Rémunération des compétences : proposition de - gregor-iae
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Rémunération des compétences : proposition de - gregor-iae
1996.04 Rémunération des compétences : proposition de typologie Valérie Marbach Docteur ès Sciences de Gestion de l'IAE de Paris Résumé : Si la gestion des compétences tend à s'imposer aujourd'hui comme une voie d'évolution inéluctable pour de nombreuses entreprises, la nécessité de son articulation au champ de la rémunération est par contre une idée très récente. Force est de constater que depuis près de dix ans, le modèle de la compétence s'est développé en ignorant dans la plupart de ses applications les aspects de la validation sociale. La prise de conscience tardive de cet impératif se traduit par une carence des outils d'analyse pour appréhender la problématique de la rémunération des compétences. Dans cet article, nous proposons une première contribution à l'instrumentation de ce champ de recherche, sous forme d'une typologie de cinq modèles de rémunération des compétences. Parallèlement, l'explicitation de la logique classificatoire qui fonde notre typologie, ainsi que l'identification d'un certain nombre d'éléments redondants dans les actuelles expériences de rémunération des compétences, apportent des informations utiles pour avancer plus loin dans la construction d'un modèle de la compétence qui soit opérationnel. Mots-clés : compétence, emploi, rémunération. Abstract: Abilities management appears today as a necessary instrument in many companies. Yet, the link between abilities and wages policies is a very new idea in France. Today, all analysts faces a lack of instruments to deal with this lately introduced question : paying abilities. In this article, we offer one of the first contribution in this research field, with the presentation of a five skill-based pay models typology. The developped typology has for hard core the idea that paying abilities can not be done without taking jobs into consideration. Moreover, this work has enlightened and identified common aspects found in a sample of current experiences run in French enterprises. All these specific characteristics contribute to the construction of what is called a “Model for abilities management”, by contrast with “Scientific management” approach. Key-words: abilities, job, wages. Beaucoup plus qu'un simple effet de mode, la gestion des compétences tend à s'imposer aujourd'hui comme une voie d'évolution inéluctable pour de nombreuses entreprises. Le modèle de la compétence, apparu en France au milieu des années 80, est communément identifié comme étant le successeur non contesté de la gestion taylorienne par les postes de travail. On va souvent jusqu'à parler à cette occasion d'un phénomène de substitution de la compétence à l'emploi. Les pratiques d'entreprises révèlent que, originellement l'entrée privilégiée dans ce type de gestion est de façon très massive la formation. A contrario, les expériences actuelles de rému1 nération des compétences sont encore rares ; quand elles existent, elles en sont pour la plupart au stade de l'expérimentation. Et ce n'est pas un moindre paradoxe du modèle de la compétence que d'être parvenu à se développer sans solliciter le champ de la rémunération. En effet la compétence, appréhendée dans son acception minimale, peut être définie comme du profession2 nalisme reconnu . Par conséquent, la notion intègre en tant que telle le versant de la validation sociale. Persévérer dans la marginalisation de cet aspect dans le cadre des démarches de gestion des compétences, revient à mettre en péril leur pertinence et jusqu'à leur raison d'être (Y.F. 1. C'est ce que met en évidence l'enquête menée en 1992 par Hewitt Associates, sur 100 entreprises industrielles et de service, concernant les priorités d'utilisation de la gestion des compétences, avec 81% des répondants qui lui attribuent un objectif d'aide à la définition des besoins de formation, contre 29% seulement qui y recourent en vue de la définition des rémunérations individuelles. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 2 Livian et J. Terrenoire [10]). Une telle prise de conscience que la gestion des compétences ne peut continuer à vivre hors du sous-système de la rémunération, transparaît depuis le début des 1 années 90 dans le discours des théoriciens de la logique compétence , confortée par ailleurs par l'émergence concomitante de pratiques d'entreprises qui vont dans ce sens. Etant donné le caractère de nouveauté et la relative rareté des terrains à la disposition des chercheurs, les outils d'analyse manquent pour aborder la problématique de la reconnaissance des compétences au travers de la rémunération. Dans cet article, nous proposons une première contribution à l'instrumentation de ce champ de recherche peu étudié, sous forme d'une typologie de systèmes de rémunération des compétences. Au point où en sont actuellement les recherches et les expériences en matière de rémunération des compétences, il nous semble en effet qu'un premier travail classificatoire s'impose, dont l'ambition pourrait être de poser les fondements d'investigations ultérieures, et plus immédiatement de constituer un guide explicatif à l'usage des gestionnaires. En outre, cette grille de lecture répond conjointement à un objectif plus global d'édification et d'identification des pratiques de gestion des ressources humaines réunies sous l'appellation de “modèle de la compétence”. En particulier, les fondements de notre typologie : en d'autres termes la logique classificatoire qui sous-tend nos modèles, mais encore le repérage d'un certain nombre d'éléments constants ou redondants dans les pratiques actuelles de valorisation des compétences, permettent d'aller plus avant dans la détermination des contours de la gestion des compétences. 1 Logique classificatoire Dresser une typologie relève d'une volonté de classer, de mettre de l'ordre dans le réel, de donner du sens. L'élaboration d'une classification s'effectue sur la base de critères qui vont orienter le découpage du réel et constituer une grille de lecture originale. Dans notre champ d'analyse, deux entrées peuvent être considérées comme particulièrement pertinentes pour embrasser la diversité et l'originalité des approches en matière de rémunération des compétences. Une analyse des modalités de la mesure des compétences (choix de l'indicateur, mode de hiérarchisation, et méthode de pesée) nous a permis d'établir que l'évaluation des compétences ne peut être entreprise in abstracto, mais qu'elle requiert au contraire d'être située dans un espace-temps professionnel. C'est pourquoi la typologie proposée est construite à partir de l'articulation des dimensions de l'organisation, en tant que structuration d'espaces professionnels de référence, et de la gestion, qui s'inscrit sur une échelle du temps. 1-1 Dimension organisationnelle : le détour obligé par l'emploi Loin d'être évacué par le modèle de la compétence, l’emploi demeure la variable de référence pour le repérage des compétences : le passage obligé entre l'organisation et l'homme. Ainsi, nous contestons l'idée souvent affichée d'une opposition entre compétence et emploi, tout comme celle d'un phénomène de substitution de l'une à l'autre. Si l'introduction de la notion de compétence est sans nul doute une forme de réponse à l'obsolescence du poste de travail taylorien, l'essor de la gestion des compétences n'illustre en rien une faillite de l’emploi, qui reste l'enveloppe de référence indispensable à l'analyse de l'activité concrète des salariés. 2. J. Aubret et al. [1] parlent à ce propos d'une double polarité de la compétence, tiraillée entre la traduction en acte de connaissances, savoir-faire et conduites professionnelles, et la reconnaissance sociale de cette valeur professionnelle. 1. Les premiers signes d'un intérêt pour la rémunération des compétences que nous avons recensés parmi les séminaires et la littérature spécialisée datent de 1992 avec : le Forum Liaisons Sociales (10/92) : “Qu'est-ce qu'on rémunère? Poste, compétence, performance” ; un document d'A. Cougard (Hewitt Associates) [3] ; enfin, un article de D. Fitt (Hay[5]). IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 3 A cet égard, l'idée d'un recentrage sur la personne véhiculée par l'appellation de “gestion des compétences”, ne permet pas de rendre compte du phénomène de complexification organisationnelle qui apparaît comme fondateur de ces démarches. En effet, si la conception de l’emploi est généralement révisée dans ce type de démarche dans le sens d'une plus grande flexibilité, l'assouplissement constaté ne signifie pas que s'est amorcée une tendance à un affaiblissement du déterminant organisationnel. En fait, il est autorisé de parler de complexification pour désigner le passage de structures stables à des architectures plus évolutives au sein desquelles les individus, encouragés à développer leurs propres stratégies de développement de carrière, contraignent les gestionnaires à des ajustements sinon constants, en tout cas fréquents, entre besoins et ressources. Le concept d'organisation qualifiante tel que théorisé par P. Zarifian [13], réalise une bonne synthèse de ces évolutions. Traduite au niveau de notre typologie, la référence obligée à l’emploi constitue le premier critère classificatoire, qui caractérise le type de relation entre compétences et emploi. Il est à noter que ce que nous qualifions de façon générique par la notion d'emploi désigne plus précisément une situation professionnelle réelle, quelle qu'elle soit. Autrement dit, il convient de déterminer quelle est l'enveloppe de référence organisationnelle présidant à l'évaluation des compétences. 