COUR D`APPEL DE PARIS

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COUR D`APPEL DE PARIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Grosses délivrées
aux parties le :
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5-7
ARRET DU 30 OCTOBRE 2013
(no
63, 1 0
Numéro d'inscription au répertoire général
Décision déférée
à la Cour
:
pages)
201 2/1 2409
:
- L'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de
VERSAILLES en date du 23 juin 2004, ayant autorisé des visites et saisies sur le
fondement de l'article L 450-4 du Code de commerce;
DEMANDERESSEAU RECOURS:
- La société COLAS RAIL, S.A
(ancienne SECO-RAIL, S.A.)
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est: 38 à 44 rue JeanMermoz 78600MAISONS-LAFITTE
élisant domicile au Cabinet de Maître François TEYTAUD,
61 boulevard Haussmann 75008 PARIS
.
.
assistée de :
-Maître François TEYTAUD,
avocat au barreau de PARIS
61 boulevard Haussmann 75008 PARIS
-Maître Loraine DONNEDIEU DE VABRES TRANIE,
avocate au barreau de PARIS
JEANTET ASSOCIES AARPI
87 avenue Kléber 75784 PARIS CEDEX 16
DÉFENDEURSAU RECOURS:
-M. LE MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU COMMERCE
EXTÉRIEUR
D.G.C.C.R.F.
Bât. 5
59 boulevard Vincent Auriol
75703 PARIS
représenté à l'audience parM. AndréMARIE, Directeur fonctionnel, muni d'un pouvoir
PARTIE JOINTE:
·La société PICHENOT BOUILLE, S.A.S.
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est : Allée du Stade 78190 TRAPPES
élisant domicile au Cabinet SARL ADH SAINT CIRE
195 boulevardMalesherbes 75017 PARIS
assistée de Maître Stéphane HORLON
avocat au barreau de PARIS
SARL ADH SAINT CIRE
195 boulevard Malesherbes 75017 PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue Je 16 octobre 2013, en audience publique, devant la Cour
composée de:
-M. Dominique COUJARD, Président de chambre
-M. Michel CHALACHIN, Conseiller
-Mme Dominique BEAUSSIER, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats: M. Benoît TRUET-CALLU
MIN ISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors d'es débats par
M. François VAISSETTE, substitut général, qui a fait connaître son avis.
**** * *
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 16 octobre 2013,
l'avocat de l'appelant, Je représentant duMinistre de l'Economie etM. le représentant du
Ministere Public ;
Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré
au 30 octobre 2013 pour prononcé en audience publique, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 462 du
Code de procédure pénale.
******
Avons rendu l'arret ci-après :
Vu l'ordonnance en date du 23 juin 2004 par laquelle Bernard Darcos, juge
de la liberté et de la détention près le tri�unal de grande instance de Versailles :
-t a autorisé Jean Maisonhaute, directeur régional, chef de la Direction nationale des
enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes, habilité par
l'arrêté du 22 janvier 1993, à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises
et syndicats d'entrepreneurs suivants, aux visites et aux saisies de tous documents
nécessaires à la recherche de la preuve des agissements qui entrent dans Je champ des
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·pratiques prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article L. 420-1 du code de commerce et
81-l du traité de Rome relevés dans le secteur de la construction et régénération des voies
ferrées ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée:
- SECO-RAIL, Immeuble Le Britannia, Allée A, 20, boulevard Eugène Deruelle, 69432
Lyon,
- SECO-RAIL Espace Lumière, Bâtiment n°l, 6, rue Emile Pathé, 78403 Chatou,
- ESAF, Euro Flory Parc no 6, E3130 Berre L'Etang
- SETVF, 3, rue de Berri, 75068 Paris,
- TSO, chemin du corps de garde, T7501 Chelles,
- TSO Caténaires, chemin du corps de garde, 77501 Chelles,
- CEGELEC, Centre Est, 1, chemin du Pilon, 03 700 Saint Maurice de Beynost
- CEG ELEC, Centre Est, Agence Dauphiné, 11 rue du Vercors, 38321 Eybens,
- VOSSLOH INFRASTRUCTURE SERVICES, 267, chaussée Jules César, 95250
Beauchamp,
- AMEC SPIE RAIL (FR), 10, avenue de l'entreprise, parc saint Christophe, pôle Edison
6, 95863 Cergy Pontoise,
.
