Le navire du futur, un navire conduit de terre
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Le navire du futur, un navire conduit de terre
dossier navire du futur, un navire conduit de terre Le P Par Francis Faye Directeur général de F & F Conseil Le secteur de l’armement maritime mondial a connu une très forte croissance de sa productivité dans les soixante dernières années. Celle-ci est poussée par une double contrainte : doublement de la demande de transport tous les cinq ans et difficulté de recruter les personnels navigants qualifiés nécessaires… car, une fois qualifiés, ces personnels n’aspirent qu’à une chose : se sédentariser grâce à leur haute qualification. our suivre le mouvement, les armateurs navires que le conteneur n’a remplacé tous sont conduits à opérer des navires les types de cargaisons. Il ne répond qu’aux toujours plus grands, à utiliser des tech besoins courants du transport maritime niques de manutention portuaire de la de ligne et à la demande dans le secteur marchandise toujours plus rapides afin de de la marchandise. Son coût unitaire d’in limiter les temps d’escale au minimum, à vestissement restera supérieur à celui réduire le nombre de membres de leurs d’un navire à équipage pendant quelques équipages en organisant mieux la conduite années, mais, grâce aux effets de série, il de leurs navires et en automatisant un grand deviendra rapidement compétitif. nombre de tâches comme la tenue de barre, Le NCT sans équipage embarqué est piloté à la conduite des moteurs notamment par partir de trois postes de conduite et de contrôle télésurveillance ou l’assistance à la veille. (PCC) installés dans les bureaux d’immeubles L’entrée en vigueur d’un brevet international de ville. Il navigue selon un mode fail safe de conduite du navire1 en 1997 a apporté comme un avion commercial civil. Sa concep une plus grande sécurité de la navigation tion est basée sur la redondance : deux lignes mais, simultanément, a pénalisé le mar de propulsion et de gouverne installées dans ché du travail. L’offre d’officiers se réduit des compartiments étanches séparés. Navire d’année en année. Cette situation entraîne tout électrique, il dispose de plusieurs une pénurie structurelle groupes électrogènes en de main d’œuvre quali conteneurs permettant par fiée dans le transport échange standard d’as maritime international. surer une maintenance Toute manœuvre Ce déséquilibre ne peut prédictive. Il a une capacité pas être résolu par la pour de naviguer en modes réussie est une suite de la réduction des dégradés successifs catastrophe évitée effectifs des équipages de dont le dernier stade est de justesse conduite des navires qui la navigation autonome atteignent un minimum d’attente sur une route de incompressible. Seul un secours. Son système de navire du futur sans per communications terre / sonnel navigant permettra de supprimer ce navire est du type fail sure. La sûreté goulot d’étranglement : le navire conduit des transmissions est assurée par une or de terre ou NCT (SCMV – Shore Controlled ganisation des liaisons satellites2 assurant and Monitored Vessel). la permanence des communications, tout en neutralisant toute ingérence extérieure Le NCT passive et active. Juridiquement, le NCT Le NCT part d’un concept de navigation respecte intégralement les conventions innovant qui utilise des technologies exis internationales de la navigation maritime. tantes et éprouvées. Il respecte les règles internationales de la navigation. Il maintient L’environnement économique l’homme dans la boucle. Pour le conduire, et social les personnels des stations à terre sont L’organisation de la gestion du navire du placés dans l’environnement qui offre les futur pour le personnel de conduite offre meilleures conditions psychologiques et 1 - Code STCW : Convention on Standards of Training, Certification and cognitives pour exercer leurs capacités de Watchkeeping for Seafarers. veille et de décision. 