1 Nous avons choisi de retenir trois configurations-types d'emplois qui peuvent fonder une évaluation des compétences, depuis la plus prescrite jusqu'à la plus souple : - l’emploi traditionnel (ou poste ou fonction), - l’emploi à géométrie variable, - la situation professionnelle individualisée (ou emploi recomposé). Ainsi, l'organisation est transcrite au travers de la conception de l’emploi portée par chacun des modèles, depuis l’emploi le plus rigide qu'illustre par le modèle M1, jusqu'à sa version la plus flexible, dont rend compte le modèle M3. 1-2 Dimension de la gestion : la référence temporelle La dimension de la gestion quant à elle, est présente en tant que la gestion s'inscrit dans la durée. L'entreprise de repérage des compétences dans une perspective certificative commande en effet que l'espace organisationnel de référence soit précisé, complété par son positionnement dans la temporalité d'un parcours professionnel. Dans la mesure où les différentes acceptions (ou conceptions) de la compétence la situent sur un spectre temporel relativement large (figure 1), son évaluation porte sur le présent de l'activité professionnelle. Elle peut également prendre en compte les fonctions antérieures sur l'ensemble du parcours professionnel, ou encore les pronostics d'évolutions futures de l'activité. 1. Cette typologie d'emplois est inspirée des modèles de qualification de G. Donnadieu et P. Denimal [4]. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 4 Figure 1 : différentes acceptions de la compétence sur l'échelle du temps Potentiel Potentiel estimé ultime Ecart positif entre compétences requises et réelles Compétences de la fonction Capacité prouvée Passé Présent Futur Ces options qui relèvent de choix de gestion des ressources humaines particuliers, sont restituées dans notre typologie au travers de deux grandes catégories : les compétences utilisées dans le présent de l'activité (modèles M1, M2 et M3), et les compétences utilisables potentiellement, par référence à une activité passée (modèle M4) ou future (modèle M5). (PRESENT) ⇒ dans le cadre d'un poste ou d'une fonction strictement définie (Modèle 1) ⇒dans le cadre d'un emploi COMPETENCES UTILISÉES à géométrie variable (Modèle 2) ⇒ dans le cadre de situations professionnelles individualisées (Modèle 3) (PASSE) ⇒ dans le cadre d'un emploi historique ou parcours professionnel qualifiant (Modèle 4) COMPETENCES UTILISABLES (FUTUR) ⇒ dans le cadre d'une fonction pronostiquée à court ou long terme (Modèle 5) Ainsi, nous pouvons dire de cette typologie qu'elle est construite à partir du croisement des deux axes espace/temps, comme l'illustre le graphique ci-dessous : IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 5 Figure 2 : Typologie de modèles de rémunération des compétences sur des axes spatio-temporels Flexibilité de l'emploi M3 M4 M2 M1 Passé M5 Présent Futur Temps M1 : Rémunération des compétences utilisées dans un poste M2 : Rémunération des compétences utilisées dans un emploi à géométrie variable M3 : Rémunération des compétences utilisées dans une situation professionnelle individuali M4 : Rémunération des compétences utilisées dans un parcours professionnel, qui restent u sans être toutes utilisées aujourd'hui M5 : Rémunération des compétences utilisables dans une fonction pronostiquée Après avoir explicité les soubassements de notre typologie, nous allons maintenant décrire les caractéristiques principales de chacun de ces modèles. Après quoi, en nous fondant sur l'examen 1d'une dizaine d'applications actuelles de ces configurations au sein d'entreprises françaises , nous entreprendrons de repérer d'éventuelles “redondances” ou invariants de ces systèmes afin de progresser plus loin dans la compréhension des pratiques de rémunération des compétences, et au-delà de la logique compétence. 2 Typologie de modèles de rémunération des compétences 2-1 Reconnaissance des compétences utilisées Une première grande catégorie regroupe les systèmes qui préconisent la mise en oeuvre des compétences comme critère nécessaire à leur validation. Ce critère d'utilisation s'assortit d'une centration de l'évaluation sur le présent de l'activité : ne sont prises en compte et valorisées que les compétences actuelles, ou mieux encore actualisées. En cela, on ne s'éloigne guère d'une logique classique d'évaluation des emplois fondée sur une reconnaissance de la fonction occupée. Une telle catégorie admet toutefois des variantes qui découlent de la teneur des liens entre les compétences portées par les individus et la structure organisationnelle. Le degré d'individualisation d'un système est lié au type de découpage des emplois prévu par l'organisation. En d'autres termes, plus les contours de la situation professionnelle sont rigides et prédéterminés, plus faible est la personnalisation des profils de compétences, et par conséquent de la rémunération. Selon nous, trois grandes variantes permettent d'appréhender le jeu des interactions entre compétences et emplois, depuis la conception la plus traditionnelle et à la fois la plus généralisée de l’emploi, jusqu'à des voies encore peu explorées aujourd'hui. 1. Les expériences sur lesquelles nous fondons notre analyse ne sont pas exposées dans le cadre de cet article, à l'exception d'un cas qui apparaît comme particulièrement novateur (voir annexe). Pour une présentation détaillée de ces systèmes, nous renvoyons le lecteur à notre thèse : Impacts des démarches de gestion des compétences sur les politiques de rémunération, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, IAE de Paris, 1995. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 6 2-1.1 Rémunération des compétences utilisées dans un poste (modèle M1) La rémunération des compétences n'est pas complètement contradictoire avec des environnements traditionnels de type taylorien, où les postes de travail sont déclinés selon une série d'exigences précises. A la base de ce modèle, les exigences des postes sont traduites en termes de compétences : on parle dans ce cas de compétences requises. L'organisation reste donc résolument prescriptive puisqu'il lui incombe de déterminer des profils de postes. La gestion des salariés est organisée dans un espace de progression déterminé. Cet espace peut être un espace physique (atelier ou îlot), mais il peut également s'agir d'une communauté de savoir-faire que l'on qualifiera alors de métier ; on rejoint dans ce cas la notion de filière professionnelle. Les deux dimensions peuvent se superposer de sorte que le métier soit concentré sur un lieu de travail concret. L'évolution de carrière des individus correspond à l'acquisition progressive de l'ensemble des compétences inventoriées au sein de cet espace. La progression salariale est soumise à un parcours de fonction en fonction. A chaque grade ou coefficient correspond un profil de compétences et un seul. L'accession au coefficient supérieur suppose la validation de toutes les compétences qui lui sont associées : seules sont reconnues et rémunérées les compétences utilisées. Les projets individuels d'évolution professionnelle, s'ils sont encouragés par des organisations plus collectives orientées vers la recherche d'une plus grande polyvalence, n'en restent pas moins soumis à des options strictement définies par les référentiels de compétences. La nouveauté introduite par rapport au modèle taylorien est liée à l'injection d'une certaine souplesse dans les modes de gestion des hommes et/ou l'organisation du travail. L'analyse de cas d'entreprises nous a permis de mettre en évidence que le modèle M1 tire en fait vers M4, en développant des processus de gestion qualifiante partielle, ou encore vers M2, en mettant en oeuvre une élasticité limitée de l'emploi. Ainsi, tout en se référant clairement à une notion de poste, l'exemple de Rohr Europe illustre une approche orientée vers une gestion qualifiante. Simplement, ici ce ne sont pas les compétences utilisables qui sont valorisées, mais les