élécharger les actes du colloque - Institut de la Gestion Déléguée
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Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? www.editionsdusecteurpublic.fr Institut de la Gestion Déléguée Chaire Mutations de l’action publique et du droit public de Sciences Po Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Copyright : Éditions du Secteur Public – 27, rue des Sablons - 75116 Paris – 2011 ISBN : 978-2-917483-10-7 Avant-propos Avant-propos par Jean-Bernard AUBY, Directeur de la chaire « Mutations de l’action publique et du droit public » à Sciences Po et Claude MARTINAND, Président de l’Institut de la Gestion Déléguée L’Institut de la Gestion Déléguée (IGD) et la chaire Mutations de l’Action Publique et du Droit Public (MADP) de Sciences Po sont à la fois des observateurs mais surtout des acteurs dans le domaine de la gouvernance publique. L’IGD a en effet pour mission de contribuer à la qualité, à la performance et à la bonne gouvernance des services publics, ce quel que soit leur mode de gestion, et la chaire MADP développe ses activités autour du thème de l’action publique en matière de recherche, d’enseignement et de participation au débat public. À la lumière de l’actualité communautaire en matière de concession, ces deux organismes ont décidé de s’associer afin d’organiser, le 18 janvier 2011, un colloque intitulé : « Le droit communautaire des concessions, une construction inachevée ? », placé sous le parrainage du Ministère français de l’Économie et des Finances et avec la participation de la Commission Européenne. Ayant réuni près de 250 participants venus de toute l’Europe, cet événement devait faire l’objet d’actes réunis dans la présente publication. Le succès de cette rencontre revient naturellement aux animateurs et aux intervenants des quatre tables rondes auxquels nous adressons nos remerciements les plus chaleureux. Nous souhaitons saluer tout particulièrement l’implication de la Commission Européenne, le Commissaire Michel BARNIER nous ayant fait l’honneur de prononcer et d’enregistrer l’allocution d’ouverture des débats qui nous a été transmise et Bertrand CARSIN, Directeur de la Politique des Marchés Publics, ayant contribué efficacement aux travaux. Si aujourd’hui en Europe près de 60 % des partenariats public-privé consentis devraient être qualifiés de concession au sens du droit communautaire, les disparités de traitement de ces PPP mettent en évidence que l’enjeu d’une harmonisation européenne est un sujet de taille comme l’a montré l’étude originale réalisée pour l’occasion par 7 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? la Chaire MADP. Les différentes tables rondes dont les échanges vous sont rapportés dans les pages qui suivent, ont permis de débattre et d’approfondir les fondamentaux de la notion de concession tant au plan économique qu’au plan juridique. La synthèse des travaux par Pierre DELVOLVE, Professeur émérite de l’Université Paris Panthéon-Assas et membre de l’Institut bat en brèche certaines jurisprudences récentes tant nationales que communautaires et constitue un plaidoyer visant à donner à la concession la place et l’autonomie qui lui reviennent. Nous espérons que vous trouverez à la lecture de ces actes autant d’intérêt que celui que nous avons pris à les élaborer. Enfin, nous émettons le souhait que ces réflexions contribuent efficacement à l’avancée des réflexions sur la notion de concession ou plus généralement de partenariat public-privé contractuel. 8 Allocutions d’ouverture Allocutions d’ouverture Richard DESCOINGS, Directeur de Sciences Po Mesdames et Messieurs, comme directeur de Sciences Po, j’ai un plaisir particulier à prononcer quelques mots de bienvenue pour ce colloque. Vous ne serez pas surpris : le droit public a ici une place ancienne et particulière. Il a été enseigné dès les origines, d’abord par des membres des juridictions administratives, puis également par les professeurs qui nous ont rejoints. Aujourd’hui, le monde académique, le monde des juridictions et le monde économique se retrouvent, et nous avons progressé sur la collaboration des départements juridiques et économiques. Ça n’a pas toujours été le cas à Sciences Po, et ça n’est toujours pas le cas dans certaines universités. Pourtant, le droit et l’économie ont longtemps été réunis. Je me souviens du lancement par le président CANIVET d’une série de réflexions à la Cour de cassation sur l’analyse économique du droit, qui lui avaient valu de la part de certains professeurs de droit des admonestations publiques. Nous pensons à Sciences Po, comme dans la plupart des universités spécialisées dans les sciences humaines et sociales, qu’il est difficile de distinguer complètement la recherche et l’enseignement. Nous souhaitons que les enseignants-chercheurs mènent des travaux de recherche mais aussi que les chercheurs – et nous avons des chercheurs en droit du CNRS – participent à l’enseignement. Ce débat est très français mais nous commençons à en sortir. Je crois que c’est une excellente chose. Nous souhaitons que la recherche en sciences sociales, en droit, en économie vienne irriguer le débat public. La manifestation d’aujourd’hui est une magnifique démonstration de cette volonté : la Commission européenne annonce ses intentions dans un secteur très particulier et vous, qui venez d’horizons extrêmement diversifiés, vous vous réunissez pour dresser un bilan du droit des concessions dans les différents États membres, confronter vos analyses de la position des acteurs et suggérer des pistes de réflexion ou d’action. Je tiens à remercier nos partenaires, notamment le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, le ministère des Affaires européennes, l’Institut de la Gestion Déléguée, nos amis des Echos, ainsi que La lettre du secteur public. Je voudrais remercier tout 9 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? particulièrement le professeur AUBY et la chaire qu’il anime. Grâce à lui, le droit public à Sciences Po prospère. Nous avons beaucoup développé, à travers l’École de Droit, l’ensemble des formations et des associations de droit et le droit public conserve une place importante. Cette discipline a également une approche comparatiste. Je voudrais donc saluer les collègues de Jean-Bernard AUBY, professeurs comme lui mais appartenant à des institutions universitaires étrangères, qui participent à un point essentiel de notre politique, consistant à ne pas rester enfermés dans nos frontières, quels que soient leurs charmes. Je voudrais remercier les représentants de l’université de la Sarre de Turin et, bien sûr nos collègues de Paris-Est et de Strasbourg. Je voudrais remercier aussi nos amis juristes et avocats. Certains sont tout particulièrement liés à Sciences Po. Vous avez à traiter d’un point central, au poids économique certain. Les initiatives qui seront prises dans le courant de l’année 2011 auront donc une immense importance pour l’avenir de l’Union européenne. Il est nécessaire de participer en amont à la réflexion, afin de peser dans le débat. Claude MARTINAND, Président de l’IGD L’Institut de la Gestion Déléguée fête ses quinze ans. Cet institut a été créé par le Président Marceau LONG ; je ne suis qu’un ingénieur retraité ordinaire. Je me permets de saluer Catherine BERGEAL, qui représente Christine LAGARDE, ainsi qu’Emmanuel TERRASSE, qui nous délivrera le message de Laurent WAUQUIEZ, qui n’a pu se libérer. Merci infiniment. Michel BARNIER nous délivrera un message enregistré. Il est représenté par Bertrand CARSIN, directeur des marchés publics à la DG MARKT, qui interviendra cet après-midi. 10 Séance inaugurale Séance inaugurale Emmanuel TERRASSE, Conseiller de Laurent WAUQUIEZ, ministre auprès de la ministre d’État, ministre des Affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes Mesdames et Messieurs, je voudrais tout d’abord vous dire combien Laurent WAUQUIEZ regrette de ne pouvoir être parmi nous aujourd’hui pour introduire ce colloque. Je suis dans une position légèrement embarrassante car, contrairement à la plupart d’entre vous, je ne suis pas un expert des concessions. Je vais malgré tout tenter de vous présenter quelques réflexions résultant des consultations ayant eu lieu au sein de l’administration française avec les différents acteurs du secteur. Une première analyse de la question posée par les organisateurs, « une construction inachevée ? » semble plaider en faveur d’une réponse positive. L’encadrement communautaire de la commande publique, qui trouve son expression dans les directives de 2004, couvre plusieurs types d’instruments – marchés publics de travaux, de services, concessions de travaux – mais s’arrête à la porte des concessions de services. En y regardant de plus près, la situation n’est évidemment pas si simple. La jurisprudence communautaire, rappelée par la Commission à plusieurs reprises, s’est développée pour affirmer que les concessions de services étaient bien soumises aux principes généraux du droit communautaire tels qu’ils découlent des traités interprétés par le juge communautaire. Par exemple, le juge communautaire s’est intéressé à la définition des concessions, et à la différence entre concessions et marchés publics : vous le savez, le critère du transfert au concessionnaire d’une part substantielle du risque d’exploitation est essentiel. S’agissant des procédures, la jurisprudence communautaire a rappelé que les principes de mise en concurrence s’appliquaient également aux concessions de services, qu’il s’agisse d’une certaine obligation de publicité, de la transparence vis-à-vis des soumissionnaires ou de l’égalité de traitement et de la non-discrimination entre soumissionnaires. Très récemment encore, le juge communautaire s’est prononcé sur les avenants aux concessions en cours d’exécution et sur les règles qui les régissent et permettent de garantir une remise en concurrence régulière des contrats. Un cadre relativement 11 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? développé et stable s’applique donc au niveau communautaire à l’ensemble des concessions, y compris de services. Ce cadre permet néanmoins aux droits nationaux d’exprimer leur propre vision de ces instruments. C’est d’autant plus important en France que nous possédons une longue tradition des concessions : ce concept, qui existait en droit romano-germanique, s’est développé sous l’Ancien régime, puis au XIXème siècle sous la forme de concessions de travaux publics, avant de devenir, sous l’influence de l’école du service public du Conseil d’État, une des formes classiques de la gestion des services publics. Aujourd’hui, cette conception prend la forme de la délégation de service public, qui s’inscrit pleinement dans les principes du droit communautaire que j’ai rappelés. La France a donc une longue tradition de gestion déléguée des services publics, dont la loi Sapin est l’aboutissement, et la concession est intimement liée aux missions d’intérêt général déléguées par la puissance publique à un acteur privé. Dans ce cadre, l’intuitu personae prend une importance cruciale : la puissance publique doit disposer d’une certaine liberté dans le choix du concessionnaire, à la fois lors du choix du concessionnaire, par une procédure négociée, et, sur le long terme, grâce à la possibilité de modifier le contrat quand l’intérêt général l’exige. Nos partenaires européens connaissent des situations très diverses. Certains pays, comme l’Espagne ou l’Italie, qui partagent avec nous l’héritage du droit romain, ont également développé les concessions de manière assez large. Dans d’autres pays, les pouvoirs publics utilisent des constructions différentes pour répondre aux mêmes besoins : la Grèce utilise les partenariats public-privés institutionnalisés (PPPI) tant pour la distribution du gaz que pour la gestion des aéroports ou de l’assainissement. La diversité des situations n’est pas nécessairement problématique. Du point de vue du marché intérieur, la situation semble relativement satisfaisante. Le respect des principes communautaires permet une concurrence équitable entre les opérateurs. Dans ce contexte, l’utilité d’une initiative au niveau communautaire fait débat. Les autorités françaises, comme elles l’ont indiqué à la Commission lors d’une consultation publique, et le Parlement européen, dans le rapport rendu en mai 2010 sur les nouvelles évolutions des marchés publics, ont fait part de leur scepticisme sur l’opportunité de renforcer l’encadrement des concessions, en l’absence de problèmes clairement identifiés. Ceci étant, l’importance du modèle 12 Séance inaugurale français des concessions est telle que les autorités françaises auront à cœur de préserver les spécificités de ce modèle. C’est parce que cette question est très importante que je me réjouis de voir les acteurs du secteur réunis aujourd’hui. L’intervention du commissaire BARNIER lancera le débat, puisqu’il mettra en exergue des positions qui seront peut-être légèrement différentes de celles que je viens d’exposer. Michel BARNIER, Commissaire Européen en charge du marché intérieur et des services Mesdames et Messieurs, bonjour à chacun et chacune d’entre vous. Merci à l’IGD et à son Président pour l’organisation de cette conférence et leur invitation à m’exprimer. La grande expérience de l’IGD, qui est respectée en matière de commande publique, est un atout pour tous les acteurs, publics ou privés, de ce domaine. Je suis aujourd’hui retenu à Bruxelles afin d’assister à la réunion du Conseil des ministres des Finances. Je suis néanmoins content, par le truchement de cette caméra, de vous dire ce que je crois et ce que je souhaite réaliser et de solliciter vos orientations, réactions, critiques et commentaires. Bertrand CARSIN, directeur dans notre Direction générale Marché intérieur, relayera ces convictions et vous écoutera afin de me rendre compte de vos travaux. La modernisation des règles européennes relatives à la commande publique est une priorité de mon mandat de commissaire. En disant cela, je n’oublie pas le temps que j’ai passé en France comme membre du gouvernement et comme responsable d’une collectivité territoriale en charge de nombreuses commandes publiques, dont je tire des leçons utiles aujourd’hui. Cette ambition occupe une place très importante dans le Single Market Act, l’acte pour le marché unique adopté il y a quelques semaines par la Commission, et qui a été diffusé dans les 23 langues de l’Union européenne (UE) aux parlementaires nationaux et aux acteurs économique ; vous pouvez le consulter dans sa version la plus complète sur notre site internet. Notre objectif, dans le prolongement du rapport de Mario MONTI, est d’achever, de compléter, d’optimiser le fonctionnement de ce grand marché européen, au service des entreprises et des citoyens. Parmi ces cinquante propositions, les concessions ont une place particulière. La valeur de ce type de contrats ne cesse d’augmenter 13 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? dans l’Union européenne et il constitue un moyen juridique privilégié pour fonder ou consolider des partenariats public-privés (PPP) : aujourd’hui, selon les estimations de mes experts, près de 60 % des PPP sont encadrés par le système des concessions. Elles jouent un rôle important dans les secteurs liés à la création d’infrastructures et à la prestation de services d’intérêt économique général ; elles sont nombreuses aussi dans domaine de la gestion des déchets, dans l’industrie du traitement de l’eau, dans les transports ou l’énergie. Dans ce contexte, mon intention est de proposer, au printemps, un projet législatif pour les concessions. Mes services finalisent actuellement l’évaluation d’études d’impact pour cette