02 La campagne 1939 -1940 La drôle de guerre

Transcription

02 La campagne 1939 -1940 La drôle de guerre
Chapitre 2/5
La « drôle de guerre ».
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Sommaire
Généralités.
Récits, souvenirs et témoignages.
De la mobilisation au 10 mai 1940.
Les tribulations d’un sous-officier lors de la mise sur pied du 22ème RIC à Toulon.
Le premier tué du 22ème RIC.
Un coup de main sur un poste de surveillance de la 5ème Cie.
Les groupes francs du 22ème RIC en action : sortie du 10 janvier 1940.
La vie quotidienne d’un homme de troupe du 3ème bataillon jusqu’au 10 mai 1940.
Comment informer sa famille de son lieu de stationnement.
Généralités
(Archives du 22ème RIC, Service historique de l’armée de terre [SHAT].Fonds 34 N 1074, dossier n°1).
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Après avoir été mobilisé et mis sur pied à Toulon, le 22ème RIC est transporté par train en Lorraine où il se met sans tarder, et pendant tout l’automne 1939,
à s’instruire et à s’entraîner sérieusement sous l’impulsion de son chef de corps bien épaulé par des cadres consciencieux, compétents et dynamiques. Le 12
décembre, il est dirigé en avant de la ligne Maginot. Il en est relevé en février pour être mis au repos en Haute-Saône.
Le 22ème RIC est rattaché à la 5ème division d’infanterie coloniale (DIC). Il est constitué par un petit noyau d’officiers et de sous-officiers
d’active en provenance du 4ème régiment de tirailleurs sénégalais (4ème RTS) et du 8ème RTS autour desquels sont venus s’adjoindre
60 officiers, 337 sous-officiers et 2671 hommes de troupe des réserves. Son chef de corps, le lieutenant-colonel Le Tacon, désigné
dès le temps de paix pour prendre le commandement de ce régiment de formation, en a minutieusement préparé la mise sur pied.
Dans le délai imparti le régiment est constitué. Il est enlevé le 8 et le 9 septembre 1939 et transféré par voie ferrée dans la région de
Metz où il débarque les 11 et 12 septembre.
Pendant deux mois, en Lorraine, puis dans la Meuse, il acquiert la cohésion qui lui manque. La discipline s’instaure. Des
exercices quotidiens, de plus en plus poussés, réveillent les réflexes qu’une instruction vieille de 15 ans avait créés. On s’initie au service
des armes nouvelles, aux procédés de combat nouveaux : de nombreux cadres de réserve et la troupe, qui n’avaient d’ailleurs fait qu’un an
de service (Loi de 1928) dix à quinze ans plus tôt,
ignoraient à peu près tout des armes collectives,
des canons et des mortiers (Archives du 22ème
RIC,
CR n°120/EM/22ème RIC du 4 octobre 1939, et exservice historique de l’armée de terre
[SHAT]).Fonds 34 N 1074, dossier n°2).. Les
malades et les inaptes, peu nombreux du reste,
sont éliminés. La confiance s’établit entre les
chefs et la troupe. Celle-ci n’a pas encore le
brillant d’une unité active, mais elle se
révèle rapidement résistante et résolue.
Au début de décembre, soit trois mois après sa
création, le régiment vit : un esprit de corps est
créé, le régiment a son hymne, son insigne. On y
trouve une musique, une troupe artistique, un
journal, une œuvre d’entraide dont les
ressources tirées de ces activités servent
intégralement à aider les familles dans le besoin.
Tout a été réalisé à l’initiative de son chef de
corps avec ses moyens propres.
Aussi est-ce une unité instruite, bien en main,
au moral élevé, qui, le 12 décembre, est dirigée
dans la région de Saint-Avold, en avant de la
ligne Maginot où elle va tenir le secteur.
Le 13 décembre, le 3ème bataillon occupe les
avant-postes du sous-secteur de Tetting. Les
deux autres bataillons vont relever des unités
des détachements de couverture aux lisières sud
de la forêt de la Warndt, dans la région de
Freyming, Merlebach et du bois de la Warndt ; la
ligne tenue est jalonnée par Carling, L’Hôpital,
Sainte-Fontaine, Merlebach où les unités se
relèvent à tour de rôle ; le PC du régiment est à
Folschviller, au sud de Saint-Avold. A compter de ce jour, et pendant deux mois, le régiment a, se relevant à tour de rôle, les deux tiers de
ses effectifs au contact de l’ennemi.
Le 18 décembre, au cours d’une patrouille dans le Doerenbach, une mine explose sous les pas du soldat Pracchia de la 6ème Cie. C’est
le premier mort du régiment.
Les principales armes du 22ème RIC
Fusil Lebel Mle 1889 mod.
Mitrailleuse Hotchkiss Mle 1914
FM 24-29
Mortier de 60mm Mle 1935
Canon de 25mm AC
Le 27 décembre, a lieu le premier accrochage avec l’ennemi. Dans le Doerenbach, en pleine forêt, un de nos petits postes de
surveillance est attaqué soudainement par une forte patrouille allemande. Surpris, les nôtres font néanmoins face et, avec l’aide d’un
petit poste voisin venu opportunément à la rescousse, repousse l’ennemi en lui infligeant des pertes. De notre côté, un homme a été
enlevé, un autre, le soldat Bersia, a pu se dégager.
Familiarisés maintenant avec un terrain particulièrement difficile, nos hommes vont maintenant prendre l’initiative des opérations.
Le 30, une de nos patrouilles rencontre une forte patrouille allemande, laquelle cède le terrain après quelques coups de feu. Au cours de
l’accrochage, le soldat Luongo, grièvement blessé au bras, donne un bel exemple de stoïcisme en tenant à rentrer dans les lignes par ses
propres moyens, après un pansement sommaire.
Le 5 janvier, nouvel engagement de patrouille en forêt.
Le 10 janvier, deux groupes francs, sous le commandement du lieutenant Daveaux, surprennent une forte patrouille allemande, lui
inflige des pertes et s’emparent d’un feldwebel blessé avant qu’il n’ait pu détruire les documents qui fournirent de précieux
renseignements. Au cours de cet engagement, le caporal Sabatier est grièvement blessé à la tête.