compétences effectivement mises en oeuvre ; en outre, les pratiques de mobilité qui aménagent la souplesse du système, n'y sont pas généralisées comme dans le modèle M4. Quant au cas de P.E.A., il renvoie plutôt à une démarche de type organisation qualifiante où l’emploi présente une élasticité, mais la progression y observe un parcours obligatoire. Dans cet exemple, l'évolution du système réside dans le fait que la progression individuelle ne dépend plus d'un poste physique. Si le poste, en tant qu'enveloppe prédéterminée de compétences est maintenu, la notion d'organigramme est par contre abandonnée. Le poste ne demeure que comme référence de base dans l'évaluation des compétences. Selon le principe de l'organisation qualifiante, l'autonomie de progression individuelle est encouragée par des organisations du travail plus flexibles et collectives, les évolutions de compétences restant toutefois soumises à un référentiel défini contractuellement. Ainsi, le parcours d'acquisition de compétences nécessaires à la progression au sein du métier, est complètement prescrit par l'organisation. C'est pourquoi, si l'on peut parler d'emplois élastiques, il s'agit là d'une élasticité contrainte. On retiendra du modèle M1 qu'il présente un évident caractère de mixité. Ce modèle est aujourd'hui celui que l'on rencontre le plus communément dans les entreprises qui se réclament d'une gestion des compétences en intégrant les aspects de la rémunération. Un tel constat peut surprendre compte tenu des ambitions affichées de tels systèmes, résolument orientés vers des solutions d'avenir. Il s'explique d'après nous par leur caractère encore très récent. La jeunesse des exemples actuellement à la disposition du chercheur éclaire vraisemblablement leur hybridité plus ou moins prononcée. Il nous semble en effet devoir avant tout les considérer comme des systèmes en devenir. Un tel modèle est une voie intéressante dans le cadre de structures traditionnelles qui souhaitent introduire plus de souplesse dans leur fonctionnement. Etant donné les tendances de fond qui traversent les organisations du travail, il nous semble toutefois qu'il doit être avant tout envisagé comme un modèle de transition destiné à IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 7 évoluer vers des formules plus flexibles, qui abandonneront finalement la référence au poste taylorien. 2-1.2 Rémunération des compétences utilisées dans un emploi élastique (modèle M2) Dans la catégorie des systèmes de rémunération fondés sur une reconnaissance des compétences utilisées, une deuxième variante introduit une souplesse plus grande par rapport au modèle précédent. L’emploi demeure ici le socle fondamental d'évaluation des salariés, sur lequel s'ajoute une référence supplémentaire à l'individu. On parlera d'emplois à géométrie variable pour désigner la valorisation conjuguée d'un noyau dur relevant de prescriptions organisationnelles, et d'une part laissée à l'autonomie des personnes. Dans cette nouvelle variante, les exigences de l’emploi ne sont pas exprimées en termes de compétences requises comme c'est le cas dans le premier modèle. La référence traditionnelle à l’emploi n'est pas remise en cause : à chaque poste ou fonction correspond une cotation qui se traduit par un coefficient. On se situe là en parfaite cohérence avec l'évaluation des emplois effectuée selon un système de type Parodi, ou une méthode fondée sur des critères classants. L’emploi reste donc le cadre incontesté et toujours essentiel d'évaluation puisqu'il détermine le coefficient de l’individu, base de sa rémunération. La reconnaissance des compétences intervient à la marge, dans la mesure où elle vient se greffer sur le niveau de l'emploi. Dans la plupart des cas, elle n’impact pas le coefficient de l’individu, mais se traduit plus généralement par des augmentations individuelles. A cet égard, notons qu'un tel modèle n'est pas sans rappeler fortement par son architecture les traditionnels emplois à fourchettes qui, à l'intérieur des niveaux d'emploi définissant la nature des exigences requises, prévoient des degrés exprimant la complexité. La valorisation des compétences recouvre dans ce modèle des aspects distincts. Elle peut sanctionner un accroissement de compétences en fonction de référentiels donnés (progression personnalisée dans des domaines de spécialité, à partir d'un noyau dur de compétences communes), et/ou renvoyer plutôt à une notion d'expérience, de maîtrise dans un emploi. Ce type de modèle représente vraisemblablement un objectif d'évolution pour une majorité d'entreprises. Son caractère de mixité permet de fédérer les points forts de la job evaluation avec les intérêts liés à une prise en compte de la contribution individuelle. Il répond en effet à des exigences d'équité tout en ménageant un certain degré de flexibilité dans l'appréciation des personnes. Par l'alliance de tradition et de modernité qu'il réussit, ce modèle bénéficie en outre d'une bonne acceptabilité sociale. Il se présente comme une voie moyenne évolutionnaire plus que révolutionnaire, qui favorise une prise en compte des tendances actuelles en matière de flexibilité des emplois. Nous faisons l'hypothèse que cette variante deviendra dans un futur proche une formule sinon généralisée, du moins extrêmement répandue. C'est dans ce modèle que l'on recense dès aujourd'hui les applications les plus nombreuses. 2-1.3 Rémunération des compétences utilisées en situation de travail individualisée (modèle M3) Une troisième variante peut être identifiée parmi les systèmes de rémunération qui s'appuient sur une reconnaissance des compétences utiles. Le modèle M3 se détache d'une référence à l’emploi pour se fonder cette fois sur des situations professionnelles complètement individualisées. Par rapport au modèle précédent, le noyau dur constitué par l’emploi est éclaté, décomposé en une série de compétences qui seront réaffectées à des profils personnalisés. Ce modèle est à la fois le plus novateur et le moins répandu parmi les trois variantes présentées. Il donne à la valorisation des compétences sa pleine acception en abandonnant une référence rigide aux requis de l'organisation. Si la compétence se rapporte bien évidemment à une réalité de travail, nous pensons avec P. Zarifian [14] que “cette réalité ne peut être ni saisie ni figée dans des contenus d'emplois auxquels on demanderait au salarié de se <<conformer>>. Le modèle M3 est porteur de cette conception selon laquelle il ne s'agit plus pour les individus, conformément à une logique adéquationniste classique, de se conformer à des exigences rela- IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 8 tivement stables et pré-définies, mais d'entrer dans une dynamique d'ajustements renouvelés entre besoins et ressources. Les cas d'entreprises que nous avons pu identifier en illustration de ce modèle peu exploré, mettent en lumière l'existence de deux approches possibles de la logique compétence. Un premier exemple révèle une approche directe et explicite par les compétences : les compétences sont identifiées, hiérarchisées, pesées, agrégées en fonctions des situations professionnelles de chaque collaborateur, et rémunérées à partir d'une loi de combinaison. Un second cas fait un détour par les activités unitaires envisagées comme composantes minimales des situations productives, en remplacement des compétences. Cet autre exemple introduit à un débat par ailleurs très alimenté sur la notion de compétence, qui dépasse toutefois le cadre de cet article. Nous en retiendrons que la référence aux activités n'est pas contradictoire avec la mise en oeuvre d'une gestion des compétences. 2-2 Rémunération des compétences utilisables On peut identifier une deuxième grande catégorie parmi les systèmes de rémunération centrés sur une reconnaissance des compétences : les modèles qui se fondent sur la valorisation des compétences utilisables dans la situation professionnelle occupée. Au préalable, il convient de préciser qu'en posant ce critère d'utilisation potentielle, toute référence au présent de l'activité n'est pas pour autant écartée. En effet, les compétences utilisées dans la fonction occupée par les titulaires sont aussi nécessairement prises en compte dans la mesure où elles font par construction partie des compétences utilisables. En fait, la spécificité de cette catégorie est due en premier lieu au fait que le critère de mise en oeuvre n'y est pas prédominant dans l'évaluation. Les compétences qui sont ici placées au centre du dispositif de validation sont de deux natures. Il peut s'agir soit de compétences qui ont été développées et identifiées dans le passé professionnel du salarié, soit encore de compétences plus hypothétiques, susceptibles d'être utilisées un jour dans l'avenir professionnel du salarié. Dans les deux variantes de cette grande catégorie de systèmes, les compétences sont tirées respectivement du côté du savoir-faire, expression de la maîtrise acquise tout au long du parcours professionnel, et du côté du savoir comme indicateur de potentiel. A priori, il peut paraître contestable d'envisager ces approches comme relevant d'une véritable logique de la compétence, dans la mesure où elles rejoignent des démarches de gestion relativement traditionnelles. Ainsi, dans un cas on retrouve implicitement la notion d'expérience entendue au sens de capitalisation de savoir-faire ; dans l’autre, on reconnaît notamment la valorisation d'un niveau de formation. Néanmoins, nous avons fait le choix de les intégrer dans notre typologie. A cela, deux raisons. En premier lieu,1le fait que ces systèmes soient reconnus comme tels par les promoteurs de ces modes de gestion justifie selon nous qu'ils soient pris en compte. En outre, ils présentent par-delà la lecture sommaire que nous en avons faite dans ce paragraphe introductif, de réels intérêts. En particulier, nous verrons dans quelle mesure ils offrent des enrichissements aux modèles de notre première catégorie. 