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ISSN: 1923-1261
la fin d’un Mythe - JUILLET 2008
à bas les mythes
Utilisation de données probantes pour
démystifier de fausses croyances courantes
par rapport aux services de santé au Canada
MythE : Lorsqu’il s’agit de services de santé,
plus, c’est toujours mieux
Imaginez le scénario suivant : deux hommes de 50 ans souffrent
de douleurs thoraciques et leur rythme cardiaque est anormal.
L’un d’entre eux est admis à l’hôpital communautaire d’une petite
localité et l’autre, à un hôpital universitaire de l’une des plus
grandes villes du pays. Presque tout le monde serait porté à croire
que le citadin sera mieux soigné, puisque l’hôpital où il a été admis
dispose d’un budget plus important et, de ce fait, a accès à des
ressources considérables et fournit des soins spécialisés. De même,
on pourrait croire spontanément que l’autre patient s’en tirera
moins bien, puisque l’hôpital de la petite localité a moins d’argent
et de ressources et un accès moindre aux soins spécialisés.
Selon les recherches, lorsqu’il s’agit de procédures invasives et
même de tests de diagnostic, « moins, c’est plus... et mieux »i.
En fait, comparativement aux patients de régions où le budget
de santé est modeste, ceux de régions où il est élevé ne sont pas
plus satisfaits des soins reçus et sont exposés à plus de risques
pouvant empirer leur état, voire causer leur mortii-iv.
Des soins déterminés par le lieu
de résidence
Dans bien des cas, il est difficile de déterminer si les patients
reçoivent les soins appropriés. On sait toutefois que l’écart dans
la quantité de services dispensés dépend en grande partie
de la région où vivent les patientsv-xii. Dans le cadre du Dartmouth
Atlas Project, mené sous la direction de John E. Wennberg et
d’Elliott S. Fisher, on a effectué pendant 15 ans un suivi des « écarts
flagrants » dans la distribution et l’utilisation des ressources
de santé aux États-Unisii. Les études s’appuyant sur les données
du Medicare américain montrent systématiquement que
des ressources considérables - plus précisément, les rendez-vous
fréquents avec les spécialistes, les diagnostics et les soins spécialisés
et en milieu hospitalier - ne signifient pas que le patient reçoit
de meilleurs soins (voir le tableau).
Dans une étude visant près d’un million de patients répartis dans
306 régions des États-Unis (selon l’hôpital où ils étaient soignés),
M. Fisher et ses collègues ont constaté que les patients des régions
ayant un budget de santé élevé avaient reçu 60 p. 100 plus de soins
que ceux des régions à budget moindre. Or, le taux de mortalité
dans ce groupe n’était pas plus faible, l’état fonctionnel des patients
n’était pas meilleur et le taux de satisfaction n’était pas plus élevéiv.
En fait, certains soins préventifs (vaccin contre la grippe, test Pap
et mammographie) avaient été dispensés plus fréquemment dans
les régions à faible budget comparativement aux régions à
budget élevéiii.
ªLes régions à budget élevé et à faible budget correspondent à celles où sont situés
les hôpitaux américains de référence figurant respectivement dans les quintiles
supérieur et inférieur des dépenses par habitant au titre des services de santéiii.
