HYSTERIE OU MELANCOLIE - Convergencia Freud Lacan

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HYSTERIE OU MELANCOLIE - Convergencia Freud Lacan
HYSTERIE OU MELANCOLIE ?
Hélene Godefroy
(Pour le Congrès de Convergencia du 12 au 14 juin 2015 à Madrid)
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Un versant clinique me fait toujours douter (et donc me pose question) : quand une séquence
mélancolique apparait dans une cure quel rapport a-t-elle avec la structure ?
Il y a la structure hystérique et la structure mélancolique. Mais, dans leur période de
dépression, il y a aussi, chez les sujets hystériques, de grandes phases de mélancolisation, qui
nous mettent parfois dans la confusion. En fait, d’une structure à l’autre, nous nous retrouvons
souvent confrontés aux mêmes symptômes. Ces symptômes, selon qu’ils soient le produit
d’une névrose ou d’une mélancolie, circulent différemment dans le transfert, et donc
sollicitent un positionnement différent dans la cure (ce qui n’est pas toujours évident à saisir).
Ce n’est d’autant pas évident que, lorsque ce questionnement structural se présente, la cure se
retrouve toujours, dans ces moments-là, mise sur la brèche. Il y a toujours menace de rupture
de la part des patients ; les effets thérapeutiques de la psychanalyse sont mis en cause. Et ceci,
d’autant plus que ce moment de « folie » ne cherche qu’à nous échapper ; il y a comme une
sorte de jouissance à nous exposer une souffrance, tout en nous mettant au défi de pouvoir la
guérir.
Si les symptômes mélancoliques apparaissent souvent en cours de cure. Mais il y a ceux qui
peuvent être déclencheurs d’un premier rendez-vous.
En début d’une analyse, pourtant indifférente au diagnostic différentiel, lorsque que les
patients arrivent avec tout leur bagage dépressif (alors qu’ils n’ont jamais été auparavant en
dépression), je ne peux pas m’empêcher de me poser la question : est-ce une névrose (prise
dans une phase de décompensation), ou est-ce une mélancolie, qui m’adresse là l’une de ses
phases morbides devenue trop encombrante ?
Par ex, cette patiente, dépressive depuis 6 mois, lorsqu’elle a décidé de quitter le père de ses
enfants. Elle arrive à sa 1° séance en pleine crise. C’est tout de suite très hystérique, très
éclaté : « je viens vous voir parce que j’ai la tête qui explose !... je suis complètement
éparpillée. Je n’ai aucune mémoire ; je dois avoir un problème cérébral (il faut que j’aille faire
des tests) ». Mais elle ajoute aussi : « Je vous préviens, je ne crois pas beaucoup à la
psychanalyse ; ce sont mes copines qui m’ont poussé à consulter. Je pense que vous ne
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pouvez rien faire pour moi ! Je relève surement beaucoup plus de la neurologie ! ».
Déjà là, j’entends évidemment qu’elle est encombrée par une souffrance, mais annonce aussi
d’emblée sa résistance. Forcément, quelque chose cherche à remonter à la conscience, mais
c’est certainement trop lourd pour elle (à laisser sortir) à admettre. Il y a sûrement de la
culpabilité ; du coup sa mémoire défaille. Elle défaille, non pas parce qu’il y a lésion
cérébrale (bien que je lui suggère d’aller vérifier et de faire quand même un test), mais
défaille parce que cette femme est en passe d’être trahie par sa mémoire.
- Ensuite, toute énervée, elle déroule son terrain fantasmatique (dont le discours est assez
typique) : « Je ne m’intéresse à rien, rien ne me fait envie, je n’ai pas de désir, pas de passion ;
je n’ai aucun savoir, ma tête est vide, je pense à rien ». Or, le « je pense à rien », on le
retrouve aussi bien dans l’hystérie que dans la mélancolie.
- Elle parle ensuite de sa suractivité ; dans une sorte de compulsion maniaque, elle entreprend
tout en même temps : « Ma mère veut me voir, je ne peux pas la décevoir ; je me dois donc
d’aller chez elle… ». Elle le fait, donc, entre 2 rendez-vous de travail, tout en passant par chez
elle pour préparer le repas de ses 3 enfants : parce qu’elle ne veut pas faillir non plus à son
devoir de mère. En même temps, elle dit : « Tout comme ma mère, mes enfants me jugent, je
suis une mauvaise mère ; et une mauvaise fille : parce que je fais souffrir ma mère, qui
s’inquiète beaucoup pour moi… je me déteste ! ». Je note donc un surmoi surpuissant, qui fait
qu’elle est en permanence dépassée par son quotidien. Donc, elle craque ! « Je suis
complètement folle ! », dit-elle. On voit bien là que c’est sa culpabilité qui la pousse au
surmenage, mais elle n’en parle pas. Je pense, que de cette culpabilité, elle n’en a pas
conscience : elle reste muette.