- Pichenot Bouillé, 613, avenue de l'Europe, 78117 Toussus-le-Noble,
- Pichenot Bouillé SA, allée du stade SNCF, 78190 Trappes,
·
-t lui a laissé le soin de désigner parmi les enquêteurs habilités par les arrêtés du
22 janvier 1993 et du 11 mars 1993 modifié, ceux placés sous son autorité pour effectuer
les visites et saisies ;
-t a constaté le concours à lui apporter de MM. Serge Fraichard, Gérard Sorrentino et
Jean Baumes, tous trois habilités par l'arrêté du 22janvier 1993, qui désigneraient parmi
les enquêteurs habilités par les arrêtés des 22 janvier et 11 mars 1993 modifié, ceux
respectivement placés sous leur autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées dans
les limites de leur compétence territoriale respective,
-t a désigné pour assister aux opérations de visite et de saisie dans les lieux situés dans
son ressort et le tenir informé de leur déroulement les officiers de police judiciaire
suivants:
Yan Delaroque Latour, Stéphane Pruvost, Dominique Gattone,
a donné pour les autres lieux, commission rogatoire aux juges des libertés et de la
détention des tribunaux de grande instance· de Lyon, Grenoble, Meaux, Aix-en-Provence,
Bourg-en-Bresse, Pontoise et Paris, qui exerceraient le contrôle sur les opérations de visite
et de saisie et désigneraient à cette fin le ou les officiers de police judiciaire
territorialement compétents,
-+
-+ a indiqué que les entreprises et le syndicat d'entrepreneurs pourraient, à compter de
la date des visites et des saisies dans les locaux, consulter la requête et les documents
susvisée au greffe de sa juridiction,
-+ a indiqué que les entreprises et le syndicat d'entrepreneurs visés par l'ordonnance
pourraient se pourvoir en cassation dans un délai de cinq jours francs à compter de sa
notification quel qu'en soit le mode, que les entreprises sises dans le ressort territorial de
son tribunal pourraient le saisir en vue de faire trancher toute: contestation relative au
déroulement des opérations de visite et saisie, dans les deux mois à compter de la
notification de l'ordonnance, en application de l'article L.450-4 du code de commerce,
-+ a dit que l'ordonnance serait caduque si les opérations de visite et de saisie n'étaient
pas effectuées avant le 13juillet 2004 ;
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RG no 2012112409 - 3 ème page
Vu l'arrêt rendu le 3 novembre 2005 par la cour de cassation qui a rejeté les
pourvois formés, notamment par la société Colas Rail, anciennement Seco Rail contre
l'ordonnance susvisée,
Vu la décision n°09-D-25 de l'Autorité se la concurrence relative à certaines
pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées,
Vu l'arrêt rendu le 29 juin 2010 par la cour d'appel de Paris, qui a rejeté le
recours de la société Colas Rail contre l'ordonnance aujourd'hui déférée du 29 juin 2010,
renvoyant la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée,
Vu l'arrêt rendu le 2 novembre 2011 par la cour de cassation , cassant l'arrêt
susvisé de la cour d'appel de Paris,
Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de Paris enregistrée le
29 juin 2012, par laquelle la société Colas Rail, anciennement Seco-Rail, a contesté
devant cette cour l'ordonnance susvisée du 23 juin 2004, et d'un recours en
annulation ou réformation de la décision n°09-D-25 de l'Autorité de la concurrence
en date du 29 juillet 2009,
Vu les ordonnances en date des 3 et 5 juillet 2012 par lesquelles Sylvie Meslin,
conseillère à la cour d'appel de Paris déléguée par le premier président près cette cour,
- a ordonné la disjonction du recours ci-dessus
-a dit que la procédure se poursuivrait sous les n°10l2/12073 pour l'examen de la décision
de l'Autorité de la concurrence et sous le n°2012112409 pour l'examen du recours formé
contre l'ordonnance susvisée du 23 juin 2004, objet du présent litige
- et a fixé une réunion de procédure.
