et exécutés de façon incisive et puissante. Ce caractère n’avait jamais atteint un tel paroxysme au sein de la formation des JB’s. Musicalement, il en réside cette intensité capable de rentrer en confrontation directe avec les instruments amplifiés. Bootsy Collins ne restera qu’un an chez James Brown. Désireux d’une plus grande autonomie dans son jeu, sa composition et probablement dans sa façon d’être, il intègre Funkadelic en 1972. Dès lors, Bootsy devient l’un des personnages centraux de l’univers P-Funk, où il s’attachera à développer un style tout à fait particulier. La sonorité de ce qu’il nomme sa space bass, une basse électrique d’une forme singulière qui lui viendrait de l’espace, est teinté de l’utilisation de chambres d’écho, de distorsions auxquels s’ajoute l’effet de sa pédale Mu-Tron III (basée sur des filtres d’enveloppe). Cette superposition d’effets lui confère un son puissant et envahissant, lui permettant de donner un nouveau statut à la basse et la plaçant au rang d’instrument d’ordre mélodique. La basse ici n’est plus un instrument d’accompagnement, parfois soliste comme ce pu être le cas dans de nombreuses formes de jazz, elle peut être perçue comme instrument leader qui improvise et annonce les thèmes des morceaux. Bootsy Collins, au sein de Parliament / Funkadelic ou à la tête de son Rubber Band, devient à ce titre l’un des plus admirables (et surtout admiré) représentants du Pure Funk et fera appel, tout comme Clinton, à de nombreux alter-égo afin de multiplier ses personnalités et son image (Bootzilla, Casper...). Parallèlement, les synthétiseurs sont reconnus pour être, au sein de Parliament / Funkadelic mais aussi plus largement de l’ensemble des productions satellites, un élément propre à Bernie Worrell. Certes, il y eut de nombreux claviéristes au sein de Parliament / Funkadelic, mais Worrell en fut la figure emblématique. Il jouera des possibilités de glissement chromatique de notes et des modulations, de la diversité des sons proposés par ses machines mais aussi de l’aspect symbolique qui peut leur être affecté. On lui reconnaîtra principalement l’utilisation d’instruments tels que le clavinet, l’ARP Pro Soloist, le Minimoog (une des variantes du 13 Moog) ou encore l’orgue Hammond B-3. Avec l’ARP Pro Soloist, Worrell pouvait utiliser soit le son du hautbois soit celui de la clarinette en combinaison avec la molette de modulation (modulation wheel) ; le Minimoog lui permettait, à partir d’une même touche de produire plusieurs textures, « créant un son de basse très riche […], plus puissant que n’importe quel son de basse entendu à la radio à cette époque. »33 Il est possible de voir l’orgue Hammond B-3 comme évoquant la liturgie au sein de la musique afro-américaine, dans le sens où celui-ci est une alternative "moins encombrante" aux orgues d’église. Popularisé au milieu des années 1950, il permit de sortir la sonorité de l’orgue de son contexte ecclésiastique. Il est probable que ce symbole n’ait pas échappé à Worrell, qui connecte généralement, par son jeu, le timbre de cet instrument non seulement à la tradition Gospel mais aussi, et de par sa formation instrumentale initiale, à la musique occidentale de tradition écrite. Enfin, la musique jouée au sein du collectif Parliament / Funkadelic est basée sur un traitement particulier du premier temps de la mesure : le One, jouant de l’ambiguïté entre One, premier temps d’une mesure, temps fort dans la musique funk et the One, symbolisant l’unité, le rassemblement. Ce traitement singulier n’est pas spécifique au collectif mais décrit un élément déterminant des musiques funk. Ce principe est déjà induit dans la musique de James Brown et particulièrement lorsque celui-ci dit avoir révélé le Un. Cependant, le traitement du premier temps obtenu au sein de Parliament / Funkadelic, puisqu’il est poussé en permanence à l’extrême, vient à questionner les limites de l’ironie et de la dérision.34 Les dénominations peuvent être vastes, Afro-Rock ou encore Funk Psychedelic, la musique du collectif Parliament / Funkadelic répond à un principe d’unification du Rock blanc et de la Soul noire. De la musique rock et plus particulièrement du courant punk, sont extraits les modes de traitement du son, l’assemblage et le mixage : une première partie que nous pourrions qualifier