WADJDA Haifaa al-Mansour, Allemagne, Arabie Saoudite (2012

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WADJDA Haifaa al-Mansour, Allemagne, Arabie Saoudite (2012
WADJDA
Haifaa al-Mansour, Allemagne, Arabie Saoudite (2012)
Tout âge
Conseillé pour les 10 ans
Haifaa al-Mansour est une réalisatrice et scénariste saoudienne. Elle est la
première femme à être réalisatrice en Arabie saoudite. Diplômée de
l'université américaine du Caire, elle enseigne puis s'initie à la réalisation et
au montage. Une fois installée à Sydney, elle obtient un Master en direction
photographique. Première femme à tourner dans son pays, où le cinéma est
proscrit, Haïfaa-al-Mansour réalise Wadjda (2012 sortie en 2013). Le
tournage se déroulant dans les rues de Riyad, elle s'est dissimulée dans un
van et a dirigé le tournage à l'intérieur d'un van à l'aide d'un talkie-walkie, car il
aurait été mal vu de voir une femme diriger une équipe composée d'hommes.
FILMOGRAPHIE :
2004 : The Bitter (court-métrage)
2005 : The Only Way Out (court-métrage)
2005 : Women without Shadows (documentaire)
2013 : Wadjda
PRIX :
Festival du film de Los Angeles 2013 : prix du public pour le meilleur film
international
Festival international du film de Vancouver 2013 : meilleur premier film
international
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Alliance of Women Film Journalists Awards 2013 : prix de la réussite d'une
femme dans l'industrie du cinéma pour Haifaa al-Mansour « pour avoir réalisé
Wadjda malgré les défis et les limitations posés par la place des femmes
dans sa culture »
National Board of Review Awards 2013 : NBR Freedom of Expression
Women Film Critics Circle Awards 2013 : Meilleur film étranger à propos des
femmes
Festival international du film de femmes de Salé 2013 : Grand Prix
SYNOPSIS:
Wadjda est une jeune fille saoudienne de douze ans. Elle vient d'un milieu
conservateur. Cependant, Wadjda écoute de la musique rock, porte des
Converse et des jeans. Mais un jour, sa vie change alors qu'elle aperçoit un
vélo. Malgré l'interdiction faite aux femmes d'avoir un vélo, elle s'inscrit au
concours de récitations coraniques de son école dans l'espoir de gagner le
premier prix et d'avoir ainsi le montant tant espéré pour s'acheter le vélo et
faire la course avec son ami Abdallah.
BANDE-ANNONCE : https://www.youtube.com/watch?v=1YpNAKCIWt8
TAGS : tradition, généalogie, différences, interdits, religion, ségrégation,
jeunesse
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR :
Pourquoi avoir choisi le cinéma, dans un pays qui le considère d'un si
mauvais œil ?
Le cinéma m’a ouvert des mondes inaccessibles. Je me souviens encore de
la première fois que j’ai vu Blanche-Neige... C'était à la télé, bien sûr, où nous
regardions les cassettes VHS que mon père rapportait à la maison. J'ai vu
beaucoup de films, de ceux de Bruce Lee et Jackie Chan aux blockbusters
américains en passant par les romances de Bollywood ou d'Egypte. Pourtant,
je n'avais jamais imaginé devenir cinéaste. Cela s'est fait comme ça. J’espère
que mon parcours donnera du courage aux jeunes Saoudiens pour aller au
bout de leurs aspirations artistiques. En Arabie saoudite, nous pensons
beaucoup comme un groupe, nous sommes élevés comme ça. Ce poids de la
collectivité peut étouffer l’individu, sa singularité et ses désirs. Il faut
persévérer.
Un premier film, c'est forcément autobiographique ?
J'ai grandi dans une toute petite ville, à l'est de Riyad. Je suis la numéro 8
d'une fratrie de douze enfants. Contrairement à la famille de Wadjda, la
mienne a beau être traditionnelle et pieuse, elle a les idées larges. Cela dit,
j'appartiens comme elle à ce monde de femmes qui m'a vu grandir. C'est ce
que je connais le mieux. Or, je voulais faire un film honnête et authentique
dans lequel je puisse mettre un peu de ma propre vie.
Wadjda, c'est ma nièce, ou à peu près. Enfant, elle était incroyablement
fougueuse, elle adorait le foot ! En grandissant, elle s’est résignée à faire ce
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que ses parents conservateurs attendaient d’elle : se marier et abandonner
ses rêves d’épanouissement personnel. C’est triste. Mais en Arabie saoudite,
il y a beaucoup de jeunes filles pleines d'allant et de potentiel qui, demain,
seront appelées à jouer un rôle de premier plan dans le royaume.