initiative. Je pense donc que votre réunion vient au bon moment pour nous faire part de votre sentiment ; aucune des consultations que j’ai lancées dans les domaines de la régulation, de la supervision financière, du marché intérieur ou de la propriété intellectuelle n’est artificielle et nous prenons en compte toutes les opinions et réactions que nous enregistrons scrupuleusement. Pourquoi est-il important et utile de légiférer sur les concessions ? D’abord, parce que nous devons faire plus pour favoriser le développement des PPP en Europe. Notre continent à besoin d’investissements et d’infrastructures dans le contexte de sortie de crise dans lequel nous nous trouvons. Or, je veux dire ma conviction que nous ne sortirons pas de cette crise comme nous y sommes entrés : les finances publiques – nationales, locales ou européennes – ne peuvent plus supporter seules les coûts d’investissements. Je partage l’avis du Président José Manuel BARROSO : les PPP seront indispensables pour la relance des économies européennes. La Commission a déjà formulé des propositions ambitieuses dans cette direction. À l’avenir, nous devrons mieux utiliser le budget européen, notamment les fonds régionaux, que je connais pour les avoir gérés durant mon premier mandat de commissaire, comme un levier pour de grands projets public-privés. Cependant, afin de stabiliser les concessions, nous devons d’abord stabiliser le cadre juridique qui leur est applicable. Les principes du Traité ne sont pas compris et appliqués de manière uniforme et je constate même souvent l’attribution de gré à gré de contrats de concession. Nous voulons donc renforcer la sécurité juridique pour les pouvoirs publics et les opérateurs car son absence dissuade les autorités publiques de recourir à la concession. Naturellement, la situation n’est pas la même dans tous les États de l’UE et la France est sans doute un bon exemple de 14 Séance inaugurale la construction d’un cadre solide mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer avec les autres pays, dans l’intérêt général européen. Je souhaite donc, à travers un colloque comme le votre, ainsi qu’à travers la participation des élus et ministres français, que la France prenne part à ce grand chantier, même si elle peut se considérer différente de ses partenaires dont la pratique des concessions est moins développée. Nous souhaitons créer un véritable marché intérieur en matière de concessions et offrir de nouvelles opportunités économiques aux opérateurs. Actuellement, nous constatons que l’accès au marché intérieur est handicapé par la disparité des régimes et l’attribution de concessions sans publicité adéquate, sans égalité de traitement et sans droit de recours effectif. Si les grandes entreprises ont souvent les moyens suffisants pour détecter les opportunités liées aux concessions, les PME, qui constituent ma priorité en tant que commissaire du marché intérieur, sont particulièrement handicapées et affectées par cette situation. Nous voulons une concurrence à armes égales entre les opérateurs, afin d’éviter des pertes pour les contribuables et usagers européens. Je suis conscient des craintes, réserves, et critiques relatives à la lourdeur qu’une initiative législative dans ce domaine pourrait entraîner si elle était mal étudiée ou mal calibrée, et je suis le premier à reconnaître qu’un surplus de règles ne constitue pas une garantie d’amélioration d’un système juridique. Nous prendrons donc des précautions et nous appuierons sur des études sérieuses et une écoute sincère, sans précipitation ni improvisation. Agir dans cet esprit, construire une législation ayant une réelle valeur ajoutée, signifie que nous envisageons un cadre léger, limité à certaines règles de base susceptibles d’apporter la protection juridique nécessaire aux pouvoirs publics et aux opérateurs. Je vous assure que cette initiative ne remettra pas en cause les dispositifs nationaux là où ils fonctionnent bien, comme c’est souvent le cas dans notre pays, ne constituera pas un fardeau excessif et n’entravera pas la liberté des autorités publiques dans le choix de la manière dont elles souhaitent mettre en œuvre les missions d’intérêt général qui sont de leur responsabilité. Pour mener à bien ce chantier, je compte m’appuyer sur toutes les réalisations utiles ayant émergé notamment en France, en Espagne, ou 15 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? en Italie. Je serai donc très attentif aux conclusions de vos travaux, comme je serai attentif, lors du lancement de la proposition de législation, aux suggestions et avis du Parlement européen, des parlements nationaux et des acteurs locaux. 16 Introduction des travaux Introduction des travaux Jean-Bernard AUBY, Directeur de la chaire « Mutations de l’action publique et du droit public » à Sciences Po Je voudrais remercier Monsieur WAUQUIEZ pour le message qu’il nous a adressé par l’intermédiaire d’Emmanuel TERRASSE, Monsieur BARNIER pour son intervention vidéo, Richard DESCOINGS, pour le soutien qu’il apporte constamment aux travaux de notre Chaire, ainsi que nos amis de l’IGD en particulier Monsieur MARTINAND. L’évolution des PPP en particulier de ceux prenant la forme de concessions, est un sujet très important pour nos activités et nous sommes en grande complicité avec l’IGD à cet égard. Pourquoi imaginer d’organiser un colloque sur le sujet des concessions ? Il se trouve que l’UE envisage de légiférer sur ce sujet. L’épisode que nous vivons m’en rappelle un autre vieux d’une vingtaine d’années. J’ai notamment le souvenir d’un colloque, dont Pierre DELVOLVE assurait déjà la conclusion, qui portait sur la concession de service public face au droit communautaire. À l’époque se préparait ce qui allait devenir la directive de 1992 sur les marchés publics de services. Il avait alors été question d’y inclure les concessions de services mais, pour diverses raisons, la CEE avait finalement décidé de les écarter du champ de la directive. Peu de temps après ce renoncement est apparue la loi Sapin, qui établissait en droit national un dispositif pas très éloigné de ce qu’aurait pu édicter la CEE. Quoi qu’il en soit, les concessions de services sont restées largement à l’écart du droit communautaire. Maintenant que les directives sur les marchés ont été révisées et que les régimes européens de concessions de travaux ont été améliorés, les concessions de services suscitent de nouveau l’intérêt car elles sont identifiées comme de potentiels leviers de développement du marché intérieur. Cette période est donc à la fois extrêmement intéressante et préoccupante pour les entités que regroupe l’IGD, qui a bien voulu se tourner vers notre Chaire pour organiser ce colloque avec lui. La Chaire a été créée il y a maintenant quatre ans et elle s’est donné pour vocation de produire de la réflexion scientifique sur les évolutions de ce que l’on appellera, par raccourci commode, le droit public des affaires. C’est également dans cet esprit qu’a été récemment créé le Club MADP, club Droit Public de Sciences Po, que la Chaire anime. Parmi nos activités, les questions relatives 17 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? aux contrats publics ont dès le début occupé une place centrale et nous avons ainsi fait fonctionner autour de nous un réseau international de spécialistes, le Réseau « Contrats Publics dans la Globalisation Juridique » (http://www.public-contracts.eu/inhalte/home.asp). Ce réseau a été mis à contribution dans le cadre de la préparation de ce colloque et nous sommes très heureux de vous faire profiter par ce biais de la dynamique propre de la chaire. 18 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe Philippe COSSALTER, Chaire du droit public français de l’Université de la Sarre, co-directeur du Centre Juridique Franco-Allemand (CJFA) Rozen NOGUELLOU, Professeur de droit public, Université Paris Est-Créteil Session animée par Jean-Bernard AUBY. Jean-Bernard AUBY : Rozen NOGUELLOU et Philippe COSSALTER sont membre de notre réseau « Contrats Publics dans la Globalisation Juridique ». Rozen NOGUELLOU a piloté, avec notre collègue Ulrich STELKENS, le premier produit publié de notre Réseau, un Traité de droit comparé des contrats publics ; elle nous présentera les réponses qui ont été faites à un questionnaire, élaboré avec l’IGD, que nous avons fait circuler au sein du Réseau. Philippe COSSALTER est l’auteur d’un ouvrage classique sur la délégation d’activités publiques dans les différents systèmes européens ; il nous résumera l’évolution du droit de l’UE sur les concessions. Nous nous pencherons ensuite en profondeur sur la notion de concession, sur la passation et sur l’exécution de ces contrats, le droit communautaire n’étant pas complètement étranger à ce dernier sujet. Rozen NOGUELLOU : Je tiens à remercier Émilie CHEVALIER, qui m’a aidée à élaborer le questionnaire adressé à un certain nombre de chercheurs et praticiens étrangers. J’ai cherché à faire une synthèse des réponses obtenues. Ces réponses proviennent d’Italie, d’Allemagne, de Pologne, de Belgique et d’Estonie, ainsi que de pays nonmembres de l’UE, que j’évoquerai pourtant car certains éléments et influences sont extrêmement intéressants : Brésil, Canada, Russie, Australie, Algérie et Suisse. Quels sont les grands enseignements que l’on peut tirer des réponses à ce questionnaire, qui portait sur la notion de concession, sur la passation des contrats de concession ou des contrats liés et sur leur exécution ? 19 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? 1. Conseil d’État, 3 décembre 2010, Ville de Paris, Association Paris Jean Bouin, n° 338272 et n° 338527. C’est à partir de la notion de concession de services, telle qu’elle est entendue en droit français, que nous allons raisonner ici, puisqu’elle a été reprise dans ses grandes lignes par le droit communautaire. En droit français, la concession de services suppose une activité de service public délégable, un mode de rémunération particulier avec transfert des risques au prestataire et un contrat administratif. Le premier clivage qui pourrait apparaître tient au fait que tous les États ne connaissent pas la notion de contrat administratif mais il ne parait pas pertinent dans le cadre de cette étude. En effet, le droit communautaire ignore également cette notion et, sous son influence, le contrat public se substitue peu à peu au contrat administratif. Si l’analyse des systèmes étrangers montre que la notion de contrat administratif est une notion isolée, cela ne signifie pas pour autant que le régime attaché au contrat administratif est également isolé mais l’utilisation du critère du contrat administratif ne permet pas d’analyser de manière pertinente les systèmes étrangers. L’autre distinction, plus riche pour la comparaison, peut porter sur la notion de service public, que tous les pays ne connaissent pas. Le raisonnement du droit français repose sur l’idée qu’il ne peut y avoir une concession de service public que si la gestion d’un service public est effectivement déléguée à un tiers : un certain nombre de décisions du Conseil d’État excluent les qualifications de délégation de service public et de concession de services dès lors que le cocontractant apparaît comme étant associé à un service public ou comme participant à une telle activité – ce raisonnement a notamment été tenu récemment dans l’affaire JeanBouin1. Si certains systèmes juridiques raisonnent de manière identique, d’autres adoptent des solutions plus simples. De ce point de vue, en droit communautaire, la concession de services est définie comme un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de services, à l’exception du fait que la contrepartie consiste dans le droit d’exploiter l’ouvrage. Ce qui importe, c’est qu’une personne publique – ou une personne privée relevant de la catégorie des organismes de droit public au sens du droit européen – confie à un tiers la gestion d’un service, quelle que soit la qualification qui peut être donnée à celui-ci. La reconnaissance ou non d’un service public peut donc constituer un clivage important mais elle ne permet pas de comprendre ce que pourrait être un droit communautaire des concessions, ni quel est l’état du droit des délégations d’activités publiques dans les autres États membres. Enfin, s’agissant du mode de rémunération, le critère du transfert du risque d’exploitation, retenu par le droit communautaire, est consacré dans la plupart des systèmes juridiques analysés. 20 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe Quelle synthèse peut-on tirer de ces éléments ? Sans entrer dans le détail de la discussion, deux observations générales peuvent être faites. La première concerne la notion de concession qui, sans être « franco-française », n’existe pas partout de la même manière. La seconde porte sur le régime juridique des contrats, qui est moins problématique : tant en ce qui concerne la passation que l’exécution, une certaine unité est observable. Pour ce qui concerne la notion de concession, un certain nombre de pays ont adopté le modèle français, reposant sur un contrat clairement identifié. Ces pays sont ceux dont la tradition juridique de droit public est proche de la nôtre et dans lesquels on retrouve souvent la notion de contrat administratif, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, mais aussi, avec des particularités fortes, l’Italie. Dans le même ordre d’idée, la concession se retrouve, en dehors des frontières européennes, dans les pays influencés par les systèmes précédemment cités, comme le Brésil ou l’Algérie. Cependant, dans tous ces systèmes juridiques, la concession est souvent autre chose qu’une simple concession de services. Le modèle de la concession est également employé pour la concession de travaux, les concessions minières, les concessions domaniales, voire même pour des actes unilatéraux accordant des privilèges d’exploitation à certaines entités. Le terme de concession est donc polyvalent et peut aller du contrat de délégation de service public à des autorisations administratives unilatérales. À l’inverse, certains systèmes juridiques ne connaissent traditionnellement pas la concession entendue comme le contrat confiant au cocontractant la gestion d’une activité publique. C’est le cas de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la Suède mais également, hors des frontières européennes, du Canada ou de l’Australie. Dans ces systèmes juridiques, la concession n’est ou n’était pas clairement identifiée. Le terme existe mais soit la concession constitue un acte unilatéral donnant à un opérateur une exclusivité pour gérer une activité et s’apparente ainsi à une licence, soit elle est limitée à l’exploitation des sous-sols et se matérialise alors sous la forme d’un contrat ou d’un acte unilatéral – le rapport allemand souligne ainsi que la notion de concession est de manière classique utilisée comme synonyme d’autorisation administrative. Pourtant, ces systèmes juridiques évoluent de manière importante. En effet, le droit communautaire a, d’une certaine manière, imposé le modèle français des concessions dès lors qu’il a exigé que les concessions de travaux fassent l’objet de procédures particulières de passation : les États ont nécessairement dû intégrer la 21 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? notion et il ressort des rapports polonais et estoniens que les pays ayant intégré l’UE plus récemment semblent s’être mieux adaptés à cet état des choses, en transposant la notion et en l’étendant aux concessions de services. L’autre facteur d’évolution tient au fait que les modèles traditionnels de gestion des activités publiques qui reposaient, comme en Allemagne, sur des structures publiques telles que