A partir de ce moment, nos groupes francs bien entraînés acquièrent dans le no man’s land une suprématie que les éléments ennemis ne
chercheront plus à leur enlever.
Pendant un mois, vingt-cinq reconnaissances de plus en plus audacieuses recueilleront les
renseignements nécessaires au commandement.
Le 6 février en particulier, une opération montée par le chef de corps, commandant alors le détachement
de couverture du secteur, amène nos groupes francs à pousser jusqu’à 4 km en avant de nos lignes,
dépassant les positions occupées par nos troupes au moment de l’avance générale du mois de septembre
1939.
Relevé les 12 et 13 février, après deux mois de vie en secteur, pendant la période la plus dure
d’un hiver exceptionnellement rigoureux, le régiment sort de cette épreuve aguerri et ayant
une pleine confiance en ses moyens qu’il a pu mesurer et qu’il sait puissants.
L’activité et le courage dont ont fait preuve cadres et troupes au cours de la période passée en secteur,
reçoivent à Morhange, le 16 février, leur récompense méritée. Au cours d’une prise d’armes, le général
Séchet remet, devant les drapeaux des trois régiments d’infanterie, les trente-sept citations obtenues par
la division. Sur ce nombre, vingt-trois citations sont attribuées au 22ème RIC :
A Morhange, le 16/02/1940, le
deux citations à l’ordre de l’armée,
drapeau du 22° RIC porté par le
sept citations à l’ordre de la division,
LT Pascal Laurenti
cinq citations à l’ordre de la brigade,
neuf citations à l’ordre du régiment.
A partir du 17 février, le régiment occupe des cantonnements de repos autour de Saulx et de Vesoul.
Colonel (ER) Philippe Blanchet (29/01/2015)
Récits, souvenirs et témoignages
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Succédant à l’historique succinct de cette période, les récits, les souvenirs et les témoignages ci-dessous tentent de faire revivre les événements marquant
du régiment au cours de la période considérée. Ils n’ont évidemment aucune prétention de vérité historique. Soixante ans sont passés. Ils n’expriment bien
sûr que la vérité de leurs auteurs mais ont toutefois le mérite de rendre l’ambiance de la vie de nos anciens durant cette période.
De la mobilisation au 10 mai1940
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Bien que présentant un caractère très personnel, ce témoignage du sous-lieutenant Rodolphe-André Benon dépeint bien l’atmosphère majoritaire du
peuple français et de nombreux régiments en automne 1939 ainsi que les difficultés auxquelles leurs encadrements eurent à faire face pour en faire des
unités opérationnelles.
Passant le mois d’août 1939 en congé, après avoir terminé ma première année d’élève-officier à Saint-Cyr, mes
vacances sont brutalement interrompues le 24 août par une lettre
de rappel m’invitant à rejoindre sans délai l’École.
Après l’annexion de l’Autriche, après les accords de Munich
l’année précédente, où il a vu chaque fois la France et
l’Angleterre s’incliner, Hitler se montre à nouveau menaçant. Il
s’agit cette fois-ci de la Pologne.
D’après certains journalistes d’alors :
« Au retour des accords de Munich, au Bourget, aéroport de Paris à
l’époque, M. E. Daladier, qui s’attendait à bien autre chose qu’à un
accueil triomphal, aurait marmonné entre ses dents en voyant la
foule qui l’acclamait lors de sa sortie de la carlingue : “Les cons” ».
L’opinion publique, quelque peu blasée, ne s’émeut guère en ce
R-A Benon
mois d’août qui voit bon nombre de Français, profitant des congés
payés octroyés trois ans plus tôt, se dorer au soleil sur les plages. L’habitude est
prise que, face aux visées expansionnistes de l’Allemagne vers l’Europe centrale, la
France et l’Angleterre n’émettent que des protestations de principe.
A l’égard de la Tchécoslovaquie, dont elle garantissait par traité les frontières, la
France a renié sa parole, ce qui n’a pas empêché Édouard Daladier, signataire des
accords de Munich, de recevoir à son retour en France une véritable ovation de la
part de la foule qui l’attendait à l’aéroport du Bourget.
Dans leur ensemble les Français ont poussé un lâche « ouf » de soulagement.
Dès lors pourquoi partirions-nous en guerre
« Mourir pour Dantzig ? », article célèbre de
pour la Pologne et le couloir de Dantzig ? Tel
Marcel Déat dans le journal « L’Œuvre »
est bien le sentiment dominant. En cette fin
août 1939, nul ne croit à la guerre. Aussi, lorsque les Français apprennent par la radio, par les journaux, que l’Angleterre et la France
ont déclaré la guerre à l’Allemagne, c’est la stupeur.
Les événements se précipitent. Connue fin août, la nouvelle stupéfiante du pacte germano-soviétique, qui prive la France d’un allié de
poids qui aurait obligé l’Allemagne à combattre sur deux fronts, fait l’effet d’un coup de poignard dans le dos. Dans la foulée, le parti
communiste fait savoir que cette guerre qui se prépare, qu’il qualifie de « guerre impérialiste », n’est pas la sienne. Devant le parlement,
Daladier, chef du gouvernement, en est réduit, pour obtenir le vote des crédits militaires, à dire que ce vote ne signifie pas la guerre ! …
Ainsi abordée dans la désunion politique et la confusion, sans préparation psychologique de la population susceptible de susciter un élan
national, dont la classe politique ne donne pas l’exemple, cette guerre ne pouvait être qu’un fiasco.
…
Le 22ème RIC quitte Toulon le 8 septembre. Il a été constitué en 6
jours. Tout est à faire pour qu’il devienne une unité combattante.
Le 11 septembre, après 77 heures de chemin de fer en wagons à
bestiaux portant la célèbre inscription « Hommes : 40 – Chevaux en
long : 8 », le régiment débarque en gare de Conflans-Jarny (Meurthe
et Moselle), après avoir suivi un bien curieux itinéraire de Toulon à
Marseille, Toulouse, Montauban, Brive-la-Gaillarde,
Vierzon, Juvisy-sur-Orge,
Troyes pour arriver à
Conflans-Jarny. Il fallait,
paraît-il, éviter la vallée du
Rhône, en raison des
risques d’attaques aériennes.
