N°184 du 3 août 2016
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N°184 du 3 août 2016
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La Colonia Dignidad est une colonie agricole sectaire fondée en 1961 au Chili par des allemands dont Paul Schäfer, un ancien Nazi pédophile qui abusait sexuellement des enfants de la colonie. Cette entité venait en aide à la dictature du Général Pinochet en y enfermant et torturant des opposants politiques. La colonie sévira jusqu'à la fin de la dictature en 1991. Quant à Paul Schäfer, il parviendra à échapper à la justice jusqu'à son arrestation en 2005 en Argentine : "Le phénomène unique de la Colonia Dignidad - l’infâme secte allemande de Paul Schäfer au Chili n’a cessé de m’intéresser depuis que j’en ai entendu parler il y a 30 ans. Très vite, j’ai ressenti une certaine fureur et une colère sur l’injustice faite à ces personnes innocentes qui étaient gardées captives dans la Colonie à leur insu. Aujourd’hui encore, j’ai toujours cette forte volonté de révéler au grand jour les incroyables injustices qui furent trop longtemps cachées par les Allemands aux autorités chiliennes", explique Florian Gallenberger. Girl Power On sait Emma Watson très engagée pour le droit des femmes et le féminisme. La jeune actrice a notamment accepté de tourner dans Colonia car son personnage venait au secours de son mari et mettait en scène une femme forte et déterminée. Contrairement à de nombreuses autres histoires où l'homme vient en aide à la fille en détresse, Colonia propose un schéma inverse qui a beaucoup plu à l'interprète de la célèbre Hermione Granger dans la saga Harry Potter. Au coeur du mal Pour réaliser Colonia, Florian Gallenberger n'a pas hésité à se plonger corps et âme dans l'histoire horrible derrière cette secte : "J’ai vu les souterrains, les endroits où les prisonniers politiques étaient torturés, j’ai été là où leur corps ont été brûlés à la hâte. Je me suis rendu dans les cabines de douches secrètes de Paul Schäfer, là où la chorale devait chanter pendant qu’il faisait subir des sévices sexuels aux jeunes garçons. J’ai marché dans les couloirs tristement célèbres de l’hôpital, me suis assis dans le bunker de Schäfer, ai tenu son fusil et regardé les informations sur sa télévision. J’ai parlé aux victimes qui ont été torturées - des membres de la secte aussi bien que des prisonniers politiques. J’ai écouté ce qu’ils ont vécu, comment Schäfer détruisait psychologiquement ses disciples. J’ai regardé de vieux hommes pleurer de ce qu’ils avaient fait à leurs propres enfants", confie le cinéaste. "Cette situation scandaleuse s’est déroulée sur quasiment 40 ans et personne n’a voulu ou été capable d’arrêter Schäfer. Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse simple à cela. La vérité réside d’une part dans la psychologie de Schäfer et de ses victimes, et d’autre part dans l’utilisation et le mécanisme de la peur qui furent très intelligemment utilisés par Schäfer. J’ai souhaité montrer ce système d’oppression, pas en l’expliquant ou en essayant de faire retirer une leçon aux spectateurs, mais plus en les emmenant dans le monde de Paul Schäfer, dans la Colonia Dignidad, et en les laissant ressentir la peur et la cruauté de ce système. C’est ainsi que la véritable morale de l’histoire ressortira", affirme le réalisateur. Semaine du 10 août 2016 G oya du meilleur film, Goya du meilleur acteur (Ricardo Darín) et Goya du meilleur second rôle masculin (Javier Cámara) 2016. En version originale et sous-titrée. Esp. (Durée : 1h48). Comédie dramatique de Cesc Gay avec Ricardo Darín, Javier Cámara, Dolores Fonzi… Julian, un madrilène, reçoit la visite inattendue de son ami Tomas qui vit au Canada. Ils sont loin de se douter qu’ils vont passer avec Truman, le chien fidèle de Julian, des