les Stadtwerke, peuvent se heurter à des problèmes de financement. Or, l’externalisation de la gestion du service et le transfert du coût des investissements peuvent apparaître comme des solutions aux déficits publics. Enfin, le droit communautaire a parfois permis de révéler la préexistence de la notion de concession dans certains systèmes juridiques. La notion de concession, si elle n’est pas identifiée de manière homogène, me semble donc néanmoins gagner du terrain en Europe. Les règles applicables aux contrats de concession ou aux contrats proches me semblent plus proches entre les États membres que la définition qu’ils donnent-les uns et les autres- de la notion même de concession. La lecture des rapports nationaux révèle que les règles générales régissant la passation des contrats ou l’attribution d’autorisations, comme les règles applicables à l’exécution du contrat, sont relativement similaires d’un système juridique à l’autre. S’agissant de la passation, tous les rapports nationaux insistent sur l’importance de la transparence et du respect de l’égalité de traitement ; les formes diffèrent et des exceptions existent mais la règle générale est la soumission à un minimum de publicité préalable. Des développements intéressants sont d’ailleurs observables dans le domaine des concessions domaniales, qui sont dans un certain nombre de cas soumises à publicité. S’agissant de l’exécution des contrats, les rapports nationaux insistent sur la nécessité pour ces contrats de longue durée d’intégrer une certaine flexibilité : la personne publique doit être en mesure de modifier le contrat, d’en contrôler l’exécution, voire de le résilier. Les règles relatives à la durée des contrats, à la fixation des tarifs, aux rapports avec l’usager, sont relativement proches. Ce constat semble indiquer qu’une harmonisation européenne est possible. La difficulté résidera davantage dans l’identification des contrats ou actes unilatéraux soumis aux règles communautaires qu’à la définition de ces règles. Jean-Bernard AUBY : Je ne suis pas convaincu que l’absence de la notion de contrat administratif soit sans importance. Là où elle est absente, il est plus difficile d’adhérer à l’idée selon laquelle des 22 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe contrats, parce qu’ils ont un objet relatif à ce que nous appelons des services publics, relèvent naturellement de règles particulières. Nous aurons à reparler d’un certain nombre de questions frontalières : contrats domaniaux, montages unilatéraux, présence très forte dans certains systèmes de solutions "in house"… Philippe COSSALTER : Il est difficile d’intervenir sur l’évolution du droit communautaire et ses liens avec le droit des États membres sans évoquer les possibles évolutions et donc sans empiéter sur les interventions de l’après midi. Le droit communautaire des concessions a connu deux grandes étapes. La première étape est illustrée par le colloque de 1992 sur la concession de service public face au droit communautaire : en effet, ce droit s’est d’abord construit sans vraiment prendre en compte l’existence de la notion dans les droits nationaux. Dans un deuxième temps, il me semble que le droit communautaire a été confronté au droit des concessions et a reçu l’enseignement des États membres. La première période a été celle d’une construction progressive, avec une présence d’abord extrêmement sommaire de la concession. La notion est mentionnée dès 1977 dans la directive relative aux marchés publics de fournitures, qui impose aux personnes attribuant des droits spéciaux ou exclusifs à un tiers par l’octroi d’une concession de service public de soumettre à publicité et mise en concurrence leurs marchés de fournitures mais cette disposition n’a jamais vraiment été mise en œuvre, ni expliquée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La directive de 1989 sur les marchés publics de travaux marque la véritable apparition de la notion de concession, définie non de manière autonome mais comme un type particulier de contrat de travaux, qui se distingue du marché public par le droit d’exploiter l’ouvrage. On voit là l’influence du droit français dans la définition de la concession, classiquement présentée comme un contrat par lequel la rémunération est assurée par une redevance perçue sur l’usager. Le droit communautaire ne s’est pas occupé des concessions de services dans les directives ; la directive 92/50 ne les mentionne pas. Des divergences de vue existaient entre l’Allemagne et la France, cette dernière ne souhaitant pas instaurer ce qui aurait constitué à ses yeux une distorsion concurrentielle. En effet, en Allemagne, les services publics étaient – et sont encore majoritairement – gérés par des sociétés publiques locales non soumises à la concurrence, tandis qu’en France, les services publics étaient gérés à 80 % par des concessions de service public ou de travaux qui n’étaient pas mises en concurrence. La 23 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? volonté de ne pas soumettre les concessions de services a été remise en cause par l’adoption de la loi Sapin du 29 janvier 1993. Le droit communautaire s’est donc construit sur deux pieds inégaux : la concession de travaux était définie, tandis que la concession de services n’avait ni définition, ni régime de publicité ou de mise en concurrence. À l’époque existait en outre une difficulté particulière à distinguer les deux contrats qui étaient, dans le cas des contrats mixtes, soumis aux aléas d’une détermination de l’objet principal : ce critère, choisi dès 1994 par la Cour de justice, se définit par luimême et n’est pas attaché à des critères objectifs. Le dernier épisode de cette première étape de la construction du droit communautaire est la publication de la communication interprétative de 2000, rédigée par la Direction générale XV, devenue DG marché intérieur, et dirigée à l’époque par le professeur MATTERA. Sa vision restait assez doctrinales et distinguait les marchés d’un côté et les concessions de l’autre, sans prendre en compte l’existence d’une troisième voie qui allait prendre son essor : les PPP et autres montages contractuels complexes. L’évolution se fait donc sans prise en compte du droit des États membres, le droit des concessions étant alors perçu comme une notion typiquement française et l’influence des directives paraissant limitée dans ce domaine. Les années 90 voient pourtant le développement du régime concessif dans les États membres. Le droit communautaire va être progressivement confronté aux législations nationales, pour deux raisons. D’abord, en imposant la transposition des directives, le droit communautaire a réintroduit des notions parfois oubliées : ainsi, le droit italien, dont la doctrine étudiait la notion de concession depuis plus d’un siècle, sans faire preuve d’une cohérence, a vu réapparaître la concession de travaux par la transposition de la directive 89/665 dans une grande loi sur les travaux de 1994, qui a posé la définition de la concession de travaux. Les autorités italiennes ont dès lors réuni différentes pratiques aux noms et aux régimes variés sous la bannière unique la concession de travaux et une réflexion doctrinale cohérente s’est développée sur ce sujet. La seconde raison de cette confrontation est l’impératif économique qui a fait se développer les concessions et les PPP, comme au Royaume-Uni avec les contrats de private finance initiative (PFI). Cette double évolution a entraîné la nécessaire évolution du droit communautaire et il me semble que les droits nationaux mettent à l’épreuve chacun des points de définition du régime du droit des concessions tel qu’il est actuellement défini en droit communautaire. 24 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe La concession est définie en droit communautaire comme un contrat passé entre un pouvoir adjudicateur et un tiers ayant pour objet la prestation de services ou de travaux, dont la contrepartie réside dans un droit d’exploitation assorti d’un prix. L’analyse du droit des États membres montre que très souvent, ce qui en France est attribué par délégation de service public, est attribué par actes unilatéraux dans d’autres pays. C’est notamment le cas des licences de transport public au Royaume-Uni. Ces procédés unilatéraux échappent pour l’heure au droit communautaire et la CJUE doit faire évoluer le cadre général du droit communautaire : dans les arrêts Sporting Exchange du 3 juin 2008 et Ernst Engelmann du 9 septembre 2010, la Cour a ainsi considéré que les actes unilatéraux devaient être soumis aux principes du Traité, au même titre que les concessions de services visées par la directive 2004/18. Plus généralement, il me semble que l’absence de notion de contrat administratif dans les États membres rend nécessaire une réflexion du droit communautaire sur la définition de la concession. En effet, non seulement certains pays recourent à des actes unilatéraux mais, en outre, l’absence de contrat administratif dans certains États oblige de recourir à des contrats complets, qui doivent être entièrement rédigés et n’ont pas le caractère évolutif des contrats administratifs. L’absence de ces derniers a donc une influence sur la définition et le régime des concessions. S’agissant de la notion de tiers, le droit communautaire a été confronté à la pratique du "in house", qui s’est développée en Autriche, en Allemagne, en Italie ou en Espagne, et qui consiste pour les collectivités publiques locales à se réunir au sein de sociétés à capital public exclusif. La Cour, à partir de l’arrêt Teckal en 1999 et pendant une dizaine d’années, a eu du mal à prendre en compte ces nouveaux objets mais le droit communautaire s’est finalement adapté aux pratiques nationales de délégation des activités publiques. Le PPP institutionnel (PPP-I), qui a dû être pris en compte par la Commission dans sa communication interprétative de février 2008, n’est finalement que le résumé du régime de publicité et de mise en concurrence de l’économie mixte, dans laquelle un vrai partenaire privé prend réellement une part de capital dans une société à capital public. Le PPP-I est donc la prise en compte de l’économie mixte envisagée comme une modalité particulière de délégation du service public et non comme une simple forme de participation à la publicité et à la mise en concurrence. Jean-Bernard AUBY : La jurisprudence communautaire donne-t-elle des signes sur la manière dont certaines questions pourraient être 25 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? traitées ? Je pense en particulier à la question des schémas d’attribution unilatérale d’un service public : dans quelle mesure le droit communautaire est-il prêt à rechercher, derrière le caractère unilatéral, une réalité qui devrait être soumise à compétition ? Un autre problème est celui de la séparation entre les concessions de service public et les concessions domaniales. En raisonnant de manière comparative et en partant de ce qui existe dans la jurisprudence ou la législation communautaire, disposons-nous d’indices permettant de savoir de quelle manière cette question serait traitée ? Rozen NOGUELLOU : La lecture des rapports nationaux laisse clairement apparaître que le terme de concession est polyvalent et que, dans bon nombre de cas, la délégation d’activité publique est opérée de manière unilatérale. La Pologne propose donc des licences pour l’audiovisuel – comme en France, puisque les contrats de concession ont été requalifiés d’actes unilatéraux par le juge –, la distribution d’énergie ou les transports. Le rapport estonien était extrêmement pragmatique et relevait que les concessions pouvaient être octroyées de différentes manières – acte administratif, agrément administratif, contrat administratif – mais qu’en toute hypothèse une procédure transparente devait être mise en œuvre pour respecter les principes fondamentaux du Traité. L’absence de contrat n’implique donc pas qu’on puisse faire abstraction des principes de transparence posés par le droit communautaire. Philippe COSSALTER : S’agissant des schémas unilatéraux, la Cour de Justice soumet désormais les actes unilatéraux conférant des droits spéciaux ou exclusifs à un opérateur aux principes du Traité. Faut-il y voir la promesse d’une extension de la notion de concession ? Je n’en suis pas sûr. Les arrêts qui défrayent aujourd’hui la chronique, comme l’arrêt Engelmann, ne font qu’une application prévisible du droit communautaire. En dehors même du droit des concessions, il s’agit de dire que l’attribution par l’État d’un monopole doit être faite dans des conditions de publicité et de mise en concurrence suffisantes pour assurer une concurrence pour le marché. On peut donc parler d’une prise en compte autonome. D’ailleurs, dans l’arrêt Engelmann, ni la Cour ni l’avocat général n’évoquent la notion de concession. Cependant, ces jurisprudences et l’évolution des dix dernières années pousseront un jour le droit communautaire à s’interroger sur les formes unilatérales de concessions de travaux et de services. Cela existe en matière de concessions de services requalifiées comme telles, 26 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe notamment au Royaume-Uni avec les licences de transport public que j’évoquais plus tôt, et il est difficile de considérer qu’on ne pourra prendre en compte, au titre du droit en concession et non seulement au titre de l’application de l’article 49 du Traité, les actes unilatéraux. Leur prise en compte peut être réalisée, à mon avis, de trois manières. D’abord, si la Cour s’en charge, il s’agira de requalifier un certain nombre de montages : dans les États membres, la meilleure doctrine hésite parfois sur la qualification de délégation de service public à accorder à certains montages. Il me semble que la Cour a une vision des contrats, inspirée de l’analyse du Traité, qui consiste à chercher derrière l’apparence de l’instrumentum la réalité du lien juridique, et qu’elle est prête à requalifier un certain nombre d’actes unilatéraux en contrats pour les soumettre aux directives et aux principes du Traité. Une autre évolution envisageable est celle d’une définition de la concession prenant en compte les actes unilatéraux, comme l’a proposé la Commission dans son Livre vert de 2004 mais l’extension de la notion de concession poserait un problème commun à celui de l’occupation domaniale : où s’arrête la requalification ? À partir de quand ne se trouve-t-on plus face à une concession de travaux ou de services mais face à un simple acte de police, d’autorisation encadrant une activité privée, même d’intérêt général ? À partir de quel moment n’est-on plus dans la sphère de la prestation rendue à un tiers pour le bénéfice de l’administration ou pour le compte de l’administration au bénéfice des usagers et à partir de quel moment se trouve-t-on simplement dans un procédé de police ? En ce qui concerne l’occupation du domaine public, à quel moment la personne publique ne se contentet-elle plus d’autoriser l’occupation du domaine public pour exploiter une activité privée mais encadre une activité rendue en réalité pour son compte ? Cette question se pose de manière récurrente et le Conseil d’État y a encore été confronté dernièrement dans l’affaire du stade « Jean Bouin ». La première difficulté est celle de la définition. La seconde est celle du régime : imaginons que la CJUE ou un texte communautaire soumettent les conventions d’occupation du domaine public à des procédures de publicité et de mise en concurrence, en se fondant sur l’idée selon laquelle elles accordent un droit exclusif d’accès à une ressource. Dès lors que les principes de transparence et d’égalité de traitement seraient appliqués, il deviendrait