Pour
rejoindre
son
cantonnement à BouzonHommes 40, chevaux en long 8
ville, la CAB 1 doit
accomplir une marche de nuit de 8 km. Force est de constater que nos
réservistes de 30 ans, La majorité d’entre eux a entre 34 et 37 ans
(Archives du 22ème RIC, CR n°120/EM/22ème RIC du 4 octobre
1939,[Service historique de l’armée de terre (SHAT)].Fonds 34 N
1074, dossier n°2). sont dans une forme physique si médiocre que plus
de la moitié s’avère incapable d’accomplir une aussi modeste étape à
un rythme normal de marche.
Et pourtant, huit mois plus tard, le 22ème RIC se comportera vaillamment dans de durs combats sur la Somme, lors de contre-attaques
menées avec la 4ème division cuirassée de réserve (4ème DCR) pour réduire la tête de pont d’Abbeville, fin mai 1940, faisant les premiers
jours refluer les Allemands. Puis, lors de l’offensive des Panzers allemands à partir du 5 juin, il combattra en retraite en bon ordre,
malgré des pertes sévères, se battant le jour, ne décrochant que sur ordre, marchant la nuit, restant jusqu’à l’ordre de cessez-le-feu, le 12
juin, une unité combattante constituée.
Plusieurs facteurs ont contribué à rendre possible ce que l’on peut considérer comme une métamorphose.
D’abord, le « fond » est bon. Ces hommes que la mobilisation a arrachés à leurs foyers sont des hommes de bonne volonté qui, le premier
moment de désarroi passé, ne demandent qu’à être instruits et commandés pour bien se conduire au combat. Quelques-uns sont des
braves. Remarqués par leurs chefs, ils entraîneront les autres qui auront à cœur de dominer leur peur, sachant d’instinct que celle-ci est
contagieuse.
Le fait pour le régiment d’être, aussitôt constitué, transféré dans l’Est est tout à fait bénéfique pour la mise en condition morale de tous.
A Toulon, c’est l’arrière avec ses tentations, son cortège de faux bruits et de rumeurs incontrôlées. En Lorraine, terre d’invasion, la
population garde le souvenir des guerres de 1870-1871 et de 1914-1918. Elle est foncièrement patriote. Les soldats français, même si leur
présence est source de gène et de contraintes, sont accueillis comme les défenseurs du sol de la patrie. Le 22ème RIC, certes, n’est pas en
premières lignes, mais déjà les mesures de défense passive et de défense antiaérienne sont prises, les consignes de sécurité données. Il
règne ici une atmosphère de guerre. Le décor est planté, les acteurs s’apprêtent à répéter.
Le 22ème RIC, bien que régiment de réserve, se trouve par le plus grand des hasards doté d’un fort encadrement d’officiers et de sousofficiers d’active, dont le plus grand nombre se révélera de grande qualité, tant sur le
plan de la valeur morale, du courage physique que de la compétence militaire.
Les officiers et les sous-officiers de réserve vont, dans l’ensemble, bien s’intégrer. Ils ont
le même âge que les hommes dont ils partagent les soucis familiaux et professionnels.
Comprenant mieux l’état d’esprit de ceux-ci, ils vont contribuer à rendre plus humains
les rapports entre la troupe et l’encadrement, en évitant notamment que leurs
camarades d’active, se laissant emporter par leur professionnalisme, oublient que les
hommes qu’ils ont à instruire ne sont pas des recrues de 20 ans qu’il convient de
dresser, mais des hommes mûrs qu’il va falloir entraîner et conduire au combat.
A ce rassemblement hétéroclite d’hommes venus de toutes parts, le lieutenant-colonel
Le Tacon, qui commande le régiment aura l’immense mérite de lui donner une âme.
Issu du rang, le lieutenant-colonel Le Tacon se révélera un chef de corps alliant
expérience, caractère et compétence. D’aspect bourru, peu expansif, il était en réalité
profondément humain, soucieux d’éviter à ses hommes fatigue et dangers inutiles. Épris
d’efficacité, il sut faire d’un régiment de réservistes un régiment valeureux en
Le SL R-A Benon, au centre, et quelques-uns de ses hommes,
développant un esprit de corps basé sur les traditions des Troupes coloniales, en
de garde « DCA à Villotte sur Aire (près de Pierrefite sur Aire).
remettant notamment en mémoire les faits d’armes du régiment au cours de la première
guerre mondiale.
Cet esprit de corps s’est
perpétué chez les survivants
longtemps après la guerre. Et la
vaillance du 22ème RIC lors de
cette
guerre
vite
oubliée
demeurera à jamais inscrite en
lettres d’or sur les plis de son
drapeau. Au cours de la
campagne 1939-1940, seuls trois
régiments d’infanterie coloniale
peuvent s’honorer d’une telle
distinction.
Alors que tout le monde
s’attendait à ce que le haut
commandement déclenche les
hostilités pour prendre les
troupes allemandes sur deux
fronts,
pendant
qu’elles
attaquent
la
Pologne,
les
communiqués n’annoncent rien
de tel. Le gouvernement paraît
flotter et regretter l’audace qu’il
a eue de déclarer la guerre à
l’Allemagne.
Quant au commandement, il ne
prend pas d’initiatives, nous
expliquent les journaux, de peur
d’avoir à subir des représailles
de la part de l’ennemi ! …La
France abandonne lâchement la
Pologne qui se voit dépecée
entre l’Allemagne et l’URSS, et
disparaît de la carte en tant que
nation.
On s’installe dans la « drôle de guerre ». Le 22ème RIC est dispersé entre les villages de Bouzonville, Brainville, Hannonville, Mars-laTour, Vionville et Rezonville.