de technologique. De la musique soul et des prémices du funk sont gardées les modes de jeu, les techniques compositionnelles et le traitement rythmique : une seconde partie que nous pourrions qualifier de plus sensorielle. Qu’est-ce alors que le funk pur, si ce n’est une notion ambivalente soulignant le mélange de l’âme du funk selon sa tradition avec des éléments technologiques et la puissance du rock. Le Pure Funk, en ce sens, représente alors un assemblage musical, une intégration de matériaux technologiques sur des formes devenues standard de la black music, qui elle-même en ses fondements dénote d’une semblable faculté d’hybridation. 33 « Creating the fullest bass sound […], louder than any other bass track heard at that time on the radio. » Marc Taylor, A Touch of Classic Soul 2: The Late 1970's, New-York : Aloiv Pub. Co., 1996, p. 216. 34 C’est par exemple le cas dans le morceau Everything is on the One où le titre, plutôt évocateur, fait état d’ « tout sur le Un. » 14 Signifyin’ ou dualité de sens « “Signification,” in standard English, denotes the meaning that a term conveys, or is intended to convey. It is a fundamental term in the standard English semantic order […]. By supplanting the received term's associated concept, the black vernacular tradition created a homonymic pun of the profoundest sort, thereby marking its sense of difference from the rest of the English community of speakers. Their complex act of language Signifies upon both formal language use and its conventions, conventions established, at least officially, by middle-class white people. »35 Penchons-nous maintenant le signifyin’.36 Le signifyin’ est un outil de réappropriation et de détournement, un jeu de sens largement utilisé tant au niveau du discours afro-futuriste que des productions qui en découlent, dont la pratique et la symbolique sont décrites dans l’ouvrage de référence d’Henry Louis Gates intitulé The Signifying Monkey. Le signifyin’ est un principe d’utilisation du langage et n’est en ce sens, en aucun cas l’usage exclusif de l’Afro-futurisme ni même de la communauté afro-américaine bien que celle-ci en ait nommé le terme et posé les rites. Procédé de détournement du sens des mots, d’expressions ou même de situations (le signifié), le signifyin’ produit un double niveau de compréhension, en fonction de l’interlocuteur, et est donc codé culturellement. Il peut être utilisé pour créer une confusion de sens, déstabiliser, ou même provoquer le destinataire. Ce principe régit l’intégralité de l’univers créé par Parliament / Funkadelic, et ce plus particulièrement depuis la régénération de Parliament en 1974. « Penser au concept noir de Signifyin(g) » indique Gates, « est un peu comme de trébucher méconnaissant dans une galerie de glaces : le signe lui-même apparaît comme étant doublé, à la toute fin, et (re)doublé suivant un examen toujours plus proche. »37 Reflet du langage parlé au sein du collectif, l’évocation de sujets rendus sensibles par convenance morale (mais aussi culturelle ou sociale) d’une Amérique puritaine, tels que le sexe, se trouvent généralement couplé à l’ironie ou l’ambiguïté de sens. Comme le soulignent les Rickford dans leur ouvrage Spoken Soul: The Story of Black English : « Le prédicateur noir le plus accompli – comme le meilleur 35 « La “signification”, en Anglais standard, dénote du sens qu’un terme se transmet, ou est sur le point de se transmettre. C’est un terme fondamental dans l’ordre sémantique de l’Anglais standard […]. En supplantant les concepts associés aux termes reçus, la tradition du vernaculaire noir créé un jeu de mot homonymique du type le plus profond, produisant ainsi la différence de sens pour le reste des locuteurs de la communauté anglaise. Leur complexe acte de langage Signifie à la fois sur l’usage formel du langage et ses conventions, les conventions établies, du moins officiellement, par la classe moyenne des blancs. » Henry Louis Gates Jr., The Signifying Monkey: A Theory of African-American Literary Criticism, New York, Oxford University Press, 1988, p. 46-47. 36 Nous préserverons l’anglicisme signifyin’ afin de ne pas dénaturer le sens du mot par sa traduction. 