Les enjeux d l`externalisation - Christian MARMUSE

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Les enjeux d l`externalisation - Christian MARMUSE
Les enjeux de l’externalisation
Christian MARMUSE
Professeur à l’Université de Lille 2
Directeur de l’Ecole Supérieure des Affaires
Journées d’études du Centre de Droit des Contrats de l’Université de Lille II
Lille 21 Novembre 1997
Souvenez-vous du bon vieux temps, lorsque l’externalisation s’appelait encore
simplement la sous-traitance…
Faut-il voir dans ce mot d’externalisation (qui ne figure dans aucun dictionnaire)
une nouvelle réalité ou bien une manière plus moderne ou plus marketing
d’exprimer un phénomène qui ne serait en réalité que la sous-traitance ? La
réponse à cette question doit être nuancée tant il est vrai que le phénomène de
sous-traitance a changé à la fois de nature et d’ampleur. De nature d’abord car il
concerne aujourd’hui des domaines très divers et plus seulement celui de la
production qui prévalait à l’origine de ces pratiques. D’ampleur également car
l’externalisation, au contraire de la sous-traitance concerne aujourd’hui la plupart
des industries et des services et qu’ elle est parfois devenue la règle, là où elle était
jadis une exception.
Il est donc important de se poser la question des enjeux de l’externalisation dans
les environnements globalisés et mondialisés qui sont la réalité des entreprises
d’aujourd’hui.
Un premier exemple permettra de mieux situer le débat : le marché mondial de la
chaussure dépasse aujourd’hui les 60 milliards de francs. Les premiers du secteur,
Nike et Reebok ne fabriquent aucune chaussure. Nike utilise 40 usines situées à
Taïwan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie ou en Corée. Ces usines emploient
75.000 personnes et travaillent aussi pour les concurrents . Les 65.000 employés de
Nike travaillent, eux, à la conception et au marketing des 500 modèles de la
gamme. Une chaussure achetée 20 dollars aux sous-traitants est revendue 60
dollars aux distributeurs. Dans ce secteur, 90% du marché est contrôlé par des
entreprises occidentales (Nike, Reebok, Adidas ou Puma), mais 98% de la
production sont effectués en Asie ! A l’inverse, certaines entreprises comme
Adidas continuent à fabriquer une partie de leur production en Europe. D’où la
question des logiques de choix qui président soit à internaliser soit à externaliser
certaines des activités de l’entreprise.
Cette question de l’externalisation concerne aujourd’hui de nombreux secteurs :
de l’industrie lourde à l’alimentaire en passant par le textile, les assurances ou
l’informatique. Elle se pose aujourd’hui dans un double référentiel : la vision
classique des choses s’intéresse à l’équilibre des coûts entre les deux parties de
l’alternative « faire ou faire-faire ». Il s’agit alors de parler des enjeux de
l’externalisation en termes d’efficacité opérationnelle des entreprises.
Mais la question se pose aussi, et de plus en plus, de manière plus globale en
termes de compétition internationale entre des firmes largement mondialisées. il
s’agit alors d’examiner les enjeux stratégiques de l’externalisation. Ces deux
aspects constitueront les deux axes de notre propos.
I - les logiques classiques du « faire » et du « faire-faire » : les enjeux de l’efficacité
opérationnelle
Trois idées principales nous semblent importantes à préciser dans ce contexte :
l’origine de la problématique, l’économie des coûts de transaction et les pratiques
récentes des entreprises.
Première idée : Une logique qui trouve son origine dans le développement de
l’industrie
Les premières entreprises industrielles sont nées de la nécessité de concentrer la
main-d’œuvre dans des lieux uniques, dès lors que la production nécessitait
l’usage d’équipements coûteux. Les manufactures ont ainsi regroupé ceux qui
étaient auparavant des artisans, dans des lieux où ils pouvaient exercer en
commun une activité manuelle (d’où le nom de « manufacture »). Les années
récentes voient se développer un processus tout à fait inverse où les entreprises
délocalisent, utilisent largement des ressources externes et finalement tendent à
devenir « virtuelles ».
