À propos de Fra Diavolo

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À propos de Fra Diavolo
A PROPOS DE FRA DIAVOLO1
dans Banditi de Gérard de Cortanze
et La San Felice d’Alexandre Dumas2
Son lien avec Victor Hugo
Michele Pezza, alias Fra Diavolo
Le personnage de Fra Diavolo3 , comme celui de nombre de « bandits »
de l’époque (fin XVIII e siècle), excita dès l’origine l’imagination des
napolitains et du peuple des îles voisines. On lui consacra quantité de
« complaintes ».
De Jean Sbogar, le brigand aux multiples visages de Nodier, en passant
par l’opéra de Scribe et Auber – Fra Diavolo – représenté à Paris en
1830, et quelques autres œuvres, il inspira écrivains et dramaturges du
XIXe siècle et jusqu’aux cinéastes du XX e (Capellani, Hal Roach – avec
pour interprètes Laurel et Hardy…).
Un des plus célèbres romans où il apparaît est
peut-être celui
d’Alexandre Dumas, La San Felice, publié d’abord en feuilleton dans
La Presse de 1863 à 1865, et dont une adaptation télévisée récente a
ravivé le souvenir. Il met en scène – en contrepoint de Michele Pezza,
alias Fra Diavolo – le jeune patriote Michele Il Pazzo, passé à la République et promu colonel. Les
amours de sa sœur de lait, la marquise San Felice, avec un officier italien de l’armée révolutionnaire
française occupent cependant la première place dans le roman. Michele Il Pazzo meurt pour la cause
de la liberté, pendu par les contre-révolutionnaires, alors que Michele Pezza n’est pas encore pris. Lui
aussi, ce Fra Diavolo, a été nommé colonel, mais dans l’armée du roi de Naples, et il a reçu des
subsides de la reine Marie-Caroline et des Anglais. Lui aussi finira pendu.
Sa position politique monarchiste dans Banditi est proche de la réalité historique. Fra Diavolo,
l’homme invisible, l’homme invincible, est protégé par un talisman – une petite pierre blanche,
présent d’une femme – et par une meute de loups, conformément à la légende. Il est partout à la fois,
sème de faux indices. Le personnage est amoureux, cette fois, d’une jeune aristocrate, Fortuna Rachele, mal mariée à un vieil industriel sans délicatesse, qui provoquera sa perte. L’ignorance de la
vie intime de ce bandit a donné lieu en effet à une exploitation imaginaire sans frein de ses aventures
sentimentales.
Léopold Sigisbert Hugo
Ce qu’on sait avec certitude, c’est que,
contrairement à l’opéra où
il apparaît comme un révolutionnaire
chevaleresque, sorte de
Robin des bois, Michele Pezza, engagé au
service des Bourbons de
Naples pour échapper à une condamnation
criminelle
de
droit
commun,
lutta
contre
l’armée
« révolutionnaire »française
de Bonaparte par conviction monarchiste mais
aussi nationaliste. Celui qui
l’arrêta enfin en 1806, après une traque
difficile, n’est autre que le
futur général Sigisbert Hugo, alors « major »,
père de Victor. On refusa
au major Hugo de traiter Michele Pezza en
prisonnier de guerre et
celui-ci fut pendu.
« C’est un singulier hasard de la destinée du
général Hugo, explique
Adèle 4, que d’avoir été l’adversaire des deux
plus acharnés défenseurs de
leur nationalité en Italie et en Espagne […].
Mais alors, il ne voyait que
son drapeau […].
Tous ces fils de la révolution […]
apportaient
des
idées
nouvelles, et, malgré l’empire, étaient
toujours la révolution. Mais
1
Frère diable
Banditi a été publié en 2004 chez Albin Michel et La San Felice en 1865 (on peut trouver le texte chez
Gallimard, nouvelle édition de 1996).
3
Surnom dû à « son habileté diabolique à échapper aux poursuites » (Adèle Hugo, Victor Hugo raconté par un
témoin de sa vie).
4
Adèle Hugo, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.
2
on n’inculque pas la liberté par l’oppression… »
Le goût de Victor Hugo pour les hors-la-loi, depuis Han d’Islande, Bug-Jargal, Hernani, jusqu’à
Jean Valjean et ses « domiciles différents », en passant par Don César et ses déguisements dans Ruy
Blas, ne serait-il pas dû en partie au souvenir de Fra Diavolo et à l’indignation précoce et peut-être
inconsciente de l’adolescent contre tout pouvoir installé et dominateur ?
Josette Acher