cRITIquES DE LIVRES - Revue militaire canadienne

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cRITIquES DE LIVRES - Revue militaire canadienne
C R I T I QU E S D E L I V R E S
Néanmoins, il est clair, d’après le rendement
global du commandement et des soldats
russes, que le moral et la compétence s’amélioraient considérablement.
Prokhorovka aurait rassemblé la plus grande
concentration de blindés à avoir participé à
une opération de combat donnée sur le front
est. De plus, il résume très succinctement
les forces et les faiblesses des commandants
russes en ce qui a trait à l’expérience, à la
doctrine et à la qualité de l’équipement.
Ce qui m’a particulièrement plu dans
ce livre, c’est la façon dont Zamulin présente son évaluation de la bataille. Ainsi,
même s’il décrit les opérations à la troisième personne afin de donner un contexte
et du relief à son récit, il s’exprime harmonieusement à la première personne lorsqu’il
parle de tactique. Le lecteur peut donc
mieux saisir ce qui se passe dans la tête de
chacun des commandants et des soldats. En
outre, bien que l’ouvrage traite avant tout de
l’expérience des Russes, l’auteur s’efforce
véritablement d’y inclure le point de vue
des Allemands, ce qui enrichit l’ensemble
du texte et le rend captivant.
Il termine son livre en présentant une
liste détaillée de toutes les unités des deux
camps engagées dans la bataille. Il fournit
également une bibliographie très complète
de ses sources de première main et secondaires. Je me permet une observation au
sujet du regroupement des cartes dans une
même section. Il s’agit d’un point mineur
qui n’enlève rien au récit, mais le lecteur
non initié suivrait plus facilement le déroulement de la bataille si les cartes étaient réparties dans l’ensemble du livre.
La présentation chronologique de la
bataille de Prokhorovka est un autre point fort de l’ouvrage de
Zamulin. En effet, malgré la complexité de la bataille, le lecteur
en suit facilement le déroulement, à partir de l’offensive allemande, du 2 au 12 juillet, jusqu’à la contre-offensive russe,
menée du 12 au 17 juillet. De toute évidence, Zamulin a fait des
recherches approfondies sur les unités engagées dans la bataille.
Le texte comprend (sous forme de tableaux) la répartition des
effectifs des unités, selon les types de véhicules, le personnel,
les taux de remplacement des unités et les taux de pertes globaux, tant chez les Allemands que chez les Russes.
Demolishing the Myth constitue une
remarquable analyse historique d’une bataille à l’intérieur d’une
autre. Pour l’historien militaire, professionnel comme amateur,
l’ouvrage de M. Valeriy Zamulin est d’une grande profondeur et
d’une vaste portée. Tous ceux qui exercent la profession des
armes de combat, peu importe l’arme, et tous ceux qui mènent
des opérations interarmées, y trouveront leur compte. La bataille
de Prokhorovka a coûté extrêmement cher aux Russes en vies et
en matériel, mais ils en ont retenu de nombreuses leçons qu’ils
n’ont pas tardé à mettre en pratique.
Zamulin conclut son ouvrage en remettant en question les
croyances communément admises chez les historiens concernant la bataille de Prokhorovka. Par exemple, il puise dans la
documentation de première main tout récemment rendue accessible aux historiens pour réfuter l’argument selon lequel
Le Major Chris Buckham, CD, B.A., M.A., officier de logistique dans
l’Aviation royale canadienne, est actuellement affecté au poste d’officier de
lignes de communications intégrées (O LCI) à la direction multinationale
du J4 du Commandement européen (EUCOM), à Stuttgart, en Allemagne.
The Longest Winter:
The Battle of the Bulge and the
Epic Story of World War II's Most
Decorated Platoon
remportée Frédéric le Grand lors de la guerre de Sept Ans :
renverser un ennemi supérieur en nombre au moyen d’attaques
rapides et concentrées. Il a donc ordonné de masser l’entière
force de frappe de l’armée allemande le long du Rhin, d’où
serait lancé un assaut total contre la Belgique pour briser la
cohésion et la volonté de combattre des Alliés.