2-2.1 Les compétences prouvées : le parcours professionnel (modèle M4) Le modèle du parcours professionnel s'appuie sur l'idée d'une reconnaissance des compétences mises en oeuvre dans l'ensemble du parcours professionnel individuel. La notion de parcours professionnel mérite ici d'être précisée dans ses contours spatio-temporels. D'un point de vue spatial, elle peut être définie dans le cadre de l'entreprise d'appartenance du salarié, mais également englober ses différentes expériences professionnelles, voire même extra-professionnelles. Cet aspect pose alors le problème de la validation des compétences. 1. C'est en particulier le cas du modèle des compétences potentielles développé par D. Fitt [5]. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 9 Sur l'échelle du temps, le parcours professionnel recouvre les compétences utilisées dans le passé mais également dans le présent de la fonction occupée, ce qui nuance fortement le caractère potentiel des compétences. Une partie d'entre elles sont concrètement exercées, et relèvent alors de la première catégorie de modèles. Quant aux compétences utilisables, il s'agit de compétences qui ont été prouvées. C'est donc une capitalisation de savoir-faire (et de savoirs qui leur sont associés) qui va constituer la référence de base de la rémunération. En valorisant un capital personnel, l'entreprise fait le pari des hommes (hors référence aux compétences de la fonction occupée). A la différence du modèle des compétences potentielles, les compétences prouvées peuvent être considérées comme plus tangibles dans la mesure où elles ont déjà été utilisées. Elles correspondent à des savoir-faire, à de l'expérience qui s'est écartée progressivement de l'expérimentation. En faisant abstraction de la gestion des ressources humaines, et de l'organisation qui accueille un tel modèle, on est très proche de la logique du métier traditionnel selon lequel l'expertise s'acquiert au gré des expériences, autant dire au fil du temps. Dans les faits, il apparaît que le modèle du parcours professionnel se caractérise par un mode de gestion des ressources humaines particulier. En effet, des pratiques généralisées de mobilité permanente, par un système important de rotations de postes, sont à la base d'un modèle dont l'archétype est sans aucun doute le système de gestion des carrières japonais traditionnel (H. Landier [6], [7]). Nous avons qualifié cette première option de gestion qualifiante dans la mesure où c'est bien le mode de gestion des individus qui préside au développement des compétences. Dans cette perspective, l’organisation n'est pas déterminante : on peut tout à fait envisager l'application d'un tel système dans une organisation fortement hiérarchisée, et structurée à l'extrême selon une logique de postes classique. Cependant, il ne s'agit pas d'opposer gestion qualifiante et organisation qualifiante. Le choix de faire de l’organisation le levier du processus de qualification, et donc de reporter la flexibilité de la gestion vers les structures, est une autre variante possible du modèle des compétences prouvées. L'enjeu consiste alors à mettre en place une configuration organisationnelle susceptible de réutiliser les compétences acquises et validées antérieurement. La phase de développement ultime du modèle consiste enfin à conjuguer les intérêts liés à la gestion qualifiante et à l’organisation qualifiante, afin d'entrer dans le “cercle vertueux” dont parle B. Coriat à propos de l'entreprise japonaise [2]. Le modèle des compétences prouvées est extrêmement intéressant dans la mesure où il est transversal à la première catégorie : il greffe une dimension supplémentaire sur les modèles M1, M2 et M3 qui sont fondés sur la reconnaissance des compétences utilisées. Ainsi le modèle M1 construit sur une référence au poste de travail, peut être croisé avec le modèle des compétences prouvées dans un contexte de gestion qualifiante. Par ailleurs, la gradation en trois modèles, de l’emploi le plus prescrit à l’emploi le plus lâche, illustre en fait une progression vers l'idée d'organisation qualifiante. Ce modèle connaît encore que de rares applications au sein des entreprises françaises. 2-2.2 Les compétences potentielles (modèle M5) On peut poser qu'une des finalités essentielles d'un système de gestion consiste à réaliser la meilleure adéquation possible entre les besoins d'une organisation et les ressources dont elle dispose. Dans le modèle M5, la cible vers laquelle on tend n'est pas immédiate, mais correspond à une phase à venir du développement professionnel, qui peut se situer dans le court terme (potentiel escompté) ou encore dans une perspective à plus long terme (potentiel ultime). Le modèle des compétences potentielles est fondé sur l'idée que l'entreprise accepte de payer un surcoût par rapport au prix de l'activité exercée, à partir d'un pronostic d'évolution future du salarié. Le pronostic peut être établi à partir de différents indicateurs : le niveau de diplôme est une référence communément adoptée dans la fonction publique ou encore dans la gestion des cadres. Plus récemment, les aptitudes comportementales, évaluées à la lumière de mises en situations (assessment centers), sont également retenues comme éléments d'évaluation du potentiel. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 10 D. Fitt [5] distingue trois variantes de ce modèle : - l'investissement dans des compétences critiques (ou qualités personnelles) comme étant des valeurs sûres sur lesquelles l'entreprise peut compter ; dans cette perspective, on paie le prix global d'une personne plutôt que des capacités professionnelles requises par tel ou tel type d'activité ; - la valorisation de compétences en fonction d'un pronostic d'évolution à long terme des activités, pour les hauts potentiels notamment ; cette fois, l'incertitude est placée du côté de l'entreprise et de sa capacité à mettre en oeuvre les stratégies de développement qu'elle adopte ; - enfin, la reconnaissance de compétences définies par rapport à un profil ultime, qui constitue une cible d'évolution pour l'ensemble des membres d'une équipe. Dans cette configuration, les progressions individuelles sont orientées vers le développement d'une polyvalence maximale qui, envisagée au sein d'un groupe de travail, peut devenir un réel facteur de productivité. Si l'appellation de logique compétence est discutable à propos des deux premiers systèmes, le dernier modèle relève bien par contre d'une gestion par les compétences qui confère à la gestion des ressources humaines ou à l'organisation du travail un rôle de levier central. L'entreprise accepte de payer un surcoût pendant la phase d'acquisition des compétences, que seul justifie le retour sur investissement dégagé grâce à une situation de polyvalence généralisée. Néanmoins, on peut s'interroger sur la pertinence et l'intérêt de rémunérer des compétences avant qu'elles soient utilisées : c'est toute la question de la validité du potentiel comme référence d'évaluation. Un tel choix de gestion ne vaut que si l'organisation l'accompagne. Le risque de ne pas voir mises en oeuvre les compétences valorisées est placé entièrement entre les mains de l'entreprise. Le modèle des compétences potentielles peut être envisagé comme une version plus aléatoire du modèle des compétences prouvées, dont l'efficacité est soumise à une grande maîtrise de la part de l'entreprise, tant en matière de gestion que d'organisation. En fait, il apparaît au terme de notre analyse que chacun des deux modèles fondés sur les compétences utilisables sont fortement articulés à des configurations organisationnelles novatrices. Et sans doute constituent-ils pour cette raison les solutions les plus délicates à mettre en oeuvre et à faire vivre dans des entreprises. 