La Maison des Jolies Cabanes

Transcription

La maison est un arbre, et l’arbre est une maison
Stéphane Kneubuhler – Conteur – Auteur – Comédien
13 rue Madame de Vannoz 54000 Nancy Tél : 03.83.44.53.53 / 06.88.60.03.48
[email protected] / www.colporteurdereves.com
Les textes poétiques qui figurent dans le spectacle sont empruntés à Jacques Prévert et
à Lucien Becker.
Plutôt que de répéter les noms des auteurs à chaque fois, les textes ont été placés sur
les pages selon la disposition suivante :
à gauche,
textes de
Jacques Prévert
à droite,
textes de
Lucien Becker
2
Je voudrais vous parler de ma maison.
Au départ, c’était juste un rêve.
Ou plutôt, une graine de rêve que quelqu’un a laissé tomber.
Ou a oubliée.
Allez savoir.
Presque par hasard.
Au départ, c’était un rêve.
Une graine qui a été plantée.
Et la graine a poussé, est devenue un arbre.
Mais un arbre dans la ville, dans le béton,
c’était bizarre...
Alors on a dit que c’était une maison.
Pour rassurer les gens.
Mais je vais vous dire un secret : cette maison est un arbre.
La preuve, c’est qu’on y trouve des cabanes.
Et les cabanes, ça pousse bien dans les arbres, non ?
Alors,
Je voudrais vous parler de ma maison.
On l’appelle la Maison des Jolies Cabanes.
Elle a poussé là, on ne sait plus quand.
Il y en a qui dise : « C’était il y a 50 ans ! »
Mais allez savoir, avec le temps...
Dans les arbres, il y a des cabanes.
Et dans ma maison, elles sont jolies.
On en trouve de toutes sortes.
Des grandes et des petites.
Des cabanes de planches,
Des cabanes de branches.
Des cabanes à visiter,
D’autres à habiter.
Des cabanes ouvertes.
Ouvertes au vent, aux passants,
Aux visiteurs à toutes heures,
Des cabanes vivantes
Des cabanes vibrantes
Des abracadabrantes.
Des émouvantes, et des passionnantes
Elles ont toutes des histoires à raconter.
Il faut dire qu’elles ont vu du monde pendant toutes ces années.
Car dans la Maison des Jolies Cabanes,
La porte est ouverte,
Il suffit de la pousser pour entrer.
3
Cabane des graines d’enfance...
Quand on entre dans ma maison,
On voit tout de suite que c’est un arbre
Car à la place des fondations
Pas de béton ni d’acier,
C’est dans des racines qu’on s’prend les pieds.
Ces racines sont énormes,
Bien ancrées dans la terre
Elles plongent
Elles plongent
Dans les profondeurs du mystère.
Et c’est là qu’on trouve
La première des cabanes
Entre la mousse et l’humus.
Dans les racines.
La première des cabanes
Presque oubliée,
Un peu penchée,
Là où tout a commencé.
C’est dans cette cabane
Qu’un jour s’est allumé
La première des lumières.
Car vous savez, y’a pas d’mystère
Quand on remonte à ses racines
On trouve son père
On trouve sa mère
Quand on remonte à ses racines
On r’trouve l’enfant
Qu’on était hier...
Cette petite graine d’adulte
Qui s’faisait tirer les oreilles
Quand perdu dans la lune
On oubliait l’réveil.
En Argot
les hommes appellent les oreilles
des feuilles
c'est dire comme ils sentent que
les arbres connaissent la musique
Mais la langue verte des arbres
est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu'ils disent
lorsqu'ils parlent des humains
Les arbres parlent arbre
comme les enfants parlent enfant
Quand un enfant
de femme et d'homme
adresse la parole à un arbre
4
l'arbre répond
l'enfant l'entend
(Ici prennent place des graines laissées par les spectateurs)
Plus tard
l'enfant parle arboriculture
avec ses maîtres et ses parents
Il n'entend plus la voix des arbres
il n'entend plus
leur chanson dans le vent
