Le management interculturel face à l`éthique Georges Aoun 1

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Le management interculturel face à l`éthique Georges Aoun 1
2001.01
Le management interculturel face à l’éthique
Georges Aoun
Professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth — Professeur invité à l’IAE de Paris
Résumé : De nombreuses entreprises sont confrontées aux problèmes issus de la pratique
de la gestion dans des contextes culturels différents. La délocalisation de certaines activités de
l’entreprise, leur expansion commerciale vers de nouveaux marchés, le recours à des fournisseurs lointains et situés dans différents pays, le développement de l’immigration avec des
ressources humaines caractérisées par une diversité culturelle engendrent des obstacles à la
mise au point de procédures managériales uniformes et un retard dans les prises de décision à
cause des facteurs culturels, éthiques et sociaux reliés aux décisions managériales. Le développement du management interculturel fut accompagné par une large diffusion de l’information
et l’intérêt croissant des consommateurs pour les valeurs morales ainsi que le respect de
l’éthique. Toutes les entreprises tentent actuellement d’inclure les dimensions sociale et éthique
dans leur prise de décision mais des problèmes émergent au niveau des activités internationales
de l’entreprise car de nombreuses valeurs sont différentes et des interprétations variées sont
formulées par les consommateurs selon leur culture et leur code. L’adoption d’un code de
conduite ou la mise en place d’un ensemble de principes peuvent-ils constituer une solution aux
nombreux problèmes résultant de la dimension internationale de l’entreprise?
Mots-clés : Management interculturel, éthique, mondialisation, codes de conduite, stratégies des Entreprises multinationales.
Abstract :Many companies are facing due to cultural diversity. Diversity in work place is
increasing with globalization, markets expansion, larger immigration and transfer of manufacturing operations to remote countries. The cultural diversity within companies and relations
with consumers in different markets have many consequences on procedures and managerial
decisions. The development of cross cultural management is oftenly associated with business
ethics because decisions and actions are perceived differently according to the culture. Many
companies are considering the social consequences on the community and ethical outcome of
their decisions. Could the codes of conduct and business principles offer the solutions and
became part of cross cultural management?
Keywords : Cross cultural management, ethics, globalization, codes of conduct, corporate
strategies, multinational companies.
1
Introduction
La finalité de l’entreprise est la création de richesses dont bénéficient, directement ou indirectement et à différents degrés, les actionnaires, les employés, la collectivité et les pouvoirs
publics.
Divers facteurs favorisent le développement des entreprises multinationales implantées dans
divers marchés avec des équipes d’employés/ ouvriers de culture différente dont notamment la
globalisation des marchés et les nouvelles techniques d’information et de communication qui
incitent les entreprises à standardiser l’organisation et les procédures de travail dans toutes leurs
activités tout en instaurant un contrôle plus efficace.
La mondialisation caractérisée par la libre circulation des biens/services et les NTIC favorisent les partenariats entre des entreprises, de culture distincte et de styles managériaux différents, apparues dans des pays différents et souhaitant exploiter leur caractère complémentaire
ou un avantage compétitif qui manque à l’une et se retrouve chez l’autre (matières premières,
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expertise, main d’oeuvre, marchés adéquats, …) et la notion de «stakeholders» ou «teneurs
d’enjeux » largement acceptée dans les entreprises stipule l’étude de l’impact des décisions
managériales sur tous les intervenants.
Figure 1 : Teneurs d’enjeux
Producteurs de matières premières
Actionnaires
Grossistes
Sous-traitants
Institutions
Financières
Prestataires de
Services
Multinationale détentrice de la Marque
Distributeurs
Consommateurs
Les entreprises multinationales (EMN) – produisant ou distribuant leurs produits dans deux
pays ou plus – dominent la production mondiale dans la plupart des grands secteurs d’activité:
automobile, électronique grand public, chimie, produits pharmaceutiques et pétrole. Elles sont
à même de réaliser d’importantes économies d’échelle et de mettre en place de vastes réseaux
de distribution. Les 500 plus grosses d’entre elles représentent plus de la moitié du commerce
mondial. (The fortune global 500, 2000).
La large diffusion de l’information et la prise de conscience des consommateurs du pouvoir
de sanction qu’ils détiennent et imposent aux entreprises une transparence (responsibility,
traceability and accountability).