3 Eléments de synthèse Après l'exposé de notre typologie étayée par une dizaine de cas concrets de systèmes qui sont actuellement appliqués dans des entreprises françaises, nous sommes en mesure d'articuler des éléments de réflexion théoriques avec les contraintes identifiées au niveau des pratiques. En formulant la réserve que l'ensemble de ces expériences sont encore très récentes, ce qui ne permet pas de préjuger de leurs évolutions dans le long terme, l'examen que nous en avons effectué nous autorise néanmoins à fournir quelques éléments de réponse à la difficile question de l'impact de la logique de la compétence sur les systèmes de rémunération. Dans le tableau de synthèse qui suit, nous récapitulons les intérêts et limites des différentes catégories de la typologie (voir tableau 1). En dernier lieu, à partir de l'observation de “redondances” dans les pratiques étudiées, un certain nombre d'idées-forces nous semblent pouvoir être identifiées comme étant des éléments de référence susceptibles d'orienter toute réflexion sur le thème de la reconnaissance des compétences. Le recueil des cas présentés étant limité, il ne prétend pas illustrer l'ensemble des pratiques existantes. En conséquence, il est clair que les indications qui suivent sont les résultats d'un premier travail de synthèse qu'il faudrait compléter ultérieurement par élargissement du panel. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 11 Tableau 1 : intérêts et limites des différents modèles de rémunération des compétences COMPETENCES UTILISEES COMPETENCES UTILISABLES Dans une Dans un parDans une siDans un poste Dans un emprofes- fonction future ploi à géométrie tuation profes- cours sionnel (capacité (compétences sionnelle variable potentielles) individualisée prouvée) M4 LIMITES INTERETS M2 M1 Amorce d'une valorisation individuelle et reconnaissance de l'initiative à évoluer ReconnaisConjugaison du principe sance de profils d'équité et de la individualisés valorisation individuelle CONDITIONS Stimulation Reconnaissance de la per- de l’individu sonne au-delà la fonction occupée (compétences utilisables et utilisées dans la fonction occupée) Dissociation entre différentes variables de pilotage Risque supProblème de Problème de Les compéReproducdes porté par l'entredes lisibilité consti- lisibilité tion de profils tences tuent une composantes de composantes de prise identiques variable de pilo- la rémunération la rémunération tage secondaire Organisation 1) Organisation stable et relativement stagestion quali- ble fiante (mobilité qualifiante) 3-1 M5 M3 Organisation qualifiante et stratégie d'utilisation des compétences acquises Risque supporté par l'entreprise Gestion et organisation adaptées : stratégie d'utilisation des compétences validées Gestion qualifiante et suivi des évolutions de carrière individuelles Ou : 2) Organisation qualifiante (progressions de carrière libres au sein d'un espace métier) Modèle transversal (gestion qualifiante ou/et organisation qualifiante) La définition des compétences n'est pas un enjeu central et déterminant Les cas concrets étudiés permettent d'établir que le libellé des compétences n'est pas un enjeu majeur dans l'efficacité et la réussite d'une gestion des compétences. Les réflexions théoriciennes sur le concept de compétence et sa complexité ne sont pas au nombre des préoc- IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 12 cupations des gestionnaires. Elles semblent à l'examen bien plutôt émaner de chercheurs -et c'est bien légitime-, et de certains cabinets de conseil soucieux de proposer un produit sophistiqué, construit et original. La trilogie classique des savoirs, savoir-faire et savoir-être, souvent controversée, apparaît comme suffisamment éclairante des différents pans de la compétence : - Les savoir-faire sont l'élément d'évaluation et de validation le plus probant. - Les savoir-être leur sont associés, mais de façon intégrée : ils sont garants, pendant la phase de conception des référentiels de compétences, du respect de l'échelle de complexité cognitive sous-jacente aux savoir-faire. Par contre, le fait de vouloir les conserver comme des références explicites autonomes présente un risque de confusion entre l'appréciation de la personne et de son activité. - Pour ce qui est des savoirs, il ne semble pas pertinent de les prendre en compte dans le cadre de l'évaluation des compétences ; il est admis qu'ils relèvent plutôt d'un référentiel de formation. Ainsi, la validation des savoirs n'intervient qu'en phase d'accroissement de compétences ou de remédiation, et avec un statut de pré-requis. 3-2 A propos du débat entre compétences et activités Nous avons pu établir que c'est la flexibilité de la situation professionnelle qui est déterminante dans la mise en oeuvre d'une logique de la compétence, et non pas un recours généralisé à la notion de compétence. Dès lors, se pose au gestionnaire le problème du choix de l'unité qui fera référence dans le système de gestion : activités ou compétences ? Le découpage en activités unitaires permet de flexibiliser l’emploi en restant proche de la réalité professionnelle des salariés. Par contre, la limite de cette approche est due au fait qu'elle est par nature contextualisée : l'activité ne facilite aucunement une représentation transversale des ressources de l'entreprise. Cet inconvénient peut être réduit par le recours à une méthode critérielle comme mode d'évaluation des activités unitaires. En effet, les critères utilisés, dont nous avons vu par ailleurs qu'ils s'apparentent à des critères de compétence (technicité, autonomie, relationnel...), en s'appliquant à l'ensemble des activités, fournissent une grille de lecture uniforme qui permet une approche globale. C'est là le grand intérêt d'un recours aux compétences génériques, qui sont par définition transverses aux champs d'application. La difficulté de cette seconde approche provient du risque de désincarner les réalités professionnelles, au point que les salariés ne s'y reconnaissent plus. Or, dans la mesure où le personnel est fortement impliqué dans le processus d'évaluation, il est indispensable qu'il puisse s'approprier l'outil de gestion. En conclusion, les contextes et priorités des entreprises seront les facteurs décisifs dans l'utilisation de l'une ou l’autre approche. Néanmoins, une bonne maîtrise des libellés de compétences génériques permet d'accéder à des possibilités d'utilisation élargies, notamment en matière de mobilité et d'évolution de carrière. 3-3 La logique de métier est une voie pertinente et consensuelle On observe que la référence au métier comme espace d'évolution individuelle est une solution souvent retenue, même si elle apparaît parfois en filigrane, sous des appellations diversifiées (“fonction” notamment). 3-4 Pour un traitement indifférencié entre cadres et non-cadres Si de manière générale les dispositifs de gestion des compétences sont actuellement plus volontiers appliqués au personnel non-cadre, plusieurs cas analysés militent en faveur d'une grille unique. Un traitement indifférencié de l'ensemble du personnel contribue à asseoir la cohérence de ce type de systèmes qui, en affichant un objectif de reconnaissance de la personne IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 13 plutôt que du poste de travail, adoptent des principes traditionnellement appliqués dans la gestion des cadres. 3-5 L'implication de l'ensemble des acteurs dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'un dispositif de gestion des compétences est une condition requise pour son aboutissement et son développement Il apparaît que le rôle moteur de la direction est tout à fait essentiel pour crédibiliser une telle évolution du système de gestion. Cette participation active de la part de la direction doit s'effectuer dans le cadre d'un processus généralisé de négociation avec les partenaires sociaux, la hiérarchie et l'ensemble du personnel. Au-delà de la phase de structuration d'un nouvel outil de gestion, l'investissement des acteurs de l'entreprise est également nécessaire à son application courante. En particulier, la hiérarchie directe est responsabilisée dans ses décisions de gestion, et le rôle des salariés est renforcé au niveau de la validation des compétences acquises : il est souvent question de co-évaluation. 3-6 Le support méthodologique d'un expert extérieur accompagne positivement le processus de changement Tous les cas d'entreprises analysés ont fait appel à un cabinet de conseil au moment de l'élaboration du système de gestion. Ce constat n'est bien entendu pas spécifique à la seule problématique des compétences. Toutefois, outre le crédit méthodologique et la garantie de neutralité apportés par une intervention extérieure, il est vraisemblable que l'intervention d'un expert soit recommandée par la complexité de ces dispositifs. 