par Alex Kershaw
Cambridge, Massachusetts: Da Capo Press
330 pages, 11,31 $
ISBN 03068 13041
Critique d’Andrew Legge
L
e récit que présente Alex Kershaw des faits qui ont
mené 18 professionnels du renseignement au statut
de peloton le plus décoré de l’histoire des ÉtatsUnis est un incontournable pour les passionnés
d’histoire et du renseignement. Il s’ouvre par une
description dans les moindres détails de l’attentat perpétré par
le Colonel von Stauffenberg contre Hitler en juillet 1944 et de
l’effet contraire obtenu : Hitler, fort d’avoir survécu et arrivé à
la malencontreuse conviction de jouir d’une divine protection, a
réclamé une farouche offensive. La naissance de cette conviction est un élément clé, qui ajoute une dimension au récit que le
lecteur n’aura pas trouvée dans le film Valkyrie, réalisé en 2008
par Bryan Singer. Hitler comptait reproduire la victoire qu’avait
Le peloton du renseignement et de reconnaissance (R et R)
du 394e régiment de l’armée américaine était alors positionné à
la pointe avant du champ de bataille, entre deux limites divisionnaires, et ne disposait que d’armes légères, d’aucun appui
d’artillerie et d’un petit mois d’expérience dans le théâtre européen des opérations. De ce point de départ fort précaire, ce petit
groupe de soldats novices a amorcé une opération défensive
parmi les plus tenaces et efficaces jamais vues et vouées à devenir une partie cruciale de la plus grande bataille jamais menée
par les forces américaines : la bataille des Ardennes. Les membres du peloton de R et R ne l’ont appris que des dizaines
d’années plus tard, mais ils ont changé l’exécution du plan
d’Hitler d’atteindre Anvers en retardant ses meilleurs soldats, la
division Panzer SS tant acclamée dirigée par le LieutenantColonel « Chalumeau » Peiper et sa division d’appui
Fallschirmjäger (aéroportée). Ils ont résisté au combat à courte
portée toute une journée et ont épuisé toutes leurs munitions
avant que les Allemands puissent les capturer et les disperser
dans plusieurs camps de prisonniers de guerre. Pendant ce
Vol. 12, N o. 3, été 2012 • Revue militaire canadienne
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temps, les Alliés ont poursuivi leur percée
en Allemagne.
région et confié à l’officier du renseignement de la 10e division blindée, qui disposait en sous-ordre de l’équivalent d’une
équipe de combat.
Par miracle, tous les membres du peloton R et R ont survécu à la captivité, mais
aucun n’a parlé du rôle qu’ils ont joué au
cours de cette bataille. Plusieurs dizaines
d’années se sont écoulées avant que des
historiens reconstituent le fil de ce que le
Lieutenant Bouck et ses hommes avaient
accompli dans le village belge de Lanzerath
et mettent au jour un récit qui retiendrait
l’attention de la nation et aboutirait à la
reconnaissance officielle tardive de la contribution du peloton. En effet, les membres
du peloton de R et R ont fini par recevoir,
en hommage à leur héroïsme exceptionnel
et à leur bravoure, une citation de l’unité de
la part du président, quatre croix du service
distingué, cinq étoiles d’argent et cinq
étoiles de bronze assorties de la lettre V
signifiant valor (courage).
Cela dit, dans l’ensemble, cet ouvrage enrichit considérablement l’histoire du renseignement militaire et de la
Deuxième Guerre mondiale, tout en faisant ressortir d’autres
sujets de recherche possible, dont les actions menées sur la
crête d’Elsenborn.
Le Major Andrew Legge, CD, est officier du renseignement (G2) au sein
du 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada, à Edmonton, en Alberta.
M D N , p h o t o I S 2 0 0 2 - 2 010 a p r i s e p a r l e Ca p o r a l - c h e f Fr a n k H u d e c
Kershaw captive le lecteur d’entrée de
jeu, et ses recherches détaillées de sources de première main
donnent un compte rendu savoureux des faits survenus et de la
manière dont les soldats – tants alliés qu’allemands – les ont
vécus, notamment le nombre exact d’heures de lumière du jour
dont disposait le peloton de R et R du 394e régiment le jour de
sa capture. L’auteur présente aussi un certain nombre de faits
peu connus pour étayer son récit. Il parle par exemple du raid
longuement tenu très secret ordonné par le General Patton pour
extraire son gendre d’un camp de prisonniers de guerre de la
L’ouvrage comporte cependant
quelques lacunes. En effet, l’auteur passe
sous silence deux grandes questions liées
au renseignement. Premièrement, pourquoi
les états-majors du renseignement des
Alliés n’avaient-ils pas prévu la montée en
puissance le long du Rhin? Deuxièmement,
comment les états-majors du renseignement
du General Patton de l’armée américaine
ont-ils vu venir la percée et donc permis
aux troupes de ce dernier de contre-attaquer
rapidement les Allemands aux Ardennes,
allant ainsi à l’encontre de la démarche
préconisée par le quartier général supérieur
de Patton. En traitant de ces questions,
l’auteur aurait pu mettre le lecteur en contexte et au fait du rôle qu’a joué le renseignement allié dans la bataille des Ardennes.
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Revue militaire canadienne • Vol. 12, N o. 3, été 2012