La globalisation des marchés a entraîné l’imposition d’une série de normes courantes dans
les pays développés. Ces normes ont été appliquées sur les opérations de production, à coût
réduit, se déroulant dans un contexte différent (les pays en voie de développement) avec les
produits finis souvent destinés aux consommateurs des pays développés détenant un pouvoir
d’achat élevé et qui sont sensibles aux normes et valeurs.
Les normes, initialement orientées vers la qualité, ont été progressivement étendues à différents aspects socio-économiques suite à la prise de conscience des consommateurs de leur
pouvoir de sanction et des conditions difficiles de travail des ouvriers fabriquant des produits
qui leur sont destinés; le sentiment de culpabilité a été nourri par les médias et les ONG actives
dans les pays en voie de développement.
Le pouvoir de sanction détenu par les consommateurs a été utilisé à maintes reprises, ce qui
a incité les entreprises concernées à améliorer directement ou indirectement les conditions de
travail des ressources humaines impliquées dans les opérations de production dans divers pays
et dans des contextes culturels différents.
Divers dysfonctionnements ont été identifiés dans les procédures managériales classiques et
une nouvelle approche des problèmes globaux doit être mise au point avec des adaptations
locales dans le cadre d’une transparence absolue afin de développer la confiance des consom-
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mateurs dans les entreprises multinationales souvent dessinées à l’image d’une pieuvre tentaculaire avec l’obsession de la rentabilité au mépris du bien-être de la collectivité.
1-1
Stratégies et réalités
Des stratégies flexibles ont été introduites pour gérer la diversité «think global and act local»,
avec la diminution du «one size fits all»; de même les entreprises ont tendance à formaliser les
valeurs implicites, les politiques internes et les procédures d’audit sous la pression des consommateurs et de l’opinion publique.
Economiquement, les entités les plus puissantes du monde ont été répertoriées en 1999 et il
est possible de constater que sur la liste des 100 entités économiques les plus puissantes, 51
entités sont des entreprises multinationales caractérisées par leur chiffre d’affaires et 49 sont des
pays caractérisés par leur PNB.G.M. (153 md$), Wal-Mart (140 md$), IBM (81 md$), Philip
Morris (75 md$), AT&T (54md$), HP (43 md$), P&G (39 md$) …, figurent devant de
nombreuses économies développées et détiennent des pouvoirs étendus à travers leurs contributions à la Société et leur rôle dans le développement ainsi que les changements qu’elles peuvent
initier.
Leurs dirigeants peuvent être assimilés à des chefs d’état et de gouvernement, «élus» par des
actionnaires et œuvrant pour le bien-être d’une collectivité, disposant de moyens relatifs à la
taille de l’entreprise; à mesure de la croissance des entreprises, des demandes sont formulées
pour qu’elles assument davantage de responsabilité à cause de leur impact sur l’économie internationale et les collectivités locales.
L’éthique dans les entreprises permet d’éviter les abus et de créer une atmosphère saine pour
l’exercice du management ainsi qu’une coopération étroite avec les intervenants dans
l’entreprise; cependant la dimension internationale de l’entreprise engendre une réflexion relative à la standardisation des procédures managériales car l’adoption de procédures différentes
dans chaque pays risque de violer le principe de l’équité et favoriser la discrimination positive
ou négative entre des personnes appartenant à une même institution fédérée par une culture,
mission et des codes communs.
Cependant les procédures standardisées adoptées par une multinationale peuvent constituer
une aberration si elles sont appliquées dans une même situation dans différents pays ; par
exemple la réaction d’un cadre expatrié aux infractions potentielles suivantes commises par un
employé et notifiées aux pouvoirs publics:
- Vol à l’entreprise
• Légère peine de prison en Europe
• Amputation en Arabie Saoudite
• Peine capitale en Chine
- Alcoolisme
• Indifférence en Europe
• Longue peine de prison en Arabie Saoudite
- Toxicomanie
• Programme de désintoxication/réhabilitation en Europe
• Fouet et longue peine de prison dans les pays islamiques
• Risque de peine capitale en Turquie et en Thaïlande
- Harcèlement sexuel
1-2
Recours aux principes
Proposer des principes assez généraux à considérer dans le cadre de toute prise de décisions
tout en laissant une marge de manœuvre permettant de tenir compte des réalités locales pourrait
offrir une solution aux différences culturelles à travers la réalisation d’un équilibre des extrêmes.