moments émouvants et surprenants… -1- C’est une histoire ignorée : en 1973, lors du coup d’Etat du sinistre Pinochet, un camp de concentration à connotation religieuse a été fondé dans un coin obscur du Chili. Sous la coupe d’un gourou allumé, les prisonniers de Colonia Dignidad ont souffert, pendant des années, tous les abus possibles, notamment sexuels. Voilà pour la réalité. Pour la fiction, le réalisateur Florian Gallenberger et son scénariste Torsten Wenzel inventent un couple déchiré (Emma Watson et Daniel Brühl) par la répression politique. Prisonnier de la Colonia, Daniel, un étudiant allemand, veut s’échapper. Sa compagne se fait engager dans cette colonie pénitentiaire afin de l’aider. Pourront-ils retrouver la liberté ? Le cinéaste (qui a signé "John Rabe. Le juste de Nankin", 2009) injecte du romanesque dans ce hideux réel, et, chemin faisant, plonge dans l’horreur. Film de conviction, un tantinet scolaire, "Colonia" a le mérite d’aborder de front un sujet méconnu. Et de nous rappeler que le fascisme est une maladie mortelle. François Forestier, Le Nouvel Observateur. S ensation 2015 du cinéma espagnol qui lui a décerné cinq prix à sa cérémonie des Goya, Truman est un drame doux et léger sur l’amitié, la mort, la résilience, et repose essentiellement sur son duo de comédiens. La star argentine Ricardo Darín incarne le malade, un acteur divorcé vivant avec son chien (le Truman du titre), en plein face-à- face avec la mort, et Javier Camara, son ami de toujours expatrié au Canada, mis à l’épreuve par le sort et le fatalisme de son vieux copain. À force de discrétion, la mise en scène manque de style, mais le cinéaste catalan Cesc Gay compense cette carence par l’intelligence de sa narration et sa sensibilité, en refusant les grandes leçons de vie, les confessions solennelles et l’excès de pathos dans lesquels un tel scénario peut facilement tomber. Il porte un regard juste et mélancolique sur deux hommes confrontés à leurs valeurs morales. Vanina Arrighi de Casanova, Première. L E TEMPS DES ADIEUX Couronné de cinq Goyas, dont le prix du meilleur film et du meilleur réalisateur, ce long métrage évoque avec tendresse, humour et sobriété la mort qui approche. Face à l’imminence de sa propre mort, deux attitudes sont possibles : le désir forcené de l’oublier pour profiter au mieux de ses derniers moments, ou la volonté de la regarder en face pour organiser l’après et dire au revoir à ses proches. Julian, un Madrilène d’une cinquantaine d’années, a choisi cette deuxième voie. Il ne veut pas perdre le peu de temps qui lui reste dans d’inutiles allers-retours à l’hôpital : il veut préparer la suite. Tomas, son ami de toujours qui vit au Canada avec femme et enfants, est venu passer quatre jours avec lui pour le convaincre de poursuivre son traitement anti-cancer. Sur un sujet proche, un autre film espagnol, Ma Ma, de Julio Medem dans lequel Penélope Cruz jouait une femme atteinte d’un cancer du sein, n’était pas convaincant. Truman, qui se concentre sur les quatre jours du séjour à Madrid de Tomas, a choisi aussi le sourire, et est parvenu à éviter le pathos. Le réalisateur Cesc Gay s’est nourri de l’expérience de la maladie et de la mort de sa mère, au cours de laquelle il a noté dans un journal les situations, les réactions, les émotions de l’une et des autres : « De ce train-train quotidien, alors que je prenais soin de ma mère, surgissaient ces moments spéciaux, inattendus et même comiques. L’idée d’aborder de manière drôle et tendre un sujet aussi douloureux et traumatisant pour les gens concernés m’a semblé intéressante. Truman est une tentative de surmonter la panique que nous ressentons face à la maladie et à la mort imminente, la nôtre ou celle d’un être cher. C’est l’exploration de nos réactions devant l’inattendu, l’inconnu