37 « Thinking about the black concept of Signifyin(g) is a bit like stumbling unaware into a hall of mirrors: the sign itself appears to be doubled, at the very least, and (re)doubled upon ever closer examination. » Henry Louis Gates Jr., The Signifying Monkey, op. cit., p. 44. 15 comédien noir – utilise la légèreté (de manière non sérieuse) pour se ruer dans des discussions délicates. »38 Suivant cette présentation, nous introduirons le procédé d’inversion sémantique qui n’est pas lui non plus d’un usage exclusif à la communauté noire américaine. Il est un fait répandu dans l’utilisation du vernaculaire noir américain qui la décline cependant selon une utilisation spécifique. « Dans la majorité des cas, l’inversion sémantique réfère à une unité lexicale qui n’a pas le même sens dans le Black English que dans le Standard English, et bien que proche de son sens opposé, ne l’est pas complètement, et peut, en fait, se situer à différents niveaux. »39 Ainsi, le mot bad 40 (mauvais, mal) prend régulièrement une valeur proche de son inverse, de son sens opposé, et ce selon l’intonation et donc l’intention avec laquelle il est prononcé. Le collectif use de ce procédé sous de nombreuses formes telles que « The girl is bad » ou « Red Hot Mam ais really bad. She was badder than bad, bad as she want to be. »41 Geneva Smitherman, linguiste spécialisée dans le langage afro-américain nous donne alors la définition correspondante du mot bad : « bon, excellent, sensationnel, bien, » et nous informe sur l’origine de cette permutation : « [C’est une] traduction empruntée au langage Mandinka (parlé par le peuple Mandingue d’Afrique de l’Ouest), a ka nyi ko-jugu, littéralement "It is good badly," signifiant "It is very good," qui est, c’est tellement bien que c’est bad. »42 Le mal ainsi utilisé pour le bien peut être envisagé comme le signe d’une communication adressée à un groupe social ciblé, capable d’accéder à cette distinction. Le processus d’inversion sémantique, par un discours à deux niveaux, permet ainsi, selon Grace Holt, d’accéder à une forme codée de discours. « Les mots et les phrases renvoient à une signification opposée et les fonctions sont changées. Les blancs, déniant l’accès à l’extension sémantique de la dualité, des connotations, des dénotations qui se sont développées dans un emploi noir, pourraient seulement interpréter le même matériau selon son sens originel, singulier […], permettant aux noirs de tromper et manipuler les blancs sans peine. »43 38 The most accomplished black preachers—like the best black comedians—use levity to wade into sensitive discussions. " John R. Rickford, Spoken Soul: the Story of Black English, New York : Wiley, 2000, p.53. 39 In most instances, semantic inversion refers to a lexical item that does not have the same meaning in Black English as it does in Standard English, and although closer to the opposite meaning, is not quite completely opposite, and may, in fact, be on different levels. » Walter M. Brasch, Black English and the Mass Media, p.295. 40 Cette inversion sémantique s’est depuis transmise à la communauté blanche. 41 « The girl is bad », extrait des paroles de “Undisco Kidd”, Tales Of Kidd Funkadelic, op.cit. ; et « Red Hot Mam ais really bad. She was badder than bad, bad as she want to be », extrait des paroles de “Red Hot Mama”, Standing On the Verge of Getting It On, Westbound WB 1001, 1975. 42 « Bad : Good, excellent, great, fine. Loan translation from the Mandinka language (spoken by the Mandingo people of West Africa), a ka nyi ko-jugu, literally "It is good badly," meaning, "It is very good," that is, it is so good that it is bad. » Geneva Smitherman, Black Talk: Words and Phrases from the Hood to the Amen Corner, Boston : Houghton Mifflin, 1994, p.60. 43 « Words and phrases were given reverse meanings and functions changed. Whites, denied access to the semantic extensions of duality, connotations, and denotations that developed within black usage, could only interpret the same material according to its original singular meaning…, enabling the blacks to deceive and manipulate whites without penalty. » Grace Holt, « Inversion in Black communication », Rappin' and Stylin' Out: Communication in Urban America, ed. Thomas Kochman. Chicago, University of Illinois Press, 1972, p. 154. 