Deux concepts ont présidé depuis fort longtemps à ces choix alternatifs : celui des
économies d’échelle et celui l’intégration.
La notion d’économie d’échelle est bien connue : les coûts fixes liés à des
investissements importants dans certains secteurs, impliquent des productions de
masse permettant de minimiser les coûts fixes unitaires. Les coûts variables se
trouvent également mieux gérés par des effets de rapports de force et de capacité
de négociation entre des entreprises situées différemment sur la chaîne de valeur
du secteur. La logique des effets d’échelle implique de développer l’intégration
horizontale et de gérer les frais fixes en interne; à l’opposé, la sous-traitance
permet de déléguer certains frais fixes et donc de les variabiliser au travers d’un
coût
de
façon
proportionnel.
De
même,
l’externalisation
de
tâches
administratives (par exemple le conseil, la gestion du compte client ou de la paye,
ou l’informatique avec le facilities management) transforme des coûts indirects
en coûts directs.
Aujourd’hui cependant, les technologies permettent de rendre efficaces les
processus de production sans recourir forcément à la grande taille et, bien
souvent, cet effet de taille se double de l’apparition de déséconomies liées à des
coûts de coordination de grandes unités, lesquels se développent plus rapidement
que le niveau d’activité.
Le choix de l’externalisation se comprend donc par rapport à un arbitrage entre
économies et déséconomies d’échelle. Les pratiques du downsizing nous
montrent cependant que la taille est de plus en plus souvent vécue comme un
handicap.
La seconde notion qu’il convient d’exprimer ici, est celle de l’intégration : on peut
concevoir que, dans certaines activités, l’intégration de plusieurs stades de valeur
ajoutée puisse permettre d’améliorer la rentabilité par effet de synergie. En
matière de coûts, bien peu d’industries peuvent cependant aujourd’hui justifier
une large intégration par cette logique : IBM ou Hewlett-Packard, qui intègrent
tous les stades de la fabrication d’ordinateurs sont-ils réellement plus rentables
que Microsoft ou Compacq qui ont choisi de se concentrer sur quelques stades de
valeur ajoutée ? Rien n’est moins sûr ! De là naît encore la possibilité, voire la
nécessité de ne plus forcément intégrer l’ensemble des stades de valeur ajoutée,
même si des contre-exemples peuvent encore donner raison aux tenants de
l’intégration, nous y reviendrons plus loin.
Deuxième idée : L’économie des coûts de transaction en faveur des politiques
d’intégration
C’est à partir des travaux de Ronald Coase en 1937 que s’est développée la notion
des coûts de transaction [COASE 1937]. Le point de départ de cette idée fut de
reconnaître que l’intégration de plusieurs processus de production (ou parties de
processus), au sein d’une même entité, pouvait accroître l’efficience si l’on
admettait l’hypothèse selon laquelle les transactions sur un marché (notamment
liés à l’externalisation) pouvaient conduire à des coûts pour les parties à ces
contrats. Ces coûts de transaction comprennent l’ensemble des dépenses attachées
à l’information et à la coordination d’activités distinctes. Il s’agit de rechercher des
partenaires, d’opérer des négociations, de s’assurer des prix les plus bas, de la
qualité et des délais de livraison, et enfin de gérer l’ensemble des relations
contractuelles liées à un accord de partenariat. Les coûts de transaction seront
d’autant plus élevés que l’information sera coûteuse et qu’augmentera
l’incertitude quant à l’existence et à la fiabilité des cocontractants.
Cette théorie complète donc l’approche entre faire et faire-faire en mettant en
lumière le fait que les coûts du recours au marché ne sont pas neutres dans le
choix, et qu’ils ont été trop longtemps négligés.
Williamson, à la suite de Coase affirmera que plus les actifs engagés dans la
transaction sont spécifiques, plus le différentiel de coût de gouvernance est
favorable à l’entreprise intégrée par rapport au marché [WILLIAMSON 1975 et
1985]. Le choix entre internaliser et externaliser relèverait donc d’un arbitrage
entre les avantages intrinsèques de l’intégration et les coûts liés à la recherche et à
la gestion d’une transaction.
