Connaître son ennemi pour mieux le combattre
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Connaître son ennemi pour mieux le combattre
SANTÉ ANIMALE Staphylococcus aureus Connaître son ennemi pour mieux le combattre PAR JEAN-PHILIPPE ROY, MARIANNE ALLARD, FRANÇOIS MALOUIN ET JULIE BAILLARGEON* UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA BACTÉRIE STAPHYLOCOCCUS AUREUS PERMETTRA DE MIEUX GÉRER CE PROBLÈME DANS VOTRE TROUPEAU. Quoi de mieux qu’un petit « quiz mammite » pour bien commencer la lecture de cet article. Prenons quelques vaches souffrant d’une infection intramammaire et analysons leur condition ensemble : • Cocotte et Gigi présentent un comptage de cellules somatiques (CCS) très élevé, alors que celui de Jojo est relativement bas; • Manouche et Jojo ne présentent aucun symptôme clinique alors que l’état de pauvre Toutoune semble évoluer rapidement vers une mammite gangréneuse; • Pour Carotte, on a tenté un traitement antibiotique avec succès, alors que pour d’autres l’infection est chronique malgré tous les traitements. QUESTION : QU’ONT EN COMMUN COCOTTE, GIGI, JOJO, MANOUCHE, PAUVRE TOUTOUNE, CAROTTE ET LES AUTRES? RÉPONSE : ELLES SONT TOUTES INFECTÉES PAR STAPHYLOCOCCUS (S) AUREUS. Comment se fait-il qu’une seule bactérie engendre une si grande variabilité dans l’expression des signes cliniques de toutes ces vaches? D’après des chercheurs du Réseau canadien de recherche sur la mammite bovine (RCRMB), différentes souches de S. aureus sont en cause. Grâce à des techniques de laboratoire sophistiquées, on sait maintenant que les souches de S. aureus ne sont pas toutes identiques. En effet, le potentiel pathogène de la bactérie varie d’une souche à l’autre. Autrement dit, la capacité à augmenter le CCS, la contagiosité, la résistance au traitement antibiotique ou encore la capacité à causer des infections chroniques ou cliniques n’est pas la même selon la souche en cause dans une infection. Si cette information peut vous sembler banale de prime abord, sachez qu’elle est à la base de recherches prometteuses qui visent à trouver des solutions pour mieux contrôler la mammite causée par S. aureus dans votre troupeau. La caractéri- 32 JUILLET/AOÛT 2009 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS Staphylococcus aureus… … cause des pertes économiques importantes dans la plupart des troupeaux laitiers québécois et du monde entier. Ces pertes sont surtout attribuables à la diminution de la production de lait, au coût des traitements antibiotiques contre la mammite clinique et à la réforme hâtive des vaches atteintes. … est une bactérie contagieuse principalement transmise d’un quartier infecté à un quartier sain lors de la traite. On retrouve également cette bactérie sur la peau des bovins et des humains, dont les trayeurs. Les mouches peuvent propager la bactérie d’un animal à l’autre (vecteur mécanique). … est le principal agent responsable de la mammite subclinique chronique. On remarque souvent une élévation marquée du CCS chez les vaches atteintes, mais ce n’est pas toujours le cas. Certaines vaches infectées par S. aureus présentent en effet un CCS bas (< 100 000 c/ml). … peut également causer la mammite clinique variant de légère à sévère (aiguë), voire gangréneuse. S. aureus était la bactérie le plus fréquemment trouvée (13,8 % des cas), sur une période de suivi de deux ans, dans les échantillons provenant de cas de mammite clinique dans les 91 troupeaux collaborateurs de la Cohorte nationale de fermes laitières du RCRMB. … ne répond pas efficacement aux traitements antibiotiques intramammaires actuellement homologués. C’est pourquoi les traitements prolongés de cinq à huit jours consécutifs ont été étudiés avec des taux de guérison plus intéressants (> 40 %). Consultez votre médecin vétérinaire pour en savoir plus sur le sujet. Les vaccins actuels sont malheureusement inefficaces dans la prévention de l’infection. STAPHYLOCOCCUS AUREUS DANS UNE INFECTION INTRAMAMMAIRE Glande mammaire Cellules épithéliales D C B alvéole alvéoles citerne épithélium kératinisé A canal sphincter S. aureus sation et l’identification des facteurs de virulence de ces souches permettraient de développer de nouveaux vaccins, traitements et outils diagnostiques. L’ENNEMI FAIT SON NID DANS LE PIS La capacité de S. aureus à causer des infections intramammaires représente un formidable exemple d’adaptation d’un microorganisme à son environnement. Voyons comment s’y prend cette astucieuse bactérie pour coloniser la glande mammaire. La première étape d’une infection à S. aureus est l’adhésion. Autrement dit, la bactérie pénètre