circulation migratoire et delocalisations industrielles à l`ile maurice

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circulation migratoire et delocalisations industrielles à l`ile maurice
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
CIRCULATION MIGRATOIRE
ET DELOCALISATIONS INDUSTRIELLES
À L’ILE MAURICE
RÉSUMÉ : La vocation intrinsèque de l’île Maurice à s’instituer comme centre de redistri-
bution des échanges dans « l’économie-monde » est indissolublement liée à son histoire économique et sociale, à la manière dont – au cours de son peuplement –, dès l’origine, se sont
constituées des références autochtones plurielles, qui n’accordent pas à la territorialité
stricte une importance exclusive. De tout temps, à l’époque du développement d’un capitalisme marchand comme à celle du capitalisme industriel et de la mondialisation aujourd’hui,
le même type d’intégration socio-économique a présidé au développement local. La sphère
d’une économie libérale plus ou moins avancée s’est appuyée sur une économie marchande et
de petite plantation. De cette intégration est née une forme commune d’enracinement au sol
mauricien, soutenue par le « serment d’allégeance » à la colonie britannique. C’est pourquoi
l’option de l’émigration, qui s’est manifestée très tôt, autour des années 1960, a contribué au
maintien des grands équilibres économiques de la nation mauricienne. Au-delà des idéologies, les rapports sociaux qui s’instituent véritablement mettent en scène des référents juridiques, religieux et politiques. Ils sont caractérisés par cette ambivalence fondamentale de
l’enracinement au sol de la « nation », lequel différencie le pays d’origine du pays natal.
Cette dualité constitutive de la nation mauricienne met en évidence la manière dont la mobilité spatiale interagit dans les processus de différenciation interne, expliquant la structuration
des élites urbaines et l’émergence d’une classe moyenne depuis l’indépendance acquise en
1968.
INTRODUCTION
Le modèle de développement de l’île Maurice, fondé sur l’ouverture de l’échange,
a pris naissance aux origines françaises de la colonie ; il s’est substitué au système
mercantiliste du monopole des Compagnies des Indes, pour s’instituer modèle dominant de la colonie britannique (Chazan-Gillig, 1998). Le système colonial anglais,
qui a relayé le système colonial français, n’était pas focalisé exclusivement sur l’organisation des rapports de production de la plantation, caractéristiques de
l’économie de traite. Il était assis sur la structuration et le contrôle des échanges préférentiels du sucre, principale exportation, tandis qu’à l’autre bout de la chaîne s’organisait le déplacement de la force de travail, le « coolie-trade ». À cette époque,
l’État colonial n’intervenait que de façon indirecte 1 pour créer les conditions les
1.
Sous la forme de commissions d’enquête.
Sociétés Contemporaines (2001) n° 43 (p. 81-120)
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SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
plus favorables à l’optimisation du rapport capital-travail dans les exploitations sucrières, condition du développement élargi du négoce. Ce système mixte de colonisation, reposant sur l’articulation du négoce avec la plantation, nous conduit aujourd’hui à considérer l’île Maurice comme un pays du Nord par la réalité coloniale
de son économie, et comme un pays du Sud par l’incidence des migrations de travail
dans l’organisation contemporaine de la société.
Dans cette double perspective, comment interpréter l’influence de la politique
actuelle de libre-échange sur la transformation sociale et les migrations, dans la situation de transition démographique qu’a connue l’île Maurice des années 1950 à
nos jours ? Aucune réponse univoque n’est possible. Les démographes-économistes
affirment eux-mêmes qu’au-delà des modèles et des projections, visant à évaluer
« les conséquences du libre-échange et les mesures d’accompagnement budgétaires
sur les niveaux d’emploi et de revenus » (Cogneau et Tapinos, 1985) 2, des analyses
qualitatives doivent être introduites pour comprendre la manière dont les rapports
sociaux, culturels et politiques interviennent dans la transformation démo-économique (Zelinski, 1971 ; Courgeau, 1986 ; Peemans, 1992).
Le propos de cet article est de montrer que l’île Maurice, pays émergent ou nouvellement industrialisé, a cultivé sa spécificité originelle de « colonie de peuplement » en consolidant les solidarités préexistantes autour des anciens espaces coloniaux, sur les marchés des principaux produits d’exportation et sur les marchés périphériques libres de tout quota, mais caractérisés par une forte fluctuation des prix.
La première partie présente le fait migratoire mauricien comme un fait social
global donné par l’importance du contrôle de la main d’œuvre dans le développement sucrier aux temps des premières installations des colons et du « coolie trade ».
Nous y verrons que la colonie de peuplement mauricienne a construit son autonomie
à l’égard des métropoles en développant une forme de « salariat bridé » (Moulier
Boutang, 1998 : 525-530) ayant eu pour effet un enracinement local qui déborde les
frontières d’un État-nation territorialisé : du moulin à la boutique, de l’entreprise au
marché, du salariat à la petite propriété, il n’y a qu’une question de degré dans
l’application de liens sociaux légitimés par la Constitution.
La seconde partie étudie l’étroite relation existant entre migrations et délocalisations industrielles de sorte que les tendances lourdes de l’émigration représentent
une modalité nouvelle de l’expansion de l’économie-monde (Adda, 1999 : 57) qui
institue le marché mauricien dans le commerce international dont l’Etat est en quelque sorte le grand ordonnateur.
En dernière partie, enfin, nous verrons que la circulation migratoire (Tarrius,
1989), qui caractérise la société mauricienne d’aujourd’hui – sous la forme des migrations de travail, d’affaires – renvoie à une appréciation floue de la notion de rési-
2.
Denis Cogneau et Georges Tapinos, 1995, pages 27-51. Les auteurs préconisent un modèle différent du « modèle néoclassique » de l’allocation des facteurs de production, qui suppose leur plein
emploi et néglige leur contenu dynamique. Le système MAQM est proposé dans l’optique d’un
choix raisonné de périodisation pour étudier les effets de la libéralisation commerciale sur les investissements. La modélisation, dans cette perspective de choix raisonné des catégories de travail,
de ménage et d’analyse de la sphère financière, est un « exercice de simulation qui consiste à identifier et comparer le sentier de croissance de référence avec une trajectoire de passage au libreéchange ».
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CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
dence. Les courants d’émigration qui se dessinent depuis les années 1960 ont un
sens territorial nouveau donné par les rapports internationaux, présidant actuellement au développement mauricien. Celui-ci est de plus en plus ancré dans une dynamique régionale, dépendante des marchés européens et américains.
1. LE FAIT MIGRATOIRE MAURICIEN : UN PHENOMENE SOCIAL GLOBAL
Le fait migratoire mauricien est un phénomène social global en ce qu’il révèle
les modes de fonctionnement de la société toute entière, qu’il constitue le nœud le
plus significatif des transformations.
1. 1. LE FAIT MIGRATOIRE
La migration mauricienne, indicatrice de l’équilibre population/ressources, se caractérise (cf. tableau 1), par des mouvements de départs importants, enregistrés depuis le milieu des années 1960. Les départs nets de résidants sont, en moyenne, de
l’ordre de 4 000 personnes par an pour une population totale qui passe de 780 000
habitants à plus d’un million.
1958-1963 1964-1973 1974-1983 1984-1993
Population moyenne
662 286
784 145
914 601
1 011 773
2 806
32 728
41 097
39 929
Émigration nette annuelle
moyenne de résidants
468
3 273
4 110
3 993
Taux moyen annuel d’émigration
nette de résidants pour 1 000 personnes
0,7
4,17
4,49
3,95
Émigration nette totale de résidants
TABLEAU 1 – BILAN DE L’EMIGRATION NETTE DE MAURICIENS RESIDANTS, SOLDES MIGRATOIRES NETS ET
TAUX D’EMIGRATIONS (SOURCES : CARTES D’EMBARQUEMENT ET DE DEBARQUEMENT).
Alors que la population croît modérément de 1910 à 1950, elle connaît, sous
l’effet d’une croissance naturelle forte, une augmentation annuelle record à partir
des années 1950 : c’est l’explosion démographique (fig. 1).
De 1930 à 1960, exception faite de 1941, année de guerre, les soldes migratoires
sont quasiment nuls. Puis les soldes migratoires négatifs (fig. 2) atteignent des niveaux très élevés de 1960 à 1985, variant de 1 000 départs nets pour les années les
plus basses jusqu’à 4 à 5 000 départs nets pour les années les plus fortes.
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Occupation hollandaise
Indépendance
Colonisation britannique
"Colonie" française
1 100 000
1 000 000
Esclavage
Croissance naturelle
Coolie Trade
900 000
Emigrations
et migrations de commerce
800 000
Effectifs
700 000
600 000
500 000
400 000
Explosion
démographique
300 000
200 000
100 000
0
1630
1650
1670
1690
1710
1730
1750
1770
1790
1810
1830
1850
1870
1890
1910
1930
1950
1970
1990
Années
Sources : Office Central de Statistique de Maurice, A. Toussaint 1972, J. M. Filliot 1974.
FIGURE 1. CROISSANCE DE LA POPULATION DE L’ILE MAURICE : L’ACCELERATION DEMOGRAPHIQUE
6 000
5 000
4 000
3 000
2 000
Effectifs
1 000
0
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
Année
-1 000
Emigrations nettes
-2 000
-3 000
-4 000
-5 000
-6 000
Sources : Family Planning and Demographic yearbook 1995, Evaluation Unit, Ministry of Health, Republic of Mauritius, October 1996. International Travel and Tourism Statistics, December 1984 and
October 1995, Ministry of Economic Planning and Development, CSO.
FIGURE 2. MIGRATION NETTE 1933-1995,
SOLDE ENTRE LES ENTREES ET SORTIES DE PASSAGERS ENREGISTRES AUX PORTS ET AEROPORTS
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CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
Ces émigrations suivent avec un léger retard les débuts de la transition démographique (Domenach et Picouet, 1992 ; Charbit, 1993) 3 qui s’amorce à partir de 1948.
Elles augmentent à partir de 1960 pour atteindre des chiffres records dès les années
1968 et, après un léger ralentissement, reprennent en flèche dans les années 1980 et
1990. L’ampleur des soldes migratoires nets entre 1965 et 1985 permettra à Monique Dinan (1985 :39) d’identifier les flux d’émigration à « l’exode d’une île en instance de départ ». Le terme employé n’est pas abusif si l’on sait que l’on enregistre
33 000 départs nets de 1964 à 1973 et que l’on atteindra 41 000 départs, de 1974 à
1983 (Tableau 1).
De quelle manière les différences de statuts sociaux et rôles économiques ont-ils
affecté les processus migratoires de l’île Maurice, pays de peuplement jusqu’en
1910 4, dans le contexte de crise de la production sucrière, de chômage généralisé,
de catastrophes naturelles 5 d’après guerre et face à l’ouverture à l’indépendance des
années 1960 ? La réponse à cette question est globale et indirecte. Elle suppose de
comprendre la dialectique de la mobilité spatiale et de l’enracinement local qui s’est
jouée dans l’économie sucrière et les institutions mauriciennes.
1. 2. MOBILITE SPATIALE ET ENRACINEMENTS LOCAUX
À défaut de référence autochtone 6 historiquement constituée, la société mauricienne a construit un mode commun d’appartenance à la nation qui se rapporte à
l’économie de plantation sucrière, tout en orchestrant les différences ethniques. On
peut étudier cette contradiction en comparant les termes de l’identification de la
communauté blanche au moulin sucrier, de la communauté chinoise à la boutique et
des Indo-mauriciens aux kalimaïs (temples). Ces trois communautés distinctes
étaient présentes dans les recensements de population dès 1845 et ont continué
d’être des catégories de référence jusqu’en 1962, période où les critères d’identification des communautés ont varié (Christopher, 1992 : 58) 7. Ainsi en fut-il en 1872,
au moment de la Commission d’enquête demandée par De Plévitz 8, lorsque l’on relève la notion « d’Indien créole » 9, désignant explicitement la première génération
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
La situation de transition démographique de l’île Maurice revêt un caractère général si on la compare à celle d’autres îles de peuplement.
Date d’arrêt de l’immigration indienne.
En particulier le cyclone Carol en 1960.
Il n’existe pas de mythe d’origine du peuplement revendiqué par les traditions mauriciennes. L’île
Maurice, comme sa voisine l’île de la Réunion, était inoccupée avant les premières installations des
Compagnies des Indes.
L’auteur présente l’évolution de la classification ethnique dans les recensements de 1830 à 1990.
Les premières catégories relevées furent celles d’Européens, libres de couleur et esclaves en 1830.
Puis en 1846, la catégorie de population générale intègre les Européens et libres de couleurs, se distinguant des esclaves émancipés et Indiens. En 1901, le recensement tente de distinguer les Européens et gens de couleurs des Africains, des Indiens et des Chinois. À partir de 1911, les catégories
se fixeront. Elles distinguent toujours la population générale des Chinois et des Indiens. À partir de
1962, les Musulmans deviendront une catégorie à part des Indiens. À partir de 1983, il devient anticonstitutionnel de présenter statistiquement le poids démographique différentiel des communautés.
Il s’agit de la commission d’enquête « Frère et Williamson » qui met à plat toutes les relations industrielles de l’époque, les rapports entre les propriétaires et les travailleurs.
Entretien avec Yvan Martial, journaliste, ancien rédacteur en chef de l’Express et fondateur de la
Gazette des Iles.
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SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
d’enfants d’immigrants, ainsi dénommés par différence avec les migrants plus récents. On remarquera l’absence de la catégorie créole 10 dans les distinctions statutaires des recensements, malgré son importance dans la vie sociale et économique.