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Le respect d’un ensemble de valeurs qui constituent la dimension morale de toutes les activités de l’entreprise et le respect des traditions locales sont conciliables; cependant les cadres
de l’entreprise font face à de nombreuses incertitudes culturelles dans leur prise de décision car
le contexte est déterminant quand il est nécessaire de distinguer le bien et le mal. Les valeurs de
référence adoptées doivent être communes aux cultures occidentale et orientale ainsi qu’aux
différentes religions.
1-3
Dimension éthique
Le respect de l’être humain à travers la conception d’un cadre de travail sécuritaire et
agréable ainsi que le respect des droits de l’homme avec un modèle de citoyenneté permettent
d’aboutir à un leadership éthique à travers la définition et l’application de conditions strictes aux
fournisseurs et aux clients.
L’autorisation aux filiales de formuler des normes éthiques adaptées à la nature et la localisation géographique de leurs opérations, l’appui aux efforts de lutte contre la corruption institutionnelle et le recours à l’imagination – contournent plusieurs obstacles locaux (Coca Cola
contribue à planter des arbres en Egypte).
2
Codes de conduite internationaux: composante du management interculturel
2-1
Droits de l’homme
La violation des Droits de l’Homme peut prendre diverses formes et plusieurs entreprises ont
réagi dans le passé face à des violations commises par des sous-traitants ou des fournisseurs; à
titre d’exemple Levi Strauss a réagi contre le travail forcé des prisonniers politiques en Chine,
Nike a fait face au travail des enfants au Cambodge selon le programme «panorama» diffusé
sur la BBC le 15 octobre 2000 ainsi qu’au droit à la libre association, la syndicalisation et la
grève au Mexique.
Certaines entreprises américaines ont versé des dédommagements pour éviter des poursuites
judiciaires suite à des accusations de harcèlement et d’abus telles que Grace culinary system
(USA Today, [29], 27/7/2000), de discrimination dont fut l’objet Microsoft de la part d’un
groupe afro-américain (San Jose mercury news, [27], 7/10/2000), de rémunération inéquitable
et d’absence d’un salaire minimal dans les opérations de production de divers articles pour le
compte de Liz Clairborne et de Calvin Klein à Northern Marianes (Christian science monitor,
[17], 3/4/2000).
D’autres éléments relatifs aux droits de l’Homme doivent être appliqués dans le cadre du
suivi des plaintes des employés, la définition de la durée du travail régulier et du tarif des heures
supplémentaires, les congés et les vacances payés ainsi que, si nécessaire, les congés de grossesse et de maternité tout en évitant de réduire le salaire des employés qui n’atteignent pas les
quotas de production fixes.
2-2
Santé et securité
Les mauvaises conditions de travail dans les usines de confection à Saipan et les
répercussions sur plusieurs distributeurs américains commercialisant ces produits dont notamment Sears et JC Penney (San Francisco chronicle, [25], 10/8/1999 et San Francisco examiner,
[26], 4/3/2000) ont permis de développer une série de recommandations à instaurer dans les
unités de production telles que la protection contre les accidents de travail et les maladies
professionnelles, la mise à la disposition des ouvriers/employés des salles d’eau avec un accès
permanent ainsi qu’une cafétéria, l’installation de mécanismes de sécurité sur les machines avec
formation des ouvriers, la climatisation suffisante du lieu de travail, la fourniture aux ouvriers
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de vêtements, de bottes et de gants assurant une protection efficace contre les dangers usuels, la
mise en place d’un matériel de lutte contre les incendies et la formation du personnel à l’utilisation de ce matériel
Cependant l’adoption de ces recommandations n’est pas suffisante et pourrait se heurter à des
obstacles culturels entravant la communication ou des codes différents engendrant une incompréhension et une insatisfaction mutuelles pouvant entraîner parfois des conséquences tragiques
(catastrophe de Union Carbide à Bhopal en Inde).
3
Critères adoptés pour le choix d’un pays d’implantation:
exemple de Levi Strauss & Company
L’étude des caractéristiques des pays susceptibles d’accueillir une implantation ou dans
lesquels une coopération est envisagée avec des partenaires locaux, permet d’identifier les
risques potentiels au niveau de l’image de la marque, la santé et la sécurité des employés, la
situation des droits de l’homme, les contraintes légales imposées par les pouvoirs publics, la
stabilité politique et sociale ainsi que la situation économique et le pouvoir d’achat des consommateurs.