Vu les dernières conclusions déposées le 30 avril 2013, et développées
oralement à l'audience, par lesquelles la société Colas Rail demande, au visa de
l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales, L.450-4 du code de commerce, de l'arrêt du
2 novembre 2011 de la chambre commerciale de la cour de cassation et de
l'ordonnance susvisée du 3 juillet 2012:
-l'annulation de l'ordonnance en date du 23 juin 2004,
-l'annulation de tous les actes prenant appui sur l'ordonnance déférée,
-la restitution de l'ensemble des documents saisis sur le fondement de cette ordonnance,
-l'interdiction à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire d'en faire usage en
original ou en copie,
- le paiement de la somme de 8 000 € en application des dispositions de 1 'article 700 du
code de procédure civile ;
Vu les conclusions développées oralement à l'audience par lesquelles la société
Pichenot Bouillé, au visa des articles 6§1 de la Convention européenne des droits de
L'Homme, 5-IV de l'ordonnance n°2008/1161 du 13 novembre 2008, de l'arrêt du
2 novembre 2011 et de la jurisprudence, demande voir:
- constater sa qualité à agir dans le cadre de la présente instance, sur arrêt de renvoi de la
cour de cassation
-annuler l'ordonnance susvisée du 23 juin 2004
-ordonner le remboursement des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire, outre
les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et leur capitalisation, en vertu des
dispositions de l'article 1154 du code civil
-condamner le. ministre de l'économie au paiement de la somme de 6 000 € en application
des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- prononcer l'exécution provisoire
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Vu le mémoire enregistré au greffe le 26 juillet 2013, par lequel le ministre de
l'économie et des finances demande voir :
- débouter la société Colas Rail
-déclarer régulière l'ordonnance du 23 juin 2004
Vu les conclusions du ministère public
MOTIFS:
Sur la recevabilité du recours de la société Pichenot Bouillé
La société Pichenot Bouillé, visée par l'ordonnance déférée, n'a pas enregistré d'acte
de saisine de la cour. Elle conclut cependant, au visa de l'article 615du code de procédure
civile, à l'indivisibilité à son égard, du pourvoi interjeté par la société Colas Rail et à la
recevabilité de son recours. Elle considère que le bénéfice de la cassation est étendu aux
parties n'ayant pas formé de pourvoi, dès lors que les prétentions de ces dernières sont unies
par un lien d'indivisibilité avec celles d'une partie au pourvoi, que dans cette hypothèse,
l'extension est de droit.
Aux termes de l'article 615 susvisé, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs
parties le pourvoi de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne sont pas
jointes à l'instance de cassation.
La société Pichenot Bouillé ne démontre pas qu'en l'espèce, l'indivisibilité, au sens
de l'article 615 susvisé, soit caractérisée par une impossibilité juridique d'exécution
simultanée de deux décisions, tenant à leur contrariété irréductible.
Cependant, il résulte des dispositions de l'article 554du code de procédure civile
que peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui
n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre
qualité.
En conséquence, la société Pichenot Boullié est recevable en son recours devant la présente
cour de renvoi.
SUR L'INCONVENTIONNALITÉ DE L'ORDONNANCE N°2008-1161 DU
13 NOVEMBRE 2008
La société Colas Rail expose :
- qu'en vertu de la jurisprudence Ravon, toutes les autorisations de visite domiciliaire
antérieures à l'ordonnance du 13 novembre 2008 sont irrégulières car dépourvues d'un
contrôle effectif en fait et en droit,
-que les dispositions transitoires rétroactives édictées par l'article 5IV 2de l'ordonnance
du 13 novembre·2008 sont contraires à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en ce qu'elles n'instaurent
qu'un recours tardif, alors qu'un arrêt de rejet du pourvoi contre cette ordonnance est déjà
intervenu ainsi qu'une décision de condamnation au fond a été publiée,
- que, dès lors, aucun juge appelé à statuer sur ce recours ne serait impartial, alors qu'il
serait soupçonnable de vouloir justifier a posteriori la décision de rejet et celle de
·
condamnation.
Sur ce point, l'ordonnance no 2008-1161du 13 novembre 2008, afin de permettre
aux personnes ayant fait l'objet de visites domiciliaires antérieures, d'obtenir un contrôle
juridictionnel effectif en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la
visite, ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement, a instauré, par son
article 5IV, un régime transitoire, prévoyant, notamment en son alinéa 2 :
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-
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si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette
autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet
de la Cour de cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant
la cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du code de commerce,
hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de
publication de la présente ordonnance.