L'adolescente qui interprète Wadjda est de cette trempe : elle est arrivée au
casting en jeans, baskets, avec ses écouteurs dans les oreilles. Elle ne parle
pas anglais mais elle appartient à cette jeunesse connectée et globale.
Comment filme-t-on dans un pays qui applique une stricte ségrégation
entre les hommes et les femmes dans l'espace public ?
Pendant le tournage de certaines scènes de rue dans les faubourgs de Riyad,
il a parfois fallu que je dirige les acteurs depuis l'intérieur d'un van, via un
talkie walkie. Je préférais éviter les interruptions, nous ne pouvions pas nous
payer le luxe de choquer des passants. Bien sûr, en tant que réalisatrice,
l'expérience pouvait être frustrante. Mais en tant que femme, je me souviens
surtout de tous ces moments où j'ai pu travailler normalement, marcher dans
les rues, connaître cette sensation de liberté dont nous sommes le plus
souvent privées.
Le pays commence à s'ouvrir, lentement. Les mentalités peuvent changer. La
preuve : j'ai tourné Wadjda avec l'aval des autorités. Cette autorisation était
importante car je ne voulais pas aller au clash avec le pouvoir. Plutôt que de
miser sur la provocation, j'ai écrit le scénario dans le respect de toutes les
composantes de la société, notamment des hommes, qui sont soumis, eux
aussi, à une forte pression sociale. Il est crucial de travailler organiquement
avec le système et non contre lui.
Quelles influences revendiquez-vous ?
J’ai toujours voulu faire des films émouvants qui divertissent les gens. C’est
mon côté mainstream... Pendant le tournage de Wadjda, j'ai vu beaucoup de
films. Ceux de Jafar Panahi, Hors-jeu notamment: il dit beaucoup sur la
société iranienne avec une histoire très simple de jeunes femmes voulant
assister à un match de foot. Cela m’a ouvert les yeux sur la façon dont le
cinéma pouvait parler des questions de société.
Il y a aussi Rosetta, des frères Dardenne. Cette jeune fille qui n’abandonne
jamais, résiste et garde sa dignité malgré les obstacles : elle a joué un grand
rôle dans ma vie. Autre influence majeure : le néo-réalisme italien et Le
Voleur de bicyclette en particulier. J’adore son côté authentique, presque
documentaire. J’ai voulu moi aussi faire un film réaliste, le portrait honnête
d'une société complexe méconnue des Occidentaux.
(Source : http://www.telerama.fr/cinema/a-sent-la-rel-ve-haifaa-al-mansour-ralisatrice-de-wadjda,93241.php)
THÉMATIQUES ET INTERPRÉTATIONS :
Wadjda, un tempérament qui se démarque
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Les premières scènes présentent Wadjda en opposition avec les
autres élèves de la madrasa. La caméra fait la mise au point sur Wadjda
lorsque le groupe des fillettes est filmé. Elle se démarque de par sa tenue.
Malgré l’uniforme imposé, elle parvient à le transgresser en portant des
chaussures unisexes : des converses. Son vernis bleu connote de cette
même mentalité. Plus tard, son t-shirt où il y a inscrit «I’m a great catch»,
suivra la même idée: son style vestimentaire s’oppose aux tenues religieuses
imposées aux femmes. D’ailleurs, la conception de sa chambre (et de
beaucoup d’autres pièces dans le film) refuse la profondeur de champ, mise à
part une scène lorsque Wadjda repeint ses tennis en noir dans sa chambre.
L’axe de prise de vue cherchant la profondeur de champ dans la diagonale de
l’espace au ras du sol est alors déformant. La chambre s’agrandit,
représentant la désobéissance de Wadjda.
Son goût pour la musique occidentale témoigne de son désir d’ailleurs,
et représente une certaine prise d’indépendance dans ses pratiques
culturelles. Ce comportement semble être commun chez Wadjda. Elle ne fait
pas comme les autres. Elle tisse une relation amicale avec un jeune homme,
et ensemble ils se permettent des prises de liberté. Être punie n’a rien de
nouveau pour Wadjda. Cela justifie les remarques insolentes qu’elle profère
envers les adultes. Lorsqu’elle répond au marchand qui lui demande
immédiatement ce qu’elle veut, elle lui donne des conseils de vente en lui
insurgeant : «On regarde puis on achète. » Ses tendances insolentes réitèrent
envers le chauffeur de taxi lorsqu’elle imite ses difficultés d’énonciation : «Moi
savoir toi pas aller à l’école. Toi, trop grand. » De manière générale, les
nombreux travellings traduisent la transgression, comme l’annonce par
exemple la scène où Wadjda court pour récupérer son foulard arraché.