Dans le choix des partenaires locaux il est nécessaire de vérifier la compatibilité de leurs
pratiques managériales avec les pratiques de l’entreprise au niveau de la protection de l’Environnement, du respect de l’éthique, de l’application des lois, des procédures de recrutement/
promotion et de l’engagement dans la collectivité (Women’s wear daily, [30], 1998).
Certaines entreprises présentes en Chine ont dû reconsidérer leurs stratégies et les options
offertes varient entre le compromis et la rupture totale avec souvent une stratégie intermédiaire:
- Continuer à opérer directement tout en évitant d’aborder les problèmes des droits de
l’homme.
- Constituer une Joint Venture avec un opérateur local assumant les responsabilités légales
et sociales.
- Maintenir la présence en Chine tout en œuvrant à l’amélioration des droits de l’homme.
- Quitter la Chine en cessant les activités directes ou la sous-traitance.
- Rompre toute relation avec la Chine en arrêtant l’achat de matières premières.
3-1
Les approches de la conformité et de l’intégrité
L’approche de conformité consiste à respecter des directives assez générales; ainsi Nike, qui
adopte cette approche, a invité ses sous-traitants à respecter les législations locales et internationales permettant d’éviter les sanctions légales et morales (Challenges, [16], 2001).
Nike évalue ses relations avec ses partenaires en fonction de l’approche de conformité que
de nombreuses multinationales tendent à adopter (The Oregonian, [24], 1999).
L’approche de l’intégrité consiste à établir un code de conduite en se basant sur un ensemble
de principes ce qui permet de dépasser le simple respect d’un cadre légal.
Reebok a développé une stratégie d’intégrité se conformant à toutes les normes locales
exceptées certaines telles que les heures de travail, le travail des enfants et l’environnement pour
lesquelles il est plus exigeant car Reebok a mis en place des normes restrictives (Asian wall
street journal, [15], 1998).
La décision de plusieurs entreprises multinationales de cesser leurs activités dans certains
pays (The Economist, [18], 1998) a engendré un choc positif mais la perte de milliers d’emplois
s’ensuivit, ce qui nécessite de la part des entreprises l’étude des conséquences de l’adoption et
l’application de normes très restrictives inspirées des standards américains et européens; ces
conséquences peuvent être désastreuses pour les employés et les ouvriers qui travaillent locale-
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ment dans des conditions médiocres et susceptibles de devenir les victimes de l’éthique avec la
perte de leur emploi et une détérioration de leur situation socio-économique, sachant que ces
personnes sont incapables d’exercer une influence pour la modification de la situation prévalant
dans leur pays.
Les entreprises étudient également la relation entre les décisions éthiques de l’entreprise et
sa position concurrentielle à travers l’estimation des coûts supplémentaires occasionnés par ces
décisions, l’impact au niveau de l’image et du positionnement, la perception des consommateurs et les réactions des pouvoirs publics locaux essentiellement concernés par les décisions de
l’entreprise.
Le développement dans les pays émergents, de zones franches industriels échappant aux
réglementations nationales, constitue un risque car de nombreuses entreprises choisissent de
s’installer dans ces zones pour augmenter la productivité tout en réduisant leur coût au détriment
des conditions de travail de leurs salariés; leur objectif primaire étant l’amélioration de leur
position concurrentielle.
3-2
La corruption
L’entreprise qui s’engage dans cette voie assume des coûts supplémentaires qu’elle doit
répercuter sur ses prix de vente.
Selon Transparency International qui établit annuellement un classement des pays selon la
corruption, en se basant sur plusieurs critères, les pays les moins corrompus sont le Danemark,
la Suède et la Finlande tandis que parmi les plus corrompus figurent l’Inde, la Russie,
l’Indonésie, l’Ukraine, la Yougoslavie et le Nigeria.
Certains pays (l’Italie, la Syrie et l’Ouganda) ont lancé des campagnes anti-corruption. En
Albanie, les entreprises paient 1/3 de leurs profits potentiels. En Indonésie, les paiements illicites constituent 1/5 des coûts d’exploitation (The Economist,[19], 1999).