la glande mammaire et s’y attache. Pour ce faire, elle exprime, au début de sa croissance, des protéines nommées adhésines. Celles-ci reconnaissent les composantes de la glande, se lient à elles et permettent à S. aureus de s’y attacher (voir figure – partie A). Ainsi attachée, la bactérie peut se multiplier en toute quiétude sans craindre d’être éliminée lors de la traite. Comme dans une armée, c’est au moment où les bactéries sont en nombre suffisant qu’elles passent finalement à l’attaque. Elles produisent alors des facteurs de virulence, par exemple des toxines, qui détruisent avec succès les tissus de la glande pour en tirer des nutriments et se multiplier sur d’autres sites (voir figure – partie B). À cette étape, le système immunitaire de l’animal est normalement déjà en action pour combattre l’infection en cours. Les symptômes apparaissent alors et nous voilà devant une mammite clinique. Pourtant, la plupart des mammites à S. aureus sont des mammites subcliniques ou chroniques. Comment est-ce possible? L’ENNEMI A UN ARSENAL BIEN GARNI S. aureus a bien appris à développer quelques astuces qui lui permettent de survivre plus longuement dans la glande mammaire. La bactérie possède une panoplie de gènes de virulence codant pour des facteurs qui neutralisent le système immunitaire de la vache. Par exemple, la protéine A et la capsule produites par S. aureus déjouent les anticorps et les cellules immunitaires de la vache et les empêchent d’être efficaces. Ainsi, S. aureus peut éviter l’action des défenses de l’animal. LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS JUILLET/AOÛT 2009 33 SANTÉ ANIMALE La bactérie possède aussi des mécanismes qui lui permettent de se protéger des antibiotiques. Ainsi, S. aureus peut produire une matrice qu’on appelle biofilm et qui peut entourer et protéger les bactéries (voir figure – partie C). S. aureus a également la capacité de pénétrer dans les cellules de la glande mammaire et ainsi de se cacher des antibiotiques et du système immunitaire (voir figure – partie D). Imaginez toutes les possibilités L’ENNEMI EST DÉMASQUÉ Il n’y a pas de doute, S. aureus a su apprendre à survivre dans la glande mammaire. La bactérie exprime des gènes de virulence spécifiques qui, combinés aux réactions de l’animal, déterminent le cours de l’infection. Dernièrement, nous avons recueilli des bactéries de plusieurs vaches infectées expérimentalement pour analyser les gènes de virulence exprimés par S. aureus durant la mammite. Plusieurs Imaginez que, après avoir diagnostiqué une nouvelle infection à S. aureus chez votre vache Cocotte, votre médecin vétérinaire puisse vous dire que la souche identifiée ne répond pas aux traitements antibiotiques, qu’elle a un fort potentiel de contagion et qu’elle provoque des infections chroniques. Vous ne garderez probablement pas cette vache et vous ne perdrez pas d’argent en traitements inutiles. Bye bye Cocotte! Imaginez maintenant que votre médecin vétérinaire soit en mesure de vous dire que la souche identifiée devrait bien répondre à un traitement antibiotique, qu’elle n’est pas très contagieuse et qu’elle ne provoque pas une augmentation du CCS. Possiblement que Cocotte serait traitée et resterait dans votre troupeau. Pensez à toutes les possibilités… Dans le cadre du RCRMB, le Dr François Malouin de l’Université de Sherbrooke et son équipe travaillent avec ardeur pour que ces possibilités deviennent vite réalité dans vos fermes. Tous les producteurs laitiers canadiens participent financièrement à ce programme et sont engagés dans tous les paliers de décision du RCRMB. Pour plus d’informations et de ressources pratiques sur la santé du pis, visitez le www.reseaumammite.org et abonnez-vous à notre bulletin électronique Flash-mammite dès maintenant. de ces gènes étaient exprimés en commun chez les bactéries causant des mammites chroniques et représentent donc de nouvelles cibles thérapeutiques pour le développement de vaccins et d’antibiotiques. Nous ne connaissons pas encore tous les gènes impliqués dans sa virulence, mais heureusement, la recherche continue de démystifier les secrets de S. aureus. Grâce à ces percées, nous connaissons de mieux en mieux notre ennemi et nous serons bientôt mieux armés que lui pour le combattre. * 34 JUILLET/AOÛT 2009 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS Jean-Philippe Roy, médecin vétérinaire, professeur adjoint, Faculté de médecine vétérinaire, Marianne Allard, doctorante, Université de Sherbrooke, François Malouin, professeur titulaire, Université de Sherbrooke, et Julie Baillargeon, agronome, agente de transfert, RCRMB