Le temps passant sans aucune opération sur le front français, l’idée se fait jour que l’Allemagne asphyxiée par le blocus allié verra son
armée immobilisée par manque de carburant et de caoutchouc ! …
L’armée française, l’arme au pied, s’ennuie. Nombre de mobilisés désœuvrés se demandent ce qu’ils font là et pensent qu’ils seraient
beaucoup plus utiles à leur travail dans leur famille … Pour les distraire, on crée le « théâtre aux armées ». Les grands noms du musichall, Maurice Chevalier, Édith Piaf, Joséphine Baker, Tino Rossi participent à ces tournées.
Le gouvernement découvre que les usines travaillant pour la défense nationale ont été désorganisées par une mobilisation faite sans
discernement. On rattrape cette erreur initiale par le jeu des rappels individuels du front vers l’arrière. Ce sont les « affectés spéciaux ».
Nombreuses sont les familles qui voient là le moyen de faire revenir un être cher et qui, dans ce but, font jouer leurs relations politiques.
Les « affectations spéciales » ainsi détournées de leur finalité prennent l’allure d’un traitement de faveur, pour ne pas dire de combines
qui sapent le moral de ceux qui restent aux armées.
Le parti communiste, qui a été interdit et dont les députés ont été internés, demeure actif dans la clandestinité. Le journal
« L’Humanité » polycopié continue d’être diffusé par les militants. On y invite les réservistes aux armées à la désertion et les ouvriers
dans les usines au sabotage des fabrications de guerre.
Radio-Stuttgart, où sévit le « traître Ferdonnet », est très écoutée car elle donne aux Français des informations qu’ils ne trouvent pas
dans leurs journaux, sinon avec beaucoup de retard. Un climat d’espionnite s’instaure qui répand dans le pays le mythe dangereux que
rien n’échappe à la « cinquième colonne ».
Les incohérences de la mobilisation, le retrait massif des affectés spéciaux, les troupes anglaises qui arrivent au compte-gouttes, le
manque d’initiatives sur le plan militaire donnent aux soldats du front le sentiment que leur sort est entre les mains d’un pouvoir
politique faible et d’un commandement militaire pusillanime qui, ensemble, ne maîtrisent pas la situation. La censure qui s’exerce aussi
sur la correspondance fait ressortir que le sentiment dominant chez les réservistes mobilisés est la résignation : ils feront leur devoir.
Au 22ème RIC, on ne connaît ni l’oisiveté, ni le théâtre aux armées. Priorité est donnée à l’entraînement physique et l’instruction
militaire : marches de jour, marches de nuit, exercices sur le terrain, cours d’armement et exercices de tir se succèdent. Changements
fréquents de cantonnement, à pied (Voir carte ci-dessus les différentes implantations du PC du régiment ….)Rien de tel pour « évacuer »
les idées noires, les hommes s’y prêtent volontiers, car ils comprennent que ce qu’on leur enseigne leur sera bientôt utile.
Au bout de trois mois, lorsque le 22ème RIC est désigné pour tenir les avant-postes devant la « Ligne Maginot », dans la forêt de la
Warndt, c’est un régiment déjà passablement entraîné qui monte en ligne.
Toutefois, une lacune grave se révélera par la suite. La campagne de Pologne était riche d’enseignements sur la tactique de la « guerreéclair » pratiquée par l’armée allemande à partir de l’effet de rupture obtenu par l’attaque sur un front étroit, de 2 à 4 km, d’un corps
blindé regroupant deux divisions blindées et une division motorisée, appuyées par l’aviation d’assaut à base des fameux « Stukas ». De
tout cela rien n’a filtré pour l’instruction de la troupe à l’échelon régimentaire dans l’armée française. Aucune note n’a été transmise par
le haut commandement. Aucune parade n’a été étudiée, aucune instruction donnée. Les rapports fournis par le « deuxième bureau » au
général Gamelin dès fin septembre étaient pourtant précis. Il n’empêche que, pour tous les combattants alliés sur le front ouest, le 10 mai
et les jours suivants, les méthodes employées par les Allemands feront l’effet d’une révélation, comme si la guerre de Pologne n’avait pas
eu lieu.
Capitaine (H) Rodolphe-André Benon
Les tribulations d’un sous-officier
lors de la mise sur pieds du 22ème RIC à Toulon
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Engagé à 18 ans au 8ème RTS en octobre 1937, j’étais toujours présent à ce corps en août 1939. Plus pour longtemps
d’ailleurs : nommé sergent le 1er avril 1939, je devais figurer au tour de départ pour l’outremer. Je savais
officieusement que j’irais en Syrie. Je ne me doutais pas que ce beau plan de début de carrière allait tomber à l’eau.
Au début de la deuxième quinzaine d’août 1939, je fus désigné avec un groupe de sénégalais pour assurer la garde
d’une installation de projecteurs de DCA sur le mont Faron. Au bout de dix jours, complètement coupé du monde
extérieur, je redescendis sur Toulon.
En arrivant à la caserne, je reçus un véritable choc : elle était déserte. J’appris que le régiment était parti d’urgence,
depuis plusieurs jours, pour la frontière italienne, dans la région de Menton.
R. Gaydon
Je me demandais comment rejoindre ma compagnie quand, nouvelle surprise désagréable, je fus prévenu que je ne
ème
resterais pas au 8 RTS et qu’en cas de mobilisation, je serais affecté au noyau actif d’un régiment de réserviste, le 22ème RIC.
A la mobilisation, les réservistes affluaient à l’école de Saint-Jean du Var, où se formait le 2ème bataillon du 22ème RIC. J’y fus affecté à la
1ère section de la 6ème Cie en qualité de sous-officier adjoint d’une section de combat.
Le recrutement était à base de méditerranéens mais avec une assez forte proportion d’Ardéchois, Lyonnais, Dauphinois et Savoyards. Il y
avait même quelques Parisiens. L’origine rurale de la plupart donnait une population saine, robuste, aux nerfs solides et habituée aux
durs travaux. La moyenne d’âge de la troupe avoisinait les trente-cinq ans, ce qui m’inquiéta un peu au départ. Je me demandais si, avec
mes vingt ans et trois mois, je serais pris au sérieux !