Pourtant
parfois une petite fille
pousse un cri de détresse
dans un square
de ciment armé
d'herbe morne
et de terre souillée
Est-ce.. .oh.. .est-ce
la tristesse d'être abandonnée
qui me fait crier au secours
ou la crainte que vous m'oubliiez
arbres de ma jeunesse
ma jeunesse pour de vrai
Dans l'oasis du souvenir
une source vient de jaillir
Est-ce pour me faire pleurer
j'étais si heureuse dans la foule
la foule verte de la forêt
avec la peur de me perdre
et la crainte de me retrouver
N'oubliez pas votre petite amie
arbres de ma forêt.
Dans le quartier solitaire qu’on traverse en hâte
Des volets qui se ferment sur des rires d’enfants
Sur des voix très douces très proches
5
La tête d’une femme dans le bocal des vitres
Aucun mouvement ne donne le sens de sa vie
La dernière étoile tombe de la fenêtre
Comme une larme d’un oeil clos
Un enfant lance du papier au ciel
Crie dans le silence qui se fend
Une fumée lace le ciel au toit
Le vent est si las
Qu’il se pose sur la main
Un baiser tombe de très haut
Décroche des feuilles dans les arbres
Une lampe s’éteint sans un cri
Au tournant de la nuit
Cabane des graines de mots...
Et la graine a poussé
Et l’arbre a grandi
Et ma maison bien plantée
Se tient bien droit aujourd’hui
Et ma deuxième cabane
S’est accrochée à son tronc
Comme assise sur un trône
Mais pas un trône de roi
Non
Y’a pas de roi dans ma maison
Ma deuxième cabane
S’est assise sur un trône
De bois d’écorce
Un banc de square
Un trône de fou de poète ou de clown
Et bien assise
De ma maison est sortie
Comme une chanson
Un souffle d’air
Des paroles libres
Des poèmes et des mots
Pour dire la vie
Pour dire l’envie
6
Pour éclairer la nuit
Quand on se sent tout tout petit
Vous savez toutes ces choses
Qu’on voudrait dire
Mais qu’on n’ose pas
Qu’on voudrait dire
Mais qu’on ne sait pas
Toutes ces choses
Qu’on a en soi
Et qui ne sortent de nous-mêmes
Que sous la forme de poèmes...
Une maison comme un arbre
Et dans l’arbre une cabane
Accrochée à son tronc
Pour dire la vie
Pour dire l’envie
Jadis
les arbres
étaient des gens comme nous
Mais plus solides
plus heureux
plus amoureux peut-être
plus sages
C'est tout.
Tout est neuf après le passage de la pluie :
De l’arbre qui brille comme une armure
À l’herbe lourde de bouquets et de bagues,
Aux pierres belles comme une épaule de femme.
Le verger pense au long mûrissement des fruits
Auxquels les feuilles font comme des nids.
Il reste une faille par où le ciel descend
Pour donner, au sol, son visage à une fleur.
Les chemins ne sont plus que boue parmi la paille
Et le soleil fait déborder toutes les flaques.
Il n’y a plus de vent pour animer les sources
Dans l’après-midi figé comme du calcaire.
7
Le ruisseau arrive à cerner la campagne
Et le jour n’a qu’à se laisser porter par lui
Jusqu’au point où il se rattrape à des branchages
Parce que la forêt vient sur lui comme un orage.
Une maison comme un arbre
Et dans l’arbre une cabane
Accrochée à son tronc
Pour dire la vie
Pour dire l’envie
Cabane des graines de la magie du monde...
Et l’amour s’en est mêlé
L’amour s’est emmêlé
L’amour s’est tant mêlé...
Dans le cœur de mon arbre
Il y a un cœur qui bat
C’est un cœur d’arbre
Qui vit, qui bat
Qui saigne parfois
Qui vit, qui bat
Qui aime
Qui aime
C’est un cœur d’arbre
Tendre sous l’écorce
Tendre comme un cœur d’homme
Un cœur de femme
Tendre comme un cœur d’enfant
Qui vit, qui bat
Qui aime
Qui saigne parfois
Un cœur
Où j’ai caché ma cabane
Ma cabane à moi
Ma cabane d’émoi