et la douleur. » Un ton juste De cette expérience personnelle, le cinéaste tire un film à la tonalité juste, où le malaise que provoque l’éventualité de la mort est pris à bras-le-corps. Un héros, Tomas, qui franchit l’Atlantique pour Julian ? Que nenni. C’est Paula, la cousine de Julian, qui lui a demandé de venir pour le persuader de continuer à se soigner ; c’est sa femme qui lui a dit d’accomplir ce voyage sous peine de le regretter jusqu’à la fin de ses jours. « Moi je ne voulais pas venir », concède Tomas, alors que l’amitié entre eux n’est pourtant pas un vain mot. Sans les juger, Cesc Gay montre ces petites couardises, mais aussi d’émouvants non-dits tout en amour pudique entre père et fils. Annoncer (ou pas) aux siens que la maladie est désormais incurable, leur dire adieu, revenir à une spiritualité, effectuer les étranges préparatifs de ses propres obsèques, prévenir de son désir d’anticiper sa fin… Julian entraîne malgré lui Tomas dans ce quotidien singulier. Il a une obsession : trouver la personne parfaite pour adopter Truman, son vieux chien avec qui il vit depuis des années. Deux magnifiques interprètes Certes, comme la plupart des films sur le cancer , le film de Cesc Gay ne montre guère la réalité de la maladie – l’affaiblissement, la douleur, etc. À l’image de son film précédent, ses personnages sont d’une chaleur démonstrative, évoquent leurs psys avec des rires et évoluent dans une Madrid idéale, toujours baignée d’une lumière réconfortante. Mais alors que Les hommes ! De quoi parlent-ils ? n’évitait pas les clichés, sur le fil d’un sujet difficile Truman conserve toujours un délicat équilibre dans une narration fluide et intelligente. Il le doit à un scénario au cordeau avec des dialogues qui font la part belle au sourire et à l’émotion, réelle mais contenue. Le mérite en revient aussi à ses deux magnifiques interprètes, duo complice doublement couronné d’un Goya. Argentin au charme indéniable, surnommé le George Clooney de l’Amérique latine, Ricardo Darin (El Chino, Dans ses yeux) illumine le personnage de Julian de sa bienveillance chaleureuse et d’une fantaisie généreuse. À ses côtés, Javier Camara joue avec élégance Tomas, décontenancé mais indéfectiblement fidèle, bouleversé par le courage de Julian. Il complète à merveille ce tandem qui célèbre l’amitié et la vie. Corinne Renou-Nativel, La Croix. Semaine du 17 août 2016 E n version originale et sous-titrée. Sud-coréen. (Durée : 2h36). Thriller de Na Hong-jin avec Kwak Do-Won, Hwang Jeong-min, Chun Woo-hee... La vie d’un village coréen est bouleversée par une série de meurtres, aussi sauvages qu’inexpliqués, qui frappe au hasard la petite communauté rurale. La présence, récente, d’un vieil étranger qui vit en ermite dans les bois attise rumeurs et superstitions. Face à l’incompétence de la police pour trouver l’assassin ou une explication sensée, certains villageois demandent l’aide d’un chaman. Pour Jong-gu aussi , un policier dont la famille est directement menacée, il est de plus en plus évident que ces crimes ont un fondement surnaturel… Au cœur des religions La religion est au coeur de The Strangers, du christianisme au chamanisme. Na Hong-jin a effectué un travail de documentation fastidieux en ce sens : "On connaît les conditions réelles qui amènent les gens à mourir. Mais moi, je continuais à me demander ce qu’il y avait au-delà de ça. Et c’est ça que je n’arrivais pas à saisir tout à fait, ou plutôt à justifier. Je me suis donc mis à enquêter auprès de religieux de toutes les religions en Corée. Je leur ai posé des questions sur la mort et sur ses victimes. Et ça m’a pris un temps fou de bien comprendre ce qu'ils me racontaient. (...) En réalité, quand j’écrivais ce film, je pensais beaucoup plus à la Bible, et en particulier au Nouveau Testament. Après, j’y