impossible d’arrêter l’engrenage. Toute évolution du service offert par la personne s’étant vu attribuer un droit d’occupation pourrait être considérée, en application de la jurisprudence de la CJUE, comme une violation des principes 27 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? d’égalité de traitement et de transparence, puisque l’état de la concurrence par rapport au moment de l’attribution du titre d’occupation aura changé. Cela pourrait aboutir à un encadrement et une limitation du service assuré par la personne privée. Dès lors que les principes d’égalité de traitement et de transparence encadrent la prestation, la situation est proche d’une délégation de service public, c’est-à-dire d’un contrat dans lequel on fixe de manière ferme et pérenne l’objet de l’activité qui sera assurée par la personne privée attributaire. Il existe donc un risque à soumettre de manière générale les conventions d’occupation du domaine public aux principes du Traité. Jean-Bernard AUBY : Les concessions de services ne font pas l’objet d’une réglementation communautaire mais certaines règles de droit européen s’appliquent. Lesquelles ? Dans le cadre des débats qui se sont tenus au cours des années 1990, la question de la mise à l’écart des secteurs exclus se posait : dans l’état actuel du droit, une telle exclusion pourrait-elle exister ? Existe-t-il des systèmes nationaux dans lesquels les secteurs exclus ont un statut différent ? Enfin, existe-t-il des systèmes nationaux connaissant des schémas de PPP-I ou du "in house", ou, à défaut, des mécanismes de mise en compétition des opérateurs pour la constitution de ces schémas partenariaux, pour devenir par exemple actionnaire de la Stadtwerke, pour évoquer une institution allemande ? Rozen NOGUELLOU : Les obligations du droit communautaire sont apparues avec la jurisprudence Telaustria telle qu’elle a été explicitée par les arrêts ultérieurs : l’application des principes généraux du Traité – libre circulation, non-discrimination – exige une publicité adéquate. Par la suite, la CJUE a limité le champ de cette obligation aux contrats présentant un intérêt transfrontalier certain. Ces éléments ne sont pas très clairs. Ce qui est certain, c’est qu’une concession de services d’une certaine ampleur doit donner lieu à une publicité adéquate, ce qui ne signifie pas systématiquement une publicité au JOUE. Dans les États membres, ces exigences sont respectées, non seulement en France avec la loi Sapin, mais également dans d’autres pays. Le rapport belge indique par exemple que le principe de concurrence, la règle d’égalité de traitement, les conditions de l’accès non-discriminatoire font partie des principes généraux du droit administratif belge et s’appliquent donc à la conclusion de concessions de travaux ou de services. En Italie, les obligations communautaires ont été transposées pour les concessions de travaux et la jurisprudence a imposé les 28 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe obligations de publicité pour les concessions de services suite à l’arrêt Telaustria. En Pologne et en Estonie, des obligations de publicité ont également été mises en œuvre. En outre, les rapporteurs indiquent que les concessions domaniales sont également soumises aux obligations de transparence découlant des principes généraux du Traité. Philippe COSSALTER : Je parlerai du "in house" et du PPP-I de manière commune, car ils ont évolué conjointement. Depuis l’arrêt Teckal, on sait que le "in house" est inspiré de la théorie de l’organe indirect développée notamment par la doctrine italienne dès les années 50. Cette théorie considère que certaines sociétés, bien qu’ayant une personnalité morale autonome, sont sous la coupe de la personne publique et ne constituent que des organes para-administratifs d’exécution du service. Le "in house" a une grande importance, notamment dans les États membres comme l’Allemagne où les coopérations entre collectivités territoriales représentaient dans les années 1990 presque l’intégralité de la gestion des services publics. Face à l’application dogmatique du droit communautaire, qui voyait une concession ou un marché public dans tout rapport entre deux personnes morales autonomes, voire entre deux entités économiques, un risque de remise en cause de la coopération intercommunale existait. On ne peut que se réjouir de l’évolution de la jurisprudence, qui valide l’existence de la coopération intercommunale dans la plupart des États membres. Conjointement à la survie de cette coopération intercommunale qui prend la forme sociétaire, les pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche ou l’Espagne ont voulu ouvrir le capital de leurs sociétés publiques locales au secteur privé. Je vois dans cette démarche trois objectifs politiques et un objectif juridique. Les objectifs politiques sont : • l’ouverture du capital au secteur privé et à la concurrence ; • le maintien des formes d’intervention du secteur public – en Allemagne, il était hors de question de supprimer la forme des Stadtwerke en s’ouvrant au secteur privé ; • le financement. La doctrine espagnole l’a noté dès la fin des années 1990 : l’ouverture du capital est un moyen pour les personnes publiques de trouver de l’« argent frais », via l’attribution d’une concession à une société publique locale, puis la cession d’une partie de son capital, qui est valorisé en référence à l’actif principal de la société, qui est souvent la concession elle-même. Cela a permis à un certain nombre de collectivités espagnoles de se financer. Le PPP-I peut être un moyen utile de recevoir des droits 29 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? d’entrée. C’est ce qu’a fait l’État français en cédant les sociétés autoroutières. L’objectif juridique du PPP-I concerne les modalités d’organisation de la procédure de publicité et de mise en concurrence lors de la création d’une vraie société d’économie mixte. En France, on sait depuis 1926 que les sociétés d’économie mixte sont le plus souvent des sociétés publiques locales présentant une façade de société à capital mixte mais lorsqu’un véritable partenaire privé est introduit dans le capital, le procédé français, validé par le Conseil d’État dans son avis du 1er décembre 2009, consiste à pré-constituer la société sans publicité ni mise en concurrence, à céder une partie de son capital au partenaire privé ou à créer une nouvelle société, puis à se présenter à la procédure de publicité et de mise en concurrence en faisant appel à l’objectivité de la commission de délégation de service public pour l’attribution au meilleur candidat, en sachant que l’un des candidats est composé à 51 % de capitaux détenus par la personne organisant la concurrence et à 49 % par la société qu’elle a choisi de gré à gré. En réalité, pour éviter ce conflit d’intérêt, qui peut être qualifié d’anticoncurrentiel et qui pose des problèmes sur le plan de la transparence, l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne ont mis au point un système qui consiste à organiser dans un même mouvement la décision politique de recourir à l’économie mixte, le choix du partenaire privé et l’organisation des modalités d’exécution. J’ai la faiblesse de croire que ce système est le seul à même de permettre la création d’une vraie société d’économie mixte. En France, de telles sociétés sont le plus souvent des organismes parapublics, pour lesquels la question de la transparence et de l’égalité de traitement se posera. Jean-Bernard AUBY : Quelle est la position du droit communautaire sur l’exécution des contrats de concession, compte tenu de ses règles générales et des régimes applicables aux marchés et aux concessions de travaux ? Rozen NOGUELLOU : Cette question me paraît primordiale. Le droit communautaire, qui d’habitude ne s’intéresse pas à la phase de l’exécution des contrats, devra se pencher sur cet aspect car les concessions sont par définition de contrats de longue durée nécessitant très souvent d’être adaptés. Or, le droit communautaire a, ces dernières années, adopté des jurisprudences relatives à la phase d’exécution du contrat qui peuvent amener une inquiétude sur la vie de ces contrats. L’arrêt Pressetext de 2008 portait sur une opération de cession d’un contrat 30 Panorama des concessions Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe de concession ; l’arrêt Wall AG de 2010 portait sur un changement de sous-contractant dans le cadre d’une concession de services. Dans ces deux hypothèses, les contrats ne relevaient pas du champ des directives communautaires mais étaient soumis aux exigences de la jurisprudence Telaustria. Il ressort de ces arrêts que la logique du droit communautaire tend, dans une certaine mesure, à figer les contrats une fois ceux-ci conclus car l’évolution des contrats peut avoir pour effet de remettre en cause les modalités de passation initiale. Ainsi, est interdite toute modification du contrat qui introduirait des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient permis l’admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle retenue. Dès lors que le contrat est modifié de manière substantielle, ce schéma peut émerger. La Cour a clairement indiqué dans l’arrêt Pressetext que la cession de contrat s’apparentait par principe à une modification substantielle du contrat impliquant une nouvelle procédure de passation. Or, les questionnaires adressés aux membres de notre réseau demandaient si les contrats de longue durée relatifs à la gestion de l’activité publique pouvaient être modifiés et cédés : les réponses étaient unanimement positives. Une convergence des régimes juridiques existe sur ce point. L’inquiétude inspirée en France par ces arrêts sera donc certainement partagée par d’autres États membres. Cependant, l’arrêt Wall est moins rigoureux et les conclusions de l’avocat général étaient favorables à une possibilité d’évolution du contrat : il semblait plus soucieux des réalités économiques et a relevé les particularités des contrats de concession, qui supposent « au stade de l’exécution du contrat, de concilier l’obligation de transparence avec l’intérêt du service public, qui exige, dans certaines circonstances, d’adapter et de modifier le contrat. » La jurisprudence pourrait donc évoluer dans un sens plus favorable aux nécessités économiques de l’exécution des contrats de concessions. 31 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats Stéphane STRAUB, Professeur Toulouse School of Economics Vincent PIRON, Directeur de la stratégie, Vinci concessions Rainier d’HAUSSONVILLE, Directeur des affaires européennes, Veolia environnement Patrick VANDEVOORDE, Directeur général délégué, CDC Infrastructure Session animée par Claude MARTINAND, Président de l’IGD. Claude MARTINAND : Nous avons pensé qu’il était particulièrement important de prendre en compte les questions économiques. À mes côtés, Stéphane STRAUB, professeur à la Toulouse School of Economics, où a enseigné Jean-Jacques LAFFONT et où enseigne Jean TIROLE, qui ont mis au point au MIT une théorie économique des contrats dans une approche de droit public ; Vincent PIRON, qui travaille maintenant à son compte, a inventé un modèle nommé Pirandello, consistant à modéliser le développement des grandes agglomérations en articulant transports, habitat, fiscalité, etc. ; Rainier d’HAUSSONVILLE est là en tant que directeur des affaires européennes de Veolia environnement ; Philippe BRAIDY n’a pas pu se libérer mais la Caisse des dépôts et des consignations est représentée par Patrick VANDEVOORDE. Au sein de notre Comité des concessions ont été créées une commission juridique, présidée par Laurent RICHER et Noël Chahid NOURAÏ, une commission économique avec Stéphane SAUSSIER et Vincent PIRON et une commission analysant les approches nationales, avec Dominique LORRAIN. Si nous ne parvenons pas à comprendre les ressorts socioculturels des modèles des Stadtwerke, qui dominent 33 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? l’Allemagne, l’Autriche, la Scandinavie ou la Hollande, nous ne trouverons pas de convergences ou de compromis européens. Nous avons arrêté les questions suivantes, parmi lesquelles chacun des intervenants pourra choisir : • La distinction marché public/concession : quels sont les éléments fondateurs ? Faut-il distinguer travaux et services ? • Qu’est-ce que l’incomplétude économique et la mutabilité du service public ? • Comment gérer la négociation initiale puis l’adaptation du contrat ? • Que recouvre la notion d’équilibre économique initial du contrat ? Cette doctrine élaborée par le Conseil d’État est le fruit de travaux jurisprudentiels ayant duré des décennies. • Quels sont les facteurs clés de cet équilibre économique (rôle de la durée, incidence du transfert de risque de demande, de la compétition entre les candidats) ? • Qu’est-ce que le principe de la juste rémunération ? Quel est le rôle des pénalités et des incitations dans la vie du contrat ? Cette question rejoint celle sur les contrats incitatifs, qui à travers des mécanismes d’incitation fondés sur des indicateurs de performance, maintiennent une pression concurrentielle pendant toute la durée du contrat. Ce facteur me semble d’ailleurs beaucoup plus puissant que la mise en compétition initiale d’un contrat complexe. • Comment se caractérise un bouleversement substantiel de l’équilibre économique initial ? Le Conseil d’État, dans sa sagesse, est arrivé à la conclusion qu’en cas de bouleversement de l’équilibre initial conduisant soit à des rentes disproportionnées, soit à des faillites, le contrat devait être rééquilibré. • Incidence du mode de passation (négociation/dialogue compétitif/ appel d’offres) sur la détermination de l’équilibre économique initial ? Quels sont les meilleurs procédés ? • Incidence des modalités de rémunération de l’opérateur (usager, shadow toll ou péages virtuels, subvention d’équilibre…) sur l’équilibre économique du contrat ? Stéphane STRAUB : Je suis économiste du développement et mon approche des concessions est liée à des travaux réalisés initialement avec Jean-Jacques LAFFONT sur les renégociations de concessions en Amérique latine. Il y a une dizaine d’années, les renégociations étaient extrêmement courantes, puisque nous en avons observé plusieurs centaines. Nous avons donc cherché à comprendre comment le contexte institutionnel et légal expliquait ce phénomène. 