16 En correspondance au renversement de sens opéré sur le mot bad, Clinton affirme que « funk était un mot mauvais »44 et entend par-là ébranler toute connotation péjorative associée au terme. Chargé d’un caractère transfiguratif, le funk cristallise désormais, selon les paroles du collectif, un vaste ensemble de valeurs (religieuses, morales, identitaires, politiques…). Entre élément de rupture mais aussi marque de continuité, le slogan Say it Loud, I’m Black and I’m Proud scandé par James Brown en 1968 se voit ainsi détourné, sous la voix de George Clinton en Say it Loud, I’m Funk and I’m Proud, comme si la nouvelle valeur, le nouvel élément de fierté n’est plus d’être noir mais surtout d’être funk. Funk devient ainsi un terme générique, substitutif, nouveau vecteur d’émancipation qui vient parfois même à supplanter le concept de race. Il était une fois, appelée maintenant ! Implication et communication « In the black Atlantic context, [the signifying gestures] produce the imaginary effect of an internal racial core or essence by action on the body through the specific mechanisms of identification and recognition that are produced in the intimate interaction of performer and crowd. This reciprocal relationship can serve as an ideal communicative situation even when the original makers of the music and its eventual consumers are separated in space and time or divided by the technologies of sound reproduction and the commodity form which their art has sought to resist. »45 La musique de Parliament / Funkadelic, tout comme l’ensemble du Funk d’ailleurs, ne peut être envisagée sans traiter de la communication entre les musiciens et le public. Support d’une action qui devient réciproque, l’évènement musical permet un dialogue interactif qui s’établit entre les musiciens et leurs auditeurs, cherchant au travers de la musique une correspondance et visant à une implication totale. En ce sens, la scénographie devient un élément fondamental des interactions entre musiciens et spectateurs. La conceptualisation de personnages et de décors théâtraux pour les concerts est essentielle. Rob Bowman nous décrit : « depuis les années 1970 jusqu’aux années 1990 [et même 2000,] Parliament / Funkadelic étaient légendaires pour leurs spectacles durant de trois à quatre heures impliquant souvent des sets élaborés, incluant le Mothership, un vaisseau spatial qui était une part intégrante de la cosmologie funk développée par Clinton à 44 « Funk used to be a bad word » devient une maxime récurrente du collectif « Dans le contexte de l’Atlantique noir, les expressions significatives produisent l’effet imaginaire d’une essence, d’un noyau interne racial par l’action sur le corps à travers des mécanismes spécifiques d’identification et de reconnaissance qui sont produits dans l’interaction immédiate entre artiste et spectateurs. Cette relation réciproque peut servir de situation communicative idéale même quand les producteurs originaux de musique et ses éventuels clients / consommateurs sont séparés dans l’espace et dans le temps ou partagés par la technologie de reproduction du son et la forme du produit auquel leur art a tenté de résister. » Paul Gilroy, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness, op. cit., p. 102. 45 17 travers plusieurs albums. »46 Parfois donc qualifiés d’opéra funk, les concerts sont aussi de véritables spectacles visuels où l’implication du public au jeu scénique établit une passerelle entre les différents mythes qui construisent ce qui peut être vu comme la cosmologie P-Funk. Cette dernière envahit les membres du groupe jusque dans leur quotidien ; les déguisements portés en deviendront le moyen figuratif, conférant un précieux élément de continuité et renforçant la cohérence du discours, non seulement par l’importance qui leur sera accordée mais aussi par le sens dont ils se chargeront. L’aspect (anti)-réaliste de l’agencement de l’espace scénique et de la diversité des costumes porte à saturation la somme des références auxquels ils font appel. Le mythe, une fois encore, est projeté au sein même du réel. Les costumes et la mise en scène confèrent aux membres du collectif une cohérence générale de par leur apparence en adéquation avec l’histoire dans laquelle ils se projettent. L’utilisation du mythe au quotidien se traduit par une application constante, et ce même en dehors du contexte musical ou scénique. Sun Ra faisait de même et affirmait provenir de