Certaines études du Dartmouth Atlas Project comparant
les écarts entre les régions dans les dépenses et le contenu,
la qualité et les résultats des services de santé (liste adaptée
avec l’autorisation requise xiii) Régions à budget élevé
comparativement aux régions à faible budgetª
Régions à budget élevé comparativement aux régions à faible
budgeta
Contenu et qualité
des services
de santéiii, v, xiv
Respect moindre des mesures de la qualité axées sur le processus
Peu de différence dans les taux d’interventions chirurgicales
importantes non urgentes
Plus d’hospitalisations, de visites chez le médecin, de renvois aux
spécialistes ainsi que de procédures d’imagerie et tests et procédures
mineurs
Résultats sur
le plan de
la santéiv, xv, xvi
Mortalité plus élevée dans les cinq années suivant une crise
cardiaque, une fracture de la hanche et un diagnostic de cancer
colono-rectal
Taux de survie supérieur dans les régions ayant adopté une
gestion médicale plutôt qu’invasive à l’égard des patients
victimes d’une crise cardiaque
Aucune différence dans l’état fonctionnel
Perception du
médecin
concernant
la qualité
des soinsxvii
Médecins plus nombreux à faire état d’une mauvaise communication entre les médecins
Qualité des soins
évaluée par
les patientsxviii
Moins bon accès aux soins et temps d’attente plus longs
Médecins plus nombreux à faire état d’un suivi inadéquat des soins
Plus grande difficulté à faire hospitaliser des patients ou à les faire
prendre en charge par des spécialistes hautement compétents
Aucune différence au chapitre de la satisfaction
Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé | à bas les mythes | JUILLET 2008
à bas les mythes
Le phénomène ne se limite pas aux États-Unis. En Ontario, l’Institut
de recherche en services de santé (IRSS) a fait état d’importants écarts
entre les régions dans la prestation de services de santé pour une
gamme variée de soins. Plus précisément, les patients souffrant d’une
maladie du cœur viii, d’arthritex, d’asthme xi et de diabète xii ou
victimes d’un accident vasculaire cérébral ix obtiennent des niveaux
de soins variables malgré l’existence de lignes directrices cliniques
factuelles dans ces domaines.
Les recherches effectuées au Canada soulignent également que l’accès
rapide aux soins peut dans certains cas s’avérer néfaste pour
les patients. Selon une étude menée à Vancouver sur l’efficacité d’une
gamme d’interventions chirurgicales non urgentes, la chirurgie
de la cataracte est souvent prescrite en l’absence d’une déficience
visuelle grave et 27 p. 100 des patients ayant subi cette chirurgie ont
indiqué n’avoir constaté aucun changement de leurs fonctions visuelles
ou avoir constaté une détériorationxix.
Un taux d’hospitalisation qui
s’accroît en fonction du nombre de
lits disponibles
Divers facteurs déterminent si un patient reçoit un service de santé par exemple, la gravité des symptômes du patient et le jugement
clinique du médecin. D’autres indicateurs peuvent également orienter
l’utilisation ou, plus précisément, la surutilisation des services de santé.
Mentionnons notamment la demande du patient, une culture médicale
où le médecin effectue souvent plus de tests et d’interventions que
nécessaire ainsi que les structures de rémunération à l’acte privilégiant
le médecin qui fournit le plus de soinsxx. La disponibilité des ressources
de santé, comme les lits d’hôpital et les spécialistes, est un indicateur
particulièrement important dans l’équationv. Comme l’a indiqué Milton
Roemer, chercheur dans le domaine des services de santé dans les
années 1960, un lit d’hôpital ne reste jamais inoccupév. Dans la
pratique, le « principe de Roemer » peut être le résultat de systèmes peu
efficients qui offrent aux patients des soins inefficaces et inappropriés.
Conclusion
Même si les Canadiens peuvent se sentir rassurés lorsqu’ils vivent à proximité des services de santé et qu’ils ont accès rapidement aux ressources
médicales, les recherches donnent à penser qu’il peut s’agir d’un faux sentiment de sécurité. Ainsi, peut-il y avoir une surmédicalisation? Fort
probablement, selon un numéro du British Medical Journal publié en
2002xxi. Et comme la vie quotidienne devient de plus en plus médicalisée
en raison de l’introduction continue de nouveaux médicaments ou
de nouvelles procédures, le problème s’intensifiexxi.
Parallèlement, certains patients profitent de soins invasifs à la fine
pointe, mais une meilleure évaluation du rendement des services
de santé s’impose afin de recenser ces cas. Il sera ainsi plus facile
de jumeler les ressources et les besoins de la population, en tenant
compte de l’efficience clinique et financière et des améliorations
générales de la qualité des services de santé.
Les articles À bas les mythes sont publiés par la Fondation canadienne pour l’amélioration des
services de santé (FCASS) après avoir été revus par des spécialistes du sujet. La FCASS a pour
mandat d’accélérer l’amélioration et la transformation des services de santé pour les Canadiens et
les Canadiennes et est financée selon une entente avec le gouvernement du Canada. Les opinions
exprimées par les personnes qui distribuent ce document ne reflètent pas nécessairement celles
de la FCASS ou du gouvernement du Canada. © 2008.
Utilisation de données probantes pour démystifier de fausses
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