2 - Le déploiement attendu fin 2014 des 5 satellites InMarSat 5 « Global Xpress » à haut débit lève le principal obstacle à la mise en œuvre opérationnelle du NCT. Le NCT ne remplacera pas plus tous les / juillet-août 2014 / n°443 15 dossier Splendeur et réalité de la mer pirates se mettraient à l’abri. Il n’y a nul besoin de gardes armés sur le navire du futur. Pour l’armateur, le traitement d’une situation de crise est conduit à partir d’un PCC qui accueille la cellule de crise permettant au personnel de conduite et au gestionnaire de crise de la compagnie (Designated Person Ashore) de gérer l’événement. Écologie Le NCT NCZ dessiné sans bulbe pour opérer dans les conditions de slow steaming les plus écologiques des conditions à même de se rapprocher au mieux des conditions de vie et de travail citadines : ainsi disparaissent le stress né du risque maritime toujours présent ou de l’incertitude concernant ses « proches éloignés » et l’ennui qui naît du vide évé nementiel de quarts effectués sur un océan vide. Le personnel de conduite à terre ne ressent plus dans sa chair ni le risque maritime et d’accident du travail ni la menace des pirates. Dans les PCC répartis en longitude, les relèves de quart du personnel de conduite obéissent au cycle physiologique circadien de l’espèce humaine. L’horaire de travail est en conséquence du type 8 h à 16 h, heures locales. Les opérations por tuaires, administratives, commerciales, d’avitaillement et d’entretien à terre ne sont plus du ressort des agents de conduite mais des agents portuaires de la compagnie. Les opérations de maintenance programmées sont conduites par le personnel qualifié de l’armateur et/ou d’entreprises spécialisées. Cette brève description de la conduite du navire du futur montre que le NCT offre un nouveau gisement d’emplois et l’émergence de nouveaux métiers qualifiés en nombre. La suppression des espaces travail et vie à bord des navires augmentera d’autant les volumes disponibles pour les cargaisons et améliorera ainsi le rendement du transport maritime. 16 / juillet-août 2014 / n°443 Sûreté et sécurité Le facteur de sécurité ou d’insécurité de la navigation est le facteur humain. « Toute manœuvre réussie est une catastrophe évitée de justesse. » Le risque fréquent de l’homme à la mer que tout marin rencontre un jour ou l’autre disparaît avec le NCT. La perte totale du navire ne peut plus être que « biens » et non « corps et biens ». L’officier de quart du PCC, éveillé et reposé, assurera la veille du NCT avec des senseurs hautement performants, sans être stressé par les impedimenta de la vie de navigant. Le NCT obéit aux obligations internationales de sauvegarde de la vie humaine en mer et dispose à son bord d’une drome de sau vetage en mesure d’être larguée au profit de naufragés. La sûreté du navire, dans une époque de résurgence de la piraterie et de terrorisme, est devenue une des préoccupations majeures des opérateurs maritimes. Le chantage à la rançon par prise d’otages n’a plus lieu d’être. La prise de contrôle du navire est rendue quasiment impossible dès lors que le cahier des charges du NCT prévoit un système de contrôle du navire protégé et des œuvres vives spécialement conçues pour éviter une interception par neutralisation des systèmes de propulsion et de gouverne. Une intervention de forces armées n’est pas handicapée par un bouclier d’otages derrière lesquels les Les évolutions techniques concer nant la propulsion iront dans le sens du respect de l’environnement marin et de la diminution de la consom mation d’hydrocarbures grâce aux facultés de slow streaming du NCT. Les intempestifs dégazages et vi dange des slopes et des ballasts, en l’absence d’êtres humains à bord pour les conduire, disparaîtront. L’innovation ne fait partie histori quement qu’accidentellement de la mentalité maritime française. Les raisons en sont les viscosités sociales. La puissance publique quand elle est appelée à arbitrer les fric tions du monde du travail choisit la paix sociale du statu quo à court terme de préférence à la croissance de l’activité et de l’emploi à moyen terme. Or l’innovation ne vit pas dans la même échelle de temps. Il est impératif d’engager l’adhésion des personnels navigants au projet NCT créateur de plus de richesses et de plus d’emplois et de surmonter le handicap de l’évolution des métiers que l’innovation entraîne. Alors que la population navigante qualifiée française ne cesse de décroître depuis un demi-siècle, prisonnière d’un droit social mortifère, le navire du futur conduit de terre ouvre une opportunité à notre pays pour relancer l’emploi dans ce secteur à forte demande qu’est la conduite qualifiée des navires du transport maritime international. La France saura-t-elle la saisir avant que d’autres pays concurrents ne s’en saisissent ? ■