Saturne. « Vous pouvez l’avoir vu dans la rue un jour comme un autre, un jeune homme noir imposant avec un léger sourire et un regard distant, portant des sandales et drapé dans un tissu comme un prophète issu des Ecritures Saintes. »47 Parliament / Funkadelic, tout comme Sun Ra, anéantissent les barrières entre musique et mysticisme en concevant leur propres mythes ; leur discours mystérieux s’originent au temps des pharaons, considérant l’Egypte Ancienne comme une civilisation technologiquement avancée possédant des racines dans l’Espace cosmique. Tout comme Ismael Reed joue de ces références dans sa nouvelle Mumbo Jumbo, le mouvement afro-futuriste exploite la même dimension symbolique, et l’analyse établie par Carol Siri Johnson devient ici applicable à notre objet d’étude : « les mythes de l’Egypte – d’Isis, Osiris et le Livre de Thoth – [sont utilisés] comme une analogie à la condition du canon afro-américain dans le monde occidental hégémonique […]. Mumbo Jumbo est un texte des colonisés qui s’approprient et révisent les mythes de la colonie pour déconstruire ou "signifier" (signify on) les canons littéraires blancs et noirs. »48 Au-delà de la configuration scénique, de l’aspect carnavalesque et des mises en scène théâtrales, et même des déguisements qui accompagnent le quotidien, le discours de Parliament / Funkadelic inclus de nombreux éléments de langage visant à une identification et une implication immédiate du spectateur / auditeur. Moment d’intensité croissante pendant les concerts, Glen Goins, tel un prédicateur qui anime la ferveur de ses fidèles, chante l’arrivée du Mothership. « I can hear the mothership comin’ » répète-t-il, jusqu’à ce qu’une machine 46 « From the 1970s until the 1990s Parliament/Funkadelic were legendary for three- to four-hour performances that often involved elaborate sets including the Mothership, a spaceship that was an integral part of a complex funk cosmology developed by Clinton over several albums. » Rob Bowman, « George Clinton », Grove Dictionary Online, 2007. 47 « You might have seen him on the street any day, an august young black man with a slight smile and a distant stare, wearing sandals and wrapped in a sheet like a prophet from the Scriptures. » John F. Szwed, Space is the Place, op. cit., p. 3. 48 « Mumbo Jumbo is a text of the colonized that appropriates and revises myths of the colony to deconstruct or "signify on" the white and black literary canons […]. Ishmael Reed uses the myths of Egypt – of Isis, Osiris and the Book of Thoth – as an analogy for the condition of the African American canon in the Western hegemonic world. » Carol Siri Johnson, « The Limbs of Osiris: Reed's Mumbo Jumbo and Hollywood's The Mummy », op. cit., p. 106. 18 volante traverse la salle et vienne se poser sur scène, laissant sortir George Clinton, aka Dr. Funkenstein. Les choristes à l’arrière-plan chantent en une version détournée le spiritual qui souligne cette volonté d’implication : « Swing down, sweet chariot, stop and let me ride » alors que le prêcheur questionne la foule : « Do you believe in the Mothership ? » D’un point de vue pragmatique, le Mothership est donc utilisé pendant les représentations de Parliament / Funkadelic depuis le milieu des années 70, donnant aux shows une envergure caractéristique à cette époque. Un décor digne d’une représentation théâtrale est mis en scène derrière le groupe en correspondance avec les différents thèmes choisis pour soutenir visuellement et donner une réalité à la mythologie fantastique. « Pour mettre en place cette organisation élaborée, Clinton fit appel aux services de Jules Fischer, le concepteurdécorateur qui produisit les scènes de Kiss et des Rolling Stones, à qui Clinton donna un budget de 275,000 dollars – du jamais vu pour une performance noire. »49 Les marqueurs de temps et d’espace sont un fait important tant dans la musique que dans la cosmologie P-Funk. Les codes temporels utilisés pour assurer une validité immédiate du message entretiennent l’implication du public et renforcent la véracité du mythe. Entre vérité et fiction, technologie et mystification, le spectateur devient acteur et est placé au centre du discours. Cette participation active que l’on pourrait qualifier d’(omni)présence est soulignée par des interjections affirmant le caractère