Ce régime s'applique à l'espèce.
1° Sur l'irrégularité des autorisations de visite domiciliaire antérieures à l'ordonnance
du 13 novembre 2008
Il n'appartient pas à la cour de céans, saisie de recours contre une ordonnance ayant
autorisé une visite domiciliaire et contre les opérations qui en sont résultées, de se
prononcer au-delà de sa saisine, sur l'ensemble des autorisations prononcées avant la mise
en œuvre des dispositions transitoires, ce qui s'analyserait comme un arrêt de règlement.
En l'espèce, l'Autorité de la concurrence avait, dès le 11 avril 2008, notifié des
griefs à la société Colas Rail qui, dès lors, disposait, à compter de l'ordonnance du 13
novembre 2008, d'un recours juridictionnel effecti� en fait et en droit.
Ce moyen sera donc rejeté.
2° Sur l'impartialité du juge
Les sociétés Colas Rail et Pichenot Bouillé considèrent que si l'article 5 IV al 2
susvisé de l'ordonnance no 2008-1161 du 13 novembre 2008, ouvre une voie de recours
contre une ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire et de saisie, ce texte ne peut, dès
lors qu'un arrêt de rejet de la Cour de cassation du pourvoi contre d'ordonnance
d'autorisation et une décision de condamnation au fond sont déjà intervenus, offrir l'accès
à un juge impartial.
Mais dès lors qu'une décision déjà prise par une autre formation ne s'impose pas
au juge, il appartient à celui-ci d'apprécier en toute indépendance les faits dont il est saisi,
quelques soient les conséquences prévisibles de cette annulation sur le sort du dossier jugé
par ailleurs.
C'est donc à juste titre que l'administration répond que raisonner différemment remettrait
en cause le principe du double degré de juridiction et qu'elle affirme que le contentieux des
décisions de l'Autorité de la concurrence est d'une toute autre nature que celui de la légalité
des ordonnance autorisant les visites domiciliaires et saisies, quand bien même l'annulation
de l'autorisation querellée entraînerait des conséquences en cascade sur les sanctions déjà
prises. Ces contentieux sont, par ailleurs, examinés par des formations de jugement
différentes, excluant tout conflit d'intérêts, alors qu'aucun juge composant la cour n'a eu à
connaître précédemment des faits qui sont soumis à son examen.
·
Ce moyen sera donc rejeté.
3° Sur le délai raisonnable
Chacun a droit à Ùn procès équitable, lequel exige que l'on soit jugé dans un délai
raisonnable. Ce délai s'apprécie en considération de la complexité de l'affaire, du
comportement des parties et de celui des autorités compétentes.
D'autre part, la durée excessive de la procédure ne peut donner lieu qu'à une indemnisation,
sans pouvoir, en aucun cas, entraîner sa nullité.
Les sociétés requérantes considèrent que les dispositions transitoires instaurées par
l'ordonnance du 13 novembre 2008, ne respectent pas l'exigence du délai raisonnable.
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Mais le délai particulièrement long, près de dix années, qui s'est écoulé depuis
l'ordonnance déférée et les opérations de saisie (6 juillet 2004), s'explique, non pas tant par
la complexité de l'affaire, que par l'évolution progressive de la jurisprudence qui, à chaque
étape de la procédure et à l'occasion de recours exercés par des personnes se trouvant dans
des conditions comparables à celle des sociétés requérantes, a accordé aux parties des
garanties nouvelles : recours effectif, juge impartial, mesures transitoires à effet rétroactif,
permettant la mise en œuvre de dispositions plus protectrices.
Le caractère rétroactif de l'annulation sollicitée pourrait conduire par ailleurs, s'il
y était fait droit, et par voie de conséquence, à l'annulation des sanctions prises par
l'Autorité de la concurrence, de sorte que le délai écoulé depuis l'autorisation contestée
n'est pas de nature à entraîner des conséquences irrémédiables pour la société requérante,
laquelle ne sollicite d'ailleurs pas l'allocation de dommages et intérêts.
