Le diagnostic et la mesure de l`hypertension portale ont

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Le diagnostic et la mesure de l`hypertension portale ont
© Masson, Paris, 2005.
Gastroenterol Clin Biol 2005;29:967-968
FOIE ET VOIES BILIAIRES
ÉDITORIAL
Le diagnostic et la mesure de l’hypertension portale
ont-ils un intérêt ?
Didier LEBREC, Richard MOREAU
Laboratoire d’Hémodynamique Splanchnique et de Biologie Vasculaire, INSERM et Service d’Hépatologie, Hôpital Beaujon, Clichy.
C
hez les malades atteints de cirrhose, l’hypertension
portale est une complication grave qui est en partie
responsable d’hémorragie digestive par rupture de
varices oesophagiennes, d’ascite, d’encéphalopathie et de complications vasculaires pulmonaires comme le syndrome hépatopulmonaire et l’hypertension porto-pulmonaire. L’hypertension
portale peut être modérée, c’est-à-dire avec un gradient de pression hépatique compris entre 5 et 11 mm Hg, ou sévère avec un
gradient de pression hépatique supérieur ou égal à 12 mm Hg.
De nombreuses études ont montré que chez les malades atteints
de cirrhose, les complications de l’hypertension portale survenaient uniquement lorsque celle-ci était sévère [1, 2]. Toutefois,
une hypertension portale sévère peut être asymptomatique pendant un certain temps. Dans ce numéro de Gastroentérologie
Clinique et Biologique, deux revues sont dédiées à l’hypertension
portale [3, 4] : une sur le diagnostic dans le cadre de la prévention des hémorragies digestives et l’autre sur le gradient de pression hépatique. Tout ce qu’il faut savoir est dit sur le diagnostic et
la mesure de l’hypertension portale dans ces articles. Cependant, certaines remarques peuvent être faites.
Chez les malades atteints de cirrhose, le diagnostic d’hypertension portale est facile lorsqu’il existe une ascite ou une circulation collatérale portocave abdominale ou une splénomégalie ; ce
diagnostic peut être difficile s’il n’existe aucun symptôme — c’est
le cas par exemple de certains malades atteints de cirrhose virale
C découverte par un bilan biologique systématique. Nous savons
maintenant (expérience personnelle) que ces malades atteints de
cirrhose virale peuvent avoir une hypertension portale modérée
telle que définie plus haut et que, par conséquent, la recherche
de varices œsophagiennes est inutile dans ce sous-groupe de
malades. En pratique, une étude hémodynamique hépatique ne
peut pas être effectuée chez tous les malades et une méthode
diagnostique non invasive de l’hypertension portale est nécessaire pour apprécier sa sévérité. Comme l’indiquent Dib et al.
dans leur revue [3], il existe de nombreuses méthodes qui reposent soit sur la présence d’une insuffisance hépatocellulaire par
des tests biologiques — dans ce cas, il existe toujours une hypertension portale sévère ; soit sur l’importance de la fibrose hépatique qui est une des causes de l’élévation de la résistance
vasculaire intrahépatique et donc de l’hypertension portale. Une
troisième approche repose sur les modifications hémodynamiques de la veine porte.
Tirés à part : D. LEBREC, Laboratoire d’Hémodynamique Splanchnique
et de Biologie Vasculaire, INSERM et Service d’Hépatologie,
Hôpital Beaujon, 92118 Clichy.
E-mail : [email protected]
Tous les tests biologiques de l’insuffisance hépatocellulaire
sont corrélés avec l’hypertension portale puisqu’il existe une corrélation négative entre ces deux syndromes [5]. Par exemple,
plus l’albuminémie est basse, plus l’hypertension portale est élevée. Mais ces corrélations significatives ne permettent pas d’évaluer avec précision le degré de l’hypertension portale lorsqu’il
n’existe pas d’insuffisance hépatocellulaire. Il n’est donc pas possible d’apprécier actuellement la sévérité de l’hypertension portale en fonction des tests biologiques de l’insuffisance
hépatocellulaire. Les marqueurs biologiques de la fibrose confirment l’existence d’une fibrose hépatique et donc d’une hypertension portale. Les résultats sont toutefois controversés et les
corrélations n’ont le plus souvent été faites que chez les malades
ayant une hypertension portale sévère et ne permettent donc pas
comme l’indiquent Dib et al. [3], de distinguer s’il s’agit d’hypertension portale sévère ou modérée. Récemment, nous avons
montré chez les malades atteints de cirrhose que le Fibrotest pouvait avoir une valeur prédictive négative qui permettrait d’exclure
des malades avec une hypertension portale sévère [6] Ces résultats sont toutefois à confirmer et d’autres méthodes, comme le
Fibroscan, devraient permettre dévaluer en partie le degré et la
sévérité de l’hypertension portale. Les mesures de la circulation
porte par écho-Doppler n’ont pas permis, jusqu’à présent,
d’évaluer le degré d’hypertension portale. Cette technique permet uniquement de montrer par des signes indirects qu’il existe
ou non une hypertension portale. La valeur de la taille du diamètre de la veine porte est le meilleur signe. Les mesures du débit
sanguin porte par écho-Doppler n’apportent aucun élément pour
estimer la sévérité de l’hypertension portale. Le plus souvent, toutefois, ces mesures n’ont été faites que chez les malades ayant
une insuffisance hépatocellulaire sévère. D’autres études d’imagerie sont donc nécessaires, en particulier chez les malades
ayant une hypertension portale modérée.