1842-1909, période intense d'immigration sous contrat
375 000
350 000
1833, abolition de l'esclavage, relayée
par des arrivées de travailleurs indiens
sous contrats
325 000
Population totale
300 000
275 000
Indo- mauriciens
250 000
effectifs
225 000
200 000
175 000
150 000
125 000
75 000
Apprentis
50 000
Esclaves
25 000
0
Population générale
Population totale
100 000
Blancs et libres
de couleur Indiens
Population libre de couleur
Européens et descendants
Etrangers
Sino-mauriciens
1765 1770 1775 1780 1785 1790 1795 1800 1805 1810 1815 1820 1825 1830 1835 1840 1845 1850 1855 1860 1865 1870 1875 1880 1885 1890 1895 1900 1905 1910 1915
années
Sources : Digest of Demographic Statistics 1994, Central Statistical Office, Republic of Mauritius, Vol. 10, September 1995. CSO 1956, Natality and Fertility in Mauritius 1825-1955.
FIGURE 3. DES ORIGINES A LA FIN DE LA PERIODE DE PEUPLEMENT DE L’ILE MAURICE :
LES DIFFERENCIATIONS STATUTAIRES DANS LES RECENSEMENTS
Les catégories statutaires de 1845 à 1910 sont bien différentes des catégories initiales de la colonisation française (avant 1810) distinguant la population blanche des
esclaves noirs (fig. 3). Elles effacent les différenciations socio-économiques qui ont
existé à partir de 1810, annulent les distinctions bien réelles Blanc/Mulâtre/Noir et
n’identifient plus les apprentis, seule catégorie professionnelle constituée en majorité d’Indiens, chrétiens pour la plupart, et de Créoles. Officiellement, le processus
d’émancipation de la population de couleur s’achève en 1833. La catégorie globalisante de « population générale » de cette époque assimile tous ceux – Blancs, de
couleur, et Indiens – qui partagent la même religion catholique. Elle a pour fonction
de présenter l’esclavage comme appartenant à un passé désormais révolu. Les distinctions principales établies stigmatiseront alors l’origine des travailleurs sous
contrat, Indiens et Chinois, ces derniers occupant la fonction de boutiquiers dans la
plantation, tandis que les commerçants musulmans, Indiens d’origine, n’apparaîtront
pas non plus comme une catégorie différente des Indiens. La « population générale »
10. À l’île Maurice, le terme « créole » désigne généralement les Mauriciens d’origine africaine ou
malgache, qui sont des Noirs de condition modeste. Le terme de mulâtre désigne les métis aux origines européennes attestées. Le terme « métis » n’est pas en usage. Quand on parle « d’élite
créole », il s’agit des mulâtres. Le terme de « gens de couleur » renvoie à la distinction qui a existé
à l’époque française d’une « population libre de couleur », et aux débuts de la colonisation anglaise : en 1830, cette catégorie a continué à exister. Elle a disparu au cours du recensement de
1837.
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CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
atteindra en 1835, après l’abolition officielle de l’esclavage, 100 000 personnes et
restera aux alentours de 120 000 personnes jusqu’en 1910. La population indomauricienne ne cessera de croître jusqu’à atteindre en 1900 plus de 250 000 personnes pour une population totale de 375 000. Les Sino-Mauriciens compteront toujours
un nombre inférieur à 5 000 personnes.
Comment expliquer les références à la religion et l’origine dans les recensements
pour caractériser la population mauricienne de 1962, à l’image des différences établies depuis les années 1845 (Christopher, 1992 : 57-64), au moment où la plantation sucrière allait connaître les développements en dents de scie des années de
« grands et petits morcellements » (Allen, 1982), d’innovation technologique et de
catastrophes naturelles à répétition ? La réponse se trouve dans l’examen des modes
sociaux de structuration du capital, du travail et du commerce dans la plantation sucrière, modes auxquels se rapportent chacune des trois grandes catégories de population générale, d’Indo-Mauriciens et de Sino-Mauriciens. Cette trilogie sociale distingue le patron mauricien d’origine française, le laboureur indien – dont on ne perçoit pas les différences originelles – et le boutiquier chinois.
L’enracinement au sol, qui s’est joué autour du moulin sucrier pour les Mauriciens français d’origine, blancs pour la plupart, s’identifie aux biens patrimoniaux
représentés par la cheminée de l’usine. Il ne s’agit pas d’un rapport de stricte propriété individuelle, mais d’un rapport collectif à la terre qui renforce les liens familiaux, les pérennise grâce à des stratégies d’alliances à taux élevé de stricte endogamie. Ces pratiques sociales se sont articulées aux aléas de l’accumulation sucrière et
à la concurrence qui s’accentuait dans les périodes de concentration des moulins tout
au long de l’industrialisation.
Face à cela, les camps 11 sucriers ont réuni dans la plantation les laboureurs sous
contrat, « Indentured labourer », organisés en « bandes » de travailleurs affectées à
un espace de culture. Les camps étaient situés dans l’espace clos des plantations et
l’organisation sociale des travailleurs se référait aux cultes kalimaïs, pratiqués en
dehors du camp, le plus souvent à la croisée des « routes de canne » intérieures qui
départageaient les bandes de travailleurs. L’unité résidentielle du camp était alors
composée de familles fédérées par le Sirdar 12, qui gérait la force de travail à partir
de liens sociaux élaborés sur place. Le système familial/ethnique de relations sociales né dans les camps a été le point de départ d’une stratification plus complexe, inspirée de l’organisation par castes et selon les régions d’origine en Inde. Les camps,
dont la permanence était fondée sur le contrôle direct de la force de travail, sont ainsi devenus l’analogue du moulin dans l’édification des liens socio-familiaux. Une
logique sociale familiale similaire régissait les biens patrimoniaux engagés dans
l’activité du moulin. Ce mode commun d’enracinement était occulté par la domination du capital sur le travail, mais il transparaissait au moment des crises sucrières et
dans les périodes de concentration. C’est pourquoi on peut parler d’une dialectique
des rapports de puissance et d’intérêt en jeu dans la production. Ils n’étaient pas ex11. Les camps se sont transformés en villages en suivant les mouvements de concentration des moulins
et les morcellements des terres, favorisant l’émergence d’une classe de petits planteurs.
12. Le Sirdar est une sorte de contremaître qui s’occupe de l’organisation du travail sur les champs de
canne dans les plantations sucrières. Il représentait l’échelon intermédiaire entre les cadres de
l’usine et les travailleurs indiens.
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SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
clusivement centrés sur les conditions de travail, mais portaient aussi sur la légitimation du droit du sol par la mise en valeur, légalisée à partir de 1948 13.
De la même façon, à la périphérie de ces rapports, se nouait une autre partition
fondée sur les besoins vivriers et de la consommation courante nécessaires à la plantation. Le boutiquier chinois a joué, dans sa boutique, ce rôle d’intermédiaire sur le
lieu de la plantation. La boutique, louée par la propriété sucrière, a été le support
d’une circulation des commis de boutique en boutique. Ces derniers ont ainsi créé
leur affaire, et fondé une famille en tirant partie des relations établies à l’occasion
des tournées des boutiques en vue d’un emploi : connaissance des fonds de commerce, des besoins de la clientèle et des liens sociaux disponibles pour faire des affaires. Les rapports familiaux qui se sont ainsi institués avaient pour référence le
clan dispersé dans l’île : Lee, Ng, Chan… La boutique était un lieu de centralité périphérique à l’organisation du clan, dont la « société » était établie dans la capitale,
Port-Louis, là où s’effectuaient les approvisionnements et se rencontraient les boutiquiers, échangeant les nouvelles avant de repartir.
Du moulin aux camps et à la boutique, l’enracinement n’est reconnu comme tel
qu’à partir du moment où s’instituent les liens sociaux familiaux avec leurs règles.
Ces rapports, qu’ils soient centralisés ou délocalisés, ont présidé à l’intégration sucrière où s’exerçaient des rapports d’exploitation et de domination. Il existait cependant des marges de liberté et d’autonomie pour les travailleurs sous contrat des plantations, dans les situations de crise de la production, d’approvisionnement insuffisant
en produits vivriers. La force de travail était indirectement contrôlée. C’est pourquoi
les rapports contractuels se sont ajustés à la logique des enracinements sociaux. Ils
se sont très tôt appliqués à l’enjeu communautaire dont ils étaient porteurs. Cela est
vrai des trois communautés, blanche, indienne et chinoise. La différenciation s’est
jouée sur le terrain séparé des sphères sociales d’appartenance parce que les rapports
de production dominants reposaient sur la valeur différentielle des exportations (le
sucre) et des importations (les produits vivriers) ; ils reposaient aussi sur la valeur
inégale du capital (patrimonial et financier) et du travail. Ainsi, la propriété privée
de la terre et son évaluation ont connu des fortunes diverses, et les mutations des terres des propriétés sucrières révèlent les changements significatifs des rapports entre
sucriers et planteurs.
Un certain nombre d’images ont été utilisées dans les entretiens effectués 14 pour
marquer la nature des nouveaux rapports engendrés par la longue période de concentration industrielle des années 1930 à 60 : « dégonfler l’usine », « cristalliser les
frontières » auxquelles répondent les termes de « balance » 15 et de « groupe » 16 uti13. La loi sur la prescription de 1948. Noter la concomitance de la réglementation foncière avec le dé-
but de la transition démographique.
14. Plusieurs entretiens ont été effectués, auprès d’informateurs différents – cadres sucriers, grands et
petits planteurs, commerçants. Ils ont porté sur l’évolution des rapports de production des sociétés
sucrières et de la plantation indépendante dans le cadre du programme « Migrations, commerce,
plantation » réalisé sous convention entre l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et
le Mahatma Gandhi Institute (MGI) de 1991 à 1996.
15. On notera que la plupart de ces termes effectivement utilisés dans les entretiens renvoient à des
formes productives qui lient l’activité de plantation à l’industrie de transformation sucrière. « Dégonfler une usine, c’est la mettre à plat, pouvoir entraîner sa faillite parce qu’elle ne tourne pas à
plein rendement ». « La balance » est le lieu où s’exerce le contrôle de la qualité de la canne à son
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CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
lisés pour désigner les rapports dominants dans l’espace sucrier. Et le terme de
« bande » caractérise autant un groupe de planteurs, très souvent apparentés, chargés
d’un espace de production, que des distinctions entre collatéraux formant un arbre
généalogique familial 17 de la communauté mauricienne d’origine française.
La distinction de l’origine dans les catégories censitaires symbolise la situation
contractuelle de l’immigrant indien, chinois dont les valeurs culturelles et religieuses
n’ont facilité l’enracinement que parce qu’elles modèlent les rapports sociaux, familiaux et ethniques. La religion chrétienne, prise comme caractéristique de la population générale sans distinction de l’origine, avait une fonction de valorisation de
l’assimilation 18 socioculturelle, condition de l’intégration. Cependant, le fonctionnement réel de l’économie et de la société de plantation fut tout autre. Il a produit,
en son sein, une forme commune d’enracinement, fondée sur les liens sociaux et familiaux durables, rendus possibles par la vie quotidienne dans les camps et par les
rapports de production établis. C’est ainsi que l’enjeu sucrier, même décrié, est devenu l’affaire de tout Mauricien et que la plantation indépendante a pu se développer
sur les terres marginales des sociétés sucrières ; c’est de la même manière que se
sont organisées les activités commerciales familiales et ethniques. L’articulation
plantation-commerce inhérente au développement sucrier a généré une forme
d’enracinement, mais c’est la puissance des réseaux, plus ou moins articulés, qui lie
intrinsèquement la mobilité à la résidence, dans l’espace public de la légitimation
des groupes sociaux ethniques et religieux.
1. 3. LES CARACTERISTIQUES ETHNIQUES DE L’EMIGRATION MAURICIENNE 19
Dans le processus de mobilisation économique générale des années d’immédiat
après-guerre préparant à l’indépendance, les différences d’origine – européenne,
africaine ou asiatique – ont eu tendance à se projeter dans l’espace international. La
répartition ethnique des Mauriciens 20 à destination des pays à plus fort taux
16.
17.
18.
19.
20.
arrivée, pour établir la valeur relative de son poids en sucre ; c’est aussi un terme métaphorique
symbolisant le juste milieu, l’équilibre des rapports dans une négociation. Ce terme est aussi utilisé
dans la pratique et la vie quotidienne des gens.
La notion de groupe a un contenu socio-familial et économique : tantôt le mot « groupe » est associé à la famille, qui détient la majorité des actions, tantôt ce terme est à prendre dans son sens large
et intègre les jeux de dominance/dépendance institués qui débordent le cadre social familial, les
subdivisions communautaires.
Nous reprendrons ce point important quand il s’agira d’interpréter les différenciations ethniques en
termes socioprofessionnels.
Cette fonction d’assimilation par la religion de groupes d’origines différentes autour d’un groupe
dominant a joué pour « la population générale » aux origines migratoires variées, mais aussi pour la
population indienne, qui regroupe sous le terme Hindou tous les migrants indiens des diverses régions du Sud autour du groupe dominant venu du Nord de l’Inde.
Par « émigrations officielles », on entend les départs déclarés de Mauriciens munis d’un contrat de
travail… et d’un visa d’immigration délivré par le pays d’accueil. A contrario, les « émigrations
non officielles » résultent de l’écart existant entre le solde total des départs et le solde officiel. Les
tableaux statistiques établis par Monique Dinan portent sur les années 1965 à 1985, et ceux
d’Isabelle Widmer sur les années 1965 à 1995. Tous les chiffres de Monique Dinan ont été vérifiés
et analysés.
