Liberation.fr Critique Gael Faye ce qui lui plaît Source: Liberation.fr

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Liberation.fr Critique Gael Faye ce qui lui plaît Source: Liberation.fr
Gael Faye ce qui lui plaît
Liberation.fr
Paris, France, 2013-02-17 (Liberation.fr) - Untitled 7
Critique
Gael Faye ce qui lui plaît
Source: Liberation.fr
13 février 2013
Rap. Le chanteur, né au Burundi et forcé à l’exil à 13 ans, a quitté la
City pour vivre de la musique. Il livre „Pili-pili sur croissant-beurre«,
un premier album hanté par ses origines métissées.
Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir connu dès l’enfance, le
paradis puis l’enfer, d’avoir griffonné ses premiers textes „sous les
obus et les balles traçantes«, à la veille d’un exil brutal. Et, bien des
années plus tard, d’avoir soudain renoncé aux mirages de la City de
Londres pour assumer une passion pour le rap, née à l’adolescence.
Une façon de choisir enfin son destin. Gael Faye a 30 ans et déjà une
vie bien remplie. Celle-ci forme la trame de son premier album solo,
qui évite les clichés sur le métissage pour décliner les différentes
facettes d’une existence de caméléon, sur des rythmes swinguants,
mélangeant la rumba congolaise et un zeste de jazz-soul, au rap le plus
affirmé. Une réussite d’autant plus notable que Gael Faye reste avant
tout un auteur,„virevolteur de mots plein d’amertume«, comme il se
décrit lui-même dans le titre A-France, écrit il y a déjà dix ans et qui
fut „la première vraie chanson« de cet album, rappelle ce jeune homme
à l’allure presque sage et au visage encore enfantin.
Faye parle de clivage entre deux cultures et deux mémoires. Cela peut
sembler banal, c’est tout le contraire. Peut-être parce qu’exilé à 13 ans,
un âge où l’on commence quand même à penser, il a une conscience
claire de ses origines et prend un vrai plaisir à faire découvrir „son«
Burundi natal, petit pays de l’Afrique des Grands Lacs qu’il a fallu
abandonner du jour au lendemain. C’est à ce moment-là, en avril
1995, qu’il commence à écrire, dans une atmosphère de guerre civile.
Des textes d’ado, alors que la mort des premiers Blancs vient de
sonner l’heure du départ pour tous les Occidentaux. Le jeune Gael, lui,
est métis. Avec un papa „croissant-beurre« et une maman „pili-pili«
(nom du piment local), dont il raconte les amours contrariées dans la
chanson qui donne son titre à l’album. En guise de „croissant beurre«,
le père est un personnage atypique : enraciné en Afrique, gérant aussi
bien une réserve naturelle qu’une troupe de théâtre locale, et
surnommé „Crocodile Dundee« depuis qu’il a tenté d’attraper
Gaspard, le gigantesque caïman mangeur d’hommes du lac
Tanganyika, sur les rives duquel se trouve Bujumbura, la capitale du
Burundi. En l’occurrence, c’est la mère, qui rêve de Paris et finit par
abandonner mari et enfants, longtemps avant les troubles qui
conduiront à l’exil.
Larmes. Bien des années plus tard, c’est donc dans l’urgence d’une
évacuation que Gael Faye retrouve sa mère et découvre
Saint-Quentin-en-Yvelines. Adieu l’Afrique, voici „l’A-France«,
„l’asile et l’exil«. Pour la première fois de sa vie, le garçon se
découvre Noir, et trompe son angoisse en noircissant des pages
d’écolier. On lui conseille de s’inscrire à l’atelier d’écriture de la MJC
locale, „un atelier de rap, cette année-là. C’est comme ça que j’ai
découvert cette musique«, raconte-t-il. Très vite, il réalise aussi que, vu
d’ici, l’Afrique est un gros trou noir perdu dans une lointaine galaxie,
et c’est pour tromper cette ignorance complaisante qu’il prend plaisir à
évoquer dans ses chansons les quartiers de „Buja« (Bujumbura), à
remplir ses textes de noms de lieux et d’amis disparus.
Gael Faye a tourné sur place, au Burundi, les clips de deux titres : Ça
bouge à Buja, évocation endiablée d’une capitale réputée pour sa vie
nocturne, et le sublime Petit Pays, qui arrachera des larmes à ceux qui
connaissent l’Afrique des Grands Lacs. En réalité, le texte évoque un
pays voisin, victime d’un autre drame : le Rwanda, dévasté par un
génocide en 1994. C’est aussi l’autre patrie de Gael Faye, car sa mère
était, au Burundi, une exilée rwandaise qui avait fui les premiers
pogroms contre la minorité tutsie dans les années 60. Beaucoup de
chansons sont d’ailleurs hantées par cette tragédie, dont il n’a
découvert la genèse que longtemps après : „A l’époque, en 1994, on
disait juste "les événements" devant les enfants«, souligne-t-il. Le
génocide hante aussi indirectement le magnifique Président,auquel
participe le légendaire musicien angolais Bonga, dont la voix enrobe
de rumba lusophone cette dénonciation des dérives du pouvoir sur le
continent noir.
Rencontres. Les thèmes d’inspiration remontent à l’adolescence. Ils
ont eu le temps de mûrir avant que Gael Faye ne se décide à franchir
le pas, larguer une vie de gestionnaire de hedge funds à Londres et
cesser de ne considérer le rap que comme une passion intime. Bientôt,
il crée avec Edgar Sekloka, un copain d’origine camerounaise, le
groupe Milk Coffee & Sugar, qui produit un premier album, déjà
prometteur. L’histoire de Gael Faye est faite de rencontres. Celle de
ses potes, qui l’ont aidé à chaque étape à construire ce groupe, puis cet
album solo. Celle de sa compagne, à laquelle il rend hommage (Ma
Femme), mère de sa fille (Isimbi, autre titre empreint de tendresse).
Elle est métisse, franco-rwandaise, et ses parents à elle traquent les
présumés auteurs du génocide rwandais cachés en France. Au jeu de
l’oie de la vie, on retombe toujours sur la case départ, semble suggérer
ce jeune homme inspiré qu’on a envie de suivre, même quand il chante
Je pars.