Il résulte donc de l'enchaînement des procéç!ures successives ayant conduit à la
présente décision, qu'aucun manquement de l'Etat à son devoir de protection
juridictionnelle de l'individu n'est établi et que le délai écoulé n'a pas causé une atteinte
personnelle, effective et irrémédiable aux parties requérantes dont la demande est, au
demeurant, paradoxale, les sociétés Colas Rail et Pichenot Bouillé ayant obtenu le bénéfice
de mesures transitoires leur permettant d'exercer un recours effectif contre la décision
d'autorisation de visite domiciliaire, et se prévalant du délai écoulé pour parvenir aux
avancées obtenues pour réfuter l'examen tant désiré de la décision déférée.
Ce moyen sera donc rejeté
Sur les mérites de l'ordonnance déférée
L'ordonnance du 23 juin 2004 contient une analyse détaillée de documents relatifs
à un appel d'offres pour la rénovation de la voie ferrée Cannes-Grasse qui, confrontés aux
explications d'un membre de la commission de contrôle économique et financier des
transports, ont conduit le premier juge d'en déduire une présomption d'atteinte au libre jeu
de la concurrence dans le déroulement de cet appel d'offres.
Le juge a également examiné des documents relatifs à la passation d'un marché de travaux
sur la réfection de la ligne n°6 du métro parisien qui l'ont conduit à considérer qu'il existait
des soupçons de concertation frauduleuse sur des prix supérieurs aux prix concurrentiels
et des indices de répartition des marchés.
Enfin, divers documents relatifs à un marché de travaux ferroviaires passés 'par le conseil
général de l'Isère, montrait notamment des incohérences tarifaires dans les offres des
entreprises, qui ont conduit le juge à présumer 1 'existence d'une offre de couverture et d'une
entente entre soumissionnaires.
Les sociétés requérantes considèrent que le contrôle qui incombait au juge en vertu
de l'article 450-4 du code de commerce, n'a manifestement pas été effectué, dans le court
laps de temps séparant la requête de l'ordonnance et qu'il n'existait pas de présomption de
l'existence de pratiques illicites.
Sur le contrôle effectif exercé par le premier juge
D'une part, il est indifférent que les termes de 1 'ordonnance soient identiques à ceux
de la requête, dès' lors que tant la motivation que le dispositif de l'ordonnance sont réputés
établis par le juge qui les a rendus et signés.
D'autre part, l'article L.450-4 du code de commerce ne prévoyant aucun délai entre
la présentation. de la requête et le prononcé de la décision, l'absence de contrôle effectif ne
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saurait se déduire du temps écoulé entre le jour du dépôt de la requête et la date de
l'ordonnance, en J'espèce J'une et l'autre étant datées du 23 juin 2004, ou du nombre des
pièces produites au soutien de la requête, au demeurant, assez peu important.
Sur l'appréciation des indices par le premier juge
Comme 1 'énonce justement la société Colas Rail, les présomptions sont des
conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu (article 1349
du code civil) et celles qui ne sont point établies par la loi sont abandonnées aux lumières
et à la prudence du magistrat qui ne doit admettre que les présomptions graves, précises et
concordantes et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins
que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol (article 1353 du code civil).
La société Colas Rail, analysant successivement et individuellement chacune des
pièces qui ont été soumises au premier juge, (par exemple, le travail de nuit pour le premier
marché) fait grief à l'ordonnance déférée d'avoir tiré des conséquences infondées des
éléments de fait qui lui ont été soumis.
Mais les indices de pratiques non concurrentielles résultent parfois d'éléments qui,
pris individuellement ne sauraient suffire à les caractériser alors que leur réunion, qui ne
saurait être le fruit du hasard, constitue précisément l'indice déterminant.
En l'espèce, Il résulte des pièces versées aux débats et dont le premier juge a eu
connaissance, que le marché de construction et régénération de la voie ferrée
Cannes-Grasse, seul des trois auquel la société Seco Rail ait participé, a présenté les
particularités suivantes :
A la suite de l'appel d'offres européen du 25 septembre 2002, la société Réseau
Ferré de France avait reçu quatre réponses, dont l'une émanait de la société espagnole
Comsa, qui n'avait pas fait acte de candidature mais avait effectué une visite du chantier.
Les offres des trois candidats étaient toutes supérieurs au prix établi par le service acheteur
(3,71 M€), soit+ 18% pour Seco Rail, +22% pour TSO et +23% pour ESAF.