Aucun traitement statistique des migrations en fonction de l’origine ethnique n’est possible, de la
même manière et pour les mêmes raisons politiques que, depuis 1983, les recensements
89
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
d’immigration a été renforcée par les politiques de fermeture des pays d’accueil à
l’immigration (Vuddamalay, 1992) 21. Le modèle de développement choisi par les
experts de la LSE 22 pour résoudre la situation de déséquilibre population/ressources
évoquée plus haut consistera à franchir une étape supplémentaire dans le développement capitaliste supposant une nouvelle assignation de la force de travail et la
démultiplication du modèle existant par la voie de l’extension des marchés et un recentrage des équilibres productifs. L’interprétation du système migratoire mauricien
doit tenir compte de la manière dont les différenciations internes se sont articulées
pour triompher des politiques externes mises en place pour limiter les migrations.
Les migrations dans l’espace régional : l’Australie et l’Afrique du Sud
L’Australie, qualifiée « d’eldorado pour audacieux », représente depuis toujours
une « terre promise » pour les familles mauriciennes. Les gisements d’or découverts
en 1850, l’apport technologique à l’industrie sucrière du Queensland, le développement des fermes d’élevage des années 1940, furent à l’origine d’installations durables de Mauriciens en Australie (Dinan 1985 : 120). Ce front pionnier d’émigration,
toujours d’actualité, enregistre un total de 13 351 émigrants officiels de 1961 à 1993
(tableau 2 en annexe), l’émigration non officielle (Dinan 1985 et Widmer, 1999),
négligeable jusqu’en 1974, restant toujours inférieure de près de 50% par rapport à
l’émigration officielle. La courbe d’émigration nette par année à destination de
l’Australie confirme ce résultat global. Elle est caractérisée par une seule courbe
d’émigration officielle au moment où l’on enregistre le plus fort taux d’émigration,
de 1964 à 1970 (Widmer 1999 : graphique 61). Le pic enregistré en 1968 au moment
de l’indépendance fait apparaître cette destination comme une alternative à l’Afrique
du Sud pour les créoles rejetés du fait du régime de ce pays.
L’Afrique du Sud se distingue de l’Australie par un taux important d’émigration
informelle dès 1960 dans une proportion approximative de 3 sur 4 en 1962. Principalement composée de Mauriciens d’origine française, cette émigration au caractère
informel marqué, sous évaluée dans les statistiques (tableau 2), augmente, en 1966,
au moment où les devises font l’objet d’une taxe de 15%, puis en 1968 lorsque leur
transfert est gelé pour cinq ans. Elle atteint alors son maximum (Widmer, 1999 :
graphique 59). Par la suite l’émigration officielle décroît jusqu’à être nulle en 1980,
tandis que l’émigration non officielle continue de croître jusqu’en 1993. Les taxes
sur les transferts passent de 26% en 1969 à 55% en 1981. Cette émigration coïncide
avec une mobilité des capitaux, elle est aussi liée à l’extension de l’économie sucrière en direction de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe (ex-Rhodésie).
Le caractère ethnique marqué de cette émigration, locale-régionale, composée
essentiellement de Mauriciens blancs et mulâtres, relève simultanément de la politique d’accueil des pays de destination et du modèle d’intégration socio-économique
dominant de cette longue période de préparation à l’indépendance. Le modèle de développement choisi passe d’une politique de substitution aux importations (décennie
1960) à une politique de diversification industrielle et de concentration du capital
n’enregistrent plus les différences communautaires. Les seuls critères retenus sont les différences
de langues et de religions.
21. L’auteur présente une carte de la distribution ethnique des migrations internationales mauriciennes.
22. London School of Economics de l’Université de Londres.
90
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
par association aux capitaux étrangers (décennies 70-80). Les mouvements migratoires asiatiques ne seront statistiquement observables qu’à partir des années 19851990, une fois le plein emploi réalisé. C’est aussi à cette époque que l’on assiste à un
changement de nature des migrations et que l’île Maurice entre de plein pied dans le
jeu de la « mondialisation ».
Les migrations dans l’espace européen : L’Angleterre et la France
La variation des flux migratoires dans l’espace européen – où ce sont la Grande
Bretagne et la France qui enregistrent les taux d’émigration les plus importants – est
liée à la fermeture progressive des frontières à l’immigration (tableau 2). Celle-ci
coïncide avec la politique de délocalisation industrielle, associant les capitaux étrangers et mauriciens au développement de la zone franche d’exportation industrielle
(EPZA) 23 (Hein 1996 : 25).
Ainsi, l’émigration nette totale vers l’Angleterre de 1958 à 1984 (Widmer,
1999 : graphique 60), enregistre les plus forts taux jusqu’en 1974 et l’émigration officielle présentera une allure générale décroissante, ponctuée de pics d’émigration en
1962, 1965, 1968 et 1979. À l’exception de 1965, les pics de décroissance par paliers correspondent aux mesures législatives, visant à limiter sélectivement l’immigration : selon le statut professionnel (1962), le sexe (1968) et l’âge (1979). Les taux
d’émigration officiels de l’Angleterre diminueront à partir de 1985 24, date à laquelle
la politique de délocalisation industrielle commence à produire des effets sur le plein
emploi.
L’émigration vers la France (Widmer, 1999 : graphique 62) réserve une place
plus grande à l’émigration non officielle de 1973 à 1982. Monique Dinan (1985 :
147-178) évoque la « saga des sans-papiers » et parle « d’immigration contrôlée,
mais pas arrêtée » (Lois Fontanet en 1974). L’émigration non officielle restera toujours nettement plus importante qu’en Angleterre, comme il apparaît sur le tableau 2,
qui totalise les proportions de départs officiels avant 1974 – respectivement 20%
pour la France et 60% pour l’Angleterre –, tandis que les départs non officiels représentent 61% des départs totaux à destination de l’Angleterre, et vont jusqu’à 70%
pour la France. On assiste, en revanche, à une rapide chute de l’émigration nette totale à partir de l’année 1974.
Ces résultats comparés révèlent l’efficacité globale du contrôle de l’immigration
par les pays d’accueil, mais ils marquent aussi la très forte propension à la mobilité
des Mauriciens, soumis aux contraintes du chômage (Hein 1996 :76). Les résultats
chiffrés de l’évolution comparée de l’émigration formelle et informelle donnent un
23. EPZA, « Export Processing Zone Act », le secteur privé industriel d’exportation, créé à l’initiative
du Professeur Meade et à la suite du rapport Tittmus (cf. bibliographie). Il s’agit d’un statut particulier qui voit le pays s’ouvrir à l’investissement étranger : congé fiscal (10 ans), tarifs préférentiels
pour la consommation d’énergie, exemptions douanières, facilités bancaires, « l’EPZA » a été signé
en 1970. De nombreuses industries textiles ont été créées en tous points de l’île, et les secteurs de
l’électronique, de la bijouterie et les industries touristiques se sont développés. Les investissements
étrangers et mauriciens sont à 50/50. Philippe Hein précisera que « l’économie sucrière a participé
pour une part importante aux capitaux investis dans la zone franche soit directement soit indirectement ».
24. Tableau 2. Les taux d’émigration officielle à destination de l’Angleterre passent de 1 513 de 1974 à
1983 à 890 de 1984 à 1993 et de 5 641 à 2 320 pour les chiffres d’émigration non officielle de.
91
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
net avantage à l’Angleterre sur la France dont les méthodes sélectives en vue de restreindre l’immigration, en 1979, ont eu une efficacité certaine, donnant un coup
d’arrêt à l’immigration qui ne reprend que faiblement, et sous une forme non officielle. L’Angleterre, « une fois le cordon ombilical coupé » (Dinan 1985 : 101), devient un pays-relais d’émigration pour les pays européens voisins dont la France 25,
puis le Canada, l’Australie et les États-Unis. Les pays comme la Belgique et l’Italie
principalement, la Suisse et l’Allemagne de l’Ouest secondairement, sont connus pour
être des étapes en vue d’une émigration dirigée vers l’Angleterre et la France 26.
La distribution des Mauriciens à destination de la France ou de l’Angleterre est
très représentative d’un effet de miroir des différenciations principales qui se sont
instituées dans les contextes coloniaux antérieurs quand « l’Île de France » est devenue l’Île Maurice et colonie britannique. Les premiers courants d’émigration, principalement indo-mauriciens en Angleterre et Créoles en France, sont le reflet de ces
différences instituées dans la société mauricienne par référence aux anciennes métropoles coloniales. Elles se sont projetées sur la scène internationale des échanges
et des délocalisations industrielles. C’est ainsi que l’Angleterre a accueilli, au départ,
pour une grande majorité, des Indo-Mauriciens 27, sujets britanniques. Certains sont
venus par le biais universitaire. D’autres, issus la plupart du temps de familles de
petits ou moyens fonctionnaires, ou fils de commerçants, possédaient des moyens
financiers suffisants pour le voyage et les besoins d’une première installation. Un
bon nombre de professionnels 28 se retrouvent dans les milieux hospitaliers ou dans
l’enseignement. La France a connu en 1970 des vagues d’émigration, composées de
créoles défavorisés, parfois aidés par la mission catholique, qui sont venus sans
« connaissance réelle des conditions d’accueil » (Dinan 1985 :152 et 155) 29. Ce
n’est qu’après la fermeture de l’immigration en Angleterre que les caractéristiques
sociales et économiques des Mauriciens immigrés en France se rapprocheront de
celles de l’Angleterre.
La politique de délocalisation industrielle qui prendra effet dans les années 1970
verra l’Île Maurice s’affirmer structurellement comme un pays du Nord tout en
s’instituant souverainement comme pays du Sud. C’est ainsi qu’on peut interpréter
l’importance prise par le thème de l’émigration qui sera au centre des débats idéologiques au moment de l’indépendance. Le plus fervent défenseur d’une politique
d’émigration comme solution au déséquilibre population/ressources (Dinan, 1985) 30
fut le leader PMSD 31 Gaétan Duval. L’émigration mauricienne rend ainsi compte
25. Notons que lorsque la politique d’immigration anglaise se révèle efficace en 1980, enregistrant une
baisse très nette des entrées, l’immigration clandestine augmente en France.
26. La circulation migratoire, dernière partie.
27. C’est la Communauté commerçante Tamoule qui, la première, et cela dès les années 1950-1960, a
28.
29.
30.
31.
fait le choix de la migration, afin de préserver la position sociale-économique qu’elle occupait jusque là mais qui se trouvait menacée. En effet, les emplois commerciaux ne pouvaient plus absorber
la demande d’emploi des parents et la fonction publique autrefois ouverte à cette communauté qui
parlait les langues internationales se refermait au moment de l’indépendance et de la montée en
puissance du pouvoir hindou.
Ingénieurs, professions libérales, artisans...
L’auteur parle de « désillusion » et des « difficultés de la régularisation ».
L’auteur note qu’en 1967, il y avait 20 000 chômeurs inscrits à Port-Louis.
Parti Mauricien Social Démocrate.
92
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
d’une différenciation sociale interne appuyée sur les différentes raciales et ethniques,
qui s’est accrue au moment de l’indépendance, à travers les mouvements politiques
et syndicaux, la concentration sucrière et la politique de substitution industrielle des
années 1960.
Il convient donc d’analyser maintenant le système de mobilité sociale par le fait
migratoire dans le contexte de la création d’une zone franche d’exportation industrielle. Quelles nouvelles différences sociales se sont mêlées aux distinctions statutaires déjà instituées dans l’espace de la légitimité constitutionnelle ? Quelle est la
base sociale des élites urbaines qui ont émergé depuis l’indépendance ? Et enfin,
quels ont été les changements fondamentaux du rapport capital-travail, lié au développement sucrier au moment où l’économie se diversifie ?
2. MIGRATIONS, PLANTATIONS ET STRATIFICATION SOCIALE
2. 1. LES DIFFERENCIATIONS SOCIALES ET PROFESSIONNELLES :
LE STATUT REEL DES ELITES URBAINES
Les tendances lourdes de l’émigration mauricienne marquent le statut particulier
de « périphérie centralisatrice » de l’île Maurice, qui s’est affirmé dans l’immédiat
après guerre 32, à travers les accords préférentiels du sucre 33. Grâce à ces accords,
l’industrie sucrière a pu étendre son influence sur les marchés locaux d’investissement d’Australie, d’Afrique du Sud, du Zimbabwe et en Tanzanie 34.
De cette époque de diversification du capital sucrier date la création de formes
associatives de type syndical qui organisent les rapports de production internes à
l’économie sucrière, mais aussi ceux des secteurs clefs de l’économie comme l’eau,
l’électricité, le transport et les services de douane. Après la création en 1920 du
Syndicat des sucres, organe central de gouvernement chargé de la commercialisation
du sucre et de la fixation des prix sur le marché intérieur, et la formation en 1930 du
Parti travailliste mauricien, les années 1937-38 seront marquées par le développement des principales institutions représentatives des planteurs et des sucriers, parmi
lesquelles les syndicats de planteurs, et les instances de contrôle des prix à la production, le « Control Board » et le « Arbitration and Control Board » en cas de litige
entre planteurs et sucriers.