3-7 L'évolution des organisations du travail est un élément déclencheur de la révision des systèmes de gestion des hommes Les évolutions technologiques ne sont pas le seul levier de mise en place d'une gestion des compétences, et leur rôle prétendument facilitateur est remis en cause par les praticiens. Par contre, l'évolution des organisations du travail vers des formules plus collectives et plus flexibles, est un moteur du processus de changement dans de nombreux cas. 3-8 8 Les besoins de l'entreprise demeurent la contrainte première de l'évolution des salariés Les progressions de carrière s'effectuent dans le cadre de parcours plus ou moins personnalisés, des enveloppes de compétences pré-définies jusqu'aux profils individuels. Et donc le degré d'autonomie des personnes est variable en fonction de choix organisationnels. Il n'en reste pas moins que ce sont toujours les compétences utiles à l'entreprise qui sont reconnues, et celles-là seulement. 3-9 Le salaire de compétence correspond à du salaire de qualification La reconnaissance des compétences s'effectue toujours dans le cadre du salaire de base. Qu'il s'agisse de promotions coefficientaires ou d'augmentations individuelles, il paraît admis que le salaire de compétence est par nature non réversible. Il correspond au salaire fixe. 3-10 La taille limitée des structures pourrait être une condition facilitante aux exigences d'une logique compétence Cette proposition est hypothétique : elle s'appuie sur un constat de fait. En effet, l'essentiel des exemples analysés qui relèvent de démarches managériales (par opposition aux démarches IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 14 négociées), concernent des entreprises de taille réduite. Il serait abusif de prétendre pour autant que la gestion des compétences ne peut s'accommoder que de petites structures. Au moins peuton affirmer que des effectifs limités facilitent sa mise en oeuvre. Pour conclure, rappelons encore que cette contribution s'inscrit dans un champ de recherche relativement nouveau, peu étudié jusqu'alors, ce qui lui confère un caractère exploratoire. Elle doit être envisagée comme une première pierre apportée à la réflexion sur la reconnaissance des compétences par les pratiques de rémunération. Il convient dès lors de considérer qu'elle a valeur d'étape, et qu'elle a pour ambition de constituer un socle pour des investigations futures. 4 Bibliographie [1] J. Aubret, P. Gilbert, F. Pigeyre, Savoir et pouvoir : les compétences en questions, PUF, collection Gestion, Paris, 1993. [2] B. Coriat, Penser à l'envers : travail et organisation dans l'entreprise japonaise, Christian Bourgois Editeur, Paris, 1991. [3] A. Cougard,”Gestion des compétences et rémunération”, Document Rémunérations et Carrières, n° 136, Hewitt Associates, 1992. [4] G. Donnadieu, P. Denimal, Classification-Qualification : de l'évaluation des emplois à la gestion des compétences, Editions Liaisons, Paris, 1993. [5] D. Fitt, “Rémunérer les compétences”, Des compétences et des hommes. Le management des ressources humaines en Europe, Editions d'organisation, Paris, 1992. [6] H. Landier, “L'entreprise-Université japonaise”, Management et Conjoncture Sociale, n° 391, pp. 32-39, 1992. [7] H. Landier, “Développer en permanence le capital de connaissances utiles”, Management et Conjoncture Sociale, n° 439, pp. 4-10, 1994. [8] E. E. Lawler, “Paying the person : a better approach to management ?, Human Resource Management Review, vol.1, n°2, pp.145-154, 1991. [9] G. Le Boterf, De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Editions d'Organisation, Paris, 1994. [10] Y.-F. Livian, J. Terrenoire, “Les entreprises face aux exigences de la gestion des contumaces”, Personnel, n°361, pp.59-61, juin 1995. [11] F. Minet, M. Parlier, S. de Witte, La compétence, mythe, construction ou réalité ?, L'Harmattan, Paris, 1994. [12] [12] G. Naro, “Systèmes de rémunération et cultures organisationnelles”, Revue Française de Gestion, n° 95, pp. 44-52, 1993. [13] P. Zarifian, “Acquisition et reconnaissance des compétences dans une organisation qualifiante”, Education permanente, n° 112, pp. 15-22, 1992. [14] P. Zarifian,”Coopération, compétence et système de gestion dans l'industrie : à la recherche de cohérence”, Actes du 5ème Congrès de l'AGRH, Montpellier, pp. 15-20, 1994. [15] P. Zarifian, “Le modèle de la compétence : une démarche inachevée”, Le Monde, 1er mars 1995. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 5 15 Annexe : le système “3i” de RCO France Est Compte tenu de la nouveauté de ce modèle, mais surtout de son intérêt au regard de la problématique de la logique compétence dont il nous semble réaliser une version achevée, nous avons choisi de l'illustrer par une application d'entreprise tout à fait originale : le système “3i” de RCO France Est, dont l'architecture et les principes sont présentés en annexe de notre article (§ 5). L'établissement Rochette Cempa Ondulé de Vénizel est une filiale du groupe La Rochette spécialisée dans la production de carton ondulé. L'usine comporte 220 salariés, dont 192 noncadres. Le niveau de formation moyen est relativement faible, avec près de deux tiers du personnel possédant un niveau CEP (Certificat d'Etudes Primaires). L'ancienneté moyenne s'élève à 23 ans. Autre particularisme fort, l'usine bénéficie d'un taux de syndicalisation élevé, avec l'image traditionnelle d'une “usine dure”. 5-1 Objectifs poursuivis Les objectifs exprimés sont à la fois de nature économique et sociale. Le système vise à : - développer une plus grande flexibilité de fonctionnement en réponse aux exigences d'une production aléatoire, - assurer une véritable gestion des carrières par une meilleure prise en compte des aspirations individuelles, et l'accroissement des possibilités d'évolution professionnelle des salariés, - sortir du système des postes de travail en vue d'une meilleure reconnaissance des contributions individuelles. Le système de classification en vigueur jusqu'à fin 1993 est un système de type Parodi désormais inadapté aux évolutions de l'entreprise. En particulier, la polyvalence n'est pas reconnue par le système, ce qui fait l'objet de revendications syndicales. Deux problèmes sont identifiés à cet égard : d'une part, la rémunération de la polyvalence est soumise aux aléas de la production, elle ne relève pas d'un cadre contractuel : le salarié est donc tributaire des exigences de production ; mais encore, la polyvalence est vide de contenu, dénuée de sens : traitée au travers de primes de surclassement jugées insuffisantes de l'avis de la direction, elle ne correspond pas un métier et de ce fait, est essentiellement dévalorisante pour les salariés. 5-2 La méthodologie développée 5-2.1 Une démarche collective entre direction, syndicats et salariés Ce qui constitue l'originalité et à la fois une des forces de l'accord “3i” tient au fait qu'il est le fruit d'un travail collectif impliquant les acteurs de l'entreprise. D'une façon globale, l'usine bénéficie d'une grande autonomie laissée par la direction générale aux régions en matière de questions sociales. A l'origine de la démarche, deux hommes : le directeur général et le chef du personnel, qui impulsent une dynamique de concertation en créant différentes instances de réflexion : - un groupe de pilotage se structure autour du directeur général, du chef du personnel et d'un consultant, - un groupe de réflexion réunit le groupe de pilotage et l'équipe de direction, - un comité permanent est constitué autour du groupe de pilotage, renforcé du chef d'atelier, de trois délégués syndicaux (CGT, CFTC et CGC), et de trois salariés choisis par les syndicats, - six commissions de travail rassemblent un tiers de salariés volontaires qui ont participé à 93 réunions, soit un total de 2.200 heures d'échanges. La position de chacune des parties impliquées dans l'élaboration du nouveau système paraît tout à fait déterminante : IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 16 - la direction, d'une part, est l'instigatrice convaincue de la nécessité de “faire autrement”, sans idée préétablie du produit à construire ; - cette même direction souligne d'autre part l'implication de partenaires syndicaux ambitieux et exigeants qui souhaitent au travers de ce projet, se démarquer d'un accord de branche jugé insatisfaisant, notamment par la CGT; - par ailleurs, le choix d'associer à la démarche un échantillon de salariés sur une base de volontariat apparaît comme judicieux et porteur : outre que la dimension participative permet de restituer au plus juste la réalité des activités de l'entreprise, elle crée des relais de communication actifs sur le terrain ; - enfin, l'intervention d'un consultant constitue à la fois un apport méthodologique et un point de vue externe. Ainsi, l'accord “3i” n'est pas un produit fini négocié par la direction auprès du personnel. La démarche participative dépasse le cadre d'un inventaire de leurs contenus d'activités par les salariés. L'élaboration du système s'étend sur une période de deux ans et demi d’échanges, d'alternances de propositions et de validations successives. Le jeu traditionnel de la négociation est redéfini de telle sorte que la signature de l'accord correspond à un processus d'entérinement d'un travail commun. La nature de la démarche adoptée est vraisemblablement un élément clé de son aboutissement. Elle est renforcée dans sa cohérence par une large communication sur le système dès signature de l'accord, avec notamment des présentations effectuées auprès du personnel, à la fois par la direction et les syndicats. 