Troisième idée : Les pratiques récentes des entreprises peuvent remettre en cause
ces thé ories
L’observation du comportement de certaines entreprises conduit à constater de
nombreuses pratiques d’externalisation qui peuvent remettre en cause le
référentiel des coûts de transaction, des économies d’échelle et de l’intégration,
comme si les dirigeants de ces entreprises négligeaient les coûts de recours au
marché en privilégiant d’autres valeurs qu’il conviendra de mettre en lumière.
Mais on constate également que d’autres entreprises du même secteur effectuent
des choix inverses en internalisant ce que d’autres externalisent :
- Les pratiques du juste à temps ont donné une importance grandissante au
secteur du transport routier géré par des entreprises indépendantes, mais dans le
même temps les sociétés de VPC ont internalisé la gestion de leurs systèmes de
livraisons pour se prémunir des effets néfastes de grèves des transporteurs ou de
la poste.
- Beaucoup de sociétés d’assurance ont depuis longtemps externalisé la
distribution de leurs produits (en s’associant les services d’agents d’assurance)
pour se concentrer sur la conception de ceux-ci; mais d’autres (les mutuelles
notamment) ont toujours jalousement conservé l’ensemble de la gestion des
contrats et des clients.
- Le marché de l’infogérance (l’externalisation de la gestion de l’informatique)
reste encore modeste (75% des contrats sont inférieurs à 10 M.F. en Europe), mais
le taux de croissance du marché est estimé à 20% dans les cinq prochaines années,
et de nombreux responsables de parcs informatiques se plaisent à répéter que leur
logique de choix ne répond plus comme auparavant à de simples critères de
réduction des coûts informatiques.
Ces quelques exemples montrent que les logiques de maîtrise de coûts ne
constituent sans doute pas le moteur unique des décisions d’externalisation ou
d’internalisation.
L’évolution
des
environnements
concurrentiels,
la
mondialisation des économies et les particularismes sectoriels font que,
aujourd’hui, la logique des coûts de suffit plus pour comprendre le phénomène
d’externalisation. Les réalités d’aujourd’hui induisent des enjeux qui mettent en
exergue les stratégies des entreprises tout autant que
leur
rationalités
opérationnelles.
II - Les réalités d’aujourd’hui de l’externalisation : les enjeux stratégiques
L’hypothèse qui se fait jour de plus en plus est celle d’une assez bonne maîtrise de
l’efficacité opérationnelle dans la plupart des entreprises : les politiques de
réduction de coûts, de dégraissage et de rationalisation ont fait leur œuvre, et les
choix apparaissent surtout liés à des aspects stratégiques des processus de décision.
Quatre aspects de ces enjeux retiendront notre attention : l’insuffisance de la
recherche d’efficacité opérationnelle, le jeu sur le cœur de l’organisation,
l’incidence des technologies de communication et l’apparition d’entreprises
transactionnelles.
Premier aspect : La stratégie n’est pas l’efficacité opérationnelle
Michael Porter affirmait récemment que l’efficacité opérationnelle ne constituait
en rien une base pour la stratégie [PORTER 1996]. Deux raisons à cela : d’abord,
peu de sociétés s’imposent longtemps sur un marché par leur seule efficacité
opérationnelle, car les meilleurs pratiques se diffusent rapidement. : « on imite
facilement les techniques de gestion de la concurrence,
ses
nouvelles
technologies, l’amélioration de ses facteurs de production; et la compétition sur
l’efficacité opérationnelle finit par entraîner un nombre croissant d’entreprises
dans le tourbillon d’une compétitivité mutuellement destructrice » [PORTER
1996]. On constate souvent de plus que c’est aux clients ou aux fournisseurs que
profitent les gains majeurs de productivité, à l’instar de ce qui s’est produit dans le
secteur du transport aérien où les clients et les tour-operators ont été les premiers
bénéficiaires de la déréglementation et de la baisse des coûts.