Ce sera le « Mauritius Sugar Producer Association » (MSPA) qui sera l’organe
d’arbitrage de la concurrence interne entre sucriers et entre sucriers et planteurs, organe chargé de fixer le domaine d’exploitation des cannes de chaque usine, désormais rattachée à une Factory Area 35. Cette instance, placée au cœur du dispositif
32. Et à bien d’autres périodes de son histoire. En particulier, à l’époque du développement du capita-
lisme marchand, qui fut aussi celle des premières installations de Mauriciens, partis des villes des
côtes atlantiques et méditerranéennes pour s’installer dans les îles du Pacifique et de l’Océan Indien.
33. En 1945, le prix du sucre sera garanti par un certain quota.
34. Investissements qui ont commencé dans les années 1954. Par la suite, les accords de Lomé inscriront le marché sucrier mauricien dans un espace d’échanges préférentiels liés au marché européen
auxquels seront associés tous les pays producteurs de sucre de la zone Asie Pacifique « Pays
ACP ».
35. La Factory Area est une aire d’exploitation de la canne rattachée à une usine.
93
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
sucrier, a été un lieu d’intégration des principaux facteurs de production en vue de
les contrôler. Le capital foncier, industriel et la force de travail des planteurs indépendants ou sous contrat ont eu partie liée dans le processus des décisions prises au
Conseil d’Administration, où chaque partie était représentée, quand il fallait discuter
des modifications à apporter aux Factory Area au moment des concentrations sucrières 36.
Les dix-huit sociétés sucrières encore ouvertes en 1995, qui étaient nées des
concentrations, représentaient une étape de la transformation industrielle inachevée,
comme si l’équilibre, la « balance », le juste milieu, avaient fait office de valeur fixe,
au-delà de laquelle on ne tentait plus l’aventure. Les concentrations à venir, déjà
planifiées dans les années 1960, se firent à partir de 1995. Elles devaient réduire le
nombre des usines sucrières de dix-huit alors à neuf aujourd’hui.
Le rythme des transformations économiques tiendra compte des transformations
sociales et des capacités financières des groupes industriels existants, car toute nouvelle concentration met en œuvre des jeux de puissance et d’intérêts qui entraînent
avec eux des changements de statuts socio-économiques importants.
Le marché intérieur est régulé par l’action combinée du syndicat des sucres, qui
calcule les variations internes du prix en fonction de la valeur en sucre calculé par
tonnes de cannes durant toute la coupe et par l’obligation faite au producteur de porter ses cannes à l’usine dont il dépend dans la Factory Area. Le marché extérieur est
protégé depuis 1945, grâce à un prix garanti par un certain quota dans le cadre du
Commonwealth d’abord, dans le cadre européen, ensuite. Les régulations par le
marché ont ainsi facilité les investissements de l’industrie sucrière qui s’engagera
vers des activités de substitution à l’importation avant de s’ouvrir aux nouveaux
marchés et de s’associer aux capitaux étrangers.
Cette situation met en évidence l’importance – directe et indirecte (Hein, 1985 :
25) – du secteur sucrier dans le processus de diversification industrielle qui prend
effet dans la décade des années 1970-1980. Les enjeux capitalistes déjà présents
dans l’économie sucrière et les activités industrielles de substitution se sont naturellement transférés vers des activités de diversification commerciale, de transport pour
le tourisme et d’industrialisation pour le textile.
Ainsi, le secteur privé des EPZA n’est pas né de manière indépendante de l’économie sucrière, même si le modèle de développement, qui a prouvé son efficacité, a
été expérimenté dans le secteur de la bijouterie, indépendant de l’industrie sucrière,
et parfaitement adapté à la recherche de « bassins d’emploi » 37 où une main
d’œuvre peu qualifiée et moins chère était recherchée. Une fois démontrée l’efficacité de cette délocalisation industrielle sur l’emploi et les coûts de production, la législation fiscale et les facilités bancaires aidant, les groupes d’intérêts sucriers ont
36. Le changement des divisions entre espaces productifs rattachés aux usines sucrières – Factory Area
qui obligent les producteurs à faire rouler leur canne par l’usine de la FA dans lesquelles leur plantation se trouve – est une « affaire d’État » qui est instruite dans le cadre du Conseil d’Administration de MSPA où sont représentés tous les syndicats de planteurs et sucriers. C’est un organisme
para-public dont le président n’a pas de relation trop exclusive avec les parties engagées.
37. Entretien avec José Poncini sur l’histoire de la création des Zones Franches d’Exportation Industrielles.
94
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
été portés à se diversifier, et se sont mêlés aux anciennes maisons de commerce à
partir des années 1970.
C’est ainsi qu’on peut analyser les mécanismes d’intégration successifs de ces
grands groupes commerciaux et industriels que sont Rogers ou IBL, qui comptent à
eux seuls respectivement 110 et 80 filiales (Hein 1985 :41-53) 38. Ils révèlent
l’effacement progressif des grandes familles sucrières d’antan, leur transformation
en groupes d’intérêts financiers plus restreints et ils retracent la manière dont, en
1970, ces groupes financiers se sont associés à des groupes d’intérêts commerciaux
et industriels étrangers.
FIGURE 4 – STRATIFICATION SOCIOPROFESSIONNELLE DE L’ILE MAURICE
Source : Burton Benedict « Stratification in plural societies », American Anthropologist, N°64, 1962
Réciproquement, la recapitalisation des industries sucrières amorcée dans les années 1950-60 a entraîné le développement d’un secteur de PME, auquel ont pris part
les élites urbaines déjà en place. La base sociale des élites s’est élargie par le fait
combiné de l’indépendance et de la politique économique mise en place, favorisant
l’accès de couches sociales inférieures – autrefois rangées sous l’étiquette de petits
planteurs, commerçants, ouvriers – dont parle Burton Benedict en 1962. Cet auteur
présente un schéma de la stratification socioprofessionnelle « traditionnelle » qu’il
oppose à la nouvelle stratification en émergence dite « transitionnelle ». Cette transition qui marque les changements observés (fig. 4) amène l’auteur à considérer
comme acquis le fait que les grands groupes ethniques institués – Européens, Créoles, Chinois et Indiens – ont engendré leurs élites urbaines.
Dans son schéma, les principales différences ethniques sont reliées dans le modèle traditionnel aux distinctions hiérarchiques professionnelles : les directeurs sont
blancs, les créoles sont fonctionnaires ou cadres – « white collar » –, les Chinois
commerçants – « Traders » – et les Indiens travailleurs – « Laborers ».
Cette hiérarchisation ethnique et professionnelle ne rend pas suffisamment compte,
à notre avis, de la transformation sociale des temps qui ont préparé l’indépendance.
38. Parmi les soixante sociétés les plus importantes, on note en première ligne Rogers et IBL dont la
majorité des actions émanent des groupes d’intérêts sucriers, WEAL et Espitalier-Noêl pour le
premier et le Groupe Dalais pour le second. Les uns et les autres se sont orientés sur les marchés
locaux et le secteur de la zone franche.
95
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
La qualité de créole prend un sens négatif. Elle représente tous ceux qui ne sont ni
Blancs, ni Chinois, ni Indiens et le qualificatif « d’Européens » désigne les Mauriciens blancs. Les références de Burton Benedict sont marquées idéologiquement en
ce qu’elles renvoient au modèle de développement choisi par les experts de la London School of Economics (Meade 1961, Tittmus et Abel Smith, 1961). À cette époque, la période coloniale arrive à sa fin et l’espace des relations bilatérales s’ouvre à
l’Europe tandis que les vagues de migrations de l’élite créole, dite « gens de couleur », ont commencé à se diriger vers l’Australie, au même titre que les migrations
blanches en Afrique du Sud et au Zimbabwe (ex-Rhodésie).
Bien plus, les seules catégories professionnelles retenues par l’auteur se rattachent au monde urbain sans qu’elles soient liées, d’une quelconque manière, au
monde de la plantation. Cette absence de relation entre les deux mondes est particulièrement nette pour la catégorie des ouvriers qui n’est pas différenciée.
Pourtant, c’est en considérant l’importance de toutes les pratiques relatives à la
propriété foncière qui se réfèrent d’une légitimité historique d’enracinement et de
liens contractuels que l’on peut rendre compte de la formidable mutation sociale,
économique et politique qui a traversé le pays depuis l’indépendance, où le chômage
et les migrations semblent se répondre l’un à l’autre. La relation des différences ethniques avec les différences de statuts professionnels, pas plus que la stricte relation
migration/emploi, ne permettent d’atteindre les effets réellement structurants de la
mobilité sur le développement économique et social. Le thème idéologique central
des migrations au moment de l’indépendance souligne cet aspect structurel de la migration, inscrite dans l’histoire mauricienne dès les origines, et qui se réactive à chaque période de transformation des rapports de production. Un tel changement coïncide toujours avec un ajustement des marchés plus ou moins ouverts ou fermés qui
dessinent le nouveau positionnement du pays à l’extérieur.
2. 2. MIGRATIONS, COMMERCE, PLANTATION :
L’EMERGENCE D’UNE CLASSE MOYENNE URBAINE.
Les changements fondamentaux intervenus sur les nouveaux marchés ouverts à
l’investissement après 1970 ont déterminé d’autant plus étroitement la circulation
des hommes que les rapports de production issus de l’industrie sucrière ont changé.
Le déplacement de la force de travail autrefois enfermée dans l’activité productive
liée à l’économie sucrière donnera naissance à la multiplication d’activités productives et marchandes associées. Capital sucrier et capital domestique se restructurent,
renforçant la position des élites urbaines et favorisant l’émergence d’une classe
moyenne aux contours rendus flous par les différences ethniques. Ces dernières atténuent et occultent simultanément les différences de classe. La forte relation du
monde urbain avec le monde rural est maintenue. Elle caractérise les rapports du
gouvernement mauricien avec le pouvoir sucrier de la longue période de préparation
à l’indépendance jusque dans les années 1990 qui ouvre une nouvelle étape dans le
processus engagé de la mondialisation.
La plupart des auteurs qui publient sur l’île Maurice sont amenés à réfléchir sur
l’interaction des différences culturelles, raciales, religieuses et de classe, afin
d’expliciter les changements observés. Parmi eux, Brookfield (1958) occupe une po-
96
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
sition particulière. Le schéma de stratification sociale qu’il présente en 1958 39 marque le rôle central de la plantation dans la formation des élites sociales du monde
urbain (Fig. 5).
FIGURE 5 – STRATIFICATION SOCIOPROFESSIONNELLE DE LA POPULATION MAURICIENNE
Source : H.C. Brookfield, « Pluralism and Geography in Mauritius », Geographical Studies, Vol V, N° 1, 1958.
L’auteur indique l’existence d’une même position hégémonique des Mauriciens
d’origine française et anglaise qu’il ne relie au reste de la population qu’à travers la
relation privilégiée du monde blanc avec le monde de couleur.
Dans les strates inférieures, un premier groupe est dessiné autour de l’élite des
gens de couleur, intégrant la masse des Créoles, des Indiens chrétiens et les Chinois
faisant figure d’intermédiaires entre les Créoles et les gens de couleur, selon les mariages qu’ils ont contractés dans ces derniers groupes. Le second groupe, formé des
Hindous et des laboureurs musulmans, est rattaché à l’« élite Indienne », différente
du groupe des « hautes castes Hindoues ». Celles-ci sont rapprochées des deux groupes de commerçants déjà établis de longue date, « Gudjeratis » et « Musulmans », et
présentés comme ayant les mêmes caractéristiques de fermeture. À noter la liaison
39. Dix ans avant l’indépendance et seulement quatre ans avant les travaux de Burton Benedict.
97
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
faite entre « l’élite indienne » et celle de « haute caste », du fait des relations privilégiées entretenues entre ces deux groupes. Dans cette configuration générale, les
créoles, les Hindous et les laboureurs musulmans font partie des couches sociales
défavorisées.
Cette image différenciée de la société mauricienne, où les « gens de couleur »
désignent indifféremment les mulâtres et les créoles d’origine africaine ou malgache 40, et où les « Hindous de haute caste » sont comptés au rang des élites aux côtés
des bourgeoisies commerçantes, coïncide avec l’ordre colonial des années 1930 qui
a vu naître le Parti Travailliste avec les carrières prestigieuses de la fonction publique 41. On a vu aussi, très tôt, dans l’histoire sucrière, émerger une catégorie de
planteurs ayant occupé des fonctions de sirdars, de surveillants, expliquant la formation de l’élite de « haute caste ». Ce schéma, présenté en 1958, dix ans avant
l’indépendance, est daté, mais il peut aider à comprendre les changements plus récents.
Le domaine de la plantation, présent chez H. C. Brookfield, mais absent du
schéma précédent de Burton Benedict, est celui qui rend le mieux compte de l’aspect
dynamique des transformations sociales. La qualité de planteur ne se réduit pas au
fait d’être un gros ou un petit planteur, propriétaire ou métayer, elle renvoie à des
situations hétérogènes, de sorte que toutes les catégories professionnelles établies
par Burton Benedict y sont représentées : du « manager » au travailleur, et du fonctionnaire au commerçant.
Cette hétérogénéité révèle, bien sûr, les stratégies foncières variées dont la propriété de la terre est l’objet. Mais là n’est pas le plus important. La terre de plantation continue d’être le lieu social d’enracinement dont on attend toutes les protections et les garanties contre tous les déboires. Envers et contre tout, ce secteur est un
domaine privilégié de protection sociale, d’avantages non salariaux et de redistribution indirecte contre les risques naturels. Là se situe le niveau le plus essentiel de
l’intervention gouvernementale, la stabilité, mais aussi la dynamique sociale. On le
voit dans les morcellements, dans la possession des biens légalement acquis grâce à
la loi de prescription, dans les processus de concentration industrielle, comme dans
le développement récent des espaces résidentiels au détriment des terres de culture 42.