Le chef de bataillon était le commandant Lacroix. Son adjoint, capitaine-adjudant-major, le capitaine André, était dans le civil
Monseigneur André, coadjuteur de l’évêque d’Aix-en-Provence. Ces deux hommes, d’apparence aussi sévère l’un que l’autre, se révélèrent
très humains et formèrent une remarquable équipe de patrons.
Les deux officiers de réserve, capitaine et lieutenant, présents au début de la formation de la compagnie furent mutés très vite en raison
de leur âge. Peu après notre arrivée dans l’est, le commandant de compagnie fut remplacé par le lieutenant Roybon.
Mon chef de section, le lieutenant Girard ne put rejoindre immédiatement et, à son arrivée, me laissa carte blanche pour la vie courante
et l’instruction de la section.
Nos trois chefs de groupe de combat étaient très différents les uns des autres. L’un était cadre moyen d’une banque de Monaco, très
méditerranéen d’apparence physique, il était très courtois, discret et sut toujours parfaitement s’entendre avec les hommes et avec moi.
Le second, le grand Burnet, savoyard, chauffeur de taxi à Paris, était sec, solide et énergique. Il se révéla homme d’action. Le troisième
était un homme de la terre, à peu près de ma taille, épais et massif, lent de gestes et de paroles. Très réfléchi, il se montra toujours de
bon conseil.
Cette période de mobilisation m’a laissé un souvenir cauchemardesque. Nous étions deux sous-officiers d’active à la compagnie, un
adjudant et moi. L’adjudant était chef de la section de commandement et adjudant de compagnie. Il se rabattit évidemment sur moi pour
toutes les corvées et services à assurer. Les perceptions de matériel se faisaient avec des carrioles à chevaux, réquisitionnées avec leurs
conducteurs, au centre de mobilisation distant de quelques kilomètres. Les équipes de réservistes nécessaires à la manutention étaient
difficiles à désigner, à réunir et à diriger, surtout lorsque l’on est incapable de mettre un nom sur un visage et que l’on est soi-même
inconnu des hommes. Je n’avais pas un instant pour me détendre, je ratais souvent les repas et mes nuits étaient très courtes et
bouleversées, car des réservistes arrivaient parfois en pleine nuit.
Je me souviens qu’un jour, épuisé et excédé, je décidai d’aller passer une nuit dans mon ancienne chambre de la caserne Grignan à
Toulon. Après une heure de marche, je trouvais la porte close ; Je réussis tout de même à entrer, je ne sais comment, mais la pièce était
nue, sans literie. Trop fatigué pour repartir, découragé, je me suis allongé par terre pour savourer quelques heures de calme solitude et
de silence ô combien reposantes.
Avec ce tourbillon d’activités, je négligeais ma section. Je m’aperçus, le matin du jour où la compagnie au complet devait être pour la
première fois présentée au capitaine, que mes hommes étaient toujours en civil, bien que tous les effets et tous les équipements
nécessaires fussent rassemblés dans une salle vide du cantonnement.
« La moutarde me monta au nez ».
Sous je ne sais plus quel prétexte, certainement le paiement d’une indemnité, je réussis à réunir tout le monde dans la salle en question,
puis je fermai la porte à clef et, par la fenêtre ouverte mais munie de solides barreaux, je tins ce discours : « Voici la clef de la porte. Je
n’ouvrirai que lorsque je vous verrai tous en tenue, les sacs faits ». Une heure plus tard environ, je pouvais rassembler la section dans la
cour, lui faire exécuter quelques mouvements d’ordre serré, en demandant chaque fois un peu plus d’énergie et d’ensemble. A mon grand
bonheur et à mon grand soulagement, la section réagit très bien. A partir de ce moment, les sergents de réserve s’occupèrent de leur
groupe et la préparation au départ se fit sans difficulté majeure.
Le 8 septembre nous quittions Toulon en train pour une destination inconnue.
Colonel (ER) Roger Gaydon.
Le premier tué du 22ème RIC
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Le 18 décembre 1939, par une froide journée, le groupe franc du 2ème bataillon du 22ème RIC (PS 2), commandé par le lieutenant Verdun et
composé d’une douzaine de sous-officiers et de marsouins, se trouve cantonné dans une maison forestière au-dessus de Saint-Avold, à
quelques pas de la frontière allemande. Ce jour-là les ordres sont d’aller faire une patrouille de reconnaissance dans la forêt de la Warndt
afin d’y déceler les éventuels postes de combat ou de surveillance ennemis.
La patrouille quitte la maison forestière en début de matinée, traverse le Merle sur une passerelle de fortune, se dirige vers le village de
l’Hôpital, puis bifurque à un passage à niveau pour s’enfoncer dans la forêt.
Selon les ordres, chaque homme progresse lentement, l’œil aux aguets, par petits bonds en utilisant au maximum l’abri des arbres pour
échapper aux vues.
Une heure après, ayant accompli notre mission, le lieutenant donne le signal du retour.
Nous nous mettons donc en route, en colonne, plus confiants qu’à l’aller car nous n’avions rien vu.
Tout à coup, une violente explosion nous cloue au sol. D’instinct, je me jette à terre ou plutôt dans la neige. La plupart d’entre nous fait
de même. L’explosion reste isolée, il ne peut donc s’agir d’artillerie ou de mortier. Quelques instants après, je relève la tête et je vois le
lieutenant Verdun qui nous fait signe de nous rapprocher de lui.
Il nous explique que quelqu’un a du déclencher une mine. Nous nous rendons compte alors que Wittenkamp, dit Lapébie, qui marchait
non loin de moi, a tout le bas de sa capote brûlé et déchiré et que, moi-même, je suis tout recouvert de terre. Puis nous nous apercevons
qu’un homme du GF manque, le soldat Pracchia. Nous le cherchons et, sur le lieu de l’explosion, nous trouvons son buste, cisaillé à la
taille, sans tête et sans bras. On retrouve la tête plus loin, le casque bizarrement enfoncé jusqu’aux yeux. Ses jambes et ses bras ainsi que
ses cartouchières sont accrochées dans les arbres à une quinzaine de mètres.
