Quelques leçons de Nuremberg
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Quelques leçons de Nuremberg
14 mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 912 - octobre 2016 Quelques leçons de Nuremberg Il y a trente ans, le 4 octobre 1986, la FNDIRP et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se saisissaient du quarantième anniversaire du verdict de Nuremberg, rendu le 1er octobre 1946, pour organiser au Sénat sous le patronage de l’Unesco, un colloque intitulé « Nuremberg, contribution aux droits de l’homme et à la Paix »… P armi les participants au colloque, des acteurs du procès de Nuremberg, dont les débats durèrent près de dix mois avec la prise en compte de 217 témoins, 195 165 dépositions écrites, des milliers de documents… Institué le 8 août 1945, le Tribunal militaire international de Nuremberg est une construction inédite. Voulu par quatre nations, les Etats-Unis, l’URSS, la GrandeBretagne, et la France, 19 autres pays étaient associés à son acte constitutif, dont 9 avaient connu l’occupation nazie. Cette innovation résulte de la volonté énoncée en pleine guerre par les forces alliées, de punir, par l’exercice du Droit et de la Justice, les crimes de guerre, tout en construisant une culture de paix. Elle représente une étape du processus donnant naissance non seulement à l’ONU le 22 octobre 1945, mais aussi à l’Unesco, en novembre 1945, et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948… Son verdict fut confirmé le 11 décembre 1946 par l’Assemblée générale des Nations Unies, en même temps que « les principes de droit international reconnus par le Statut du tribunal de Nuremberg », leur donnant une valeur permanente. Sont désormais reconnues et établies les notions de crime contre l’humanité et de crime de guerre, ainsi que leur caractère imprescriptible. En ce 4 octobre 1986, Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée d’Ausch witz et de Ravensbrück ouvre les débats. Que ressentait-elle, quarante ans plus tôt, se retrouvant face à Goering et autres hauts responsables nazis ? « Je pensais en les regardant : Regardez-moi car, à travers mes yeux, ce sont des centaines de milliers d’yeux qui vous regardent ; par ma voix, ce sont des centaines de milliers de voix qui vous accusent ». Parmi les enseignements mis en relief dès l’ouverture des débats, la compréhension du nazisme, caractérisé comme étant l’application méthodique d’une doctrine énoncée dans Mein Kampf par Hitler. S’agissant du verdict, la présidente de la FNDIRP reste scandalisée non seulement de l’acquittement de von Papen et Schacht « responsables de l’arrivée au pouvoir d’Hitler » mais aussi de l’absence, parmi les accusés, de dirigeants des grandes firmes a llemandes « les Krupp, les Thiessen, Siemens et autres qui non seulement ont aidé de façon décisive la montée d’Hitler vers le pouvoir, mais qui ont fait d’immenses profits au prix de la vie de millions d’esclaves raflés dans toute l’Europe o ccupée, parmi l esquels figurent en premier lieu les déportés raciaux et ceux de la Résistance. » Pour dire l’essentiel du bilan positif de ce Tribunal, Marie-Claude cite le juge américain Jackson : « pour la première fois, quatre grandes nations du monde sont parvenues à se mettre d’accord sur la notion de crime de guerre et de crime contre l’ humanité, ainsi que sur les principes de responsabilité personnelle de crime contre la paix. » Des Actes pour écrire l’avenir Maître Henri Noguères, ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme, précise : « En réalité, ce qui a été visé à Nuremberg, c’est tout un système étatique appuyé sur une idéologie perverse poursuivant une finalité hégémonique. Tous ces termes que j’emploie se trouvent dans le statut et le jugement de Nuremberg et c’est ce système qui a été analysé, visé et condamné par les juges de Nuremberg. C’est un système et c’est aussi la formule figurant également dans les Actes de Nuremberg. Un complot, un plan concerté, qui avaient pour objet de commettre des crimes contre la paix, c’est le déclenchement de la guerre d’agression qui a toujours été faite en violation des pactes internationaux qui avaient été signés et dont on pouvait penser qu’ils assuraient la loi des nations. Les crimes de guerre, ce sont ceux qui ont été plus particulièrement commis par des armées en campagne, qui n’ont pas respecté ce qu’on appelle d’un mot que je n’aime guère “ lois de la guerre”, qui existent néanmoins ; cela veut dire que ces agressions commises contre la paix ont été accompagnées d’assassinats, de mauvais traitements, d’exécutions de prisonniers, de prises et d’exécutions d’otages, de dévastations de territoires ou de villages non justifiées, là encore la formule est terrible “non justifiées par les nécessités militaires”. Enfin, les crimes contre l’ humanité, c’est la notion nouvelle introduite dans le droit international par le procès de Nuremberg. Les crimes contre l’ humanité sont caractérisés par des actes inhumains, par des persécutions commises au