34 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats Je voudrais commencer par rappeler deux éléments. Je suis toujours frappé, dans le cadre de débats sur le thème des concessions ou des PPP, par les raisonnements laissant penser que ces contrats permettraient de résoudre tous les problèmes d’investissement public. Il convient d’être réaliste. En Amérique latine et dans les pays émergents en général, un retrait très fort de l’investissement public a été constaté à mesure que l’investissement privé se développait mais ce dernier n’a jamais couvert le retrait de l’investissement public : l’investissement global a donc diminué. En outre, les raisonnements portent sur des investissements optimaux et efficaces, pour l’encadrement desquels il conviendrait de développer un cadre légal idéal. Or, de nombreux travaux économiques montrent qu’en général, les projets d’investissement obéissent principalement à des motivations politiques. La rationalité économique de la plupart de ces projets est souvent relativement limitée même lorsqu’il s’agit de services publics fondamentaux devant être pris en charge, si les investissements ne sont pas réalisés de manière adéquate, au bon lieu et au bon moment. Je citerai en exemple une étude d’Olivier CADOT et Lars-Hendrik RÖLLER, publiée en 2006, qui analyse les déterminants de l’investissement en infrastructures de transport en France dans les années 1980 et 1990. La question était de savoir si les investissements réalisés dans les diverses régions françaises répondaient à des motifs économiques ou politiques. Les résultats sont assez frappants : une étude de type économétrique sur des données systématiques d’investissement permet de constater que les considérations de productivité – préoccupations d’emploi, de croissance régionale – ne déterminent absolument pas les décisions d’investissement en infrastructures de transport. Par contre, dans les régions où les lobbys sont plus forts, un effet significatif est observable sur l’investissement. En outre, l’autre variable significative est la somme du vote du Front National et de Chasse Pêche Nature et Tradition : dans les régions où ces deux partis réunissent 6 % de voix en plus par rapport à la moyenne, on observe 25 millions d’investissements supplémentaires. Cela peut paraitre anecdotique mais il est important de prendre en compte l’influence du contexte économique et politique sur les incitations des agents. Ce contexte affecte les possibilités de collusion, la qualité des relations entre agents publics et privés donc la manière dont ces agents vont réagir au cadre juridique. Il est donc difficile de réfléchir au cadre juridique optimal sans prendre en compte que les objets économiques discutés ne sont pas optimaux. 35 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? À ce sujet se greffe le problème de l’incomplétude. Les concessions de services sont des contrats de très long terme – 10, 20, 30, 50 ans et on sait aujourd’hui que l’évolution de l’environnement économique, juridique, institutionnel, politique, voire physique – le changement climatique est pris en compte –, est volatile, hautement incertaine, et impossible à décrire précisément. Or, dans ce contexte, le partenaire recherché doit être performant sur le long terme, pour un projet qui n’est pas forcément optimal. Les normes de performance ou les critères d’évaluation à utiliser sont donc difficiles à définir précisément. Dans ce cadre, la littérature économique soulève un certain nombre de points importants. D’abord, la manière de réaliser le design initial est cruciale. L’exécution des différentes phases du projet – planification, design, attribution, suivi, régulation et, éventuellement, renégociation et adaptation – va avoir un impact sur le degré d’incomplétude du contrat, sur le partage des risques et sur les incitations des agents, dont le comportement stratégique sera influencé. Monsieur BARNIER évoquait le problème posé par la participation des PME à ces marchés mais elles ne participent pas à des marchés où l’incomplétude ou l’incertitude sont trop fortes. Cela peut justifier que les critères strictement quantitatifs soient écartés dans l’attribution et que les mécanismes de sélection soient plus flexibles : tarifs définis pour une période plus courte, critères qualitatifs de présélection… Dans un tel contexte d’incomplétude, ces éléments ont un sens économique et illustrent l’expression selon laquelle l’offre la moins chère n’est pas forcément celle qui, économiquement, est la plus avantageuse. On a observé, en particulier dans les pays en voie de développement, que les contrats de concessions étaient renégociés souvent et très tôt dans la vie des projets. Mes travaux sur l’Amérique latine montrent les résultats suivants : dans le domaine des transports, 55 % des concessions sont renégociées en moyenne trois ans après l’attribution ; dans le secteur de l’eau, 74 % des contrats sont renégociés dans les dixhuit mois suivant l’attribution, c’est-à-dire parfois pendant la phase de construction. Eduardo ENGEL, de l’université de Yale, dispose de chiffres sur les concessions et les PPP au Chili pour les routes, les aéroports, les prisons, les réservoirs d’eau et les projets de transport : entre 1997 et 2007, il a observé 147 renégociations sur 50 contrats. Ces renégociations portent souvent sur les tarifs et les montants ; en Espagne, j’ai appris qu’il pouvait s’agir de la durée. Ces éléments éclairent le problème posé par les interventions précédentes : l’adaptation du contrat donne-t-elle naissance à un nouveau contrat nécessitant alors une remise en concurrence ? 36 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats Que peut dire la théorie économique sur ce sujet ? Divers angles d’approches sont envisageables, selon l’importance accordée à ces différents éléments : la formation des agents, le type d’incomplétude des contrats considérés, les problèmes de mise en œuvre, la complexité des projets, l’opportunisme politique, l’incitation, etc. Quelques courants principaux se dégagent. Le premier a été évoqué, il s’agit des travaux de Messieurs LAFFONT et TIROLE, qui considèrent que la régulation est avant tout une « relation d’agence » entre un régulateur et un agent économique mettant en œuvre un service : le problème principal est donc l’asymétrie d’information, en particulier sur les coûts du service. Dans ce cadre, il a été montré que certaines renégociations étaient liées à l’absence ou l’inexpérience du régulateur. Il est donc important de disposer d’organes de régulation technique préexistants, bien formés et efficaces. Des renégociations à l’instigation du gouvernement s’observent souvent dans les pays en développement ; la corruption joue ici un rôle et doit être intégrée dans la réflexion sur le cadre juridique. Enfin, les renégociations ou les adaptations de contrats sont souvent utilisées par les décideurs politiques pour relâcher la contrainte fiscale surtout en période électorale : cela constitue un souci majeur dans tous les pays et a une incidence sur le comportement des agents privés participant aux appels d’offres car cela induit des comportements stratégiques au niveau des enchères de la part de firmes anticipant les renégociations ou disposant d’une expertise particulière dans ce domaine. J’ai été frappé, en préparant cette présentation, de constater l’importance de la transparence. Les problèmes politiques sur lesquels j’ai insisté nécessitent une transparence accrue, tant au niveau de la planification du design que de l’adaptation postérieure du contrat. Cela suppose de rendre publique l’information. Je suis également frappé par la conjonction entre le nombre de travaux menés sur le sujet des concessions et des PPP et le caractère extrêmement limité des travaux empiriques sur ces sujets. Il existe, derrière la pratique récurrente de ces contrats, une masse de données inexploitées, qui pourraient alimenter le débat économique et juridique. Claude MARTINAND : Un exemple de contrat renégocié extrêmement vite est celui du Vélib’ de Decaux à Paris : personne n’avait imaginé que les Parisiens dégraderaient un tel nombre de vélos. En Amérique latine, les données nécessaires à la conclusion de contrats solides faisaient défaut. Il n’est pas aberrant de renégocier le contrat au bout de deux ou trois ans afin de prendre en compte des données acquises 37 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? depuis le début de l’exploitation. Toute renégociation n’est donc pas nécessairement source de collusion et de corruption. Pas un ministère en France ne fait autant d’études économiques que celui des transports, que je connais bien : personne n’en tient compte. Par contre, des études ex post sont réalisées et ces bilans sont très instructifs. Pour revenir à l’étude évoquée, peut-être le choix des décideurs n’estil pas strictement économique mais essentiellement guidé par l’accessibilité et l’équité territoriale. Les économistes ne veulent pas prendre en compte ces critères, qui n’entrent pas dans leur champ mental mais une revue des contrats évoqués permettrait certainement de révéler que l’accessibilité constitue l’élément explicatif central. Je le sais par expérience. Les études économiques sont indispensables mais doivent être compensées par d’autres critères. Vincent PIRON : J’ai passé quarante ans de ma vie à travailler sur les concessions. La première observation qui ressort de cette expérience, c’est qu’il n’existe pas de bonne solution juridique à un contrat ne correspondant pas à une vérité économique. Le contrat pourra être signé, financé mais au bout d’un moment, la rupture surviendra – on peut penser au contournement nord de Lyon. Il est vrai également que la logique économique ne rencontre pas toujours la logique politique mais un modèle d’équilibre urbain montre que la ville s’adaptera à un projet, même mauvais, et que la perte n’est donc pas aussi grande que ce qu’on pourrait craindre : construisez une route, elle finira toujours par servir à quelque chose. Il n’en reste pas moins que la réalisation de concessions à l’approche d’une période électorale pose un problème grave, identifié par le Conseil constitutionnel en 2003 dans ses remarques sur le contrat de partenariat : les deniers publics doivent être employés intelligemment. Sur ce point, l’approche la plus fréquemment rencontrée en Europe semble dangereuse car elle apprécie d’abord les aspects juridiques, puis financiers et enfin économiques, alors qu’une réflexion cohérente consisterait à prendre d’abord la décision économique appropriée, à apprécier le point d’équilibre financier initial et enfin, à recourir au juriste. Le goût et le devoir des juristes pour le classement constituent un problème car les contrats longs sont par nature inclassables. Une continuité parfaite existe entre, d’une part, les contrats de partenariat et les PFI – payés intégralement par les impôts et comportant un investissement public important – et d’autre part, les concessions pures – où tout est payé par l’usager et rien par l’impôt. Cette continuité existe également sur un autre axe : si l’investissement est important, 38 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats on emploiera le terme de concession et si l’investissement est faible on parlera de contrat de service. La continuité des contrats est donc absolue. Ainsi, ayant eu la chance d’être leader du groupe PPP dans quelques structures internationales, j’ai pu tenter d’expliquer l’impossibilité de parvenir à une définition parfaite à des personnes de l’UE. En effet, si la situation juridique des zones extrêmes est claire, les zones intermédiaires existent. La stabilité juridique prime alors sur l’intérêt d’une modification de la décision une fois celle-ci prise et les recours visant à reclassifier un contrat parce que 51 % et non 49 % des recettes viennent du contribuable doivent être évités à tout prix car ils embarrassent considérablement les entreprises. Accepter l’existence de ces zones d’incertitudes sur la catégorisation du contrat et admettre la nécessité de ne pas requalifier le contrat en cours d’exécution constitueraient un réel progrès. Les renégociations sont inhérentes aux contrats longs. Les exceptions sont très rares. L’équilibre économique est recherché dès le début du contrat mais il est impossible que le contrat se déroule conformément aux prévisions. Des sociétés dont la réputation est au dessus de tout soupçon, comme Cofiroute, ont eu recours à de nombreux avenants, prévus de longue date avec le concédant. Cela est parfaitement normal. La renégociation doit donc être inscrite dans les mentalités, ainsi que dans les contrats. Cependant, il serait incorrect d’inscrire n’importe quoi dans le contrat initial en pariant que la concession sera renégociée quinze jours plus tard. Si l’on ne peut fixer de limites, il est possible d’examiner des contrats réels, ce que Stéphane SAUSSIER et moi avons fait. Nous collaborons avec une doctorante travaillant actuellement sur une thèse pour laquelle elle examine 650 contrats de concessions (de stationnement pour beaucoup), et nous tentons d’appliquer la théorie des jeux à la théorie des coûts de transaction. Cela donne des résultats très intéressants : au lieu de raisonner uniquement en termes de concédant et concessionnaire, nous apprécions et valorisons également la place de la Nation dans son ensemble. C’est là qu’intervient le calcul économique : dans certains cas de figures, le concédant perd mais la Nation gagne ; dans d’autres, un avenant de gré à gré est plus efficace que n’importe quelle autre procédure d’attribution par appel d’offres. Un raisonnement en considérant un jeu à trois (concédant, concessionnaire et Nation) donne des résultats très différents du simple jeu à deux habituel (concédant et concessionnaire) et nous devrions être en mesure de publier des informations très intéressantes d’ici trois ou quatre mois. 39 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? L’initiative européenne conduira de facto à une harmonisation mais le progrès viendra surtout via la formation des maîtres d’ouvrages. Le point clé, pour assurer la solidité des textes, est d’augmenter en même temps la compétence des entreprises et celle des maîtres d’ouvrages : bien souvent, les décideurs ne disposent pas des compétences nécessaires et s’adressent à des bureaux d’études dont l’approche est insuffisamment économique. La réflexion économique d’organismes comme l’EPEC, qui apprennent aux pays à réaliser des concessions, doit conduire les donneurs d’ordres à s’ouvrir à ces processus de réflexion et ainsi faciliter l’apparition d’un droit communautaire harmonisé. Rainier d’HAUSSONVILLE : Je voudrais présenter trois points. D’abord, même si le poids des concessions en Europe reste difficile à quantifier, un fort développement est probablement possible pour ce mode contractuel. Ensuite, une réflexion doit être menée sur les enjeux d’un régime juridique européen des concessions de services, afin de savoir de quelle manière un tel régime peut améliorer ou contribuer à établir un haut niveau de qualité dans la fourniture de services publics. Enfin, il faut s’interroger sur la valeur ajoutée que pourrait apporter un texte européen. 1/ La quantification reste approximative. Dans sa communication « Vers un acte pour le marché unique », la Commission a indiqué que les concessions de services représentaient 60 % des contrats de PPP, soit environ 118 milliards d’euros en 2006. Cependant, les enquêtes sectorielles montrent qu’il est difficile de mesurer la part de concessions de services dans la part de marché globale par secteur. Une étude menée par Eur’eau, la fédération européenne des opérateurs de service d’eau privés et publics, dans 27 États membres, a conclu que les opérateurs publics étaient majoritaires en Europe, puisqu’ils desservent près de 60 % de la population en eau potable et gèrent 70 % de l’assainissement, et que l’appréciation de la nature des contrats des opérateurs privés était compliquée par les risques de confusion avec les contrats de PPP-I et des modèles spécifiques de privatisation des actifs au sens strict, en vigueur en Angleterre et au Pays de Galles. Dans le domaine des transports français, la fédération professionnelle, l’UTP, estime fréquemment que 90 % des réseaux sont gérés en France en concession de services par une entreprise privée ou d’économie mixte. De nombreux secteurs restent donc fermés à la concession de service mais l’eau et les transports urbains en Allemagne, le secteur des TER 40 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats en France sont susceptibles de s’ouvrir un jour à la concurrence en utilisant l’instrument contractuel de la concession de services. Le développement viendra également des pays n’ayant aucune législation sur les concessions de services ou n’ayant pas une pratique répandue de ce type de contrats. Par exemple, si la Pologne a adopté plusieurs législations sur les concessions, ces lois successives se heurtent à des difficultés de mise en pratique sur le terrain. Enfin, il existe des marges de développement sectoriel en dehors de nos métiers traditionnels, comme les ports. 