ai ajouté des éléments un peu plus complexes pour enrichir l’histoire.", relate le cinéaste. Un déluge esthétique Par certains aspects, The Strangers rappelle l'esthétique des thrillers cultes Seven ou Memories of Murder, notamment macabre sublimée par la présence quasi-constante de la pluie. Parfois, l'équipe a dû faire appel à des camions pluie artificielle. Mais pour les séquences les plus importantes, elle a planifié le tournage les jours de pluie ou de brume de manière naturelle. Par exemple, la scène de course-poursuite de Jong-gu sur la route de montagne a été filmée battante. -2- par l'ambiance poisseuse et d'arrosage pour créer une afin d'atténuer la luminosité sous une authentique pluie E FFROI, SALES ET MÉCHANTS Le film du Sud-Coréen Na Hong-jin cumule tous les excès dans un dynamitage du thriller pluvieux. The Strangers débute sur une scène d’allégresse domestique : un père de famille se réveille aux aurores, surpris par un coup de fil du travail. Il se trouve qu’il est policier et qu’un meurtre a été commis mais sa femme, sa belle-mère et son adorable petite fille ne le laisseront pas quitter le foyer sans prendre son petitdéjeuner, alors il s’exécute, en toute légèreté. Nous sommes dans la Corée du Sud rurale, et il pleut des cordes, pourtant cet incipit n’est pas sans évoquer le préambule ensoleillé de Poltergeist et des flopées de films de maison hantée en famille qui ont suivi son succès (le calme avant que les esprits se mettent à frapper). Policier nigaud. A l’inverse des grands films d’épouvante américains des années 80 qui distillaient la terreur crescendo, par accroissement de phénomènes étranges, le troisième long métrage de Na Hong-jin joue brutalement du contraste et nous plonge dans l’horreur dès la deuxième scène, celle du meurtre (simple, double ou triple, c’est confus) auquel l’officier Jong-gu (Kwak Do-won) aurait dû se rendre fissa. Tout l’enjeu de The Strangers, que le spectateur renifle au bout d’un tiers du film comme un mauvais pressentiment, va consister à s’épanouir entre ces deux mondes, l’attendrissant et l’horrifique, puis à réduire peu à peu ce qui les sépare, enfin à les confondre totalement. Pour peu, on y lirait presque un dynamitage de l’intérieur du thriller burlesque à la coréenne, ce genre feelgood et désespéré à la fois initié par Memories of Murder de Bong Joon-ho que l’enfant terrible Na Hong-jin semblait peu enclin à décliner. Mais l’auteur de The Murderer déploie une telle maestria à toutes les étapes de son récit que l’on comprend que son entreprise est bien plus complexe et originale. Thriller horrifique, épouvante villageoise, le film fait bien plus que glisser avec son héros, policier nigaud à la limite de l’inconséquence transformé en père martyre, vers l’horreur pure et la tragédie - il invente un nouveau genre dans le cinéma de genre, remarquablement souple et efficient, qu’il fait convulser à chaque retournement de situation d’un récit qui, en 2 h 30, a tout loisir d’en secouer des dizaines. Quel phénomène étrange s’agite dans les montagnes touffues de la petite ville de Gokseong, qui fait s’entre-tuer ses habitants paisibles sans rime ni raison ? Pourquoi les meurtriers ont-ils tous des plaques de pustules sur le corps qui les font ressembler à des zombies ? Un «Jap» (joué par Jun Kunimura, bloc d’ambiguïté aperçu en Occident chez Ridley Scott ou Tarantino) rôde dans la forêt et agite les rumeurs les plus folles. Un chasseur du coin, peut-être imbibé de soju, dit l’avoir aperçu en tenue d’Adam en train de dévorer une biche morte à pleines dents. Une jeune fille un peu évaporée raconte l’avoir vu rôder dans les parages d’une tuerie. Dans la confusion de mystères, de superstitions et de potins, tout en vient à se valoir et l’Etranger devient le principal suspect. Chaman. A