Une société coranique réglementée
Le tempérament rebelle de Wadjda vient s’opposer à la société coranique
dans laquelle elle évolue. Le premier plan du film se concentre sur des pieds :
des chaussettes blanches dans des ballerines noires. Ces souliers d’écolières
ne dévoilent aucune chaire, et renvoie une image de rang et d’homogénéité.
Elles sont dans un espace intérieur, orchestré par des règles, où la différence
n’a pas lieu d’être. Les pieds, symbole de moyen de déplacement, de moteur,
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sont ici présentés comme contraints, enfermés. D’ailleurs, automatiquement,
les filles bien élevées vont à l’intérieur, alors que Wadjda, elle, préfère rester à
l’extérieur : elle s’oppose aux règles imposées. En effet, la restriction et la
contrainte qu’impose cette société se retrouve dans les décors. Par exemple,
la chambre de Wadjda montre un univers modeste et sans porte, sans
ouverture. Elle est d’ailleurs sanctionnée dès lorsqu’elle se retrouve avec un
garçon – autrement dit, dès lors que son comportement dérive de toutes
normes. Lorsqu’un péché est commis, la dénonciation se fait sentir.
La société saoudienne repose sur le Coran et les principes de patriarchie.
L’arbre généalogique saoudien est exclusivement masculin. Ainsi, les choix
vestimentaires des femmes sont faits en fonction des normes patriarcales. Il
faut plaire aux hommes avant tout. Le motif de la mère de Wadjda derrière
l’achat de la robe rouge à diamants est celui de séduire. Il faut plaire aux
hommes avant tout même si cela peut aller à l’encontre de ses propres
souhaits. En effet, la mère de Wadjda n’accepte pas la polygamie de son mari
mais elle se « plie » à cette donne imposée par sa belle mère (et qui, par
ailleurs, lui reproche de ne pas pouvoir enfanter un fils). De manière générale,
les personnages féminins sont soumis, et se privent de liberté et de plaisir.
Par exemple, la mère de Wadjda refuse de lui offrir un vélo sans trouver une
justification autre que les principes religieux. La femme doit se positionner en
retrait, et doit se dissimuler derrière un voile lors de son passage à l’âge
adulte.
La symbolique du vélo
Dans ce contexte saoudien, la symbolique du vélo est encore plus
forte. La première fois où la bicyclette apparaît, une musique non-diégétique
enjouée se fait entendre. Cette tonalité présente l’objet comme un élément
déclencheur dans le déroulement de l’histoire. La mise en scène souligne
particulièrement les aspects symboliques de cette bicyclette. Elle est
positionnée sur le portillon d’une voiture. La voiture, elle, est cachée par un
muret. Une sorte de mirage fait croire qu’elle roule sur ce petit mur, comme si
la bicyclette représentait une prise de liberté : rouler sur les contraintes, les
restrictions, ou du moins être au-dessus d’elles. Le vélo apparaît comme
l’unique moyen de liberté et de transgression pour une fillette dont la
complexité du monde et les interdits destinés aux femmes se révèlent à elle
avec dureté. Les actions de Wadjda sont tout autant justifiées par la valeur
symbolique que matérielle de la bicyclette (inscriptions au concours de tartil
par exemple).
PISTES DE RÉFLEXION POUR LES ÉLÈVES :
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Analysez l’affiche. Sa composition, l’expression de la jeune fille, les
couleurs.
Faites un portrait de l’Arabie Saoudite d’aujourd’hui du point de vue des
femmes.
Dans un entretien, la réalisatrice dit : « en écrivant le scénario de
Wadjda, mon but n’était pas de provoquer les instances de mon pays
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mais de partager mes opinions, ma vision du monde. » Selon vous,
son projet est-il abouti ?
Distinguer les différentes rencontres de Wadjda et Abdallah. Comment
évoluent-elles ?
Qu’ont de spécial les arbres généalogiques saoudiens ?
Commentez la séquence de l’essayage de la robe rouge. De quoi cette
robe rouge peut être le symbole ?
Comparer les vêtements de Wadjda et sa mère, et ceux d’Abdallah et
de son oncle.
Comment la forme souligne-t-elle le sentiment d’enfermement ? Prêtez
attention aux cadrages et à la lumière.
Quels sont les lieux où s’expriment les interdits ? Quels sont les lieux
où s’exprime la liberté ?
POUR ALLER PLUS LOIN :
-­‐ Film à thématique similaire Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica
LEXIQUE :
Travelling : un déplacement de la caméra au cours de la prise de vues, dont
l'une des utilisations est de suivre un sujet parallèlement à son mouvement,
une autre de se rapprocher ou de s'éloigner du sujet ou de le contourner
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