Ma troisième cabane
Celle qui parle d’amour...
8
Un jour
et c'est déjà hier
sur la plate-forme de l'autobus
je regardais les femmes
qui descendaient la rue d'Amsterdam
Soudain à travers la vitre du bus
j'en découvris une
que je n'avais pas vue monter
Assise et seule elle semblait sourire
A l'instant même elle me plut énormément
mais au même instant
je m'aperçus que c'était la mienne
J'étais content.
Un cœur d’arbre
Comme un cœur d’homme
Un cœur de femme
Qui vit, qui bat
Qui aime
Qui saigne parfois.
Nous savons tout l’un de l’autre
Puisque nous pensons sans cesse à notre amour.
Quand je remonte du sommeil vers le jour,
Tu es la première bouée qui vient vers moi.
De ton cœur au mien,
Juste la distance de tes seins.
De toi à moi,
A peine le temps d’un désir.
Le lézard de l'amour
S'est enfui encore une fois
Et m'a laissé sa queue entre les doigts
C'est bien fait
J'avais voulu le garder pour moi.
Un cœur d’arbre
Comme un cœur d’homme
Un cœur de femme
Qui vit, qui bat
Qui aime
Qui saigne parfois.
9
Cabane des graines de rêves...
Et puis on grimpe dans mon arbre
On escalade on se perche
Ses branches s’étirent dans le ciel
Et jouent avec les étoiles.
La lune se berce au bout des feuilles
Une chouette hulule
C’est la nuit
La nuit on rêve
On s’enfonce
Dans les plis des miroirs
Et l’on découvre une autre réalité.
Une autre vérité...
Dans les branches de mon arbre
J’ai rêvé d’une cabane
Cabane de plumes,
Cabane de lune, de sable
Cabane de mon ami Pierrot.
J’ai rêvé que mes rêves
S’invitaient dans ma réalité...
Arbres
Chevaux sauvages et sages
A la crinière verte
Au grand galop discret
Dans le vent vous piaffez
Debout dans le soleil vous dormez
Et rêvez.
Au pied d’un arbre, un dormeur qui n’a pas de nom
S’allonge en travers du monde où rien ne remue
Si ce n’est de temps à autre une touffe d’herbe
À la recherche d’un peu d’air à respirer.
Hors du village où les murs sont assoupis,
On trouve une route qu’on ne peut pas oublier
Quand un jour d’été on l’a suivie, d’arbre en arbre,
Comme une passerelle jetée sur le monde.
Il faut être très poli avec la terre
Et avec le soleil
il faut les remercier le matin en se réveillant
il faut les remercier
10
Pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
A toucher
il faut les remercier
il ne faut pas les embêter... les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le soleil et la terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé...
Le soleil est amoureux de la terre
La terre est amoureuse du soleil
Ça les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser
Le soleil aime la terre
La terre aime le soleil
C'est comme ça
Le reste ne nous regarde pas
La terre aime le soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
il va se coucher
Et la lune se lève
La lune c'est l'ancienne amoureuse du soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
11
Il faut aussi être très poli avec la lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie
En somme pour résumer
Deux points ouvrez les guillemets :
« il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres...
des épidémies des tremblements de terre des paquets de mer des coups de
fusil...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds
pendant qu'on dort la nuit. »
Dans les branches de mon arbre
J’ai rêvé d’une cabane
Cabane de plumes,
Cabane de lune, de sable
Cabane de mon ami Pierrot.
Cabane des graines d’espérance...
Mais le temps passe
Le temps est un passant pressé.