La commission d'appel d'offres avait alors déclaré Je marché infructueux et décidé
de retenir l'offre de Comsa, supérieure de 7 ,5% au prix objectif (4, 7% après recalage). Mais
cette entreprise, qui ne disposait pas alors de tous les agréments nécessaires, s0était désistée
en mai 2003. Une procédure négociée s'était alors engagée, les entreprises Seco Rail etTSO
remettant des offres un peu moindres mais cependant supérieures de 17,34% et 20,10 %
au prix objectif.
La société Comsa, dont le dossier d'agrément avait été accepté, n'avait pas souhaité
déposer d'offre et le marché avait été attribué à la société Seco-Rail qui avait proposé une
offre proche de celle de Comsa (+ 7,8% du prix objectif).
Au cours de cette procédure, le syndicat des entrepreneurs de travaux de voies ferrées de
France (STEVF) avait adressé un courrier à la SNCF s'étonnant de dérogations accordées
à des entreprises étrangères, orientation qui mettait en cause, selon lui, les principes
fondamentaux de sécUrité de circulation des engins ainsi que "les usages de bonne
concurrence....
Cependant, le matériel de cette entreprise espagnole était déjà agréé dans plusieurs
autres états membres et la société bénéficiait d'une solide expérience dans son pays d'origine
(annexe 1 du procès-verbal du 17 décembre 2003, contenu dans l'annexe 3 de la requête)
M. Hemmery, contrôleur financier, avait déclaré aux enquêteurs qu'aucun agrément
permanent n'était nécessaire pour ces travaux, cas extrêmement rare de voie non "circulée"
pour lequel les exigences en sécurité ne sont pas aussi contraignantes que sur les voies
"circules". Il avait également indiqué que dans ce secteur très peu concurrentiel, tous les
donneurs d'ordre avaient enregistré une forte augmentation des prix affectant toutes les
activités de maintenance - régénération de voies nouvelles, et pour partie inexpliquée.
"
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La hausse de 29 % pour la période 1997/2003 n'était pas nécessairement
entiérement imputable aux prestataires car "d 'une manière générale, on évalue a 10/15 %,
la part non explicable des hausses observées au cours des trois dernières années", avait-il
noté.
Mais les hausses constatées sur le marché en cause par rapport aux objectifs définis par les
donneurs d'ordre excédaient très largement ces valeurs et l'on ne pouvait en attribuer la
responsabilité aux exigences de sécurité du donneur d'ordre.
L'invocation du travail de nuit par la requérante comme facteur de majoration du
prix n'est donc pas recevable puisque les travaux pouvaient être réalisés de jour, compte
tenu de l'absence de circulation sur les voies.
Le prix proche de l'offre faite par le concurrent étranger, auquel a finalement été
conclu le marché, constitue un élément en faveur d'une surévaluation des prix initialement
proposés par les soumissionnaires nationaux.
Le fait pour Seco-Rail de maintenir lors de la consultation négociée une offre très
supérieure à l'estimation était économiquement irrationnel dans un marché très
concurrentiel. Celle-ci ne pouvait se concevoir que si l'entreprise était assurée que son
prétendu concurrent ferait une offre encore plus élevée, ce qui fut le cas.
Il ressort donc clairement de l'ensemble des ces éléments, tant en ce qui concerne
le niveau des prix que le déroulement de la procédure, que des présomptions fortes
laissaient présumer qu'à l'occasion de ce marché les entreprises en cause avaient mis en
œuvre une concertation visant à désigner par avance l'attributaire du marché, à favoriser
artificiellement une hausse des prix du marché et enfin à interdire l'accès au marché d'un
concurrent plus performant.
S'agissant du marché de la deuxième tranche des travaux de réfection de 1� ligne
du métro parisien, l'appel d'offre européen lancé par la RATP le 1 3 août 2003 avait
suscité trois candidatures émanant du groupement Amec Spie RailN ossloh et des sociétés
TSO et Pichenot Bouillé.
.
L'entreprise Seco-Rail s'était excusée et Alsthom n'avait pas répondu.
Les prix proposés étant très au-dessus de l'estimation, la RATP avait engagé une
négociation sans obtenir de réduction significative et finalement retenu l'offre moins disante
de la société PichenotBoui lié.