La seconde raison de l’insuffisance de l’efficacité opérationnelle des entreprises est
plus insidieuse : « plus les entreprises améliorent leurs performances, plus elles
ont tendance à se ressembler. Plus les concurrents confient leurs activités à des
tiers, souvent les mêmes, plus ces activités tendent à devenir génériques »
[PORTER 1996]. La compétition s’apparente ainsi à une guerre d’usure qui n’a pas
d’issue. Les entreprises japonaises ont été les reines de l’efficacité opérationnelle
en réduisant leurs coûts de manière significative et en pratiquant largement
l’externalisation, mais elles ont rarement développé de nouvelles orientations
stratégiques (comme l’ont fait a contrario Sony, Canon ou Honda).
Ces observations nous conduisent à donner sans doute moins d’importance au
facteur coût dans les logiques d’externalisation et à considérer que d’autres
éléments, de nature plus stratégique peuvent entrer en ligne de compte.
Deuxième aspect : Le cœur de l’organisation et la management basé sur les
ressources
La complexification des environnements des entreprises, ainsi que l’incertitude
croissante de leurs activités mondialisées, conduisent à envisager la question de
l’externalisation de manière fondamentalement stratégique : l’entreprise a intérêt
à se focaliser sur un cœur d’activité qui peut lui procurer des profits durables dans
la mesure où des compétences clés s’y trouvent concentrées. Ainsi le
Management basé sur les ressources, modèle stratégique développé depuis le
début des années quatre-vingt-dix, conduit-il à considérer l’entreprise comme un
portefeuille d’actifs stratégiques uniques et valorisables sous forme de rentes
[ARREGLE, 1995 et 1996]. L’entreprise se concentre sur ce qui fait le cœur de son
métier dans chacun des secteurs concernés, et délègue à des partenaires
externalisés la réalisation d’opérations qui ne sont pas jugées critiques pour la
performance globale.
L’externalisation n’est ainsi plus seulement le résultat d’une analyse détaillée des
coûts de transaction mais résulte également d’une analyse stratégique de ce qui
constitue le métier de l’entreprise. On peut ainsi compléter la liste des objectifs de
l’externalisation par ceux :
- de flexibilité (JAT et logistique);
- de partage de compétences (Infogérance et Facilities Management);
- de l’utilisation des cœurs de compétences des partenaires (Ikéa);
- de la concentration sur les technologies génériques du cœur du métier (IBM);
- des gains d’effets d’échelle par la collaborations entre concurrents (PRV);
- ou de concentration des ressources sur les métiers les plus stratégiques (Danone).
On voit ainsi apparaître dans la logique des choix d’externalisation la notion très
générale de coût d’opportunité qui complète celle de coûts de transaction :
l’entreprise évalue non seulement le coût d’opportunité direct lié aux
transactions avec ses partenaires, mais apprécie aussi et peut-être surtout le gain
d’efficience lié à la spécialisation sur le cœur du métier par rapport à une
dispersion des ressources sur l’ensemble d’une chaîne de valeur. Le coût
d’opportunité est ainsi une appréciation relative et contextuelle de l’intérêt d’une
politique d’externalisation. La spécialisation facilite la protection des ressources
rares et rend l’entreprise moins vulnérable à des manœuvres d’imitation
concurrentielle. De plus, l’éventail de ses métiers se réduisant, la firme peut
acquérir une maîtrise et un contrôle stratégique plus efficaces sur ses activités et
sur ses compétences clés.
Troisième aspect : Les nouvelles technologies de communication contre les coûts
de transaction
Les coûts de transaction, notamment ceux liés au coût d’information et de gestion
des contrats sont aujourd’hui largement réduits par le développement des
technologies de communication qui permettent de gérer de véritables ensembles
virtuels, sans effet de coût. Il est désormais plus facile, plus rapide et plus
économique de faire fabriquer en une semaine une prothèse dentaire en Chine
populaire que de la faire fabriquer par un prestataire local proche ! Federal Express
accroît la valeur client de ses prestations en leur permettant de suivre le
déplacement de leurs colis par une simple connexion Internet.
L’argument du coût de gestion de l’information sur les transactions est ainsi
largement remis en cause, notamment par les pratiques d’entreprise. En
particulier les technologies d’Echange de Données Informatisé (EDI) et bien sûr
d’Internet permettent aujourd’hui de faire fonctionner efficacement des quasifirmes organisées en réseau et largement virtuelles.