- Mais il y a d’autres symptômes encore. L’autre versant fantasmatique : c’est le « jamais
assez ». Sortir tous les soirs ; voir ses copines, c’est irrésistible ! Fumer, boire jusqu’à
s’écrouler parterre (et ne plus en avoir le souvenir). Elle multiplie les rencontres masculines,
recherche les hommes Viriles, se fait objet sexuel et trouve une jouissance à se laisser
maltraiter. Et bien qu’elle se sente minable, ce n’est jamais suffisant : l’insatisfaction la
propulse vers le « toujours plus ». En même temps, ce « toujours plus » l’angoisse ; elle est
insécurisée parce que sans limite. Il n’y a pas d’inhibition ! Elle jouit de ses excès ; mais, en
même temps, elle s’en veut de se comporter à l’inverse des valeurs catholiques que ses
parents lui ont transmis. (Fin du 1° RDV).
Au bout de quelques mois, le surmenage dissipé, elle arrête de venir en scéance. Mais 6 mois
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plus tard, à nouveau submergée par l’angoisse, elle revient et là réclame l’hospitalisation pour
se faire désintoxiquer de son alcoolisme. Elle entre dans une crise d’angoisse aigüe, qui la
pousse à quelques confessions : « je n’ai jamais dit ça à personne, et personne ne s’en est
aperçu, mais je suis boulimique : et je vomis tous mes repas ». Ça fait 20 ans que c’est comme
ça ! C’est tellement un automatisme que, sans m’en rendre compte, partout où je dîne
j’adopte systématiquement une stratégie pour repérer les toilettes ; je m’éclipse quelques
instants, personne ne le voit et moi-même je le fais sans y penser. D’ailleurs, c’est tellement
intégré en moi, jamais je n’aurai pensé vous le dire un jour….
L’inavouable hyper-culpabilisant, qui faisait résistance, est enfin sorti à la conscience.
J’entends qu’elle se remet à penser (et ne parle plus de sa mémoire défaillante). Elle se fait
quand même hospitalisée pour se tranquilliser ; ressort au bout d’une semaine ; et là l’analyse
peut commencer.
Donc, face à ce type de clinique, je m’interroge : est-ce une hystérie complètement désinhibée
(qui recouvre sa frustration par la mise en acte du fantasme d’avilissement) ? Ou y a-t-il un
vide de type mélancolique, qu’elle tente de combler par le sexe, l’alcool et la boulimie ? Elle
est l’exemple même du trop plein et du trop vide. Elle m’apprend que sa boulimie c’est :
manger pour ne laisser aucun « reste » (pas question de mettre de la nourriture à la
poubelle !). Donc de quel « Reste » parle-t-elle ? Un indétachable objet a ? Et vomir : c’est
pour sentir son estomac : « C’est comme un orgasme ; j’éjacule par la bouche,…du coup, les
déchets…il n’y a qu’à tirer la chasse, et ça disparait ! », explique-t-elle.
Le circuit pulsionnel, en stase sur une organisation orale, tourne ici en boucle entre
absorption et rejet du Tout sur un mode orgasmique. De toute évidence quelque chose
achoppe-là, du côté de la symbolisation ; et, en même temps, est-ce vraiment symbolisable ?
Et, justement, concernant mon questionnement structural, si je prends, par exemple « l’autodépréciation », on sait que c’est un symptôme caractéristique de la Mélancolie ; mais qu’on
retrouve aussi dans la névrose. Il se construit à partir du fantasme de « L’enfant battu ». C’est
jouir de souffrir sous les coups de l’Autre, qui peut aller jusqu’à mettre en scène le désir, sur
un mode de mortification masochiste. En fait, tout dépend de l’intensité de ce fantasme. Tout
dépend de la « massivité » de l’investissement de ce réel (hautement incestueux), donc de la
capacité du sujet à pouvoir s’en décoller (et par conséquent à symboliser). La limite entre les
2 structures peut donc être très mince. D’autant que, pour un analysant (de toutes structures),
de se risquer à « reconnaître » consciemment l’objet de son symptôme, le confronte toujours à
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ses résistances, pouvant le conduire à une « réaction thérapeutique négative »1. Tout cela se
joue dans le transfert. Et, du coup, est-ce que le renversement du fantasme est forcément
toujours mieux opérable dans la névrose que dans la psychose ?
Parce que, résister à la guérison psychique ça permet, dit Freud, au « sentiment de culpabilité
de maintenir sa satisfaction dans l’état de maladie sans renoncer au châtiment »2. D’où, le
choix pour cette patiente de se faire hospitaliser, validant ainsi qu’elle souffre bien d’une
maladie, et non d’autre chose ! Ce procédé de l’hospitalisation, comme façon de continuer à
garder sa culpabilité muette, concernait déjà les grandes hystériques de Charcot.
Du coup, ces phases de mélancolisation, survenant dans les cures, n’arrêtent pas de
m’interroger. Pour moi, c’est impossible qu’un sujet puisse passer d’une structure à une autre.
Je ne crois pas non plus à un Nom-du-Père qui pourrait être partiellement forclos. Et, en
même temps, pas question de mettre une étiquette « cloisonante » sur une pathologie. Donc,
techniquement, quel discernement avoir face au problème ? Parce que ces mêmes symptômes,
que l’on retrouve d’une structure à l’autre, me font dire aussi que ces phases de bipolarisation
concernent toutes les structures. Donc, n’avons-nous pas finalement à nous en tenir à
identifier quelle forme de subjectivité se met en scène dans le transfert. Et donc, qu’est-ce que
ces moments de folie révèlent, en réalité, de la structure ?
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2
Freud, Le moi et le ça, (1923), p. 264.
Idem.
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