L’enjeu de distribution foncière est partout présent. Il est le nœud de la vie de
toutes les communautés. Il détermine les rapports de la sphère d’activité privée avec
la sphère publique : tout ce qui touche à la petite plantation et au métayage est de
l’ordre du politique. C’est ce qui ressort des entretiens obtenus à ce sujet : avoir qualité de planteur est synonyme de la possibilité d’exercer une influence politique
40. Le terme créole à l’île Maurice désigne généralement la catégorie de population, le plus souvent
défavorisée, assimilée à leurs origines noires, africaines ou malgaches. Le terme mulâtre désigne
l’élite urbaine, attestant d’une proximité sociale avec le monde blanc. Ils sont le plus souvent de
couleur claire, presque blancs. Les lois génétiques cassent ce type de distinction raciale et il n’est
pas rare de voir des familles de couleur présenter toutes les gradations plus ou moins claires et foncées.
41. Les élites urbaines hindoues ont été favorisées et portées à de hautes fonctions administratives et
politiques à travers l’alliance gouvernementale PTR/PMSD des débuts de l’indépendance.
42. Analyses de la genèse des morcellements et de la manière dont ils sont liés aux différentes phases
de la concentration sucrière, aux transformations sociales contemporaines : thèse en cours de Stéphanie Bordes.
98
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
grâce au contrôle d’un certain nombre de travailleurs ; cela signifie que l’on bénéficie d’une protection fiscale, d’avantages non salariaux et de subventions – comme la
prime de voyage, accordée tous les deux ans en fonction du salaire annuel des fonctionnaires, ou la possibilité d’acheter une voiture hors taxe tous les cinq ans pour les
planteurs. Parmi les 35 000 petits planteurs recensés, 30% seraient des fonctionnaires, localisés principalement dans le nord et le sud de l’île, là où ont émergé les
grands leaders de l’indépendance.
On est loin du stéréotype du petit planteur mauricien, petit planteur individuel,
n’exerçant qu’une seule activité, proche du « coolie » d’antan et dépourvu de liens
familiaux. La plantation a été le cadre d’élaboration, de structuration et de différenciation des liens sociaux et familiaux. Elle l’est toujours, et c’est à ce niveau que
l’on peut comprendre la transformation des liens personnels en liens politiques et
leurs rapports avec les changements économiques. Le secret de la permanence sociale et de la vitalité de l’économie, de la réussite des EPZA et des identités à faire
valoir dans le jeu constitutionnel et politique, tient à cette particularité mauricienne :
la transformation de l’histoire sucrière, coloniale par nature, en intérêt national. Un
tel changement du positionnement de l’industrie sucrière a instruit de nouveaux rapports privés /publics qui ont contribué à renforcer la place de la plantation dans le
développement du pays. Autour d’elle se nouent, tout à la fois, l’intégration familiale ethnique et les échanges interculturels et économiques. À côté des valeurs
d’enracinement se jouent des rapports contractuels nouveaux. Les liens personnels,
institués en chaîne dans les jeux associatifs partout présents, ont tendance à se généraliser, se transformant en rapports de pouvoir à travers les multiples instances de
négociation créées au coup par coup, c’est-à-dire chaque fois qu’une situation
contradictoire demande qu’elle soit débattue par les partenaires impliqués, en présence de l’État-arbitre et modérateur.
De cela il ressort que l’émergence des élites urbaines – qu’elles soient issues de
la plantation, du commerce ou des deux –, a entraîné la formation d’une classe
moyenne à travers le processus de l’indépendance (Smith Simmons, 1982) 43. Son
procès d’autonomisation est en rapport étroit avec les mouvements migratoires des
années 1985 à aujourd’hui.
2. 3. TRANSFORMATIONS SOCIALES ET MIGRATIONS.
Les données historiques de la différenciation sociale ont été soumises à de constantes évaluations par les recensements.
43. Ce processus de l’indépendance est à l’œuvre depuis les années 1930 qui ont vu la montée en puis-
sance du Parti travailliste, la création d’associations et de syndicats de travailleurs ainsi qu’un renouveau culturel autour de Basdeo Bissoondoyal. Les années 1938-1948 ont été le théâtre d’une réforme constitutionnelle, « prélude aux changements » qui marqueront l’Indépendance acquise en
1968. Le système communal est né de cette longue période de préparation à l’indépendance. Il a
pris forme entre 1948 et 1956. L’auteur analyse les multiples implications juridiques, religieuses,
culturelles et économiques du procès de l’indépendance. Le mode d’exposition choisi, à la fois générique et structural, permet de saisir les agencements qui ont présidé à l’émergence d’une classe
politique constituée avant l’indépendance qui se structurera ensuite.
99
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
Sources : Digest of Demographic Statistics 1994, Central Statistical Office, Republic of Mauritius, Vol. 10, September
1995. CSO 1956, Natality and Fretility in Mauritius 1825-1955.
Avant 1962, il est
probable que d'un
recensement à
l'autre les critères
utilisés pour le
classement de la
population en
communautés
varient.
1 050 000
1 000 000
950 000
900 000
850 000
800 000
750 000
Après 1962, pour
la première fois, il
est demandé à
chaque membre
du ménage de se
rattacher à une
communauté.
700 000
Effectifs
650 000
600 000
550 000
500 000
Hindous
450 000
Population totale
400 000
350 000
300 000
Indo-mauriciens
250 000
Population générale
200 000
150 000
Population générale
Musulmans
Aux recensements
de 1983 et 1990,
on ne trouve plus
de questions sur la
communauté,
mais il existe des
questions sur la
religion et la
langue.
Population totale
100 000
50 000
Esclaves
Libres de couleur
0
Sino-mauriciens
1760 1770 1780 1790 1800 1810 1820 1830 1840 1850 1860 1870 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990
Européens et descendants
Année du recensement
FIGURE 6. DIFFERENCIATIONS COMMUNAUTAIRES ET SOCIALES
C’est en 1962 qu’il a été demandé pour la première fois à chaque membre de
ménage de se rattacher à une communauté. Les Indo-Mauriciens forment désormais
une catégorie à part séparée des Hindous, et les Sino-Mauriciens restent en l’état,
tandis que la population générale, catégorie résiduelle, reste historiquement fondée
sur l’appartenance chrétienne (fig. 6). Dans le contexte d’extension générale des
marchés, ces différences ethniques se sont progressivement commuées en différences religieuses 44 qui deviennent les catégories les plus larges, chargées de représenter les grands équilibres de la nation mauricienne. En effet, en 1983 et 1990, le classement censitaire statutaire ne parle plus de communauté – entre temps Maurice aura
connu des luttes ethniques à Port-Louis 45 – mais de langue et de religion ; et ces différenciations auront pour effet de brouiller les catégories ethniques dont le poids
démographique différentiel interviendra de manière déterminante dans les jeux électoraux et les stratégies migratoires et professionnelles.
L’évolution du statut des langues parlées à domicile (fig. 7a) permet d’approcher
le poids démographique respectif des différences ethniques précédemment citées.
Les chiffres de 1962 distinguent les Marathis, Telegous et Tamouls des Hindous,
seuls à parler Hindi. À cette époque, le bojpuhri, qui, avec le créole, est une des
deux langues maternelles de Maurice, n’était pas encore répertorié parmi les langues
parlées à la maison, officiellement reconnues par le recensement. C’est pourquoi la
44. Les différences religieuses ont été le support des lignes de peuplement des îles et continents de
l’océan Indien occidental. Commerce et entreprenariat ont pris des formes diasporiques. Les îles de
la Réunion et de Maurice ont été un lieu privilégié d’extension et de connexion de ces anciens réseaux. Il y a aujourd’hui réactivation de liens sociaux familiaux dispersés dans les pays riverains de
l’océan Indien.
45. Les luttes ethniques de Port-Louis ont éclaté en 1967.
100
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
langue hindi totalise 30,4%. Ce taux se retrouve en 1983 si on associe hindi et bojpuhri, mais il baisse à moins de 20% en 1990, le hindi n’étant plus qu’à 1,3% et le
bojpuhri toujours assez élevé à 20,4%. Les taux portant sur le créole sont les plus
significatifs, à la fois par leur croissance constante et l’ampleur de cette croissance :
ils passent de 42,4% en 1962, à près de 54% en 1983 jusqu’à atteindre 60,5% en
1990. Les langues non écrites, parlées quotidiennement à la maison, bojpuhri et
créole réunis, totalisent 73% en 1983 et 79% en 1990. Par comparaison, les langues
internationales comme le Français et l’Anglais recueillent un très faible pourcentage ; il en est de même des langues originelles comme le marathi, le telegou, le tamoul... Même dans le cas de la langue tamoule qui caractérise l’identité ethnique des
Indiens du Sud par rapport aux Indiens du Nord « Hindi speaking », on passe de 2%
en 1962, à 3,7% en 1983 et on redescend à 0,7% en 1990.
Ces résultats attestent de l’importance accordée au pays natal, tandis que les langues originelles, en constante diminution, relèveraient de différenciations internes.
Les appartenances religieuses constituent la référence culturelle la plus stable (fig. 7b),
susceptible d’assurer les équilibres entre majorité/minorité sociales et leur utilisation
dans la vie politique et économique.
101
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
1962
Langues chinoises Marathe Telugu
1,1%
1,0%
2,0%
Tamoul
Anglais
2,6%
0,3%
Ourdou
6,0%
Autres et nd
6,4%
Créole
42,4%
Français
7,8%
Hindi
30,4 %
Tamoul
3,69%
Ourdou Telugu Marathe
2,44% 1,59% 1,28% Autres et nd
0,71%
1983
Langues chinoises
0,50%
Français
3,73%
Anglais
0,21%
Hindi
11,49%
Créole
53,98%
Bhojpuri
20,38%
Français
3,36%
Hindi
1,26%
Tamoul
0,78%
Marathe
0,74%
Ourdou
0,67%
Telugu
0,63%
1990
Langues chinoises
0,36%
Anglais
0,22%
Autres et nd
11,81%
Créole
60,46%
Bhojpuri
19,72%
FIGURE 7a – LA REFERENCE COMMUNAUTAIRE EN FONCTION DE LA LANGUE PARLEE A LA MAISON
RECENSEMENTS DE 1962, 1983, 1990.
Sources : Données de recensement, Office Central de la Statistique de Maurice
Notes :
— La rubrique « Autres et nd » regroupe : les combinaisons de langues, les langues peu fréquemment
citées et les non réponses.
— La modalité « langue Bhojpuri » apparaît pour la première fois au recensement de 1983.
102
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
Musulmans
16,19%
1962
Autres et non
Bouddistes et
déclarés
Chinois
0,20%
1,15%
Chrétiens au
sens large
33,63%
Hindous au
sens large
48,83%
Musulmans
16,56%
Autres et non
déclarés
0,44%
1983
Bouddistes et
Chinois
0,58%
Chrétiens au
sens large
30,03%
Hindous au
sens large
52,38%
Autres et non
déclarés
0,33%
1990
Bouddistes et
Chinois
0,35%
Musulmans
16,81%
Chrétiens au
sens large
30,19%
Hindous au
sens large
52,32%
FIGURE 7b – LA REFERENCE COMMUNAUTAIRE EN FONCTION DES RELIGIONS DECLAREES :
RECENSEMENTS DE 1962, 1983, 1990.
103
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
Ce classement par la religion – Bouddhistes, Chrétiens, Hindous, Musulmans –
comparé à celui des années 1845 – Chinois, Population Générale, Indo-mauriciens –
a servi de référence dans l’analyse des différenciations sociales observées en 1958
par Brookfield. Leur poids démographique est aussi consigné sur le tableau de présentation de la société mauricienne par cet auteur, du fait de leur importance dans la
vie politique. C’est finalement l’appartenance religieuse qui rejoint la réalité sociologique d’une bourgeoisie nationale au sein de laquelle se logent les distinctions statutaires, légitimées par le jeu constitutionnel, qui accorde une place au parlement au
« best loser », le meilleur perdant, si celui-ci représente un poids électoral au quota
minimum de 18% des voix 46.
Dans ces conditions, la présentation de la stratification sociale et des différences
économiques de la société contemporaine est un jeu d’approximation qui, pour être
utile, se doit de ne pas être caricatural au risque de surdéterminer les différences raciales ou ethniques engagées dans la société. Quant aux différences de classe, elles
ne se projettent jamais dans une configuration ethnique exclusive. Affirmer que les
premières migrations en direction des pays européens, de l’Australie et de l’Afrique
du Sud ont été soutenues pas les associations religieuses et culturelles ne signifie
nullement que les stratégies furent nécessairement collectives au sens large de ce
terme, ni que les plus démunis furent parmi les premiers Mauriciens à s’expatrier.
La figure 8, tirée d’une thèse récente sur la communauté franco-mauricienne (De
Gentile, 1997 : 201) 47, pose la question de l’élargissement de la classe moyenne,
considérée comme un indicateur de réussite économique pour les experts du développement et révélatrice de la transformation à l’œuvre depuis l’indépendance.
L’auteur met en évidence les différences raciales qui s’ordonnent sur une échelle
présentant les différences de classes. Elle oppose la société blanche et asiatique –
Indiens et Chinois réunis – en ce que celle-ci se répartit à tous les niveaux de
l’échelle sociale. N’ayant pas de différence raciale, les asiatiques sont supposés ne
pas avoir de différences internes analogues à la gradation de la couleur, figurée par
les rayures aux traits noirs accentués à gauche et atténués à droite pour différencier
les mulâtres des créoles noirs (fig. 8).
