complot ou mauvaise passe

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complot ou mauvaise passe
COMPLOT OU MAUVAISE PASSE ?
Tirs groupés sur Le Monde
Par Emmanuel Berretta - Le Point
Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Arnaud Lagardère... Trois poids lourds de l'économie sont entrés en guerre
contre Le Monde . Une conjonction d'ennuis quelque peu terrifiante au moment où le quotidien dirigé par Éric
Fottorino affronte, comme tous les médias, une crise publicitaire terrible (-18 % en 2009) et un repli des ventes
en kiosque de 9 % en 2009 (-11 % pour Libération et -8,5 % pour Le Figaro ). En revanche, le résultat
d'exploitation est à l'équilibre - ce qui est bon signe - et les abonnements en hausse (140.000 au Monde , 550.000
à Télérama ). Le budget 2010 a été voté à l'unanimité.
Le premier coup est parti dès l'été dernier. Vincent Bolloré adresse, via Jean-Christophe Thierry (le patron de
Bolloré Média), une lettre aux dirigeants du Monde dénonçant l'accord d'impression de son journal gratuit Direct
Matin . Cette lettre respecte un préavis de six mois. L'industriel breton se plaint de la qualité de l'impression, qui,
selon le courrier de Thierry, dissuaderait les annonceurs chics d'investir dans sa feuille de chou... Prétexte
fallacieux ? On peut s'interroger. Bolloré Média ne s'était jamais plaint et n'avait pas non plus cherché à
renégocier les prix. En tout cas, il estime avoir trouvé mieux : Brodard graphique, une imprimerie de labeur (par
opposition aux imprimeries de la presse). Las ! Le 18 janvier, Direct Matin n'est pas distribué dans les rues...
Tout est bloqué depuis. Bolloré a sous-estimé la levée de boucliers des ouvriers du livre. Autre étrangeté :
Bolloré annonce depuis plusieurs mois la création d'un quotidien de "réflexion et d'analyse", payant, cette fois,
tiré à... 300.000 exemplaires ! Bref, tandis qu'il quitte l'imprimerie du Monde , Vincent Bolloré annonce créer un
concurrent... Le tout à un moment où la presse-papier se casse la figure. Le projet est-il industriel ou politique ?
Rendez-vous au Tribunal de commerce
La deuxième attaque est plus récente : Bernard Arnault, le propriétaire des Échos , dénonce à son tour son
contrat d'impression qui courait jusqu'en 2013. Lui se bagarre sur les tarifs. Le Monde se défend en attaquant Les
Échos devant le Tribunal de commerce. L'audience aura lieu fin février. Pour Le Monde , le manque à gagner
tombe au plus mal.
En effet - et c'est la troisième salve -, au conseil de surveillance du Monde , le représentant du groupe Lagardère,
Dominique D'Hinnin lâche une bombe : "Dans six mois, nous sommes en cessation de paiement." La phrase va
faire le tour du Paris bancaire. Et en effet, si le journal n'est pas recapitalisé, la crise de trésorerie est telle qu'à
l'été prochain Le Monde ne pourra plus payer les salaires. La sentence de Dominique D'Hinnin sert les intérêts du
groupe Lagardère qui attend tranquillement que Le Monde soit acculé à la faillite pour tomber dans son
escarcelle. Il y a deux ans, le groupe Lagardère avait proposé de prendre le contrôle du Monde avec le groupe
espagnol Prisa, en payant les 70 millions d'ORA (obligations remboursables en actions). Naturellement, au
passage, le groupe Lagardère souhaitait faire sauter les verrous éditoriaux qui offrent encore aujourd'hui à la
rédaction du Monde un pouvoir de codirection.
Un groupe espagnol repreneur de l'imprimerie
La situation du quotidien du soir est certes critique, mais la recapitalisation n'est pas impossible à l'été prochain.
Pour trouver de l'argent, la cession de l'imprimerie a été annoncée début janvier. Le Monde devrait rentrer en
négociation exclusive avec le groupe espagnol (Prisa, selon certaines sources). Le Monde resterait imprimé dans
cette imprimerie pendant dix ans. Enfin, le site Lepost.fr (qui génère plus d'un million de pertes par an) est
également en vente. Plusieurs candidats ont montré des marques d'intérêt, indique Le Monde , sans dévoiler leur
identité. Le groupe Lagardère s'est proposé de monter à 51 % dans le capital de manière à permettre au Monde de
déconsolider LePost.fr dans son bilan
En dépit de cette belle pelote d'ennuis, Le Monde poursuit sa relance éditoriale : le 4 février prochain, le groupe
publie un Le Mensuel (5,90 euros) qui reprend les meilleurs articles du Monde parus dans le mois dans un format
de type revue (18,5 cm x 23,5 cm). Au printemps prochain, il basculera dans une réforme globale de son offre
d'information entre son quotidien (recentré sur l'info-service et la contre-enquête), un site en partie payant et en
partie gratuit. L'idée générale étant de passer du statut de la "référence à la préférence".