3-3
La règlementation et les pénalités
U.S. Foreign Corrupt Practices Act (1988) Cette loi s’applique à l’entreprise, le cadre, le
directeur, l’employé, l’agent local de l’entreprise ou l’actionnaire; elle stipule qu’il est illégal
de payer des pots de vin à des gouvernements étrangers ou leurs représentants afin de réaliser
une transaction ou maintenir un contrat. Elle interdit tout paiement à travers des intermédiaires
à des officiels étrangers, cependant les commissions aux intermédiaires sont autorisées.
Les pénalités encourues par les entreprises ont été augmentées à 2 millions $ pour chaque
infraction avec des peines de prison de 5 années avec des pénalités de 100000 $ pour les individus.
Les entreprises américaines ont perdu 15 milliards $ de commandes potentielles en 1999
dans les pays où la corruption est tolérée. (U.S. Commerce Department).
Certaines entreprises contournent la loi et continuent à payer des pots de vin à travers leurs
filiales locales mais la majorité des entreprises se conforme à cette loi:
- Unilever s’est retirée de la Bulgarie afin d’éviter la corruption.
- Shell indexe le salaire de ses employés dans certains pays au respect de son code de
conduite.
Au niveau international, une convention a été adoptée par tous les membres de l’OCDE ainsi
que par d’autres états et des mécanismes d’une coopération internationale ont été mis en place
pour la lutte contre la corruption et l’engagement de poursuites judiciaires à l’encontre des
entreprises ayant recours à ces pratiques.
Les Nations-Unies ont développé de nombreux programmes à finalité éthique, de transparence, de conformité et de respect des valeurs tels que «global compact» (Financial times,[20],
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2000) et les organismes non-gouvernementaux ont mis au point des programmes et des codes
de conduite (Sullivan global principles, business responsibility, …).
Les avantages de l’introduction des systèmes éthiques résident dans la sensibilisation des
cadres d’entreprises à la dimension morale des affaires et leur offrir un cadre adéquat pour la
prise de décisions tout en donnant un sens à l’activité de l’entreprise et à ses cadres dépassant
sa finalité traditionnelle cantonnée à la croissance de sa part de marché, l’optimisation des
profits ou des dividendes aux actionnaires, …
3-4
Le salaire minimal
Le problème de la variété de niveaux de salaire minimal qu’une entreprise paie à ses salariés
dans des marchés différents et les critiques qui sont souvent formulées à l’égard de ce salaire
minimal, jugé trop bas et assimilé à une exploitation de catégories sociales vulnérables ne disposant que d’une protection limitée, a été étudié par de nombreux organismes.
Une norme intitulée «S.A. 8000» est appliquée par de nombreuses entreprises (Council on
economic priorities accreditation agency, 1999).
Concernant le salaire minimal, la norme recommande de couvrir les besoins de base (logement, nourriture, soins de santé, vêtements, éducation, transport, énergie et eau) ainsi que la
détermination du ratio nourriture par rapport aux dépenses totales nécessaires avec l’hypothèse
de deux personnes actives par ménage ainsi qu’une épargne équivalente à 10% du revenu total:
(moitié de taille X coût de la nourriture X ratio des dépenses)
+ épargne
(moyenne du ménage par personne alimentaires)
Cette norme pourrait justifier les différents niveaux de salaire minimal qu’une entreprise
offre à ses salariés dans différents pays et la compatibilité du salaire avec le contexte économique local.
3-4.1 décisions morales
Le problème réside dans la difficulté de quantifier coûts et bénéfices des scénarios envisagés
et de vérifier que le scénario optimal respecte les droits, la justice sociale et les valeurs morales.
Pour l’application des principes de justice, il est nécessaire d’identifier les conséquences de
la décision managériale au niveau des libertés individuelles (liberté d’expression, liberté politique, liberté d’association, …) ainsi que les conséquences au niveau des droits (droit de
propriété, droit à l’activité et à l’emploi, …).
Un des objectifs poursuivis par l’entreprise sera la sauvegarde de la justice en évitant
l’exploitation abusive d’un groupe d’employés ou de consommateurs.
En évaluant les scénarios possibles, les questions suivantes peuvent être posées:
- Les personnes désavantagées, seront-elles plus désavantagées suite à l’action adoptée?