Très touchés et très tristes, nous ramassons ses restes que nous transportons dans une toile de tente au PC du bataillon.
C’était le 18 décembre 1939. Pracchia était le premier tué du régiment.
Caporal Cabut, du GF 2 du 22ème RIC .
Un coup de main sur un poste de surveillance de la 5ème Cie
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Nous sommes le 27 décembre 1939, les postes de surveillance (PS) ont été mis en place avant le lever du jour dans le Doerenbach, un
terrain très boisé en pente vers nos lignes au Nord desquelles il se trouve. Ils sont disposés sur 500 m environ au sud de la borne
frontière 31 face au nord-nord-ouest. Le centre du dispositif se situe approximativement en 428850-263050.
Vers 08H15, le marsouin Kléber Bersia, tireur au fusil-mitrailleur du groupe du caporal Bourdanove qui tient le PS central, le PS 2,
aperçoit venant vers lui une quinzaine d’Allemands. Son FM 24-29 s’enraye. Il essaye une autre boîte-chargeur : rien. Une autre encore,
toujours rien. Au cinquième essai, toujours infructueux, la cuisse fracturée par une balle et blessé à deux autres endroits, il se traîne en
arrière sans lâcher son arme. Mais il est rejoint par les ennemis qui l’emmènent avec eux.
Le guetteur le plus à gauche du PS aurait été le seul à pouvoir donner efficacement l’alerte contre ces ennemis. Malheureusement,
lorsqu’il appuie sur la détente, rien ne se passe, la cartouche n’est pas percutée. Il convient d’ailleurs de noter qu’il en est de même pour
d’autres fusils et que le groupe Bourdanove est contraint de combattre en retraite d’une dizaine de mètres.
Au poste de gauche, le PS 3, le tireur au FM, le marsouin Damanio, voit de son emplacement de batterie un rassemblement ennemi. Il se
porte en avant pour avoir un meilleur champ de tir et ouvre un feu nourri sur les Allemands. Il raconte : « J’ai d’abord aperçu un groupe
Carte « Boulay » (Tirage 1938)
ème
1/12500
ème
1/50000
Calque exécuté par le chef de bataillon Leroy,
ème
commandant le 2 bataillon
D’après le compte rendu du lieutenant MitauxMaurouard de la 5ème Cie et le rapport du chef de
bataillon Lacroix, commandant le 2ème bataillon
(Archives du 22ème RIC [Service historique de l’armée de
terre (SHAT)]. Fonds 34 N 1074, dossier n°7).
d’une quinzaine d’hommes. Après avoir été certain qu’il s’agissait de l’ennemi, je me suis couché, j’ai pointé l’arme au milieu du groupe
mais je voyais mal, je me suis avancé d’une vingtaine de mètres pour mieux assurer mon tir et, après avoir bien arrangé ma béquille, j’ai
ouvert le feu par petites rafales au milieu du groupe qui était arrêté. Ensuite, étant protégé par mon chargeur qui a ouvert le feu avec son
fusil, je me suis légèrement reculé pour me mettre un peu mieux à l’abri et j’ai continué de tirer en direction des Allemands qui criaient.
Mon chargeur étant un peu loin, j’ai approvisionné moi-même mon FM. J’ai tiré en tout huit chargeurs ».
Les Allemands, qui se sont regroupés au fond du ravin en entraînant Bersia, sont surpris par le tir bien ajusté de Damanio. Ils se
dispersent et abandonnent Bersia qui est « récupéré » par le sergent Milan et le marsouin Soprani, tous deux du groupe franc du
2ème bataillon (GF 2) qui a été alerté.
Le sergent-chef Nallet, qui commande à droite le PS 1, repère des éléments ennemis qui longent la frontière d’est en ouest en venant de
la direction de la borne frontière 31. Son FM les prend à parti, lui-même abat d’un seul coup de fusil un tireur ennemi qui, ne se doutant
pas de présence, se montre à lui de profil. Les camarades de l’ennemi abattu, en se repliant dans le thalweg orienté nord-est sud-ouest
dont la tête est à moins de 100 m de la borne frontière 31, l’emporte en le traînant par le ceinturon.
Le dispositif allemand semble avoir été le suivant :
− un échelon faisant le coup de main par le ravin et se repliant par le même chemin, ce qui permettait aux « mitraillettes » placées
en surplomb de protéger le repli, le décrochage s’est fait très rapidement ;
− un échelon de diversion (voir calque), on a trouvé deux emplacements de mitraillettes avec 200 étuis environ à chacun de ces
emplacements.
Il est évident que les Allemands connaissaient parfaitement le terrain.
A l’issue de ce coup de main, nous avons perdu un FM, celui de Bersia, avec le chargeur qui était dessus, ainsi qu’un des membres du
PS 2, disparu avec son fusil, ses munitions de dotation et quatre chargeurs de FM.
Lieutenant Mitaux-Maurouard de la 5ème Cie
Les groupes francs du 22e RIC en action. Sortie du 10 janvier 1940
______________________________________________
François Daveaux
À la suite du coup de main allemand sur l'avant-poste tenu par le Lt Jacquot de la 10ème Cie et sur le
2ème bataillon, puis de nos rencontres des 30 décembre et 5 janvier au Katzenweg, nous conclûmes que le secteur
était parcouru quotidiennement par des patrouilles ennemies, mais qu'il n'existait pas d'organisation permanente
à proximité de nos avant-postes
Les avant-postes ennemis se trouvaient peut-être alors sur la route Lauterbach-Karlsbrunn. C'est pourquoi il fut
décidé d'en faire une reconnaissance approfondie qui fit l'objet d'une préparation minutieuse. Cette opération
devait comprendre deux phases : d'abord un ratissage du terrain très boisé compris entre Sainte-Fontaine et cette
route, puis des pointes poussées sur les différents itinéraires qui rayonnaient de la cote 308 [tout ceci est en
Allemagne].Le lieutenant Rosa, commandant le groupe franc (GF) du 3ème bataillon, et moi montâmes donc
soigneusement notre affaire sur la carte au 1/10000ème qui était excellente.