La société requérante soutient que l'écart entre l'estimation et les offres
s'expliquerait par le fait que la RATP aurait établi son estimation sur la base des prix d'un
marché de 1997n et que le carnet de commande des entreprises était plein. Elle invoque
également une probable augmentation des primes d'assurance et les exigences techniques
du chantier, faits qui auraient été totalement passés sous silence par l'ordonnance.
Mais le rapport de présentation des offres (annexe 4 de la requête) analyse non
seulement le taux horaire, mais aussi le temps passé et les prix proposés étaient très au
dessus de l'estimation RATP : en analysant les sous-détails de prix, on s''aperçoit que les
taux horaires et le matériel employé sont au dessus des prix couramment pratiqués dans la
profession. De plus le temps passé pour certaines tâches est surestimé.
Cette analyse atteste que les éléments de comparaison étaient contemporains du
marché en cause et a procédé à une évaluation nuancée du niveau de prix, qui pouvait être
explicable par certaines caractéristiques du marché (période d'exécution, crainte d'un
contentieux susceptible de se solder par une reprise des travaux) et particularités du chantier
(métro sur pneus). Cependant les dérives de certains postes ne trouvaient pas de
justification.
Le comportement des entreprises a conforté ce constat : au terme de la première
phase de la consultation, les offres de TSO (+70 %), du groupement Amec Spie Rail
(+45 %) et de Pichenot Bouillé ( +42 %), se situaient très au dessus de l'estimation.
Au cours de la procédure de négociation, les réductions proposées par les
entreprises soumissionnant seules ont été peu significatives, de 3 et 3,8 %, tandis que le
groupement maintenait son offre, renonçant à toute chance d'être retenu. La réduction
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Pôle 5 - Chambre 5-7
ARRET DU 30 OCTOBRE 2013
RG n° 20 12/12409 - 9 ème page
consentie par TSO, vu le montant élevé de son offre initiale, ne lui ménageait aucune
chance d'être retenue et, la société Pichenot Bouillé a obtenu le marché avec un rabais
mtmme.
En ce qui concerne les travaux de rénovation du chemin de fer de Saint-Georges
de Commiers-La Mure, les pièces versées aux débats démontrent l'incohérence des prix
unitaires ne tenant pas compte des économies d'échelle, ce qui aurait pourtant dû aboutir
à une offre sensiblement moins élevée du groupement Cegelec, à la fois sur le marché qui
lui a été attribué et sur celui des travaux en gare.
De plus ce groupement a proposé des prix différents pour des prestations identiques dans
les deux marchés. Il a remis une étude de faisabilité géotechnique sur le site de la gare de
La Mure, non prévue par le règlement de consultation, mais pas pour le marché concernant
les lignes entre les gares. Cette différence traduisait le peu de motivation du groupement
Cegelec pour ce dernier marché et laissait présumer que son offre sur ce marché constituait
une offre de couverture.
L'invocation par la société Colas Rail d'une éventuelle stratégie commerciale différenciée
pour expliquer ces comportements n'est pas de nature à anéantir le soupçon et c'est fort
pertinemment que le premier juge a relevé des signes de concertation visant à augmenter
artificiellement les prix et a une répartition des marchés entre les groupements TSO
Catenaires/ Vossloh, attributaire du marché de la restauration des infrastructure électriques
entre Saint Georges et La Mure, et Cegelec/Amec Spie Rail, attributaire des travaux de
restauration des infrastructures des gares de Saint Georges et La Mure.
L'analyse des trois marchés ci-dessus confirme ainsi, dans leur globalité, mais
aussi, pris individuellement, la réalité des présomptions de pratiques anticoncurrentielles
mises en évidence par le Juge des libertés et de la détention et c'est donc à juste titre et par
des motifs qui doivent être approuvés, que le juge des libertés et de la détention a fait droit
à la requête et autorisé les visites domiciliaires critiquées.
La critique des opérations de saisie proprement dites ne reposant que sur celle du
bien fondé de l'ordonnance du 23 juin 2004, les demandes qui en découlent seront rejetées.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Reçoit les sociétés Cola� Rail et Pichenot Bouillé en leur recours
Les déboute,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 23 juin 21006 par le
juge de la liberté et de la détention du tribunal de grande instance de Versailles,
Rejette toutes autres demandes.
LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER
PRESIDENT,
BenoÎt T
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Dominique COUJARD
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