- Cette action entrave-t-elle l’équité ou offre-t-elle la même opportunité au public et aux
employés de l’entreprise?
3-4.2 Conséquences managériales
La décision managériale est très complexe avec la prise en compte des conséquences sociales
qu’elle engendre sur l’environnement de l’entreprise ainsi que les objectifs difficilement conciliables des «stakeholders».
L’entreprise, qui recourt ou accepte la corruption, sera la cible de demandes répétées dans ce
domaine et victime du chantage; la corruption doit figurer dans les procédures de manière implicite ou parfois explicite. La culture de l’entreprise est profondément affectée, la distinction des
cadres entre le bien et le mal (right -wrong) devient plus difficile.
En l’absence de repères suffisamment explicites, la prise de décision est retardée avec une
consultation préalable limitée aux initiés et non aux cadres concernés.
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Etude du problème
Formation de différents
scénarios
Évaluation des
conséquences de
chaque scénario
Choix du scénario optimal
(réduisant les coûts et
maximisant les profits)
Vérification du scénario
retenu pour le respect des
principes et valeurs
Non
Oui
Adoption et application
du scénario
L’adoption d’un ensemble de principes assez vagues engendre un risque de dérive de certains
cadres qui s’engagent dans des actions sur la base d’un raisonnement par analogie ou par l’extrapolation de cas précédents dans d’autres pays ou d’autres situations jugées similaires.
L’adaptation au contexte local prônée par de nombreuses entreprises multinationales peut
être réalisée dans certains domaines mais il est indispensable de définir les éléments mentionnés
dans la charte de l’entreprise, son code de conduite, ses valeurs ou ses principes qui sont prioritaires et doivent être respectés dans toute circonstance et sur tous les marchés; toute entreprise
opérant sur des marchés différents a le choix entre l’adoption d’un code universel ou des codes
relatifs à chaque pays.
Les fonctions Marketing et GRH sont très exposées aux opérations internationales; à titre
d’exemple, la majorité des entreprises offrant des «fringe benefits» à leurs employés y incluent
une assurance-vie qui est indésirable dans les pays à culture islamique car l’assurance-vie est
considérée comme une exploitation de la vie humaine et de la mort ainsi qu’un moyen de contrer
la volonté de Dieu; de même les campagnes de promotion basées sur le tirage au sort ou le
hasard sont contradictoires avec les pratiques islamiques.
3-5
Perspectives d’avenir
La mise au point d’un ensemble de codes et de comportements relatifs aux activités de
l’entreprise et qu’il est possible d’adopter dans un contexte multiculturel à l’intérieur de l’entreprise ou inter-entreprise au niveau, dans une première étape, des dirigeants et chefs d’entreprises, favoriserait la coopération et éviterait l’émergence de certains problèmes d’origine
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culturelle à l’instar du protocole adopté par la diplomatie (Le protocole, [8], 2001) permettant
d’interpréter correctement tous les signaux émis par les différents interlocuteurs.
Après la défense des libertés, le droit à la santé, au travail et au respect de l’environnement,
le droit d’ingérence économique et social est discuté au sein du haut commissariat aux droits de
l’Homme (Le Monde, [21], 11/5/2001) ce qui permet de surmonter la souveraineté des Etats et
de sanctionner toute violation aux valeurs qui doivent être définies ou tout abus dont serait
victime des travailleurs opérant dans des pays offrant une protection juridique et sociale insuffisante à leurs citoyens. Ce droit d’ingérence reflète la mutation de la société civile et les conséquences de la mondialisation susceptibles d’affecter de manière peu uniforme les citoyens et les
travailleurs sur les différents marchés.
L’émergence des managers transnationaux qui constituent l’interface entre la réalité opérationnelle locale et la stratégie dictée par le siège central permet aux entreprises de faire face à la
complexité de certaines tâches internationales. Le rôle de ces managers consiste à gérer la diversité des marchés et les aspirations des cadres locaux, conformément aux priorités établies par le
siège central (Kashani et Franch, 1999, [7]). Ils essaient de concilier les extrêmes en veillant au
respect des objectifs stratégiques tout en s’assurant de l’implication des cadres et des ressources
locales dans la réalisation des actions requises.
4
Conclusion
Nike et Reebok, bien qu’opérant dans un même secteur, ont adopté une approche différente
de l’éthique.