5-2.2 Les principes 5-2.2.1 Toutes les compétences utilisées sont rémunérées La reconnaissance des compétences est soumise à un critère d'utilisation qui n'a rien à voir avec une notion de compétences prescrites. La seule condition de mise en oeuvre des compétences est requise pour leur validation, sans référence à des profils préétablis. Selon les termes de la direction, chaque salarié est créateur de son emploi. Ainsi, l'évolution de la rémunération est liée à l'élargissement du champ de compétences utilisées. A l'inverse, le système prévoit une réversibilité de la rémunération en cas de non utilisation prolongée des compétences. Le caractère exhaustif de la reconnaissance des compétences est un autre élément important du système : ne sont pas reconnues les seules compétences de niveau supérieur, ou les compétences considérées comme appartenant au noyau dur de l’emploi exercé, mais l'ensemble des compétences utilisées. Pour exemple, un contremaître utilisant un véhicule dans le cadre de son travail se voit reconnaître la possession d'un permis de conduire au même titre qu'un coursier. Autre exemple : sont également rémunérées les compétences en matière de secourisme. 5-2.2.2 Une recherche d'objectivité L'acception retenue de la notion de compétence relève d'une volonté d'objectiver l'évaluation des salariés. Nous avons vu par ailleurs que la définition donnée aux compétences est problématique dans la mesure où elle recouvre une pluralité de sens. Un module de compétences est défini comme une somme de savoirs et de savoir-faire concrets. RCO préconise ainsi selon son expression un système behavioriste. Ce qui compte, c'est ce qui est visible, constatable, et mesurable. Le système “3i” est étranger aux approches cognitives, mais se démarque également d'une prise en compte des performances : les modules de compétences ne proposent pas d'indicateurs de réussite, ils recensent des savoir-faire pratiques qui peuvent s'apparenter à des activités. Exemples de modules de compétences : Module “Management” (force 2) : IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 17 - Participer, en donnant son avis, à l'évaluation annuelle des membres de l'équipage et à l'orientation des formations nécessaires et/ou obligatoires pour les membres de l'équipage. - Organiser le travail de sa machine : répartir les tâches. - Rendre compte au responsable de faction des problèmes liés à la qualité, au respect de la sécurité, au respect du règlement intérieur, à l'organisation. Les savoir-être sont délibérément écartés du système en raison de leur caractère subjectif. La direction considère qu'ils sont pris en compte indirectement au travers de la gestion des carrières. Par ailleurs, le maintien de primes d'objectifs annuelles associées plus à une fonction qu'à l'obtention de résultats est envisagé comme un moyen éventuel de reconnaissance des savoirêtre pour les agents de maîtrise. La question est soulevée par la direction, elle devra être traitée. La non prise en compte des savoir-être par le système justifie par ailleurs un traitement spécifique de la population des cadres ; l'importance des compétences comportementales dans les fonctions d'encadrement est un argument en faveur d'une gestion centralisée de cette catégorie de personnel au niveau du siège du groupe. 5-2.2.3 Une progression individualisée par la formation L'évolution des compétences individuelles n'est pas soumise aux contours d'une fonction, ou à une progression naturelle dans une filière. Elle s'effectue dans le cadre global des besoins de l'entreprise qui sont définis par le plan stratégique. Chaque salarié acquiert de nouvelles compétences en fonction de son projet professionnel. 5-2.3 Architecture du système Le système repose sur une logique de métiers. Quinze axes de métiers sont déterminés. Treize d'entre eux décrivent l'ensemble des grandes activités du site (“Transformation du carton”, “Maintenance”, etc). Ils sont qualifiés d'”axes de métier” ou d'”axes secondaires” selon qu'ils désignent l'activité principale d'un salarié ou une activité complémentaire. Deux autres axes sont des axes plus transversaux qualifiés d'”axes secondaires” (“Connaissances RCO” et “Communication”) ; l'axe concernant la connaissance de l'entreprise est un axe requis pour l'ensemble du personnel. Chaque axe de métier se décompose six paliers de complexité croissante, qui ne sont pas tous nécessairement informés. Les activités de l'entreprise sont ventilées en 160 modules de compétences. Un module correspond à un ensemble de savoirs et savoir-faire homogènes. Et donc, à chaque module de compétence sont associés un ou plusieurs modules de formation permettant l'acquisition des éléments intégrés dans la définition du module. Un module est en effet envisagé comme une entité indivisible. La validation d'un module passe par l'acquisition de l'ensemble de ses éléments. Les modules sont hiérarchisés selon leur degré de difficulté sur une échelle de six niveaux appelés “force”, et affectés aux axes de métier. La force est le pendant du palier : tous les modules de force 1 sont regroupés dans le premier palier de l'axe de métier, etc. La pesée des modules de compétences s'effectue sans référence à des emplois particuliers. Les compétences ont ainsi une “valeur absolue” dans le système, à partir de laquelle sont élaborées des règles de gestion qui président à la détermination des salaires. 5-2.4 Détermination du salaire Le salaire de base se décompose en trois éléments : - la valorisation des indices de seuil, - la valorisation des points de modules, - la valeur d'anticipation éventuellement attribuée. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 18 Tableau 2 : outil de gestion des compétences R.C.O (Source : Document interne RCO) 1er palier Nom bre de modules 1 2 3 4 5 6 7 8 9 2ème pa3ème pa4ème pa5ème pa6ème palier lier lier lier lier s mos mos mos mos mos mo euil dule euil dule euil dule euil dule euil dule euil dule ce 2 1 X x X x Pts points pts points x x points points x x points points x x points points x x points points x x points points x points x points for- for- for- for- for- force ce ce ce ce 3 X x pts points x points x points x points x points x points x points 4 X x pts points x points x points x points x points x points x points x points x points 5 X x pts points x points x points x points 6 X x pts points x points x points x points x points x points 5-2.4.1 Valorisation de l'indice de seuil Chaque salarié est positionné sur un axe de métier. Le ou les modules de la force la plus élevée qui sont détenus par un salarié sur son axe de métier, déterminent le palier de classement du salarié : ainsi, un individu possédant des modules de forces 1, 2 et 3 sera positionné au troisième palier. A ce palier de classement correspond un indice de seuil. Un barème défini empiriquement associe à chaque valeur de seuil une valeur de francs. L'indice de seuil valorise en quelque sorte une notion de complexité des compétences mises en oeuvre. Les points de modules rémunèrent plutôt l'amplitude du champ des compétences. 