Quatrième et dernier aspect : Vers l’entreprise transactionnelle
L’arbitrage entre internalisation et externalisation doit s’analyser à la lumière
d’évolutions récentes qui peuvent remettre en cause la simple approche par les
coûts :
- d’abord les économies d’échelle sont remises en question en raison des facteurs
de déséconomies liés à la taille et à la complexité, et par l’utilisation de
technologies appropriées qui permettent une optimisation des coûts à des
niveaux de production largement inférieurs (c’est le cas du circuit court dans le
secteur de la confection). Les facteurs de taille ne jouent strictement que dans
certains domaines d’activité peu nombreux.
- ensuite, les facteurs d’intégration de l’ensemble des activités d’une chaîne de
valeur pour raison de synergie, sont aujourd’hui moins critiques, en raison du
développement des métiers de la logistique largement maîtrisés par des sociétés
de transport : les entreprises de construction automobile profitent de la présence
proche de partenaires qui assument certaines tâches en temps réel, comme si elles
étaient intégrées, tout en faisant l’économie de l’investissement correspondant.
L’exemple de la construction de l’usine d’assemblage de la Smart est très
révélateur de cette quasi-intégration : la société MCC, responsable de l’assemblage
final des véhicules, occupe le centre de l’installation, alors que les partenaires
(sous-traitants ou co-traitants) ont installé leurs ateliers dans le même ensemble,
en périphérie du noyau central, lequel contrôle l’ensemble du processus de
fabrication. Un véhicule est monté ici, trois fois plus vite que dans les
installations des autres constructeurs !
- de plus, les objectifs de contrôle assignés à l’entreprise intégrée peuvent aussi
être atteints par le développement d’un pouvoir de négociation, beaucoup plus
que par la propriété pleine et entière des capitaux. La grande distribution n’a pas
besoin de s’intégrer vers l’amont pour contrôler les coûts d’achat;
le
développement des marques de distributeurs (fabriquées y compris par les plus
grands de l’alimentaire comme Nestlé) est ainsi le résultat d’un contrôle des
achats sans qu’il soit besoin de formuler une menace d’intégration amont. La
plupart des sociétés de distribution abandonnent leurs activités de production de
produits pour se concentrer sur la gestion de leurs marques qui valorisent
beaucoup mieyx leurs ressources rares.
L’analyse conduit ainsi à l’idée d’entreprise transactionnelle où le maître
d’œuvre, qui est aussi un chef d’orchestre, s’applique à gérer efficacement un
Mécano parfois gigantesque rassemblant de multiples intervenant indépendants
mais pourtant associés dans une convergence d’intérêts [FRERY 1996]. Ces
structures ne sont pas nouvelles, rappelons le : « en effet, on peut sans difficulté
faire remonter la généalogie de ces structures au moins jusqu’au Moyen-Age,
avec des exemples comme les fabriques disséminées décrites par Braudel, les
communautés productives de Wéber, les districts marshalliens de l’Italie du
centre ou le Verlag System du XVIIe siècle hollandais » [FRERY 1996].
Un cas devenu classique de ce type de structure est celui de la firme italienne
Benetton, ou plutôt de la quasi-firme devrait-on dire : 200 stylistes free-lance, 450
sous-traitants, 14 usines, 7 joint-ventures, 100 agents commissionnés, 700
boutiques indépendantes, le tout coordonné par le siège de Ponzano Vénéto et le
centre logistique de Castrette, au service de 50 millions de clients ! Les 1300
personnes employée par Benetton n’effectuent que 20% des opérations de
production, celles qui sont essentielles pour la qualité du produit fini; ces
employés ne représentent que 5% de l’effectif total impliqué dans le Système
Benetton.
On peut caractériser l’entreprise transactionnelle par les quelques traits suivants
[MILES et SNOW 1986]:
- un noyau , architecte du montage qui assure essentiellement les tâches de
conception, de coordination et de contrôle;
- un ensemble d’activités externalisées garantissant la souplesse et la réactivité,
tout comme la compétence dans des métiers gérés de façon spécialisée;
- les avantages des structures intégrées (économies d’échelle, pouvoir de
négociation, capacité d’investissement, intégration technologique, efficience)
- et aussi, paradoxalement peut-être, les avantages des petites structures :
flexibilité, temps de réponse rapide, efficacité, innovations.