immédiat du discours : « Think, It ain’t illegal yet ! » ou « Funk upon a time, called right now ! » Les codes temporels et spatiaux sont utilisées comme des éléments de confusion et d’antithèse, de déstabilisation, ouvrant les portes à une autre réflexion, un autre discours pour définir le présent, et offrant une perspective nouvelle sur des questions relatives aux origines ou à l’avenir. Renvoyant à l’image d’un village planétaire (global village), d’un réseau général, d’un langage et de lieux d’échanges communs, le codage culturel induit l’ambiguïté, la dualité de sens, plaçant ainsi de façon détournée le peuple noir au cœur de ce réseau. Là encore peut être perçu une forte analogie au mouvement des diasporas africaines contemporaines, mais aussi une critique matérielle dirigée directement contre le concept même de citoyenneté. Sun Ra cherche ainsi à rallier les citoyens de l’Omniverse et Parliament / Funkadelic, sous la bannière du groove, prônent le « One Nation, United, Under a Groove. » 49 « To put this elaborate set-up together, Clinton secured the services of Jules Fischer, the set designer who had produced stage for Kiss and the Rolling Stones, and was given a budget of $275,000 – the largest ever for a black act. » Marc Taylor, A Touch of Classic Soul 2: The Late 1970's, op. cit., p. 216. 19 L’Afro-futurisme : assemblage et désorientation « Jean-Michel Basquiat paintings such as Molasses, which features a pie-eyed, snaggletoothed robot, adequately earn the term "Afrofuturist," as do movies like John Sayles's The Brother From Another Planet and Lizzie Borden's Born in Flames. Jimi Hendrix's Electric Ladyland is Afrofuturist; so, too, is the techno-tribal global village music of Miles Davis's On the Corner and Herbie Hancock's Headhunters, as well as the fusion-jazz cyberfunk of Hancock's Future Shock and Bernie Worrell's Blacktronic Science. »50 Nous retiendrons le terme « anti-anti-essentialisme » de Paul Gilroy, non pas pour sa seule volonté de s’émanciper de la logique de la pensée binaire, mais aussi, au regard de l’Afrofuturisme sous sa forme musicale, pour souligner « l’opportunité d’utiliser la musique comme modèle permettant de sortir de l’impasse entre deux positions insatisfaisantes qui ont dominé les récentes discussions autour des black cultural politics .»51 La double négation, bien que Gilroy n’évoque pas le mouvement afro-futuriste, se charge ici d’une ironie certaine se voulant jouer de la notion d’authenticité. L’Afro-futurisme représente ainsi la capacité à extraire la volonté d’authenticité et en la surdimensionnant au moyen d’outils technologiques extérieurs. Comme Griffith Rollenson le souligne dans son essai The Robot Voodoo Power Thesis, « alors que l’idée du funk capture l’idée musicale de l’âme noire (black soul), P-Funk amplifie, électronifie et futurise cette âme. »52 L’échappée du monde réel et l’inscription de l’imaginaire dans un quotidien au moyen d’outils technologiques détournés se trouvent combinés avec une vision déplacée, revisitée, de la question du lien symbolique qu’entretient la communauté noire américaine à l’Afrique. Cet ensemble permet aux artistes afro-futuristes – et notamment comme décrit ici à George Clinton et son collectif – d’accompagner une mutation radicale tant dans leur discours que dans leurs productions artistiques. Affirmant une place (re)définie à la communauté Afro-Américaine au sein d’une Amérique blanche en (ré)imposant de nouvelles croyances passées et à venir, le mouvement afrofuturiste ne joue pas des mêmes revendications que le Civil Right Movement dont la Soul et une majeure partie du Funk s’emparèrent du langage. Tranchant avec le cliché médiatique et cherchant à se démarquer de l’image d’une culture en perpétuelle recherche de ses origines, l’Afro-futurisme redessine ces origines jusqu’à celles des peuples et recontextualise la place 50 « Les peintures de Jean-Michel Basquiat tout comme Molasses, qui présentent un robot ivre, aux dents difformes, mérite/gagne de façon adéquate le terme "Afro-futuriste", tout comme les films The Brother from Another Planet de John Sayles et Born in Flames de Lizzie Borden. Electric Ladyland de Jimi Hendrix est Afrofuturiste ; de même que l’est la "techno-tribal global village music" de On the Corner de Miles Davis et Headhunters de Herbie, aussi bien que le jazz-fusion cyberfunk de Future Shock de Hancock et Blacktronic Science de Bernie Worrell. » Mark Dery, Flame Wars: The Discourse of Cyberculture, op. cit., p. 182. 