Nous décidâmes de partir dans l’après-midi ;
Midi : rassemblement. Tout est minutieusement
expliqué aux hommes : but de la reconnaissance,
mission des GF, formation, liaisons, conduite à tenir en
cas de rencontre, etc.
Le capitaine A. Martin, commandant la 1ère Cie, se joint
à nous pour recevoir son baptême du feu.
Nous traversons nos avant-postes et pénétrons dans la
forêt. Soleil éclatant, ciel bleu, neige immaculée, l’on se
croirait en vacances, partant pour une promenade…
Toutefois, le passage de la frontière ne se fait pas sans
un léger serrement de cœur. Nous voici livrés à nousmêmes, éloignés de tout soutien sur une profondeur de
plus de 2 km, le terrain nous est inconnu et cette
satanée neige qui craque sous nos pas !
Enfin, nous ne sommes guère plus d’une trentaine en
tout … Mais, bientôt, cette appréhension se dissipe et
l'intérêt de la progression retient toute notre attention.
En forêt, il ne s'agit pas de se perdre.
Tandis que le GF3 se place en arrière-garde, le GF1
prend, en silence, la formation en triangle, pointe en
avant, avec deux éclaireurs en tête, assez loin en avant
pour éviter les surprises. Tous les commandements se
font au geste. La dispersion des hommes sur le terrain
me paraît très satisfaisante : nous sommes parés pour
une rencontre.
Tout à coup, surprise : on voit apparaître des fils
télégraphiques couverts de neige qui scintillent au
soleil : une coupure parmi les bois. Je me concerte avec
Martin. Ce doit être la route. Émotion ! Voilà la
fameuse route dont on parle tant. Que cache-t-elle ?
Pendant que le GF3 de Rosa prend position dans le
fossé le long de la route, je répartis la reconnaissance
des routes entre les 3 escouades du GF1, partant moi-
même, accompagné de Martin, avec celle qui va reconnaître la route de Lauterbach. La neige, sur toute la largeur de la route, porte
d'innombrables empreintes de pas, mais aucune trace de camions.
Nous marchons sur la droite de la route, dans les broussailles, rencontrant çà et là des traces d'organisation, sans doute les vestiges de
l'avance de septembre. Soudain deux Allemands, l'un derrière l'autre, surgissent à un coude de la route, sur le bord opposé, dans le fossé,
venant à notre rencontre, l'arme à la bretelle. Ils ne nous ont pas vus.
Je commande demi-tour de manière à tendre une souricière à l'emplacement, plus favorable, de notre première position. À toute vitesse,
nous rejoignons le GF3 et nous postons en bordure de la route. Mes autres escouades sont également rentrées.
Le premier éclaireur, atteint dès les premières balles, tombe dans le fossé. Ce sera pendant une demi-heure une fusillade ininterrompue.
Malgré les tirs provenant des deux côtés de la route, l'escouade Borgigaz la traverse et s'approche du blessé allemand. Le Caporal
Sabattier est, à ce moment, atteint d'une balle dans la tête. Aidé par deux hommes, je vais le chercher et nous le ramenons à l'intérieur
du dispositif. Le soldat Renouf, le fusil-mitrailleur (FM) sous le bras, debout au milieu de la route, tient en respect les patrouilleurs
ennemis. Sa capote sera percée de part en part. Pendant ce temps, Borgigaz, Morice et Martenot réussissent malgré sa résistance à
s'emparer de l’Allemand et Martin, un genou en terre, ajuste posément quelques Allemands, couchés dans le bois, qui tirent sans arrêt
pour essayer de dégager leur camarade. Les traces de sang nous prouveront le lendemain que la rencontre a dû coûter cher à la patrouille
adverse.
Satisfait du résultat, je commande le repli, assez délicat, car les Allemands se rapprochent et tirent toujours. Quelques bonnes rafales de
FM nous permettent de nous dégager et nous nous replions sans nouvelles pertes. Le prisonnier, transporté dans une toile de tente, est
très lourd et saigne abondamment. Il faut se relayer fréquemment. Notre prise est intéressante. C'est un feldwebel (Adjudant) qui
commandait une patrouille de 30 hommes. Il porte une carte assez bien renseignée et différents documents. Son fusil est un Mauser
fabriqué en Tchécoslovaquie. Il meurt en arrivant aux avant-postes après avoir prononcé quelques paroles, entre autres "Heil Hitler".
Une fois de plus, la reconnaissance nous avait prouvé qu'aucune organisation permanente ennemie n'existait dans notre secteur, mais
qu'il était parcouru par des patrouilles nombreuses et fréquentes.
Jusqu'à la fin de notre séjour en Lorraine, nous ne fîmes plus aucune rencontre.
Lieutenant François Daveaux, commandant le GF 1 .
La vie quotidienne d’un homme de troupe
du 3ème bataillon jusqu’au 10 mai 1940
_________________________________________
Le 2 septembre 1939, dès la mobilisation, conformément aux prescriptions inscrites dans mon livret fascicule, je pars « immédiatement et
sans délai ».
J’arrive à l’école des garçons de Claret à Toulon. Je suis incorporé comme caporal d’ordinaire à la 9ème Cie du 22ème RIC. Après six jours de
préparatifs, nous prenons le train ...
Après trois jours et quatre nuits, nous en débarquons à Conflans-Jarny dans le département de Meurthe et Moselle.
Dès la descente du train, nous rejoignons à pied un village qui s’appelle Brainville. Le lendemain matin, nous
repartons toujours à pied pour une étape de 20 km qui nous mène à Hannonville. Nous nous y installons Le soir,
brusquement, nous repartons sous la pluie. Après une dure étape de 23 km, à cause surtout de la pluie, nous
arrivons le matin à Hageville. Après une semaine dans la boue de ce village, nous revenons, toujours à pied, à
Hannonville. Nous y restons un mois.
Un soir, nouveau départ. Nous faisons 30 km dans la nuit pour arriver à Xammes, tout près de ThiaucourtRégnieville.