La gestion d’une entreprise multinationale implique sûrement la gestion de la diversité et les
différences entre pays, cultures, environnements de travail, normes et législation mais le développement actuel de l’immigration et le déplacement des consommateurs contraignent toutes les
entreprises à faire face à la diversité sur leur marché domestique sous peine de l’insatisfaction
de leurs employés et consommateurs possédant des caractéristiques différentes et dont les
attentes ne sont pas semblables.
Les soucis de standardisation des procédures, d’équité et de non-discrimination paraissent
difficiles à concilier car les comportements et les actions des cadres d’une même entreprise,
opérant dans plusieurs pays ou sur des marchés différents à l’intérieur d’un même pays
(exemple les Etats-Unis), sont perçus et interprétés différemment.
Les entreprises en réseau, présentées comme une réponse à la globalisation des marchés, sont
souvent constituées d’entités juridiquement distinctes disposant d’une autonomie et des styles
de management différenciés souvent adaptés au contexte local; un code de conduite et des principes communs régissent leur activité car toute infraction légale ou morale affecte l’image de la
marque/enseigne avec des conséquences négatives sur tous les membres du réseau. La responsabilité de la qualité des produits/services incombe à la multinationale détentrice de la
marque/enseigne malgré la sous-traitance et les partenariats à laquelle elle recourt; les consommateurs/actionnaires sanctionnent la multinationale pour toute insuffisance dans ce domaine.
Par analogie, la responsabilité de la multinationale s’étend aux violations à l’éthique que
commettent les sous-traitants/ partenaires. Avec la multiplication des infractions et les réactions
qu’elles ont suscitées grâce à la prolifération de l’information, diverses organisations internationales ont récemment développé un cadre régissant les activités de l’entreprise (OCDE, OIT,
CCI, Table Ronde de Caux, Amnesty International, …) ainsi que de nombreuses ONG.
Le programme «global compact for the 21st century» relatif aux Droits de l’Homme, les
normes de travail et la protection de l’environnement a été lancé le 26 juillet 2000 par les
Nations-Unies: les entreprises ont été invitées à adhérer à ce programme à travers la mise en
place dans l’entreprise d’actions conformes aux valeurs du programme.
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Selon diverses études effectuées durant la précédente décennie, les entreprises adoptant des
valeurs et des pratiques éthiques sont capables de surpasser leurs concurrents et de réaliser des
performances supérieures (Newsweek,[23], 31/1/2000 et Tomorrow essentials,[28], 2/10/2000).
5
Bibliographie
5-1
Ouvrages
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[18] The Economist, 5 décembre 1998, survey of human rights law, pages 1-16.
[19] The Economist, 16 janvier 1999, a global war against bribery, pages 23-25.
[20] Financial times, 28 juillet 2000.
[21] Le Monde, 11 mai 2001. Édition du Proche-Orient supplément économie, et maintenant
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IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 2001.01 [22] Management review, Juillet-Aout 1999, page 7.
[23] Newsweek, 31 janvier 2000, page 20.
[24] The Oregonian, 12 mars 1999, page B2.
[25] San Francisco chronicle, 10 Aout 1999, page A1.
[26] San Francisco examiner, 4 mars 2000, page B2.
[27] San Jose mercury news, 7 octobre 2000.
[28] Tomorrow essentials, 2 octobre 2000.
[29] USA Today, 27 juillet 2000, immigrants become easy targets for abuse, page 3.
[30] Women’s wear daily, 17 septembre 1998, page 13.
5-3
Sites Internet
[31] http://www.business-ethics.com
[32] http://www.ethicalperformance.com
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[37] http://www.levistrauss.com
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[40] http://www.reebok.com
[41] http://www.iccwbo.org
[42] http://www.globalreporting.org
[43] http://www.accountability.org.uk
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[46] http://sullivanprinciples.org
[47] http://www.corpwatch.org
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11
Les papiers de recherche du GREGOR sont accessibles
sur INTERNET à l’adresse suivante :
http://panoramix.univ-paris1.fr/GREGOR/
Site de l’IAE de Paris : http://www.iae-paris.com
2001.01
Le management interculturel face à l’éthique
Georges Aoun
Professeur, Université Saint-Joseph de Beyrouth
Professeur invité à l’IAE de Paris
(Université Paris I • Panthéon – Sorbonne)

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