À cette méconnaissance du monde indien, cette caricature du monde créole et
blanc, s’ajoutent le fait que les distinctions de classes établies, outre qu’elles ne sont
pas quantifiées, se perdent devant la difficulté dans laquelle on se trouve de situer la
classe moyenne au regard de la classe supérieure et inférieure.
Le statut ambigu de la classe moyenne vis à vis des couches inférieures et supérieures réside principalement dans le fait qu’elle est, dans sa grande majorité, encore
incomplètement détachée du monde rural, comme nous l’avons vu plus haut. Elle est
46. Les minorités ethniques hindoues n’ont pas le quota suffisant pour bénéficier de cette mesure, à la
différence des Musulmans qui atteignent démographiquement le quota des 18%. C’est la raison
pour laquelle les Musulmans sont devenus une catégorie censitaire à part des Hindous.
47. Graphique intitulé « Le groupe Franco-mauricien dans la société mauricienne ». L’auteur discute
les catégories ethniques de Thomas Eriksen et présente un tableau de la répartition ethnique du personnel de direction dans l’industrie sucrière à partir de l’annuaire de l’industrie sucrière de l’île
Maurice de 1992-1993. Dire et montrer, preuves à l’appui, qu’il y a stratification ethnique dans la
hiérarchie sucrière ne démontre rien sur le plan du fonctionnement social réel de ces entreprises.
104
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
aussi composée de toutes les « communautés », y compris la communauté blanche –
bien que dans une moindre proportion.
Supérieure
Moyenne
Inférieure
- Franco-Mauriciens
- Créoles
- Sino-Mauriciens
- Indo-Mauriciens
FIGURE 8 – LA STRATIFICATION ETHNIQUE ET LES DIFFERENCES ECONOMIQUES DE LA SOCIETE
MAURICIENNE. (ASTRID DE GENTILE, 1996)
Les critères d’évaluation de la classe moyenne par référence à la stratification
professionnelle 48 ne sont pas évidents à établir du fait de la pluri-activité des Mauriciens qui associent, pour beaucoup, le salariat à d’autres activités privées afin
d’accroître leurs revenus. Nombreuses, aussi, sont les familles qui ont plusieurs
sources de revenus de nature différente. Ainsi, les distinctions professionnelles, pas
plus que le niveau des revenus salariaux individuels, ne sont suffisants pour établir
le niveau de la classe moyenne, supérieure ou inférieure, à l’égard des autres classes.
Les modalités diverses de paiement – à la tâche, à l’heure, à la journée, à la semaine
ou au mois – rendent encore plus difficile la clarification des critères devant servir à
évaluer l’importance numérique de cette classe moyenne. Les différences de revenus
devraient être rapportées à une évaluation à faire de la proportion des revenus non
salariaux qui s’ajoutent à des revenus fixes 49. La possession d’un compte d’épargne,
48. A l’Ile Maurice, le recensement de 1990 établit la répartition de la population active occupée selon
la profession : artisans, commerçants (20,1%), professions intermédiaires (5,7%), employés
(15,9%) – soit un total plus de 40% de la population – peuvent être assimilés à la classe moyenne,
supérieure ou inférieure si l’on introduit d’autres indicateurs économiques comme nous le proposons. À défaut d’une enquête nationale sur l’emploi à l’île Maurice, ces données restent floues.
Mais l’hypothèse de l’existence d’une grande proportion de la population, partageant des conditions
économiques similaires, assimilable à une classe moyenne qui pourrait intégrer 40% de la population, est vraisemblable.
49. Qu’ils soient le fait d’une initiative privée individuelle ou familiale, ou viennent de revenus liés à des
d’activités de plantation, ou de dividendes correspondant à la part de profit d’un héritage familial.
105
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
même faiblement approvisionné, au sein des familles est un autre critère d’appartenance à la classe moyenne 50.
Celle-ci, incomplètement séparée de la petite plantation dont elle est issue, partiellement dépendante d’une activité salariale, a franchi les barrières du marché national de l’emploi au même titre que l’investissement sucrier, ouvert dès 1950 à de
nouveaux marchés. Les candidats à l’émigration n’étaient ni les Mauriciens des couches sociales les plus modestes ni les plus protégés, ils appartenaient aux couches
intermédiaires de la société, exception faite des fonctionnaires à l’emploi salarial
garanti sur le long terme.
La partition sociale, qui s’est jouée depuis 1960, permet difficilement de distinguer, aujourd’hui, les résidants des non résidants. Un double jeu interne et externe a
été finalement profitable à l’équilibre recherché dans la stratégie des EPZA. Les
nouvelles relations privé/public qui se sont jouées au moment de l’indépendance ont
eu pour objet de lier étroitement la relation migration, emploi et investissement. De
cette manière les intérêts sucriers se sont transformés en intérêt national. C’est ce
dont témoignent l’importance relative de la petite plantation indépendante, la prévalence du salariat, de la location des terres sur le métayage, ou encore les investissements du secteur sucrier à 50% des investissements étrangers dans le secteur privé
de la zone franche.
Le déséquilibre population-ressources des années 1950 a évolué, les forces centripètes des migrations d’hier se métamorphosent en un mécanisme auto-centré, centrifuge de la configuration migratoire. La circulation migratoire prend réellement
forme depuis 1986, date à laquelle le chômage se résorbe et au moment où les marchés asiatiques s’ouvrent à l’Europe. L’île Maurice n’est plus un « bassin » d’emploi, c’est un espace de conquête des marchés périphériques. L’émigration mauricienne, après avoir eu des effets compensatoires des inégalités, dont témoigne
l’extension de la classe moyenne, prend une forme plus achevée. Elle s’apparente de
plus en plus à une circulation sociale, par laquelle l’espace insulaire mauricien tend
à devenir le lieu virtuel de la distribution des marchés et de la nouvelle division internationale du travail.
3. LA CIRCULATION MIGRATOIRE MAURICIENNE
« L’étoile et la clef », telles sont les métaphores de la dialectique du dedans et du
dehors qui émaille l’histoire de la nation mauricienne. Les timbres eux-mêmes, édités au moment de l’indépendance, rappellent cette construction en étoile qui institue
l’Ile Maurice et Port-Louis, sa capitale, l’étoile de la mer des Indes et la clef de la
distribution des marchés. L’oiseau, représenté sur le timbre édité en 1967, marque la
transition à l’indépendance et renvoie à la territorialité sans frontière de l’île. Le
poisson, édité en 1969, un an après l’indépendance, symbolise la territorialité
stricte 51 que confère la souveraineté nationale acquise (fig. 9). Sur ces deux timbres,
l’effigie de la Reine se situe en arrière-plan à droite. Avant l’indépendance, la reine
50. La MCB a une politique très favorable aux petits épargnants et leur nombre est important.
51. Le poisson renvoie au positionnement de l’île dans l’espace local et régional : elle s’est construite
sur la référence aux droits de la mer « pas géométriques » et à l’existence du lagon qui ouvre et limite la frontière géographique de l’île.
106
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
porte la couronne d’Angleterre et, en 1969, la couronne est absente du médaillon représentant sa majesté.
1895-97
1967
1969
FIGURE 9 – REPRESENTATIONS EMBLEMATIQUES DE L’ILE MAURICE.
Ces deux symboles, d’une territorialité sans frontière à une territorialité stricte,
sont les véritables emblèmes, renvoyant aux relations fondatrices de l’île. Edités en
1967 et en 1969, ces timbres symbolisent le processus de mise en place de l’indépendance par la couronne d’Angleterre. Les mêmes représentations sont présentes en
1895, où quatre symboles 52 se signifient mutuellement : d’une part le bateau et les
hommes, l’étoile et la clef d’autre part. L’étoile se rapporte à la navigation maritime,
comme la clef à la migration (les gens) et les réseaux marchands (le bateau) aux réseaux migratoires (les gens). Par leur liaison mutuelle, ces quatre symboles évoquent
une circulation sociale plus que des flux migratoires. Autrement dit, l’appartenance
nationale projette un positionnement de l’île dans l’économie-monde, établissant une
relation symétrique entre les hommes et les marchandises qui marquent le degré
d’ouverture et de fermeture sociales.
3. 1. LA SIGNIFICATION SOCIALE DE L’ECART DIFFERENTIEL DES EMIGRATIONS
OFFICIELLES ET INFORMELLES
Les caractéristiques principales de l’émigration mauricienne, outre la différenciation ethnique, sont marquées par le rapport de l’émigration informelle avec l’émigration officielle d’une part, et par l’importance relative des nouveaux marchés qui
déterminent les tendances lourdes des mouvements migratoires internationaux,
d’autre part.
Les contradictions de la société mauricienne, balançant de l’ouverture à la fermeture sociales, trouvent leurs logiques dans le processus d’émergence des élites urbaines et les rapports que les différents groupes ont conservé avec le monde de la plantation, dans le contexte d’ouverture de l’économie sucrière et de la diversification
industrielle. Les liens communautaires de type familial ethnique ou religieux ont été,
le plus souvent, maintenus. La chaîne sociale des relations entre migrants installés à
l’étranger et parents restés au pays natal a été d’autant moins coupée que ceux qui
ont fait le choix de la migration – frères sœurs, cousins, oncles ou neveux, fils ou
filles – sont restés associés financièrement à la mise en valeur des terres de plantation de canne ou des terres vivrières, exploitées en indivision quand leur famille en
52. Cette symbolique ne tient pas compte des significations particulières liées à l’histoire des blasons.
107
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
possédait. Il en fut de même des parents éloignés du pays natal, réalisant leur capital
au moment d’une concentration, propriétaires d’actions gérées pour partie en indivision toute la durée de vie du dernier parent vivant. Nombreux aussi sont ceux qui
sont partis dans l’espoir de créer quelque chose de nouveau, susceptible d’élargir le
champ d’action des affaires familiales auxquelles ils sont associés. Enfin, les jeunes
diplômés mauriciens, partis en Europe pour une formation supérieure, sont devenus
en l’espace de dix ans responsables politiques, hommes d’affaires, grands commerçants, ou se sont orientés dans le domaine des assurances, de la gestion
d’entreprises. D’autres ont choisi les professions libérales. Dans tous ces cas – qu’il
s’agisse de Mauriciens issus du monde de la plantation, du commerce, des affaires
ou de la classe politique en émergence – le choix de l’émigration a fait partie intégrante de la course en avant pour maximiser des avantages acquis, les accroître, les
stabiliser, quand il ne s’agit pas, plus simplement, de tenter l’aventure d’une émergence sociale irréalisable sur place. C’est pourquoi la société mauricienne a répondu,
au-delà de toute attente, à l’incitation au travail, quand les entreprises délocalisées
ont créé des emplois (De Gentile, 1997) 53. Elle a poursuivi son mouvement
d’émigration, en dépit de la fermeture à l’immigration des pays développés qui délocalisaient leurs unités de production à la recherche de « bassins d’emploi » 54. Ce
double mouvement – ouverture d’emploi à faible salaire sur place, et migrations de
travail, d’affaires, ou en vue d’obtenir un diplôme – auquel on a assisté, a été à
l’origine de l’émergence d’une classe moyenne urbaine, soutenue tant par les élites
constitutives des communautés d’appartenance ethnique 55 que par les nouvelles élites issues de l’indépendance, favorable à la majorité indienne.
L’écart différentiel de l’émigration formelle avec l’émigration informelle met en
évidence ce processus par lequel le capital sucrier s’est transformé en intérêt national avec l’accès à l’indépendance et le développement de la zone franche d’exportation industrielle. On constate, en effet, la poursuite des mouvements migratoires.
L’année 1974 marque le changement de la structure de l’émigration qui enregistre
une baisse considérable de l’émigration officielle tandis que l’émigration informelle
vient prendre le relais (Fig. 10). De 1964 à 1973 l’émigration officielle est la plus
forte et atteint un taux de 65,4% des émigrations nettes totales, et de 1974 à 1983, le
53. Les premières entreprises textiles ont été implantées au départ dans les grandes villes, mais elles se
sont progressivement étendues à tout le territoire. L’auteur présente la répartition des usines textiles
du groupe Floréal, créées par la société sucrière de Beauchamp et qui racheta les parts du groupe
Espitalier-Noêl en 1986. Ce groupe, « composé de 14 filiales et de 22 sites d’unités de production », est l’exemple type d’une intégration économique verticale et horizontale caractéristique du
secteur diversifié EPZA. L’auteur cite également la concentration usinière du groupe Thierry Lagesse « Textile Group ».
54. Les « bassins d’emploi » correspondent aux nouveaux marchés du travail où existe une main
d’œuvre nombreuse, non qualifiée et peu chère. Madagascar représente ce nouveau marché du travail, permettant une diminution importante des coûts de production. Dans le textile, actuellement,
existe une récente division du travail entre l’île Maurice et Madagascar. Le groupe Floreal Knitwear a délocalisé à Madagascar ses usines de production pour effectuer une partie des tâches de
confection, laissant aux usines mauriciennes le soin des finitions pour une production de qualité. De
la même façon, l’usine de filature Sonacotra située à Antsirabe à Madagascar est le premier fournisseur de tissus pour la confection mauricienne du groupe Floreal.
55. Voir ci-dessus la discussion portant sur les élites urbaines en référence aux tableaux de Burton Benedict et Brookkfield.
108
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
taux d’émigration informelle est supérieur à l’émigration officielle, enregistrant
80,6% des émigrations totales.