Et nous voilà déjà tout au bout de mon arbre
Au bout de la route, à la fin du chemin...
Il en a fallu du temps pourtant
Pour que mon arbre grandisse
Pour que ses fruits mûrissent
Il en a fallu du temps.
Mais le temps passe si vite...
Qu’est-ce qui nous attend demain ?
Qu’y a-t-il au bout du chemin ?
Le temps est un passant pressé
Qui creuse l’écorce des visages
Et qui ne laisse sur son passage
Dans la poussière
Que quelques traces...
Des feuilles mortes.
Le temps est un passant
Le temps est impatient
Pressé
Mais ma maison est un arbre
Je vous l’ai dit
Peut-être que nous aussi :
12
Nous aussi nous sommes des arbres
Et au bout de nos branches
Poussent des fruits.
Ce sont ces fruits qui poursuivront le chemin
Quand nos visages seront poussière
Quand notre écorce servira de parchemin
Aux mots que nous laissons dans la lumière.
Et ma dernière cabane n’est que cela
Rien d’autre qu’une bouteille à la mer
Lancée sur la grande marée de l’océan du temps...
A Antibes
rue de l'Hôpital
où l'herbe à chats surgit
encore indemne entre les pavés
il y a un grand micocoulier
il est dans la cour
de l'asile des vieillards
Hé oui c'est un micocoulier
dit un vieillard de l'asile
assis sur un banc de pierre
contre un mur de pierre
et sa voix
est doucement bercée par le soleil
Micocoulier
et ce nom d'arbre roucoule
dans la voix usée
Et il est millénaire
ajoute le vieil homme
en toute simplicité
Beaucoup plus vieux que moi
mais tellement plus jeune encore
Millénaire et toujours vert
Et dans la voix
de l'apprenti centenaire
il y a un peu d'envie
beaucoup d'admiration
une grande détresse
et une immense fraîcheur.
La dernière petite feuille d'un arbre
frissonne
dans le vent froid qui lui apporte
les pas du bûcheron
13
Nous aussi nous sommes des arbres
Et au bout de nos branches
Poussent des fruits.
Il y a bien d’autres cabanes dont je n’ai pas parlé.
Il y a bien d’autres cabanes à raconter.
Des cabanes, et des graines de cabanes,
Qui sont encore à planter.
Ces graines, elles sont en vous.
Elles sont en nous.
L’arbre est là.
Qui les attend.
Ma maison est un arbre.
Elle a cinquante ans.
Et un arbre qui a cinquante ans est encore un enfant.
Alors,
Voilà.
Elle est comme ça, ma Maison des Jolies Cabanes.
Ce qui est rigolo, c’est que tout le monde la connaît.
Les gens l’appelle même la MJC.
Les gens l’appellent comme ça parce qu’ils n’ont pas le temps.
Pas le temps de tout dire.
Pas le temps de tout prononcer.
Il faut abréger.
Les gens n’ont pas le temps.
Pas le temps.
Mais vous savez : si nous ne prenons pas le temps, c’est lui qui nous prend.
Alors, la prochaine fois que vous viendrez dans ma maison, prenez le temps.
Posez-vous, rêvez. Imaginez. Construisez une cabane. Habitez-la.
Pendant un temps.
Et quittez-la, comme on quitte un ami.
Et si jamais sur le chemin, on vous demande où vous êtes allé,
D’où vous venez,
ne dites pas : « J’étais à la MJC. »
Dites simplement : « J’étais à la Maison des Jolies Cabanes ».
Et plus tard, quand viendra la nuit,
Vous pourrez vous coucher
Vous pourrez rêver.
Et vos rêves tomberont en graines
En sachant qu’il y a un arbre pour les abriter.
14

La Maison des Jolies Cabanes

Transcription

Documents pareils

Les aliénés

Cabane de « Robin des Bois »

Cabane du « Baron Perché »

Un voyage sensationnel au coeur des Vosges

Projet d`habillage événementiel et graphique des cabanes de plage

Cabanes - Revue 303

Concevoir des cabanes modulables

04 septembre 2007 FSO Lien Henri-Marc Becquart1

Cabanes - Revue 303