51 « The opportunity to use music as a model that can break the deadlock between the two unsatisfactory positions that have dominated recent discussions of black cultural politics. » Paul Gilroy, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness, op. cit., p. 99. 52 « While the funk idea captures the musical idea of black soul, P-Funk amplifies, electronifies, and futurizes that soul. » J. Griffith Rollefson, « The “Robot Voodoo Power” Thesis: Afrofuturism and Anti-Anti-Essentialism From Sun Ra to Kool Keith », Black Music Research Journal, Vol. 28, n° 1, Chicago, University of Illinois Press, 2008, p. 98. 20 des Noirs au sein de la société américaine. Il opère une déviation d’une part des symboles mythologiques de l’ancienne Egypte et plus largement de la soul noire, et d’autre part des symboles du pouvoir conféré par la possession de la technologie et plus largement de la position hégémonique de la communauté blanche. La combinaison de ces deux aspects perçus comme insolubles donne à l’Afro-futurisme un matériau oppositionnel puissant pour interroger l’universalisme blanc tout en gardant un œil critique sur les notions de blackness et de black experience. Parliament / Funkadelic combine ainsi univers galactiques et mythes fondateurs, synthétiseurs et progrès technologiques en une forme musicale autoproclamée Pure Funk. Se référant à l’imagerie de science-fiction, aux narrations futuristes et à l’usage des technologies aussi bien dans la figuration que dans l’utilisation et à des fins artistiques, les musiciens du collectif peuvent être perçus comme des éléments constitutifs de ce que nous avons convenu d’appeler domaine musical de l’Afro-futurisme. Revisiter l’image de la communauté noire et l’image de la communauté blanche, revient à proposer une relecture des fondamentaux, un discours déplacé qui ne peut être vu comme une revendication directe mais une ouverture du champ des possibles. Cette vision qui cherche à réduire l’expression binaire d’un codage social et culturel, se servant pourtant des références, des objets et des symboles qui y sont associées de part et d’autres, se trouve projeté au centre du langage tout comme de l’expression artistique. En 1903, dans son ouvrage The Souls of Black Folks,53 W.E.B. Du Bois fait état d’un concept qu’il nomme « double conscience » qui résonne profondément dans les années 1970 avec l’adoption d’un terme destiné à désigner la communauté noire américaine en un sens politiquement correct : African-american. Par sa double négation, emprunte à l’expression de Gilroy, l’Afro-futurisme propose une réflexion qui amplifie la notion « d’être double » (twoness), tout en proposant un discours détourné, déplacé de sa fonction première. Objets devenus dysfonctionnels qui, tout comme plongé dans la galerie des glaces de Gates, laissent cependant entrevoir une infinité de possibilités. L’Afro-futurisme peut être perçu comme un double miroir à la fois d’une image rapportée de la communauté noire par l’Amérique blanche, et de l’image que cette même communauté se renvoie à ellemême. Reflétant le contexte dans lequel l’Afro-futurisme inscrit son discours, il établit un pont entre le passé et le futur tout en analysant la condition et la place de la communauté noire américaine au regard de son expérience et de la société qui l’a construite. Selon George Clinton : « Placer les Noirs dans des situations dans lesquelles ils n’ont jamais étés [ou pu être], et cela fonctionne – je savais qu’il faille que je trouve un autre endroit pour les Noirs. Et l’espace fut cet endroit. »54 53 W.E.B. Du Bois, The Souls of Black Folk, Chicago : A.C. McClurg, 1903, p. 4. « Putting black people in situations they have never been in, and it worked – I knew I had to find another place for black people to be. And space was that place.” George Clinton dans Dave Marsh, George Clinton and P-Funk: An Oral History, New York : Harper Perennial, 1998, p. 97. 54 21 Bibliographie ABRAHAMS, ROGER D. Talking Black. Rowley, Mass. : Newbury House Publishers, 1976. BARAKA, AMIRI (LeRoi Jones). 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