partir de là, le récit s’emballe. Flanqué d’un chaman paksu et d’un fils de prêtre, Jong-gu va tâcher de sauver les siens et précipiter ce qui était une enquête aux abords du surnaturel en film de possession délirant, entre The Wicker Man et l’Exorciste. Jusqu’au bout, le récit en ébullition travaille à relancer le mystère du maléfice et de l’obstination du héros à blâmer le Japonais, comme si quelque chose d’un enjeu politique entre les deux nations s’y dissimulait. Comme dans les grands films d’épouvante de William Friedkin ou John Carpenter, c’est pourtant bien un Mal absolu qui est à l’œuvre, comme l’atteste la terrifiante scène de révélation finale qui dévoile à la fois la main derrière les crimes et la vraie nature métaphysique d’un des plus grands films fantastiques vus sur un écran de cinéma depuis très longtemps. Olivier Lamm, Libération. Semaine du 24 août 2016 E n Version originale et sous-titrée. Franco-britannique. (Durée : 1h50). Comédie dramatique de Stephen Frears avec Meryl Streep, Hugh Grant, Simon Helberg... L’histoire vraie de Florence Foster Jenkins, héritière new-yorkaise et célèbre mondaine, qui n’a jamais renoncé à son rêve de devenir une grande cantatrice d’opéra. Si elle était convaincue d’avoir une très belle voix, tout son entourage la trouvait aussi atroce que risible. Son “mari” et imprésario, St Clair Bayfield, comédien anglais aristocratique, tenait coûte que coûte à ce que sa Florence bien-aimée n’apprenne pas la vérité. Mais lorsque Florence décide de se produire en public à Carnegie Hall en 1944, St Clair comprend qu’il s’apprête à relever le plus grand défi de sa vie... L A PIRE CANTATRICE AU MONDE Après Marguerite de Xavier Giannoli, le cinéaste britannique Stephen Frears consacre à son tour un beau film à la chanteuse lyrique inconsciente de sa totale absence de talent. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », a écrit Mark Twain. Un très faible sens de la gamme, une absence de notions du rythme, une quasi-incapacité à tenir une note, une prononciation aberrante… à l’évidence, Florence Foster Jenkins n’avait aucun atout pour mener une carrière de chanteuse lyrique. Mais, et c’est là tout le sel de son parcours, elle ne le savait pas. Cette riche et excentrique héritière née en 1868, passionnée de musique et pianiste douée, est devenue une soprano réunissant un public fidèle pendant plus d’une trentaine d’années. Fédérés autour du Verdi Club, ces spectateurs à qui elle distribuait les places comme des récompenses lui réclamaient un concert dans le saint des saints, le Carnegie Hall. Un désir que, totalement inconsciente de ses maigres moyens vocaux, elle avait l’intention de satisfaire. Une très généreuse diva Le réalisateur des Liaisons dangereuses et de Philomena, Stephen Frears, s’attache à raconter son histoire en la concentrant durant l’année 1944. Florence Foster Jenkins embauche un jeune musicien et compositeur, Cosme McMoon (en réalité à son service depuis plus d’une décennie). Il revient à ce pianiste de l’accompagner pendant ses cours de chant. Bienheureux d’un recrutement qui le sort des affres matérielles, il découvre avec stupéfaction l’incongruité de la voix de la très généreuse diva. Malgré le choc, il tait rires et indignations pour se conformer à l’attitude de l’entourage apparemment insensible aux couacs : louanges et applaudissements. En première ligne de cette garde rapprochée, Saint-Clair Bayfield, le mari, acteur anglais raté. Florence Foster Jenkins ayant contracté la syphilis lors de la nuit de noce de son premier mariage, ils ne forment pas un couple « ordinaire » – il vit avec une autre femme. Néanmoins Saint-Clair nourrit une immense affection envers son épouse et se démène pour son bonheur. Il orchestre les éloges, éloigne les fâcheux et les sincères qui