On se prend ainsi à rêver à ces nouvelles entreprises qui pourraient, grâce à
l’externalisation réaliser, enfin, le rêve des tenants du management scientifique :
l’organisation idéale.
Conclusion : les limites des stratégies d’externalisation et les stratégies singulières
des entreprises
En conclusion, l’on se doit de nuancer quelque peu ce propos optimiste quant à
l’entreprise transactionnelle. Deux exemples finaux vont nous y aider : le premier
est celui de la compagnie aérienne American Airlines. Contrairement à la plupart
de ses concurrentes, qui ont largement externalisé l’informatisation de leur
système de réservation, cette compagnie tire la moitié de ses profits, précisément
de son système de réservation Sabre ouvert à d’autres compagnies.
L’autre exemple intéressant qui vient à l’esprit, est celui de Nouvelle Frontières
qui a décroché en 1997 la place de premier voyagiste mondial en doublant le Club
Méditerranée : son choix stratégique, au contraire de l’ensemble de la profession a
été celui de l’intégration amont (la compagnie aérienne Corsair, la location de
voitures Pop’s Cars, les locations de voiliers, la chaîne d’hôtellerie Palladiens
etc.…) et d’intégration aval ( distribution intégrée permettant de centraliser la
trésorerie et d’économiser les deux tiers de la commission traditionnellement
versée aux agents de voyage).
Ces deux exemples montrent s’il en était besoin que, si l’externalisation peut
apparaître à certains comme la clef de voûte d’une efficience à long terme, les
stratégies des entreprises restent singulières et parfois à contre courant. Si ces deux
entreprises ont réussi par un choix d’internalisation, c’est bien pour profiter du
fait que d’autres, leurs concurrents, avaient fait le choix de l’externalisation. C’est
ici la singularité des choix stratégiques qui prime [MARMUSE 1997]: il ne peut y
avoir deux Nouvelles Frontières dans le monde des Tour Operators; il ne peut y
avoir de jeu sur une ressource rare comme un système de réservation utilisé par
plusieurs compagnies que si ce jeu n’est que celui d’un nombre restreint
d’entreprises dans un même secteur.
Les limites de l’externalisation sont aussi celles du risque de perte des
compétences clés qui valorisent le cœur du métier. Quelles activités externaliser
et lesquelles conserver ? L’externalisation ne risque-t-elle pas de transférer à la
concurrence via les partenaires, des savoir-faire essentiels à la compétition ?
Enfin, toutes les entreprises d’un même secteur doivent-elles appliquer les
mêmes recettes d’externalisation ?
Ces quelques questions ne manqueront pas d’alimenter le débat sans doute
éternel entre internalisation et externalisation.
Bibliographie
ARREGLE Jean-Luc : « Le savoir et l’approche Resource Based : une compétence
et une ressource » , Revue Française de Gestion, septembre-octobre 1995.
ARREGLE Jean-Luc : « Analyse Resource Based et identification des actifs
stratégiques », Revue Française de Gestion, mars-avril-mai 1996.
COASE Ronald : The Nature of the Firm, Economica, Vol.4, 1937.
FRERY Frédéric : « L’entreprise transactionnelle », Annales des Mines, septembre
1996.
MARMUSE : « Eloge de la singularité : l’essence de la stratégie ». V I è m e
Conférence AIMS, Montréal Juin 1997 - A paraître Gestion 2000.
MILES R.E & SNOW C.C. : « Organizations : New Concepts for New Forms »,
California Management Review, Spring 1986.
PORTER Michael : « What is Strategy », Harvard Business review , NovemberDecember 1996.
WILLIAMSON O.E. : Markets and Hierarchies. Analysis
and
Anti-Trust
Implications. The Free Press, New-York, 1975.
WILLIAMSON O.E. : The Economic Institutions of Capitalism. The Free Press,
New-York, 1985.