2/ Que peut-on attendre d’un régime juridique européen des concessions de service ? Il pourrait contribuer à la mise au point d’un modèle de concession renforçant la qualité des services publics en Europe. La voie de la concession est attractive car elle offre une alternative permettant de concilier les bienfaits de la mise en concurrence et le maintien de la propriété publique des actifs. La concession peut également être légitime sur le plan politique, puisqu’elle fait l’objet d’une décision politique forte de la part des élus. Il ne faut pas être trop sévère à leur égard. On ne peut pas demander aux élus d’avoir une vision à long terme et en même temps, leur reprocher de passer des contrats longs. La concession est aussi une voie efficace sur le plan technique et économique, puisqu’elle permet aux collectivités de bénéficier de l’expertise des entreprises. En outre, si la taille de certaines entreprises leur permet d’offrir une meilleure qualité de service par un effet de taille critique, cela n’est pas incompatible avec la participation des PME. Le transfert de risque constitue également un avantage potentiel pour les collectivités, qui n’ont pas nécessairement vocation à assumer tous les risques d’exploitation – sanitaires, juridiques, et non seulement économiques. La concession permet en outre une vision dynamique de la gestion du service, puisque ce type de contrats crée une attente de gain de productivité et permet un partage de ces gains, soit lors d’une révision tarifaire, soit à l’issue du contrat. Enfin, le modèle concessif peut être un modèle social. Il est tout à fait conciliable avec la garantie de l’accès de tous aux services publics essentiels : eau, réseaux urbains de chaleur… Le financement de ces services – et des concessions – peut tout à fait s’accompagner de financements publics, y compris européens, comme l’a rappelé le commissaire BARNIER, qui a souligné que le PPP pouvait être un outil efficace de relance de l’activité économique. En plus d’être une réponse aux tensions sur les finances publiques, la concession est en effet susceptible d’orienter utilement l’investissement privé. 41 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? 3/ S’agissant de la valeur ajoutée d’une initiative législative européenne, le statut des concessions de services devrait être sécurisé et affermi. Pour ce qui concerne la définition de la procédure de passation, une législation communautaire sera difficile à mettre en place et n’est pas souhaitable. D’ailleurs, je ne crois pas que la Commission projette de légiférer sur ce sujet. Une certaine souplesse est nécessaire dans les procédures d’attribution utilisées par la collectivité concédante afin de s’adapter à des services de tailles très différentes et à des concessions de types différents. Certaines concessions nécessitent d’importants d’investissements, d’autres portent principalement sur la prestation de services et ne nécessitent que des investissements limités. Dans cette approche, la durée du contrat ne peut pas seulement être guidée par le montant des capitaux mobilisés par l’opérateur privé. Ce point est très important, même s’il n’est pas encore tout à fait admis par la doctrine. La durée du contrat n’est pas systématiquement longue : en France, la durée moyenne des contrats de délégation de service public dans le domaine de l’eau est de douze ans et est inférieure dans le domaine des transports. La possibilité d’adapter le contrat doit être conservée, notamment parce que les besoins des collectivités évoluent en même temps que les contraintes réglementaires. Ainsi, l’application de la directive sur les eaux résiduaires urbaines nécessite de mettre à niveau les stations d’épuration : la Commission a chiffré le besoin d’investissement à 35 milliards d’euros dans l’Union. Une marge de manœuvre doit donc subsister pour amender les contrats dans le respect des principes fondamentaux de la commande publique, sans que cela implique forcément une remise en concurrence, qui pourrait en outre s’avérer juridiquement difficile et économiquement peu profitable. Je doute que tout cela puisse être inscrit dans une directive et le silence serait peut être la meilleure solution. En ce qui concerne l’exécution du contrat de concession et le rôle de l’autorité organisatrice dans son suivi, je rappelle que la légitimité du contrat de concession, sur le long terme, réside dans la capacité à délivrer une meilleure performance. Cette performance doit donc être mesurée à l’aide d’indicateurs. À ce sujet, on peut citer un rapport récent du Conseil d’État sur l’eau, contenant des développements très intéressants sur les services en régie ou en gestion déléguée, et un rapport de la Cour des comptes sur le service public des transports en Ile-de-France. Ce dernier rapport se montre assez critique sur les indicateurs de suivi du contrat d’objectif passé entre le STIF et les opérateurs : du côté 42 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats de l’autorité organisatrice, on note un besoin d’apprentissage dans la durée, afin d’ajuster les outils de suivi s’ils ne s’avéraient pas pertinents. Les concessionnaires et les concédants doivent contribuer à l’élaboration d’outils de suivi clairs. Cela est d’autant plus intéressant que les lignes les plus prestigieuses du STIF n’ont pas fait l’objet d’une mise en concurrence : cette problématique dépasse donc le cadre des concessions et concerne également la régie. La concession est un outil pouvant servir à conserver un haut niveau de service public en Europe. Il permet la sélection des entreprises les plus efficaces par l’appel à la concurrence, tout en laissant à l’autorité organisatrice un rôle important de contrôle et de suivi des contrats. Cette ambition peut passer par une réforme du régime juridique des concessions au niveau européen, qui doit être menée avec une certaine « sobriété législative (« une light approach ») afin de conjuguer les besoins de sécurité et de flexibilité des différents acteurs concernés. Claude MARTINAND : Une des moyens permettant de rompre l’asymétrie de l’information consiste à fournir aux autorités organisatrices des informations sur les contrats similaires existants dans d’autres collectivités locales. L’IGD, dans sa charte signée en 2002, a eu l’ambition de créer un Observatoire des services publics locaux, fournissant des indicateurs sur lesquels nous avons longuement travaillé. Deux ou trois années sont nécessaires pour élaborer un indicateur consensuel avec l’ensemble des parties prenantes ; suite à cela, l’information doit être collectée. En matière d’eau et d’assainissement, cette collecte est obligatoire – mais l’ONEMA, créé notamment pour cela, a été si ambitieux qu’il n’arrive pas encore à réunir une part suffisante d’informations. Dans les autres domaines, je n’ai pas encore rencontré d’acteurs prêts à financer le coût de ce travail. Pourtant, un échange d’informations entre collectivités leur permettant de se situer constituerait un mode de régulation efficace. Aujourd’hui, les outils manquent pour réaliser cette ambition considérable. J’ai l’espoir qu’ils soient mis en place progressivement. Patrick VANDEVOORDE : Je vous proposerai simplement mon témoignage de praticien. S’agissant du champ de notre discussion, c’est dans la notion de contrat global que réside le critère le plus pertinent pour le praticien. Il y a moins de différence entre une petite délégation de service public sans travaux et un contrat de prestation de service qu’entre un contrat de travaux partiel même important et une concession ou un 43 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? contrat de partenariat, quel que soit le mode de rémunération de l’ouvrage. J’entendrai donc par concession ou par PPP un contrat global sur la durée, comprenant toujours un investissement, un financement et une gestion sur le long terme soit du service public, soit de l’ouvrage qui en est le support. Au plan opérationnel, des distinctions plus poussées ne sont pas nécessairement pertinentes. La durée de vie du contrat suppose une certaine flexibilité contractuelle, rendue nécessaire par les évolutions du contexte technique, financier, social, etc. Cela ne doit pas consister à rebattre les cartes trop régulièrement mais le principe de transparence ne doit pas conduire à l’immobilisme. Je n’évoquerai pas la corruption, évoquée précédemment, car je crois que toutes les formes de contrats peuvent s’y prêter et qu’elle dépend plus des acteurs impliqués que de la nature du contrat : les marchés publics en France dans les années 80 s’y prêtaient, j’imagine que les contrats de fourniture dans certains pays s’y prêtent encore et je doute que les concessions soient par nature plus « corruptogènes » que d’autres types de contrats. Le but final est de parvenir à la rentabilité financière à partir de la création de plus-value économique. La création de plus-value est fondamentale et son absence rend vaines toutes discussions sur les modes de passation ou les montages financiers. Les contrats de simple débudgétisation sans création de valeur doivent donc être écartés de la réflexion. La création de valeur nécessite vraisemblablement la globalisation des responsabilités (obligations de résultats et non de moyens), la limitation des interfaces entre les différents contrats et une internalisation des arbitrages laissant la rationalité économique jouer son rôle. Tous ces éléments dépendent du transfert de risques réalisé et le principal travail de la personne publique consiste donc, à mon avis, à réfléchir aux risques qu’elle souhaite transférer. Si la personne publique ne transfère pas assez de risques, il est inutile de monter un dispositif complexe. En revanche, si la personne publique souhaite transférer trop de risques, notamment des risques que le partenaire ne sait pas maîtriser, elle se hasarde soit à des coûts trop élevés, soit à une défaillance du partenaire privé – avec toutes les conséquences que cela suppose. Au plan financier, schématiquement, les principes du financement de projet s’appliquent : une frontière est créée autour d’un objet économique, à l’intérieur de laquelle le projet doit produire des ressources permettant d’amortir le financement initial et de couvrir le coût d’utilisation, quelle que soit leur provenance – puissance publique ou usagers. Le montage consiste donc, d’une part, à rassembler les moyens financiers à un 44 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats coût raisonnable, en réduisant les risques auxquels la dette senior sera exposée et, d’autre part, à être suffisamment robuste – les fonds propres servant d’amortisseurs aux risques auxquels sera confronté le projet. Quelles sont les problématiques actuelles ? La période allant de 2004 à 2007 a été une période d’euphorie financière mais peu de grands projets ont été finalement montés. Cependant, certains montages ont vraisemblablement été tirés à l’excès et sont allés au-delà du raisonnable en matière de robustesse. Entre 2007 et 2010, on a d’abord assisté, avant le début de la crise, au lancement de nombreux grands projets : 20 milliards d’appels d’offres ont été lancés, contre un ou deux milliards dans les années précédentes. Après la chute de Lehmann Brothers, la dette est devenue plus rare, plus chère et moins longue et les projets ont été portés par une intervention massive l’État. Malgré son efficacité, ce dispositif a nécessairement un caractère temporaire car il retire un élément fondamental des montages : le monitoring exercé par les organismes financiers. Aujourd’hui, on constate une certaine paranoïa dans les montages mais cette période aura tout de même permis de conclure un certain nombre de gros contrats, dont les modalités devront être adaptées avec le temps. Si la situation commence à redevenir plus raisonnable, nous sommes maintenant confrontés à la crise de la dette publique. L’État et les collectivités ont-ils encore les moyens de financer les grands projets ? Un certain nombre d’entre eux prennent du retard, voire ont été abandonnés. Dans ce contexte, il est nécessaire de privilégier les projets les plus créateurs de valeur. Il s’agit à mon avis des PPP porteurs d’un risque réel mais maîtrisable. Le partenaire privé doit être capable d’apporter une meilleure maîtrise des coûts, de privilégier les ressources annexes, notamment par l’utilisation duale des équipements publics, et de permettre à la puissance publique de revisiter l’arbitrage entre ce que paye l’usager et ce que paye le contribuable. Nous assisterons probablement au retour de la concession mais des contrats de partenariats peuvent aussi être envisagés, où l’usager paierait mais où le risque de fréquentation pèserait sur la personne publique. L’adossement doit également être réinventé, en associant des projets nouveaux dont la nécessité est évidente avec l’externalisation d’infrastructures existantes pouvant être confiées au même partenaire. Enfin, nous devons recréer un marché du financement stable et dynamique : nous allons progressivement sortir du dispositif des aides d’État et des fonds propres seront nécessaires pour assurer la robustesse des montages. 45 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? De la salle : Vous avez évoqué les risques pouvant prévenir les entreprises et notamment les PME, de participer à des passations. On sait par ailleurs que les systèmes de passation peuvent inciter des comportements suicidaires de la part de certaines entreprises. Quel est l’état actuel des défaillances d’entreprises dans le cadre des concessions ? Quels sont les moyens permettant de prévenir ces défaillances soit au moment de la passation, soit par l’adaptation du contrat en cours d’exécution ? Claude MARTINAND : L’idée selon laquelle n’importe quelle taille de contrat devrait être accessible aux PME ne m’a jamais paru sérieuse. Ceci dit, en France, un certain nombre de contrats de partenariat ont été attribués soit à des entreprises régionales soit à des groupements d’entreprises et il est bon que de nouveaux acteurs interviennent sur le marché mais les entreprises étrangères sont souvent moins performantes que les entreprises françaises dans ce domaine. Un certain nombre d’entre elles ont échoué à percer sur le marché national. Parmi les défaillances d’entreprises, on peut citer les frères Pereire, qui se sont écroulés, non sur les grandes concessions ferroviaires mais sur des montages immobiliers. Je ne parle pas du canal de Panama ou des déboires d’Eurotunnel – il ne faudrait jamais autoriser les petits actionnaires à intégrer des concessions pareilles mais il est rare que de grands groupes s’égarent à ce point. Laurent RICHER : Il me semble que tous les intervenants n’ont pas parlé du même sujet. Cela pose le problème du champ de la concession de services. On se réfère à la notion universelle de partenariat, qui comporte un investissement dans le patrimoine de la collectivité publique ou destiné à y entrer. Quand il s’agit d’investissements immobiliers, quelle relation un tel partenariat entretient-il avec la concession de travaux ? Peut-on toucher à la concession de services sans toucher à la concession de travaux ? Le contrat d’affermage est une spécificité française, qui représente, dans certains secteurs, 80 % des concessions de services. Or, si des investissements sont souvent réalisés dans le patrimoine de la collectivité publique, dans le modèle d’affermage les investissements sont intégrés au patrimoine du fermier. Cela constitue un vaste sujet. Certains contrats globaux sont véritablement complexes, sur le modèle de la vraie concession. Mais un contrat d’affermage d’une distribution