Comme l’indiquent Vanbiervliet et al. [4], chez les malades
atteints de cirrhose, la mesure du gradient de pression ne permet
pas d’évaluer le risque de complication si celui-ci est au-dessus
de 12 mm Hg. Autrement dit, d’autres facteurs sont impliqués
dans la survenue de ces complications. Par exemple, on sait
qu’une insuffisance hépatocellulaire responsable d’une rétention
hydrosodée doit être associée à l’hypertension portale pour
développer une ascite. L’infection et la production vasculaire de
monoxyde d’azote (NO) pourraient jouer un rôle dans la survenue d’une rupture de varices. En revanche, il est bien établi
qu’une diminution de l’hypertension portale associée à une diminution du débit sanguin dans la circulation collatérale portosystémique supérieure diminue le risque d’hémorragie digestive — ou
de récidive hémorragique — et est efficace dans le traitement
des épisodes aigus d’hémorragie digestive. Ces effets ne sont
pas observés chez tous les malades pour des raisons non éluci-
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D. Lebrec et al.
dées. Il a été suggéré qu’une diminution du gradient de pression
hépatique de plus de 20 % ou une diminution du gradient de
pression qui permet d’atteindre 12 mm Hg ou moins par les
bêta-bloquants associés ou non à des dérivés nitrés était un facteur d’efficacité du traitement pharmacologique [7]. Ces résultats
sont controversés mais il est raisonnable de penser que chez les
malades dont le traitement pharmacologique a des effets hémodynamiques plus marqués, est plus efficace que dans le groupe
de malades qui ne modifie pas ou peu leur gradient de pression
hépatique. Toutefois, il faut savoir que la majorité des substances
vasoactives utilisées ne modifient le gradient de pression hépatique que de 1 à 3 mm Hg. Autrement dit, pour atteindre
12 mm Hg, la valeur basale du gradient de pression ne peut être
que de 13 à 15 mm Hg, et pour diminuer de 20 % le gradient de
pression, il faut diminuer de 4 mm Hg si la valeur basale est de
18 mm Hg (valeur moyenne du gradient de pression des malades atteints de cirrhose hospitalisés pour une hémorragie digestive). Une telle diminution a été rarement observée dans notre
expérience. Les effets hémodynamiques des substances vasoactives sur la circulation splanchnique ne sont pas simples. Par
exemple, le gradient de pression hépatique dépend de plusieurs
facteurs : la pression porte, le débit sanguin porte, la pression
artérielle, le débit sanguin de l’artère hépatique et de la résistance vasculaire intrahépatique. Par ailleurs, après l’administration d’une substance vasoconstrictrice, le débit sanguin azygos
— un reflet du débit sanguin dans la circulation portocave
supérieure — diminue chez tous les malades de 30 % environ
alors que le gradient de pression hépatique diminue plus ou
moins. Ces observations suggèrent qu’il existe des modifications
des résistances vasculaires intra hépatiques et de la circulation
collatérale après l’administration de ces substances vasoactives.
En conclusion, d’autres études cliniques et expérimentales
sont nécessaires pour mieux connaître les mécanismes responsables de l’hypertension portale et de ses complications.
RÉFÉRENCES
1. Lebrec D, de Fleury P, Rueff B, Nahum H, Benhamou JP. Portal hypertension size of esophageal varices, and risk of gastrointestinal
bleeding in alcoholic cirrhosis. Gastroenterology 1980;79:1139-44.
2. Garcia-Tsao G, Groszmann RJ, Fisher RL, Conn HO, Atterbury CE,
Glickman M. Portal pressure, presence of gastroesophageal varices
and variceal bleeding. Hepatology 1985;5:419-24.
3. Dib N, Konate A, Oberti F, Calès P. Diagnostic non invasif de l’hypertension portale au cours de la cirrhose. Application à la stratégie de
la prévention primaire des varices. Gastroenterol Clin Biol 2005.
4. Vanbiervliet G, Pomier-Layrargues G, Huet PM. Diagnostic invasif
de l’hypertension portale au cours des hépatopathies chroniques : étude critique de la mesure du gradient de pression porto-cave. Gastroenterol Clin Biol 2005.
5. Braillon A, Calès P, Valla D, Gaudy D, Geoffroy P, Lebrec D. Influence of the degree of liver failure on systemic and splanchnic haemodynamics and on response to propranolol in patients with cirrhosis.
Gut 1986;27:1204-09.
6. Thabut D, Imbert-Bismuth F, Cazals-Hatem D, Moreau R, Messous D,
Muntenau M, et al. Diagnostic value of fibrosis biochemical markers
(Fibrotest-fibrosure) for the prediction of severe portal hypertension
in patients with and without cirrhosis. Hepatology 2004;
38(Suppl 1):202A.
7. Groszmann RJ, Bosch J, Grace ND, Conn HO, Garcia-Tsao G,
Navasa M, et al. Hemodynamic events in a prospective randomized
trial of propranolol versus placebo in the prevention of a first variceal
hemorrhage. Gastroenterology 1990;99:1401-7.
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