Deux ans plus tard, en 1985, cette tendance se renverse au profit de l’émigration
officielle et de l’arrivée de non-résidants. Cela coïncide avec une sensible diminution du nombre des demandeurs d’emploi. Après un pic de 75 000 chômeurs en
1983, leur nombre diminuera régulièrement jusqu’à se stabiliser à moins de 5 000 en
1997 pour se stabiliser ensuite à un niveau très bas, représentant moins de 2% de la
population active. Le chômage sera pratiquement résorbé en 1990 à la suite de la politique d’emploi menée par le gouvernement mauricien (Widmer, 1999) 56.
6 000
37 000 départs 1974-1983
31 500 départs 1964-1973
4 000
0
-2 000
Majorité des départs par
émigration officielle
(65,4 %)
1994
1993
1992
1991
1990
1989
1988
1987
1986
1985
1984
1983
1982
1981
1980
1979
1978
1977
1976
1975
1974
1973
1972
1971
1970
1969
1968
1967
1966
1965
1964
1963
1962
1961
Année
1960
Effectifs
2 000
Majorité des départs par
émigration non officielle
(80,6 %)
Total émigration nette de passagers
-4 000
Total départs officiels d'émigrants à long terme
Total émigration nette non officielle de passagers
-6 000
Sources : International Travel and Tourism Statistics, December 1984 and October 1995, Ministry of Economic Planning and Development, CSO. Annual Digest of Statistics
1995, July 1996, Ministry of Economic Planning and Development, CSO. Monique Dinan, Une île éclatée , 1985.
FIGURE 10 – EMIGRATION NETTE TOTALE,
DONT EMIGRATION OFFICIELLE ET EMIGRATION NON OFFICIELLE
L’extrême sensibilité du rythme de l’émigration officielle aux chiffres du chômage dès l’instant où ils enregistrent une diminution à partir des années 1980 57,
celle de l’émigration informelle face à la politique de fermeture à l’immigration des
pays d’accueil, sont les signes marquants d’une différenciation sociale interne à
l’œuvre dans la société mauricienne qui a joué en faveur de l’émigration.
C’est aussi le signe d’une relation positive, à double détente, établie avec le modèle de développement mis en place. Quand le plein emploi est réalisé, les inégalités
diminuent mais l’émigration informelle continue parce qu’elle représente un facteur
56. L’évolution annuelle du taux de chômage déclaré de 1983 à 1995 selon le sexe, chiffres actualisés.
Ces taux « ajustés » sont passés de plus de 19% pour les hommes comme pour les femmes en 1983
à 2% pour les femmes et 3% pour les hommes en 1990. L’auteur insiste sur le fait qu’il s’agit de
taux « ajustés » à partir d’enquêtes et d’enregistrements considérés comme plus fiables que les recensements de population.
57. Quand le chômage diminue l’émigration officielle augmente plus que l’émigration informelle.
109
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
essentiel de différenciation sociale et économique par rapport aux distinctions communautaires validées par la société locale. Et, inversement, quand l’émigration officielle reprend le pas sur l’émigration non officielle, c’est, en bonne hypothèse, parce
que les forces sociales et économiques d’intégration locale sont, à divers degrés,
plus satisfaites.
Ainsi les mécanismes de structuration de l’émigration mauricienne, en dehors de
toute politique migratoire réellement instituée, ont suivi les lignes de partage des différenciations sociales existantes, rendant compte de l’émergence d’une société urbaine en rapide recomposition par le fait combiné de l’accession à l’indépendance et
de la restructuration du capital national. Si la société mauricienne a projeté dans
l’espace international sa stratification coloniale passée par le choix préférentiel des
pays de destination, elle s’est simultanément recomposée en se structurant à l’image
d’un capitalisme triomphant qui s’est inséré dans les interstices des différences sociales utiles à son développement.
3. 2. L’EXTENSION GENERALE DES MARCHES ET LA CIRCULATION MIGRATOIRE
MAURICIENNE
À côté des relations dominantes Nord-Sud qui ont entraîné des migrations de
travail le plus souvent informelles s’est jouée une partition nationale qui a consolidé
la souveraineté de l’État mauricien indépendant. Avec la mise en place d’un secteur
industriel d’exportation, le pays s’est ouvert à des relations d’échanges et d’investissements, pouvant servir de base à la structuration régionale, où l’île Maurice retrouvait sa fonction prééminente de l’épopée pré-coloniale, lorsque fleurissait le commerce Inde-Inde reliant les pays riverains d’Afrique (du Sud et de l’Est), de l’Inde et
de l’Asie.
Les relations nouvelles entre systèmes productifs et systèmes marchands, qui se
sont instituées dans les sociétés sucrières et les nouvelles entreprises de la zone franche, ont eu, simultanément et indépendamment, un effet d’amplification des délocalisations industrielles qui a entraîné une diversification du commerce local, et
l’émergence de sociétés à caractère ethnique/familial, redéployées dans les pays européens et certains pays du Sud. C’est pourquoi il est très difficile de distinguer les
différents types de migrations selon qu’il s’agit de visiteurs pour raisons de vacances, d’affaires, de transit, de Mauriciens résidants ou installés à l’étranger, d’émigrants officiels avec visas ou contrats de travail. Cette superposition des motifs de
départs et d’arrivées explique l’apparente instabilité des « émigrations nettes totales
annuelles » enregistrées depuis 1985 (fig. 10). Elle peut être interprétée à travers la
distinction à faire entre les Mauriciens résidants et les non résidants de passage dans
l’île. La figure 11 totalise 39 929 départs de résidants – y compris les émigrants officiels – dont les destinations ne sont pas compensées par un retour en provenance du
même pays.
L’analyse globale du système migratoire n’est possible qu’en interprétant l’écart
existant entre les émigrations nettes persistantes de Mauriciens résidants au regard
de celles, apparemment contradictoires, de non-résidants. Une immigration récente
de plus de 31 000 personnes, de 1984 à 1993, est apparue, signe d’une inadaptation
structurelle du marché de l’emploi mauricien, qui a recours à une main d’œuvre
étrangère pour les emplois non qualifiés. Quant à la permanence d’un taux d’émi-
110
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
gration constant de Mauriciens, malgré le plein emploi, elle relève de l’existence de
stratégies de départ qui orientent les choix d’émigration vers des destinations de plus
en plus variées. Ainsi, depuis les années 1985, sont apparus des pays relais de
l’émigration qui s’imposent comme des destinations intermédiaires pour les retours, ou des étapes pour des départs plus ou moins longs et prolongés : l’Afrique du
Sud et l’île de la Réunion, l’Australie et Singapour sont des pays de stop over avant
le retour au pays natal ou en cas de départs en direction de l’Europe, du Canada ou
des États-Unis. Les tours du monde sont de nouveau au goût du jour. Qu’ils soient
organisés par l’Ouest – départs vers l’Europe, ou à travers un pays européen vers le
Canada et/ou les États-Unis – ou par l’Est, à travers Singapour, en direction de
l’Asie et des États-Unis, les motifs de tourisme, pèlerinage – La Mecque ou l’Inde –
et les voyages d’affaires sont assimilables. Ils sont là pour montrer que le voyage
n’est pas une rareté pour les Mauriciens de la plantation comme pour ceux de la
fonction publique 58.
Solde migratoire des non résidents
8 000
Solde migratoire passagers total
SM non résidents
1984-1993 :
+ 31 182
6 000
Solde migratoire des Mauriciens
résidents (y compris émigrants officiels)
Solde migratoire (Immigration - Emigration)
4 000
2 000
0
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
année
-2 000
SM des résidents
1984-1993 :
- 39 929
-4 000
-6 000
-8 000
Sources : CSO
FIGURE 11 – ILE MAURICE, 1984-1995 : EVOLUTION DU SOLDE MIGRATOIRE PASSAGERS
ET DISTINCTION ENTRE RESIDANTS ET NON RESIDANTS
Les tours du monde sont devenus accessibles à un nombre de plus en plus important de Mauriciens, tandis que les migrations de travail, par les réseaux officiels ou
informels, n’ont plus tout à fait la même signification qu’aux temps des premiers
« exodes », puisque les anciens foyers de peuplement des années 1970 constituent
des filières d’émigration à destinations inconnues au moment du départ qui varieront
au gré des rapprochements familiaux. Nous arrivons au stade de la reproduction des
filières de l’émigration par le jeu des générations. Ce qui compte désormais, c’est la
58. La circulation migratoire est notable autour des axes Australie-Asie, Afrique du Sud – Etats-Unis,
Grande-Bretagne – Canada. Ces espaces sont à corréler avec les zones de coopérations régionales.
111
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
possibilité du retour quand on arrive à l’âge de la retraite et celle d’une insertion durable à l’étranger. Pour cela, les relations avec le pays natal (l’île Maurice) doivent
être maintenues et s’élargir à des liens refondateurs à l’égard du pays d’origine (les
régions d’origine de l’Inde ou d’Asie) pour que puissent être instruites les différenciations utiles à l’insertion dans les milieux d’accueil. Cette importance du pays
d’origine à l’égard du pays natal dans l’expérience migrante n’est pas quantifiable,
mais elle permet de comprendre comment les migrations de travail peuvent, elles
aussi, donner naissance à de nouveaux espaces d’échanges 59 qui influent sur la
fonction intermédiaire d’utilité sociale du pays natal dans l’espace international.
C’est pourquoi la circulation migratoire caractéristique de l’île Maurice se joue toujours autour d’une relation, en général triangulaire, associant symboliquement 60
pays natal, pays d’accueil et pays d’origine. Et pourquoi les tours du monde ou les
pèlerinages ont une place si importante dans la vie de tout Mauricien résident,
comme de celui qui est installé à l’étranger. On circule de la même façon, à l’intérieur de l’île, à l’occasion d’événements familiaux, ou, à l’époque des grandes manifestations religieuses et culturelles, comme à l’extérieur de l’île : d’un lieu de résidence à l’autre, d’un campement à l’autre, d’un village à l’autre, comme d’un pays à
l’autre. La mobilité est un trait essentiel de la vie sociale et de l’intégration économique.
Cette circulation sociale peut se saisir statistiquement quand l’on compare les effectifs d’immigrés recensés dans les différents pays (Tableau 2, Colonne 8) aux statistiques d’émigration nette effectuées à partir des fiches d’embarquement au regard
des destinations déclarées (Tableau 2, colonne 6). Tantôt surestimés, tantôt sousestimés, les chiffres recensés, par rapport aux chiffres des départs – pays par pays –
font apparaître une série de décalages significatifs des trajectoires de voyage (Widmer,
1999) 61. Ainsi, l’Angleterre a un effectif de départs surestimés par rapport au recensement et le Canada a un effectif sous-estimé. Leurs écarts respectifs et la connaissance que l’on a de l’histoire de la migration mauricienne confirment qu’une partie
des départs à destination de l’Angleterre repart à destination du Canada. Le cas est
encore plus net dans les cas de l’Italie (effectifs de départs surestimés) et la France
(effectifs de départs sous-estimés) 62qui attestent du passage des Mauriciens de
l’Italie vers la France.
Dans ces circonstances, les motifs de migrations, sauf pour les émigrants officiels, sont de plus en plus difficiles à dissocier les uns des autres. Les départs pour
59. Le terme d’échange doit être pris au sens large d’échange de produits, de personnes et de biens
symboliques.
60. Cette triangulation symbolique a des conséquences sur la manière dont se construisent et
s’articulent les activités salariales, productives et la manière dont on passe du local au global.
61. La confrontation entre les résultats issus des fiches d’embarquement et ceux tirés des recensements
dans les pays d’accueil ne révèle pas qu’un problème général de mesure des flux migratoires entre
pays d’arrivée et pays de départ ; le sens des déséquilibres comptables et le poids comparé des décalages d’effectifs suivant les pays par exemple (Italie : fiches recensement ; France : recensement > fiches) confirment (pour le cas Mauricien) l’existence d’une circulation migratoire entre l’Italie et la
France déjà bien connue dans le cas d’autres populations ; le cas de la Belgique est similaire.
62. Comparaison de la colonne 6 du Tableau 2 par rapport à la colonne 8. Pour la Grande-Bretagne :
Effectifs de départ 26 271 par rapport aux effectifs recensés 23 450 = surestimés, par rapport au
Canada, sous-estimés : 3 254 par rapport à 5 305. Pour la France = sous-estimés, 20 137 par rapport 23 441, par rapport à l’Italie = sur-estimés, 6 918 par rapport à 3 212.
112
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
regroupements familiaux, pour des visites aux parents éloignés, pour des raisons de
commerce ou d’affaires, relèvent de stratégies sociales qui ont pour effet de replacer
les immigrés anciennement installés dans un pays d’accueil, dans un espace de socialisation, où le pays natal retrouve sa fonction de médiation pour le resserrement
de liens préférentiels. Cette relation intrinsèque du migrant installé avec le voyageur
mauricien résidant – parent plus ou moins éloigné ou ami – souligne le « rapport
dialectique qui a toujours existé entre îles et continents, empires continentauxempires océaniques » (Chazan-Gillig, 1996 : 40). La société mauricienne fonctionne
comme une totalité « diasporique » qui s’insère dans les cercles institués autour des
anciens espaces coloniaux anglais et français et se redéfinit « face à l’émergence
d’un anneau austral lié à la puissance maritime qui s’appuie sur l’Amérique du Sud,
l’Afrique du Sud et l’Australie » (Maestri, 1994 :118-119). Et tout se passe comme si
les candidats à l’émigration retrouvaient, par la voie « d’une histoire suspendue en
attente d’inscription dans le cours d’une histoire officielle » (Hovanessian, 1998 :
23), une affirmation collective des communautés d’origine. Elle relèverait d’une référence à l’Etat-nation sans frontière naturelle, le grand large étant le lieu privilégié
d’exercice de sa capacité médiatrice de fixation des jeux de dominance/dépendance.