voudraient assener la vérité : Florence est la pire cantatrice au monde. Plus tragique, le « Marguerite » de Giannoli Sorti en septembre 2015, Marguerite de Xavier Giannoli s’inspirait lui aussi de l’histoire singulière de cette étrange musicienne. Il prenait plus de liberté avec sa biographie, transposant son récit dans la campagne française des années 1920. Son mari, douloureusement conscient de ses manques, l’empêchait d’aller vers le monde exposer ses talents supposés afin de la protéger de la vérité. Malgré quelques accents comiques, le film possédait une nette tonalité tragique – le drame de Marguerite étant, outre son absence de talent vocal, la solitude et le désamour de son époux exaspéré par son aveuglement qu’il contribuait pourtant à entretenir. Pour ce rôle, Catherine Frot reçut un César de la meilleure actrice. Le film de Stephen Frears se situe plus résolument du côté de la comédie. Délicieusement inconsciente de ses manques, sa Florence Foster Jenkins ne ménage ni son temps ni son énergie pour soutenir le petit monde artistique new-yorkais (ce que fit réellement son modèle, mécène apprécié), participer à des « tableaux vivants » en muse ailée descendant des cieux grâce à des moyens techniques d’un grotesque charmant et faire entendre sa voix dissonante au public le plus large. Meryl Streep lui confère une candeur attendrissante ainsi qu’une touchante détermination à la hauteur de ses lacunes. L’actrice parvient à répéter l’exploit de la soprano : chanter effroyablement faux avec une sincérité indéniablement bouleversante. Hugh Grant incarne le mari volage L’émotion découle certes de la crainte d’une révélation fatale, mais également des handicaps suscités par la syphilis, l’obligeant à renoncer à une vie classique d’épouse et de mère. En mari volage et en agent obséquieux, Hugh Grant fait des merveilles dans une flamboyance mâtinée de mélancolie, tout en montrant avec finesse le profond attachement qui lie Bayfield à son épouse. C’est enfin par Simon Helberg, réjouissant interprète de Cosme McMoon, que le spectateur pénètre dans l’univers excentrique de -Florence Foster Jenkins, aux décors et costumes superbement reconstitués. D’abord contraint à dissimuler sa sidération et ses fous rires, le pianiste entre à son tour dans une loyale dévotion à cette singulière chanteuse lyrique dont l’enthousiasme et l’euphorie se révèlent formidablement communicatifs. -3- Semaine du 31 août 2016 E n version originale et sous-titrée. Prix de la Critique internationale Cannes 2016. All. (Durée : 2h42). Drame de Maren Ade avec Peter Simonischek, Sandra Hüller, Michael Wittenborn… Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse ? », son incapacité à répondre est le début d’un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l’aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann… W infried Conradi (joué par un impressionnant acteur autrichien, Peter Simonischeck) est un vieux monsieur facétieux qui fait des blagues tout le temps mais qui a raté l’essentiel : sa fille. Cette femme d’affaires établie à Bucarest est distante et malheureuse, Winfried le sent et va tout faire pour la sortir de son impasse existentielle. Il va « s’inviter » à Bucarest et semer la pagaille dans la vie très organisée d’Ines en s’inventant le personnage de Toni Erdmann, un vieux beau portant perruque et dentier apparent. C’est le début d’une histoire assez incongrue qui voit la fiction envahir le réel (Winfried multiplie les apparitions grotesques lors de rendez-vous importants d’Ines) pour un résultat d’une prodigieuse évidence : Toni Erdmann est au fond le portrait d’un papa qui ré-enchante le quotidien pour sa petite fille dont le contrôle n’est que la manifestation de sa peur d’affronter la vie, les gens et d’admettre que son travail de conseil