Six jours plus tard, nous repartons pour deux étapes de nuit d’environ 30 km chacune, qui, effectuées sous une pluie
battante, nous mènent à Chaillon et à Nicey-sur-Aire dans la Meuse. Nous y sommes restés un mois et demi. Il a
Charles Arata
fait assez froid et il a plu tous les jours. J’allais régulièrement au village voisin de Villotte-sur-Aire pour assurer le
ravitaillement de la compagnie (voir carte dans article ci-dessus du Cne R-A Benon).
Le 29 novembre, je pars en permission. Après être passé au centre de rassemblement de Vitry-le-François, j’arrive à Toulon le
1er décembre, soit trois jours après ...
Le 12 décembre, je reprends le train. J’ai de la peine à retrouver le 22ème RIC qui n’est plus là où je l’ai quitté.
Après être descendu à Revigny-sur-Ornain et dans bien d’autres gares, j’échoue au centre de rassemblement de Bricon ( ?) (Haute Marne)
où j’apprends qu’il est monté en ligne. Je reprends le train pour Faulquemont d’où, après être passé à Saint-Avold, je rejoins en camion
ma compagnie qui est sur la frontière. (Voir carte dans paragraphe ci-dessus « Généralités »)
Je m’installe à Hombourg-Haut d’où je ravitaille les hommes de la compagnie qui sont aux avant-postes et où ils sont terrés dans des
trous. Tous les jours, je monte dans les bois autour de Freyming et de Merlebach ; Forbach est à 2 km à l’est.
Il commence à faire froid et il neige abondamment. On entend quelques fois des fusillades venant de la direction des postes avancés et le
bruit des canons de 75 des batteries en position à Hombourg-Haut.
Au bout de quinze jours, nous descendons en deuxième ligne, à Folschvillers où nous restons vingt et un jours. Nous sommes toujours en
avant de la ligne Maginot. Les hommes travaillent à « fortifier » la ligne de résistance. Ils posent des barbelés et établissent un barrage à
Téting. Pendant tout ce temps, il fait un froid terrible : le thermomètre descend jusqu’à -28 °. J’ai un commencement de pieds gelés, mais
je suis soigné à temps.
Pendant trois semaines, nous remontons en première ligne dans la même région que précédemment. Nous y restons pendant trois
semaines au cours desquelles il fait toujours aussi froid, c’est-à-dire très froid.
Nous sommes enfin relevés et nous descendons au repos. En trois jours, nous atteignons Pévange (à 2 km au sud-ouest de Morhange)
après être passé à Téting et Morhange. Avant d’arriver à Pévange, au cours de la nuit du 13 février, la roulante est accidentée. La nuit
est terrible. Il fait froid et la neige tombe sans arrêt. Nous n’arrivons qu’au petit jour transis et harassés, exténués. Nous passons six
jours dans ce petit village dont je garde un très mauvais souvenir : il n’y a pas de bois pour faire à manger et pour se chauffer, même l’eau
est rare car tout est gelé.
Nous en repartons sur Morhange puis sur la gare d’embarquement de Bénestroff où j’ai la charge d’assurer le ravitaillement du 3ème
bataillon. Je crois que je m’en tire pas mal malgré maintes difficultés.
Notre train s’ébranle quatre heures plus tard. Nous ne savons pas où nous allons. Dans la nuit, nous passons à Nancy. Au petit jour, nous
passons Épinal. Dans la journée, nous débarquons à la gare de Genevreuille, dans la Haute-Saône entre Lure et Vesoul. Nous sommes un
peu déçus, nous espérions descendre au repos plus loin. Après une nouvelle étape par la route, nous arrivons à Velleminfroy, un petit
village de la Haute-Saône. Là, c’est enfin le repos.
J’assure le ravitaillement de la compagnie et je me rends tous les jours à Saulx … Les jours s’écoulent tranquillement.
Le 1er mars, je suis muté à la compagnie de commandement d’état-major qui se trouve à Saulx. Je quitte la 9ème Cie ou je laisse des amis
mais aussi des … envieux. Dans ma nouvelle compagnie, je me fais de nouveaux copains. Je mène une vie tranquille tout en faisant mon
travail de caporal d’ordinaire. Le 31 mars, je pars pour mon deuxième tour de permission … Je passe douze jours heureux auprès des
miens.
De retour au régiment, … les jours s’écoulent tranquilles et calmes lorsque, brusquement, le 10 mai, vers 05H00 du matin, nous sommes
réveillés par des détonations lointaines. Je saute le premier du lit et je vois trois avions allemands qui volent assez bas et sont pris dans
un tir de DCA. Tout de suite nous comprenons : c’est la vraie guerre qui commence.
Charles Arata, caporal d’ordinaire au 3ème bataillon du 22ème RIC .
Comment informer sa famille de son lieu de stationnement
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C’est la fin de l’hiver. Je suis tireur FM à la 3ème Cie du 22ème RIC qui, après avoir été dans la forêt de la
Warndt, est au repos dans la région de Vesoul.
Lors de ma première permission, j’ai cherché avec ma femme le moyen de lui faire connaître le lieu où je
stationne, afin qu’elle ne l’ignore plus et qu’elle soit donc moins inquiète.
Pour déjouer la surveillance de la censure qui interdit de citer dans notre courrier le nom des localités où
nous nous trouvons, nous avons convenu que je mettrais un point sous certaines lettres. Elle peut ainsi
reconstituer, peut-être avec parfois quelques difficultés, le nom de la localité ou je suis.
Ce n’est pas compliqué mais pour le moment cela réussit.
Elle sait que nous sommes à Vesoul et elle a su quand j’étais encore dans la forêt de la Warndt et quand
j’ai ensuite stationné à Faulquemont.
Il va de soi qu’elle n’en touche mot à personne d’autre que notre fils.
Camille Chabaud est debout à droite
Camille Chabaud >, tireur FM à la 3ème Cie du 22ème RIC.
(Ce témoignage résulte du récit que nous a aimablement transmis l’adjudant-chef Yves Chabaud, fils de notre camarade.)
Mise en forme, cartographie, photographies, précisions et commentaires explicatifs du colonel (ER) Philippe Blanchet (29/01/2015)

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