3. 3. L’ILE MAURICE DANS L’ECONOMIE-MONDE
La société mauricienne a répondu au-delà de toute attente à l’incitation au travail. Si les effets d’inégalité ont été retardés par l’émigration, on sait aujourd’hui
que 1990 est l’année d’un changement de régime dans le processus de mondialisation. En devenant un pays d’émigration/immigration, l’île Maurice révèle son nouveau positionnement dans la division internationale du travail. La nouvelle donne
migratoire mauricienne traduit ainsi la rigidification du marché de l’emploi, qui entre dans une phase d’inadaptation structurelle – recherche de personnel qualifié à
l’extérieur pour les besoins des industries de haute technologie, arrivée de migrants,
par les circuits informels, pour des emplois non qualifiés à très bas salaires. Cependant, le statut de pays émergent de l’île Maurice continue de s’affirmer, par la modernité de son système bancaire, l’innovation, une dette extérieure de moins de 30%
du PNB 63, un changement de structure du PIB, une épargne intérieure qui se maintient à plus de 20% du PIB, et une distribution des revenus qui évolue dans un sens
moins inégalitaire, l’indice de Gini passant de 0,45 à 0,38 (Hein : 67). Ainsi peut-on
dire que le pays entre résolument dans la phase 2 de son développement, après
« l’imitation, l’industrialisation exportatrice, vient la période de l’innovation. …
Mais… la concurrence avec les pays développés se manifeste dès la phase 2 » (Nicolaï, 1998). Cette concurrence est manifeste, quand on compare les investissements
des pays européens du Nord avec ceux des pays du Sud de l’Est asiatique, associés
désormais aux capitaux mauriciens dans le développement de la zone franche (Hein,
1996 : 32) 64. Hong Kong et Taïwan occupent, à cet égard, les premier et deuxième
rangs avec 24,3% des investissements réalisés de 1985 à 1992 pour le premier, près
de 8% pour le second devant la France (8,9%) et le Royaume Uni (6,2%). Les investissements allemands tombent à 4,1% et « les principaux pays fournisseurs des im63. Philippe Hein estime cette dette comme étant bien en deçà des moyennes internationales
64. Tableau des Investissements étrangers dans la zone franche, par pays d’origine de 1985 à 1992.
Tableau 2.7
113
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
portations sont la France et l’Afrique du Sud, suivies du Japon, de la Grande Bretagne, de l’Allemagne, de Taïwan et des USA » (Hein : 70). Présents du côté des investissements, comme des importations, les pays émergents asiatiques ont tendance
à renforcer leurs complémentarités plus que leurs concurrences, tout en se positionnant dans l’espace des relations préférentielles des marchés protégés du Nord, du
textile en particulier. La complémentarité des marchés du textile et de l’électronique,
qui ont contribué à structurer le secteur de la zone franche mauricienne, s’accompagne aussi, d’un élargissement du marché sucrier, renforçant les complémentarités passées avec l’Afrique du Sud et l’Australie.
Le resserrement des marchés asiatiques dans l’espace des relations préférentielles des pays de domination maritime atlantique (Maestri : 146) 65 s’observe quand
on compare les départs annuels de Mauriciens résidants vers les sept principaux pays
de destination de 1984 à 1996.
18 000
France
Royaume-Uni
16 000
Inde
Afrique du Sud
14 000
Singapour
Effectifs
12 000
Australie
Hong - Kong
10 000
8 000
6 000
4 000
2 000
0
1984
Source : CSO
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
Année
FIGURE 12 – ILE MAURICE, 1984-1996 – DEPARTS DE MAURICIENS RESIDANTS CHAQUE ANNEE
SELON DESTINATION FINALE DECLAREE
(7 PAYS CORRESPONDANT A PLUS DE 3 000 DEPARTS PAR AN EN 1996, SAUF L’ILE DE LA REUNION)
La figure 12 présente trois séries de courbes aux profils similaires, par rapport
auxquelles la courbe d’évolution des départs en direction de Singapour est tout à fait
singulière et significative de cette relation complémentaire et antagonique des nouveaux marchés.
Les courbes de la France et du Royaume-Uni progressent plus lentement jusqu’en 1993, puis augmentent fortement, enregistrant le plus grand nombre de dé65. L’auteur présente la carte relative à la vision stratégique annulaire du monde qui témoigne de
l’émergence d’un anneau central développé au centre duquel se trouvent les îles Maurice et de la
Réunion.
114
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
parts. Face à cela, la croissance rapide de Singapour à partir de 1986 coïncide avec
l’ouverture des marchés européens aux produits asiatiques. Hong Kong, reconverti
du textile dans l’électronique depuis 1980, augmente ses investissements en direction de la zone franche de Maurice. Puis, quand le fléchissement de l’industrie textile se fait sentir à Maurice, les entreprises mauriciennes investissent dans l’électronique. La courbe de Singapour est le lieu d’expression de ces nouveaux rapports
Sud-Sud-Nord des marchés de capitaux et de marchandises ouverts à l’économie
mondiale. Car Singapour est la plaque tournante des circuits à destination de l’Inde,
de l’Asie, des États-Unis et de l’Europe par l’hémisphère Sud.
Cette situation signe l’intégration partielle des marchés asiatiques aux marchés
des pays du Nord. Singapour et l’Australie ont une fonction commune qui a pour
objet la stabilisation et la redistribution des nouveaux marchés. Le premier institue
la complémentarité dans l’espace maritime atlantique le plus large, le second a pour
effet de resserrer les complémentarités régionales qui se jouent depuis 1990 66. Car
la complémentarité des marchés asiatiques sur les marchés préférentiels des pays du
Nord s’accompagne de relations de concurrence.
Celle-ci est signifiée par l’indépendance notable des courbes d’évolution des départs à destination de l’Inde et l’Afrique du Sud qui ne sont nullement comparables
aux autres courbes. Elles progressent régulièrement et avec une accélération depuis
1990. Les chiffres de départ sont en augmentation constante. Ils sont passés de 4 000
départs pour les deux pays en 1990 à environ 10 000 en direction de l’Afrique du
Sud et près de 11 000 en direction de l’Inde en 1996.
Le nouvel espace économique qui se dessine depuis 1990 repose sur d’anciennes
complémentarités économiques locales relatives à tous les marchés. La variété et les
glissements conjoncturels des départs enregistrés vers les diverses destinations identifiées s’expliquent par la situation d’insularité où la mobilité des hommes anticipe,
suit ou accompagne les lignes de force d’intégration des marchés.
La vocation insulaire de l’île Maurice prend, ici, sa vraie grandeur. Elle trouve
en elle-même les limites du développement par l’équilibre difficile à maintenir entre
les tendances naturelles à l’extension d’un capitalisme qui ne connaît aucune frontière et la nécessité d’un développement auto-centré local. L’île Maurice d’aujourd’hui n’est-elle pas en situation de prendre une sorte de « revanche de l’insularité »
(Maestri, 1994 : 132) en transformant « l’ouverture commerciale des années 1970 en
instrument de modernisation » (Adda, 1998 : I/42) ? Les lignes de forces de
l’ancienne route océanique allant de l’Inde à l’Afrique en passant par les Mascareignes, qui se resserrent aujourd’hui, procèdent d’une politique d’ouverture internationale. Philippe Hein rappelle à cet effet que « l’île a adhéré dès son indépendance à
l’OUA, fut un membre fondateur de la Zone d’Échange Préférentiel en 1981
(ZEP) 67, est membre de la Commission de l’Océan Indien (1982) et a été admise
comme membre de la Communauté de l’Afrique Australe (SADC) ». Depuis 1993 a
été créé l’Indian Ocean Rim (IOR) (Hein : 17). L’organisation géopolitique des rapports passés, fondée sur une relation d’exclusivité des pays africains face à
66. La route océanique a été intégrée à l’époque précédant la partition coloniale de l’Océan Indien : le
commerce d’Inde en Inde a été réactivé entre 1870 et 1904, avant la colonisation de Madagascar.
67. Concernent les pays d’Afrique de l’Est et du Sud.
115
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
l’Europe 68, s’est transformée. L’île Maurice, éloignée des marchés mondiaux et
protégée par les marchés préférentiels 69, cherche et tend à devenir le lieu
d’articulation des marchés en direction des pays maritimes et continentaux de la
bordure atlantique, tout en se positionnant sur le front des nouveaux marchés africains. L’émergence de Maurice au rang des pays nouvellement industrialisés s’appuie
sur une intégration locale régionale, correspondant à la vision géostratégique annulaire du monde, « cet anneau austral développé » (Maestri : 146) 70.
CONCLUSION
L’île Maurice, en s’adossant à toutes les formes de l’investissement et de
l’échange marchand, est internationalement reconnue pour être devenue le « petit
dragon » de l’océan Indien : que ce pays aille d’anticipations en anticipations, ou
qu’il se replie avant de rebondir, son espace de référence est bien celui du marché
mondial aux relations économiques dominantes Nord/Sud et aux lignes de force à
anticiper ou suivre en direction de l’Inde, des pays d’Asie et de l’Afrique, tandis que
sa culture de référence plurielle est une valeur socialement utile à tout Mauricien
installé durablement à l’étranger. C’est pourquoi, naturellement, le Mauricien à
l’étranger se projette dans l’espace transnational et les flux migratoires ne peuvent
être analysés indépendamment de ce positionnement intermédiaire aux circulations
marchandes et aux investissements, lié à des espaces de production délocalisés qui
fonctionnent comme des lieux de multi-polarité des migrations préférentielles locales-régionales, au regard des migrations Sud/Nord.
Suzanne CHAZAN-GILLIG
IRD Montpellier
UMR 65-88 Migrinter
Université de Poitiers
Isabelle WIDMER
Université d’Aix en Provence 71
68. Edmond Maestri présente la carte du monde selon la vision géopolitique de Haushofer, Page 145.
69. Accords de Lomé et multi-fibres.
70. Carte de la « vision géostratégique annulaire du monde ». Carte de Maestri-C. Hilaret, Sources
Atlas stratégique de Challand et Rageau.
71. Isabelle Widmer est maître de Conférences à l’Université d’Aix-En-Provence. Suzanne Chazan-
Gillig est chargée de Recherches à l’IRD (ex-Orstom) à Montpellier.
116
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
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118
CIRCULATION MIGRATOIRE ET DÉLOCALISATIONS INDUSTRIELLES, ÎLE MAURICE
119
SUZANNE CHAZAN-GILLIG, ISABELLE WIDMER
120
TABLEAU 2 – DECOMPOSITION DE L’EMIGRATION NETTE MAURICIENNE SELON LES PERIODES,
LES PRINCIPAUX PAYS DE DESTINATION ET LE TYPE DE MIGRATION (OFFICIELLE OU NON),
COMPARAISON AVEC LES EFFECTIFS D’IMMIGRES MAURICIENS RECENSES DANS LES PAYS D’ACCUEIL
Pays de destina- Type de 1961-1963 1964-1973 1974-1983 1984-1993 Total
tion déclaré
départs
1961-1993
Afrique du Sud
Officiels
141
654
35
330
1160
Afrique du Sud
Non
officiels
?
94
789
-1250
-367
Afrique du Sud
Total
141
748
824
-920
793
%
Effectifs
recensés
4602
Année du % de dé- % émigration
recenseparts
ment
avant
non offi1974
cielle
(1991)
Estimation incorrecte car départs non officiels inconnus avant 1972 et très élevés ; perturbations depuis 1984 car Afrique du Sud escale fréquentée au retour
Grande-Bretagne
Officiels
Grande-Bretagne
Non
officiels
Grande-Bretagne
Total
1884
1884
5880
1513
890
10167
38,7
8143
5641
2320
16104
61,3
14023
7154
3210
26271
100,0
23450
(1991)
60 %
61 %
23441
(1990)
20 %
70 %
Estimation correcte, minimum certain
France
Officiels
France
Non
officiels
France
Total
Estimation correcte, minimum certain
54
54
2551
1470
1802
5877
29,2
1345
9745
3170
14260
70,8
3896
11215
4972
20137
100,0
Australie
Officiels
Australie
Non
officiels
Australie
Total
137
9452
658
3284
13531
64,4
85
2084
5310
7479
35,6
137
9537
2742
8594
21010
100,0
0
92
47
175
314
4,7
6
1875
4540
6421
95,3
98
1922
4715
6735
100,0
16888
(1991)
46 %
35 %
1,5 %
95 %
Estimation correcte, minimum certain
Allemagne
l’Ouest
de Officiels
Allemagne
l’Ouest
de
Non
officiels
Allemagne
l’Ouest
de
Total
0
Italie
Officiels
1
Italie
Non
officiels
Italie
Total
106
125
423
655
9,5
109
1764
4390
6263
90,5
1
215
1889
4813
6918
100,0
6
284
296
506
1092
33,5
27
865
1280
2172
66,5
311
1161
1786
3264
100,0
nd
3212
(1991)
3%
90 %
5305
(1991)
45 %
66 %
Italie, escale pour les Mauriciens
Canada
Officiels
Canada
Non
officiels
Canada
Total
6
Estimation presque correcte, immigration indirecte Maurice – Grande-Bretagne – Canada ?