5-2.4.2 Détermination du nombre de points de modules Chaque salarié détient des modules sur son axe de métier et sur des axes complémentaires. Une grille également empirique attribue des valeurs de points à chaque palier en fonction du nombre de modules détenus. Sur l'axe de métier, on retient la valeur de points associée aux modules détenus dans le palier de l'agent. Sur les axes complémentaires, on retient pour chacun des axes concernés la valeur maximale de points obtenue dans une force. Cette valeur ne correspond pas nécessairement à la force la plus élevée. Exemple : un salarié peut posséder sur l'axe 03 un module de force 2 évalué à 30 points et deux modules de force 1 évalués à 32 points, on retiendra le nombre de points le plus favorable à la personne. Le cumul des points obtenus à la fois sur l'axe de métier et sur les axes complémentaires de chaque salarié indique le nombre de points de modules (ou points de compétences). IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 19 5-2.4.3 Valeur d'anticipation La valeur d'anticipation désigne selon les termes de l'accord “3i” “un montant forfaitaire brut destiné à résoudre des cas particuliers”. Elle donne sa souplesse au système en répondant à une série de situations particulières : - En cas d'embauche, le salaire d'embauche défini par l'accord de branche ou une valeur marché peut être supérieur au salaire prévu par le système. La valeur d'anticipation prend en charge cette différence jusqu'à ce que les compétences validées corrigent naturellement de tels écarts ; - En cas de mutation d'un secteur à un autre de l'entreprise, en vue d'une éventuelle promotion, la période d'acquisition de compétences nouvelles peut conduire à une baisse momentanée des points acquis par le salarié. La valeur d'anticipation permet d'éviter une perte de salaire susceptible de décourager les initiatives en matière de mobilité ; - En cas de non utilisation de compétences validées du fait de l'entreprise (fermeture d'atelier, évolutions techniques...), la valeur d'anticipation permet un maintien du salaire durant une période transitoire de reconversion conduisant à une acquisition de nouveaux modules. Le cas échéant, une baisse de salaire est envisageable et prévue par le système ; - Enfin, la valeur d'anticipation est un élément nécessaire de transition entre l'ancien et le nouveau système. Le nouveau système a mis en évidence des écarts entre niveau de salaire et niveau de compétences. En cas d'écarts constatés en faveur des salariés, le salaire de base n'est pas remis en cause, mais la valeur d'anticipation intervient jusqu'à acquisition de nouvelles compétences. Ainsi, la valeur d'anticipation donne une respiration au système pour les phases transitoires dans la carrière du salarié : embauche, mutation, ou évolution de compétences non encore structurées en modules utilisables. Un quart du personnel se trouve en valeur d'anticipation pour ces motifs divers. La valeur d'anticipation est un outil de gestion des situations de transition : sa valeur est destinée à diminuer au rythme de la valorisation des modules de compétences, jusqu'à sa disparition ultime. 5-2.5 Evaluation des compétences Chacun des axes de métier est placé sous la responsabilité d'un membre de l'encadrement qui est partie prenante dans l'attribution des modules de son axe pour l'ensemble des salariés de l'entreprise. L'évaluation des compétences s'effectue annuellement dans le cadre d'un entretien entre le salarié et la hiérarchie directe qui, pour les axes complémentaires, a obligation de consulter les responsables respectifs. Cette mesure présente l'intérêt d'introduire une certaine collégialité dans le processus d'évaluation. L'entretien se structure autour d'une phase de bilan et une phase d'orientation. Le bilan met à jour le répertoire des compétences détenues par le salarié. Sont reconnus les modules mis en oeuvre au service de l'entreprise. Les modules pouvant comporter différents éléments, leur validation reste soumise à l'utilisation de la totalité de ces éléments. Ainsi, l'accord spécifie qu'”un salarié peut être amené, dans le cadre de sa progression de carrière, à exercer les éléments d'un module qui ne lui est pas globalement reconnu”. En cas de non exercice d'un module pendant deux ans ne relevant pas d'un mauvais fonctionnement du système, il y a perte de ce module. Les évolutions envisagées en matière d'acquisition de modules sont liées aux besoins de l'entreprise, besoins exprimés dans le cadre d'un plan stratégique à cinq ans réactualisé annuellement. La hiérarchie directe doit tenir compte de ces orientations pour développer une véritable gestion des carrières à moyen terme. Son rôle se voit ainsi renforcé mais également complexifié. Le système étant extrêmement ouvert, des stratégies de changement d'axe apparaissent qu'il est nécessaire de réguler : ce rôle d'arbitrage est du ressort du directeur. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 5-3 20 Résultats 5-3.1 Coûts La masse salariale a augmenté de 1,5% à la signature de l'accord (12/1993), et de 1,2% un an plus tard. Au moment de la signature de l'accord, l'ensemble des salariés avaient effectué un premier bilan de compétences avec leur hiérarchie. Soixante cas de recours ont été recensés. Les revalorisations maximales ont atteint un montant de 2.500F. Les valeurs d'anticipation les plus élevées sont de 3.500F. Les augmentations moyennes sont de 250 à 280F. 9.500 points de modules ont été distribués, soit une moyenne de 49 points par personne, sachant que la valeur d'un module n'est jamais inférieure à trois points. Par ailleurs, contre toute attente, on constate une rationalisation des coûts de formation plutôt qu'une augmentation : 1990 3,63%† 1991 6,11 1992 5,16 1993 3,82 1994 3,83 Plan 1995 4,49 †. % de la masse salariale 5-3.2 Gains chiffrés La prime d'intéressement trimestrielle (m2 produits/heures travaillées) a augmenté de 10% en 1994. 5-3.3 Autres évolutions identifiées - Il n'y a plus deux salaires identiques dans l'entreprise. - Les titres ont été supprimés : les salariés sont désormais des agents. La direction ne constate pas de problèmes liés à une perte d'identité. La substitution des compétences au métier traditionnel apparaît comme une évolution valorisante. A noter tout de même que le personnel conserve son coefficient dans l'accord de branche, ce qui lui permet de constater que le coefficient “3i” est plus intéressant que la classification de la branche. - Le système constitue un outil stratégique : c'est un bras de levier pour faire évoluer les organisations de l'entreprise et les modes de gestion ; par exemple, il permet de donner des orientations nouvelles à certaines fonctions (cf. cas des assistantes commerciales qui, bien que possédant de nombreuses compétences administratives, sont positionnées sur un axe de métier “vente” ouvrant à une évolution de leur fonction). Le formalisme de l'outil favorise l'objectivation des situations individuelles. - La direction fait état d'un changement complet de l'ambiance de l'entreprise, avec une communication accrue mais déjà présente dans les pratiques antérieures (journal d'entreprise hebdomadaire). - Le rôle de la maîtrise est fortement renforcé, même si les nouveaux enjeux ne sont pas toujours compris. La direction note que les agents de maîtrise et les cadres sont les deux populations les plus réticentes à l'égard du système, d'où l'importance d'une large communication. - La direction mentionne une évolution vers une gestion disjointe des machines et des compétences. L'optimisation des machines et l'évolution des compétences sont devenues deux éléments déconnectés. Les postes de travail deviennent des découpages géographiques (postes physiques) sans lien avec la répartition effective des hommes. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 5-4 21 Limites identifiées - Risque d'évolution d'une gestion des carrières vers une gestion des salaires : Le système est un système ouvert, extrêmement flexible, qui devient par là même un puissant outil de gestion des carrières. Conjointement, ce qui constitue sa force est un élément de sa fragilité en ce sens que l'absence d'une gestion stratégique ou prévisionnelle des carrières peut à la fois conduire à des dérives en coûts, mais encore faire évoluer le système vers une stricte gestion des salaires. - Perte de référentiel pour les gestionnaires : La direction reconnaît avoir perdu tout contrôle sur l'état des qualifications dans l'entreprise. Si le système permet en effet une visibilité d'ensemble des compétences détenues et mises en oeuvre, seule la hiérarchie directe possède une vision claire de la situation de son secteur. Le système oblige à une délégation importante qui n'est pas en soi une limite quand elle est bien gérée (hiérarchie “forte”), mais représente un certain inconfort du point de vue de la direction et des cadres qui perdent une partie de leurs prérogatives, et sont confrontés à une situation de rupture par rapport aux pratiques de management traditionnelles. - Un système qui nie l'histoire pour ne plus considérer que le présent : Le système procure un état des compétences mises en oeuvre au sein de l'entreprise. A l'inverse, il ne tient aucun compte de la notion de “parcours professionnels”. Les compétences antérieurement validées et devenues obsolètes compte tenu d'évolutions professionnelles particulières, ne sont consignées nulle part, sinon dans les dossiers de la hiérarchie directe. La direction reconnaît la faiblesse d'un système qui tend à oublier l'histoire. 1996.04 Rémunération des compétences : proposition de typologie Valérie Marbach Docteur ès Sciences de Gestion de l'IAE de Paris Les papiers de recherche du GREGOR sont accessibles sur INTERNET à l’adresse suivante : http://www.univ-paris1.fr/GREGOR/ Secrétariat du GREGOR : Claudine DUCOURTIEUX ([email protected])