d’eau potable dans une commune de 3 000 habitants, ne présente 46 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats pas de véritable facteur de complexité, bien qu’il s’agisse d’un contrat global comprenant un transfert de risque et répondant ainsi au critère de la concession de services. Que faut-il alors entendre par concessions de services ? Une fois l’obligation de publicité remplie, pourquoi ne pas laisser un choix total de procédure si le contrat est simple ? Je ne crois pas que les réflexions des intervenants de cette table ronde s’appliquent à toutes les concessions de services. Stéphane STRAUB : J’aimerais revenir sur la première question. Nous connaissons un problème fondamental en économie appliquée : il est difficile de parler d’entreprises que nous n’observons pas et des acteurs qui auraient pu se présenter à un appel d’offres si les conditions institutionnelles, juridiques, etc. avaient été différentes. Nous ne disposons pas des données permettant de répondre à votre question. Tout au plus pourrais-je vous décrire la situation en Amérique latine dans les années 90. La collecte de données pourrait sembler plus aisée en France qu’au Brésil ou en Argentine mais nous n’avons pas d’outils systématiques. Vincent PIRON : Il existe un problème d’échelle entre les grosses entreprises et les petites. Le risque de perte est totalement asymétrique. Or, si l’erreur entraînant une baisse des bénéfices n’est pas grave, l’erreur entraînant un surplus de pertes est catastrophique. L’incertitude liée aux contrats longs, notamment sur la possibilité d’une renégociation, entraîne une hésitation des petites entreprises à « brûler » une partie importante de leurs fonds propres dans ce type de contrats, tandis que les grosses entreprises, par le biais de leur réputation, gardent en tête qu’elles seront capables, en cas de problème, de réintroduire du capital sans sombrer. L’autre problème est celui du coût des appels d’offres. Peu d’entreprises sont capables d’aligner des millions d’euros pour préparer une offre susceptible de ne pas être retenue. Pour faire venir des PME, il me parait donc évident qu’une approche similaire à celle des concours d’architectes devrait être adoptée : une indemnisation serait prévue pour les projets de qualité non retenus. Claude MARTINAND : La mise en compétition a également un coût pour l’administration, qui n’a pas l’habitude d’évaluer les dépenses liées à ce type d’activité. L’idée selon laquelle un nombre élevé de candidats augmente le niveau de concurrence est complètement 47 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? fausse : il favorise les ententes. Quand une entreprise privée réalise un appel d’offres, elle ne consulte que deux ou trois acteurs et peut, à l’issue du premier contrat, réaliser des contrats de gré à gré avec le prestataire. Or, la solution optimale dans le secteur privé ne peut être mise en œuvre par les pouvoirs publics, qui doivent assurer l’égalité d’accès à la commande publique. Cet objectif est parfois en contradiction avec l’optimisation de la commande et pose la question de l’efficacité économique du contrat. En outre, trois circulaires sur le mieux disant n’ont eu strictement aucun effet car un élu local ne choisissant pas le moins disant fera naître des soupçons. Seule l’administration d’État peut éventuellement se permettre de ne pas choisir le moins disant mais il est difficile de progresser sur cette question. Tristan MATHIEU : Les actions préconisées par Vincent PIRON pour l’encouragement des petits opérateurs ne sont pas interdites par la loi Sapin. Or, en tant qu’acteur du service public de l’eau, je constate que de telles actions ne sont pas mises en place. La pratique est donc très importante, non seulement dans ce domaine mais également sur la question du mieux disant ou du moins disant. Si une initiative législative communautaire peut apporter des améliorations, les bonnes pratiques doivent parallèlement être promues. Claude MARTINAND : Je souhaiterais faire observer que toute la règlementation des contrats est fondée sur la défiance, vis-à-vis du partenaire privé ou de l’agent public. Or, la théorie des jeux dit qu’il n’existe pratiquement jamais de jeux à somme nulle : ils sont soit gagnantgagnant, soit perdant-perdant. La réglementation que nous édictons favorise systématiquement les jeux perdants-perdants car nous ne voulons pas faire confiance aux acteurs. Paul LIGNIERES : On sait que, pour aider les PME à accéder à la commande publique, il ne suffit pas de leur donner un accès infini à la manne publique mais il convient d’alléger leurs charges. En outre, je n’ai pas entendu de la part des représentants des entreprises de critiques sur les éventuels obstacles au libre accès des entreprises françaises aux concessions étrangères. Est-ce un véritable sujet ? J’ai déjà entendu un représentant de Veolia mettre en avant ce problème. Enfin, s’il s’agit effectivement d’un problème, faut-il prendre le risque d’une intervention législative ? 48 La dimension économique des concessions Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats Rainier d’HAUSSONVILLE : J’ai mentionné le problème de l’ouverture à la concurrence des transports. Ce sujet va nous occuper collectivement pendant les prochaines années. Quant aux risques posés par l’intervention législative, je prends acte des déclarations de Michel BARNIER : a priori, les principes fondamentaux de la loi Sapin ne seront pas affectés. Veolia est ouverte à l’évolution du régime juridique des concessions de services, à condition de conserver la distinction entre les concessions et les marchés, en France et sur tout le continent : la concession doit bien comporter un transfert de risque. En outre, du point de vue européen et du point de vue des entreprises, l’initiative de la Commission peut être l’occasion de clarifier, d’une part, la distinction entre les concessions et les marchés et, d’autre part, la notion de PPP, à l’heure où le recours à la gestion déléguée devient plus courant. La voie est étroite pour atteindre ces buts. Claude MARTINAND : Pour clore cette table ronde, tout en remerciant chacun des intervenants, je vous invite à relire la parabole du pharisien et du publicain, dans l’Évangile de Luc, et à méditer sa conclusion. 49 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? Gilles LE CHATELIER, Conseiller d’État en disponibilité, ancien Directeur général des services de la région Rhône-Alpes, Avocat associé Cabinet ADAMAS Paul LIGNIERES, Avocat, Managing Partner, cabinet Linklaters L.L.P Paolo de CATERINI, Professeur de droit communautaire à l’Université LUISS Guido Carli, Rome Session animée par Laurent RICHER, professeur de droit public à Paris I Panthéon-Sorbonne, et avocat, cabinet RLQC. Laurent RICHER : Je commencerai par un court aperçu du droit communautaire de la concession de services. Une base de droit écrit existe, puisque la directive de 1989 donnait une définition de la concession de travaux, qui est considérée comme une sorte de dérivé du marché public de travaux, si ce n’est que la rémunération de l’opérateur économique est assurée en tout ou partie par le droit d’exploitation. Ce droit d’exploitation est le seul élément de droit écrit dont nous disposons pour définir la concession. La jurisprudence communautaire en a déduit que la concession supposait un transfert de la responsabilité et des risques, puis a transposé la définition de la concession de travaux à la concession de services. La directive de 2004 a donc introduit une définition de la concession de services calquée sur la concession de travaux. La question se pose du degré d’impérativité des solutions données par la jurisprudence. Il me semble qu’il diffère selon que la jurisprudence est fondée directement sur le Traité ou sur la directive. Le législateur communautaire devra prendre en considération la norme sur laquelle se fondent les solutions dégagées jusqu’à ce jour par la Cour. On doit constater au passage que la majorité de ces solutions se fondent aujourd’hui directement sur le principe de transparence et non sur la directive. 51 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Au-delà, quelles sont les questions que posent le droit écrit et le droit jurisprudentiel de la concession ? Le caractère fondamental du droit écrit consiste en ce que la concession est définie en référence au marché. La communication interprétative de 2000 s’intitule, de manière choquante : « Communication interprétative sur la concession en droit communautaire des marchés publics ». Or, la concession n’est pas un marché. La définition actuelle figurant dans la directive 2004/18 se réfère directement aux marchés publics : la concession a le même objet qu’un marché public de services, si ce n’est que la rémunération est assurée en tout ou partie par le droit d’exploitation. Cette conception a une histoire, évoquée précédemment par Philippe COSSALTER, mais aboutit à des résultats qui ne sont pas parfaitement satisfaisants. La conception pure de la concession est celle d’un contrat comportant deux éléments : un titre et un statut. Un titre : la concession confère un droit d’exploitation. Un statut : elle définit les règles d’organisation et de fonctionnement d’une entreprise d’intérêt général. On peut résumer cela en disant que la concession a pour objet d’organiser une activité. Conceptuellement, la concession diffère donc fondamentalement, par nature, du marché public, qui a pour objet de fournir une prestation pour satisfaire les besoins d’un pouvoir adjudicateur. La méthode choisie par la directive diffère totalement de cette conception de la concession, puisqu’elle repose sur l’idée qu’il y aurait une différence de degré et non de nature entre les marchés publics et concessions. Faut-il au contraire revendiquer une différence de nature entre la concession et le marché ? Vous devinez quelle est ma réponse. On peut également s’interroger sur l’étrangeté consistant à définir la concession de service en se référant au marché, sachant que le marché de services est lui-même défini comme un marché autre qu’un marché de travaux et de fournitures, et portant sur une prestation visée à l’annexe 2 de la directive. Cette définition est passablement bancale, puisque l’annexe 2 mentionne des services ne pouvant, à l’évidence, faire l’objet de concessions – services juridiques, financiers ou d’assurances. Enfin, la définition de la concession par rapport au marché soulève le problème de l’objet principal, qui sert à distinguer aussi bien les marchés de travaux que les concessions de travaux des autres types de marchés. Pour des raisons parfaitement logiques, on ne se réfère pas au montant respectif des travaux et à celui d’autres prestations. Néanmoins, le 52 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? critère de l’objet principal devra nécessairement être approfondi dans la jurisprudence pour distinguer la concession de services de la concession de travaux : une jurisprudence existe mais elle ne peut être qualifiée de claire, comme on le dit parfois. L’objet principal se réfère au but poursuivi mais il n’est pas forcément simple à identifier. Dans un arrêt Commission c/ Italie, la Cour a considéré comme évident qu’une concession d’autoroute était une concession de travaux. Je ne sache pas qu’en France, quand l’État confie une concession d’autoroute pour une durée de 70 ans, on puisse considérer que la réalisation de travaux ait plus d’importance que la gestion du service. Le critère de l’objet principal ne doit-il pas plutôt être utilisé pour distinguer la concession de services d’autres types de contrats ? Je pense notamment à la distinction entre concession de services (ou de travaux) et concessions domaniales. Les questions posées par le droit jurisprudentiel sont encore plus nombreuses. En dépit des acquis jurisprudentiels, un certain nombre de difficultés subsistent, que la Cour devra résoudre. La première difficulté est relative à l’activité. La notion de service public nous permet en droit français de cerner les activités susceptibles de faire l’objet d’une concession mais la question est loin d’être résolue en droit communautaire. Un avocat général a même soutenu qu’il n’était pas nécessaire qu’il s’agisse d’une activité d’intérêt général. Aujourd’hui, je pense que la jurisprudence est à peu près fixée : l’activité doit présenter un caractère d’intérêt général. Mais cela ne résout pas le problème de la frontière entre la concession et l’autorisation. L’arrêt Sporting Exchange Ltd du 3 juin 2010 a montré que la Cour était consciente du problème, puisqu’elle ne qualifie plus les paris hippiques de concessions – comme elle l’avait fait auparavant –, mais d’autorisations devant être soumises à publicité en application du principe de transparence. Cependant, ce problème ne devrait pas exister, la Cour ayant dégagé en 1994 le critère fondamental du « transfert de responsabilité » : quand l’État italien délivre une autorisation de gestion d’une activité de pari, il ne transfère pas une responsabilité qu’il exerce. La deuxième question qui se pose est celle de la distinction entre le principal et l’accessoire. Dans l’arrêt de 2007 Commission c/ Italie, la Cour indique que le risque attaché à l’exploitation doit être le risque attaché à l’activité principale. Ainsi, les contrats d’incinération de déchets où la rémunération risquée résulte de la vente d’électricité ne devraient pas être considérés comme des concessions car le risque n’est pas attaché au traitement des déchets. Cet arrêt isolé comporte quelques bouleversements potentiels. 53 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? La relation entre droit d’exploitation et risque doit également être interrogée. Je prends comme témoignage du désordre qui règne dans les esprits les conclusions de l’avocat général MAZAK prononcées le 9 octobre dernier dans l’affaire C-274-09, non encore jugée (NB : l’arrêt a été rendu après le colloque, le 10 mars 2011). L’avocat général explique que, dans la jurisprudence de la Cour, dès lors qu’il y a rémunération par un tiers – notamment l’usager – on est toujours en présence d’une concession car la rémunération par un tiers implique toujours un transfert du risque ; c’est seulement dans les cas où la rémunération serait assurée par la collectivité publique que la Cour recourrait à des indices complémentaires – liberté d’exploitation, etc. – pour vérifier s’il y a bien transfert du risque. Or, après cet exposé, l’avocat général renvoie l’examen du transfert du risque aux juridictions nationales. Le problème reste donc entier : dans quel cas le droit d’exploitation implique-t-il nécessairement le transfert du risque ? Enfin, sur la question du risque, le Conseil d’État indique que l’existence d’une délégation de service public nécessite le transfert d’un risque significatif. Or, la CJCE, dans l’arrêt WAZ Gotha du 10 septembre 2009, énonce que la concession suppose un transfert significatif du risque : dès lors que la collectivité publique transfère tout ou presque tout le risque qu’elle assume, on est en présence d’une concession, même si les usagers sont captifs. J’ajouterai que, sur la question de la modification du contrat, l’arrêt Wall AG interpelle considérablement les opérateurs. Voici les points sur lesquels une certaine insécurité juridique règne. Paul LIGNIERES : Je voudrais commencer mon intervention par une citation de Paul VALÉRY : « Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui ne l’est pas est incompréhensible. » Ne m’en veuillez donc pas si je simplifie excessivement certains points. Comme l’a rappelé le Président MARTINAND, le titre du colloque se termine par un point d’interrogation. La question est donc de savoir s’il est nécessaire d’achever la construction communautaire en droit des concessions ou s’il est préférable d’en rester là. L’intervention des instances communautaires est régie par les principes de subsidiarité et de proportionnalité. En vertu du principe de subsidiarité, l’UE doit mettre en œuvre des actions si les États ne veulent pas le faire ou si son intervention a une valeur ajoutée. En vertu du principe de proportionnalité, cette intervention ne peut se faire que dans la mesure de ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs. Compte tenu de ces principes, dans quel cas les interventions du législateur communautaire sont-elles nécessaires dans le domaine des concessions ? Le droit français présente-t-il des insuffisances justifiant une intervention communautaire ? Comment améliorer le droit des concessions ? 