en restructuration d’entreprises est d’un cynisme effrayant. Une actrice en état de grâce De l’émotion, du rire, de l’amour. En 2h42 (oui, c’est long mais on ne s’ennuie pas une seconde), Toni Erdmann se présente comme un condensé de vie, une pilule euphorisante qui donne à reconsidérer l’essentiel. Naïf ? Peutêtre. Maren Ade, remarquée pour Everyone else qui brouillait déjà les pistes du conformisme (amoureux), n’est pas dupe. Elle ne cherche pas à convaincre mais à modifier notre regard sur un monde occidental obsédé par la performance et le résultat. Toni Erdmann est en cela proche de Victoria, l’autre film cannois (mais à la Semaine de la critique) qui ausculte les effets pervers du capitalisme économique et social à travers le portrait d’une femme à la dérive. Car le sujet du film est bien ici Ines, cette self-made -woman incapable d’empathie, qui oblige son amant à se masturber devant elle ou qui refuse à son père le droit de l’aimer. Parfaite inconnue chez nous, Sandra Hüller, grande blonde un peu froide, livre une prestation incroyable qui culmine dans deux séquences mémorables où elle doit à la fois faire preuve d’une totale impudeur et d’une forme de maîtrise d’elle-même. Christophe Narbonne, Première. une comédie hautement déconcertante, où le grotesque soutien l'émotion. Télérama, Jacques Morice C’est fin, par moments hilarant (un confrère m’a confié n’avoir pas connu une telle crise de fou rire devant un film depuis des années), c’est d’une grande générosité pour ses personnages, ses acteurs, le public. C’est Toni Erdmann de Marene Ade, et ça fait du bien. On l’aime. Les Inrocks, Jean-Baptiste Morain Comment décrire cette écriture si peu démonstrative, qui semble ne se distinguer du « petit réalisme » que par la précision de son tempo, la justesse ahurissante de ses -comédiens, la clarté de son timbre et de sa lumière, d’une blancheur expansive, comme autant d’éléments qui flottent entre ses personnages ? Le Monde, Mathieu Macheret . Le père ressurgit à la faveur d’une époustouflante séquence (...) La surprise suscitée par le renversement de la cruauté de la situation est un tour de force dont mille autres films ne sauraient jamais se remettre, et tout l’enjeu et la puissance de séduction de celui-ci tiennent à ce qu’il parvient à en décliner et en surenchérir l’effet sans qu’il ne s’épuise, ramifiant même sa méditation. Libération, Didier Péron. Programme des Court-Métrages du mois du mois, en partenariat avec : Semaine du 3 août : Viejo pascuero (Une petite histoire de Noël) de Jean-Baptiste Huber. Fiction. (Durée : 3min). Au lendemain des fêtes de Noël, un gamin des bidonvilles de Santiago écrit au Père Noël pour se plaindre des cadeaux qu'il a reçus. Semaine du 10 août : Merci mon chien de Nicolas Bianco-Levrin et Julie Rembauville. Animation. (Durée : 7min47). Chaque soir à l'heure du repas, le chien Fifi se glisse sous la table pour lire le journal entre Papa, Maman, Thomas et Zoé. Ce soir là, l'ambiance est électrique, chacun n'en fait qu'à sa tête et la lecture devient compromise. Semaine du 24 août : In my Merry Oldsmobile de Dave Fleischer. Animation. (Durée : 6min11). Johnnie a une superbe automobile, quand il emmène sa belle faire un tour, tout finit par des chansons. Prochainement sur nos écrans : Jason Bourne 5 Thriller de Paul Greengrass avec Matt Damon, Julia Stiles, Tommy Lee Jones... (en sortie nationale) Ma vie de chat Comédie de Barry Sonnenfeld avec Kevin Spacey, Jennifer Garner, Malina Weissman… (à partir de 7/8 ans) P o u r p l u s d’information sur la programmation du cinéma Image, consultez son site internet : www.imagecinema.org Peter et Elliott le dragon Film familial de David Lowery avec Bryce Dallas Howard, Robert Redford, Oakes Fegley… (en sortie nationale, en 2D et 3D, à partir de 7/8 ans) -4-