nom de l’Etat, afin d’assurer son hégémonie idéologique et commises au détriment tantôt de personnes poursuivies en raison de leurs origines raciales ou religieuses, ou tantôt contre des hommes ou des femmes qui ont été les adversaires de l’idéologie de l’Etat qui voulait a ssurer l’idéologie du monde »… Nuremberg aborde ainsi toute l’histoire du nazisme, de l’échec du putsch de Munich en 1923, à 1933 ; de l’incen die du Reichstag, à la suppression totale de la liberté humaine. Le procès engage donc une recherche englobant dans l ’espace, l’histoire de l’Europe sur toute cette période, avec la mise en accusation des hommes et des organisations ayant commis leurs crimes en application de ces théories. Dans son message au colloque, Edgar Faure, procureur général adjoint du Tribunal de Nuremberg, retient « le recours au droit sous les formes nouvelles que justifiait l’entière nouveauté de la tentative. » Il rattache le recueil d’une masse considérable de documents sous l’œil d’un Tribunal, à des faits alors récents, la négation des chambres à gaz dans une thèse universitaire. « Que serait-ce si ce procès n’avait pas eu lieu ? Dans cette hypothèse, l’effronterie des nouveaux avocats de l’abominable ne connaîtrait plus de limite. » Outre les valeurs éthiques et pédagogiques de ce procès, l’académicien évoque, pour le peuple allemand, son caractère d’exorcisme « du complexe de culpabilité qui aurait pu l’ étreindre et l’exposer aux rechutes ». Pour l’avenir, il souligne « l’ émergence d’une véritable justice internationale ». Joé Nordmann, fondateur du Front national des juristes face aux fascismes et du « Palais libre » dans la Résistance, rappelle qu’à Buchenwald, après la libération du camp, les déportés firent serment de ne pas abandonner la lutte avant que justice ne soit faite. Il reprend les faits : après Nuremberg, sous l’impulsion du général Taylor, juriste américain, un Tribunal militaire américain s’est efforcé d’instaurer des procès par catégories. Ainsi furent jugés en 1947 et 1948 des responsables de grandes industries, des médecins, des juges, alors que les services secrets américains de la guerre froide recrutaient d’anciens nazis tel Klaus Barbie. Il rappelle, grâce à la loi française du 26 décembre 1964 sur l’imprescriptibilité des crimes commis, le combat rendu possible pour arrêter et poursuivre Touvier, en dépit d’un décret de grâce signé en 1971 par le président Pompidou (1). Vers un droit universel Autre témoin de Nuremberg, l’écrivain Casamayor, membre de l’accusation au Tribunal sous le nom de Serge Fuster, retient deux leçons d’une telle expérience : « Jusqu’à 1940 inclus », le soutien occulté au régime nazi. « Mein Kampf a été publié avec un énorme luxe de publicité et de promotion dans ParisMatch en 1938 pratiquement in extenso et chaque publication était précédée d’un “chapeau” dithyrambique, disant tout l’ intérêt qu’avait son auteur ! » Seconde leçon, puisque les documents de Nuremberg nous font comprendre que « la mauvaise foi était des deux côtés (…) dans une aventure historique aussi charnelle, aussi concrète, aussi bouleversante, a ussi matérielle, dans cette guerre qui commence dans les camps de concentration et qui finit avec la bombe atomique, le mot “droit” doit être seulement chuchoté. Marie-Claude (VaillantCouturier) avait des titres, incontestables. Elle est venue les voir, elle est venue les regarder sous le nez, ces accusés, ces chefs nazis. Elle a constaté qu’ils n’avaient pas d’incisives qui se recourbaient comme des d éfenses de sangliers, qu’ils n’avaient pas de griffes aux mains… ils étaient faits comme vous et moi. Cela aussi, a été occulté. On a tendance à considérer que c’était des monstres. Comme ce ne sont pas des monstres mais la leçon politique, c’est qu’ils sont comme tout le monde. »… Serge Wourgaft, alors représentant de la Fédération Mondiale des Anciens Combattants, souligne le caractère novateur de la mise en perspective du procès : « Les principes de Nuremberg ne s’appliquent pas seulement aux crimes de guerre de la deuxième guerre mondiale, mais pourraient s’appliquer à des situations d’aujourd’hui et demain. » L’actuel directeur de publication du Patriote Résistant voyait juste. Depuis 1986, en matière de justice internationale, deux premiers Tribunaux furent créés : c elui de La Haye, pour les crimes commis en ex-Yougoslavie (TPIY), et celui d’Arusha pour ceux commis au Rwanda (TPIR). En 1998, le traité de Rome permit la naissance de la Cour pénale internationale, juridiction universelle, permanente, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre qui siège désormais à La Haye… Ces quelques leçons de Nuremberg démontrent combien, entre l’espoir et l’action, l’élan de la résistance aux fatalismes s’inscrit aussi dans le temps. H.A. (1) Un prochain numéro du PR reviendra sur cette intervention. Joé Nordmann fut l’un des avocats de la FNDIRP ayant permis la tenue des procès Barbie (1987), Touvier (1994), Papon (1997-98) pour « crimes contre l’humanité ».