54 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? L’intervention du législateur communautaire peut d’abord être légitime afin d’abolir les barrières à l’entrée. En matière de concessions, il s’agit de lutter contre les discriminations en raison de la nationalité, c’est-à-dire éliminer les obstacles qui freinent les entreprises étrangères désirant s’installer dans un pays de l’UE. Le deuxième objectif légitimant une intervention législative est la volonté d’harmonisation : la Commission peut légitimement avoir le souhait de développer les PPP dans la mesure où ces instruments permettent de contribuer à la relance économique et à la croissance. Gardons néanmoins en tête que légiférer présente des inconvénients : les nouvelles normes perturbent les acteurs, transforment les habitudes. Or, les acteurs ont besoin de stabilité et de lisibilité, en particulier pour des investissements à long terme. La législation communautaire doit donc être strictement nécessaire. En outre, le droit français des concessions est quasi exclusivement jurisprudentiel et j’ai tendance à penser que « rien ne vaut la sève du dialogue jurisprudentiel », pour citer l’un de mes maîtres. Ce n’est pas faire injure au législateur de dire que la jurisprudence apporte parfois, dans des situations particulièrement complexes, des solutions plus adaptées que celles proposées par le droit positif. En référence à la « sobriété législative » évoquée ce matin, je citerai Montesquieu : « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante. » S’agissant des insuffisances du droit français, je commencerai par évoquer l’harmonisation. L’intervention de l’UE aurait été légitime il y a quelques années, pour favoriser et développer les PPP qui ne pouvaient être mis en œuvre en France en raison des blocages législatifs et réglementaires qu’ils rencontraient, mais elle n’a pas eu lieu. On pourrait également envisager une intervention visant à mettre fin à ce que certains considèrent comme une concurrence déloyale du secteur public vis-à-vis du secteur privé : certains dénoncent la concurrence des régies par rapport aux délégations de service public. L’arrêt Gaz de Bordeaux a presque cent ans et les principes sur lesquels il se basait n’ont pas changé. Le commissaire CHARDENAT disait alors, en parlant des titulaires de marchés publics : « Pour eux, pas de risque à courir dans l’exploitation d’un ouvrage public ou d’un service public. » Notre droit s’est développé grâce à un travail précis de la jurisprudence. Il reste des points d’harmonisation à régler entre les jurisprudences française et communautaire mais je ne pense pas que cette harmonisation nécessite l’intervention du législateur. Y a-t-il des barrières à l’entrée en France ? La France avait réussi, en 1991, à exclure les concessions de services de la directive. Cependant, l’arrêt 55 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Telaustria a réintroduit des obligations de publicité. Ainsi, alors qu’il y a dix ans nous cherchions à utiliser les baux emphytéotiques administratifs, les AOT-LOA ou autres montages complexes pour contourner les obligations de mise en concurrence, l’ensemble des concessions se soumettent aujourd’hui aux obligations de publicité et de transparence, y compris les aéroports régionaux et les concessions hydro-électriques. Je pense donc difficile, voire impossible, de faire la preuve de l’existence de barrières justifiant l’intervention du législateur communautaire. Le législateur pourrait intervenir afin d’améliorer le droit existant. Pour revenir à la réflexion de Vincent PIRON sur les classifications chères aux juristes, il convient d’admettre que dans le domaine des marchés publics au sens large, les concessions constituent une souscatégorie créée pour bénéficier d’un régime plus souple. Cette classification me semble difficile à mettre en cause, sauf à alléger le régime des marchés publics, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Quelle peut être la valeur ajoutée du droit communautaire ? À l’heure actuelle, les concessions de services sont exclues du champ de la directive mais ont un régime quasi identique à celui des concessions de travaux. Il ne serait pas choquant, dans la mesure où l’exclusion des concessions de services repose plus sur des motifs politiques que juridiques, que le législateur harmonise les deux régimes. En outre, il faut remédier à l’insécurité juridique introduite par la CJCE dans le domaine de la cession de contrat. L’arrêt Pressetext de 2008 peut être interprété comme remettant en cause les solutions extrêmement claires dégagées par le Conseil d’État depuis longtemps, qui traduisaient une longue maturation jurisprudentielle et doctrinale. La Commission avait d’ailleurs repris les critères utilisés par la haute juridiction administrative dans une lettre rendue publique par la Direction générale du « marché intérieur », donnant l’impression aux juristes que le régime de cession était clarifié. Aujourd’hui, la vision optimiste consiste à penser que l’arrêt Pressetext ne change pas grand chose. À l’inverse, on peut conclure de cette décision que le contrat ne peut être cédé qu’à partir du moment où le nom du cessionnaire est prévu lors de la mise en concurrence aboutissant à l’attribution initiale du contrat. Cette solution provoquerait des blocages économiques tels qu’elle semble difficilement imaginable. Aucun juriste n’étant en mesure de dire l’état du droit sur cette question, une initiative législative européenne rappelant les principes mis à jour par le Conseil d’État me semblerait bienvenue. Le droit français des concessions n’est pas exemplaire. Son origine jurisprudentielle le rend difficile à lire pour les non-professionnels. Il ne serait donc pas inutile de publier une circulaire faisant office de guide des 56 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? bonnes pratiques, sur le modèle de ce qui a été fait en matière de marchés publics par Francis MER. Une telle initiative permettrait de consolider le droit existant, tout en démontrant à l’UE que l’approche du droit français est parfaitement transparente et répond à l’ensemble des questions qui se posent. Cependant, la pénalisation pose un problème majeur dans notre droit. Dresser des catégories de contrats n’a pas de graves incidences, dès lors que les enjeux sont limités, mais la possibilité qu’une erreur de catégorie puisse mener une personne en prison est particulièrement mal venue. Si cette solution a pu être adaptée à une époque pour lutter contre certaines pratiques, elle fige désormais les opérateurs publics, qui préfèrent ne pas mettre en œuvre de PPP afin d’éviter le risque pénal. J’en ai fait le constat et cela m’a été confirmé par différents acteurs publics. En outre, ce délit, qui ciblait précisément les délégations de service public et les marchés publics, est étendu par la doctrine et la jurisprudence administrative à tous les marchés couverts par l’ordonnance de 2007 ; certains souhaitent même l’étendre aux PPP. Cet élément du droit français va donc à contresens du développement de ces contrats. Laurent RICHER : Le doyen VEDEL remarquait que le droit jurisprudentiel était plus stable et garantissait mieux la sécurité juridique, à condition d’être clair. Les difficultés que nous avons soulevées montrent bien l’absence de clarté de certaines solutions. Cela nous renvoie à un problème de hiérarchie des normes : dans quelle mesure la législation communautaire peut-elle revenir sur les solutions de la Cour de Justice fondées sur le principe de transparence ? Paolo DE CATERINI : Il me semble que les marchés publics et les concessions doivent être traités ensemble. En Italie, le paquet législatif des directives 2004/17 et 2004/18 a considérablement modifié la manière de réfléchir sur cette distinction. Le Code des marchés publics et des concessions a également eu une influence énorme et la réforme de la procédure administrative vient d’entrer en vigueur. Enfin, l’acquisition de la pratique de l’adjudication nous a permis de nous doter d’une autorité de vigilance sur les marchés publics et les concessions, dont l’un des commissaires est présent aujourd’hui ; cette autorité a révolutionné le domaine des sociétés mixtes et des concessions. La transposition des directives a été l’occasion de reprendre toute une série de normes éparpillées et vieilles d’un siècle. Le projet, qui a connu une gestation difficile et a dû être corrigé plusieurs fois, vient d’être complété par un règlement. L’autorité de vigilance a déploré l’inflation normative induite par ce texte, qui contient 900 articles. 57 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Le nouveau code de procédure administrative est issu de la réflexion qu’a entrainée la directive recours. Le juge administratif italien suit de très près les innovations communautaires, qu’elles soient jurisprudentielles ou réglementaires : je pense par exemple à la question du choix du partenaire privé dans une société mixte. Parfois, le juge administratif a d’ailleurs choisi de dialoguer avec la CJCE dans le cadre de la procédure préjudicielle. La procédure introduite par le code administratif est tellement accélérée qu’elle met en difficulté les avocats. Il est possible de passer immédiatement du référé à la décision sur le fond, qui peut intervenir en moins d’un mois. Le juge s’est également vu conférer un pouvoir très efficace en matière de gestion de l’objet de la concession, afin de ne pas entraver la réalisation de l’ouvrage. L’administration adjudicatrice dispose en outre d’un pouvoir de sanction. Le juge est donc dans une position très importante. L’application de ce code n’en est qu’à ses débuts et son évolution devra être observée attentivement. La procédure d’adjudication est désormais ancrée dans le patrimoine génétique de notre administration publique, même si le recours systématique à cette procédure pour des marchés publics ou des concessions de faible ampleur introduit une certaine rigidité dans le système, particulièrement dans les petites communes. Je ne voudrais pas donner une image trop positive de la situation actuelle de mon pays mais le rôle du juge dans les procédures de marché public est satisfaisant. L’autorité de vigilance exerce également une réelle influence : elle procède à une surveillance, mène des enquêtes, intervient auprès du Parlement et peut arriver à des solutions non contentieuses. Cette institution fonctionne donc bien, même si elle entretient des relations difficiles avec le juge administratif, puisque ses actes sont soumis au contrôle de celui-ci. Or, le juge administratif italien n’aime pas particulièrement les autorités administratives indépendantes. Si les marchés publics sont entrés dans notre patrimoine juridique, l’introduction des concessions est plus difficile. Le rapport annuel de l’autorité de vigilance souligne notamment les problèmes liés à la durée de ce type de contrat et aux conséquences économiques de cette durée. Aujourd’hui, les concessions relèvent presque d’un « privilège royal » appartenant au passé. Cependant, certains éléments sont intéressants. Le système de distribution d’eau a été privatisé par voie législative et le recours à la concession de service public a été imposé ; une série d’autorités a été créée et le système est proche de celui prévu par la directive cadre sur l’eau. Cette expérience n’a pas particulièrement bien fonctionné. 58 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? Dans le nord de l’Italie, la distribution publique de l’eau fonctionnait très bien et les adjudications se sont déroulées de manière régulière ; dans le sud, la réforme n’est appliquée qu’à moitié. L’opinion publique et les destinataires du service ont mal réagi à cette réforme : là où le service public fonctionnait très bien, la qualité du service n’a pas été améliorée par les opérateurs privés, qui pratiquent des tarifs plus élevés et ont licencié une partie du personnel. La Cour constitutionnelle a admis récemment l’organisation d’un référendum sur l’abrogation de la loi sur les concessions en matière d’eau. Cette question sera posée en même temps que deux autres portant sur la situation du président du Conseil et le retour au nucléaire : le cocktail risque donc d’être explosif. Au niveau local, une réforme complète des établissements locaux a eu lieu à la fin du siècle dernier, quand les anciennes régies municipales ont été transformées en sociétés publiques ou mixtes. La première réaction des autorités municipales a consisté à n’organiser ni marchés publics ni concessions et à recourir au "in house". Cela a provoqué un conflit entre le juge communautaire et les juges nationaux, donnant naissance à une jurisprudence abondante. À partir de 2007, après un avis très dur du Conseil d’État, les limites du "in house" ont été mises en évidence. Le gouvernement PRODI, qui était catalogué à l’époque à gauche et dont le ministre de l’Industrie était un ancien communiste, a alors décidé d’interdire en principe le recours au "in house" : ce type de contrat doit désormais donner lieu à une motivation de la municipalité après une analyse du marché démontrant qu’aucun autre type de contrat n’est disponible. La motivation de la collectivité est en outre adressée à l’autorité de la concurrence pour avis. Cette situation devrait donc en principe éliminer ou strictement limiter le recours au "in house" – les règlements d’exécution de la loi, parus en octobre dernier, sont encore plus stricts. Les services publics locaux doivent donc être gérés soit par des entreprises privées choisies conformément aux principes de la procédure d’adjudication, soit par des sociétés mixtes, au sein desquelles le choix du partenaire privé aura été effectué conformément aux prescriptions de la Commission. En Lombardie, la tentative d’une commune de recourir à une exploitation "in house" a déjà fait l’objet d’une décision de la Cour. Cette décision est intéressante car elle souligne la difficulté des administrations publiques à établir des avis administratifs de qualité, permettant de parvenir au résultat souhaité. Laurent RICHER : Vos réflexions sur le "in house", qui est ancré dans nos pratiques, ne manqueront pas d’interpeller certains des participants. 59 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Gilles LE CHATELIER : Il m’a été demandé de traiter la question des relations entre le Conseil d’État et le droit européen des concessions. Le fait que le juge ne soit amené à se prononcer sur une question de droit qu’à l’occasion d’un litige particulier affaiblit considérablement la construction du droit par la jurisprudence. On peut tenter de tirer des faits de l’espèce des principes généraux mais à l’évidence cela ne collera pas à l’ensemble des réalités existantes. En outre, certaines interprétations sont excessives. Ainsi, l’arrêt SMITOM, rendu en 1999 par le Conseil d’État, avait conduit certains commentateurs à conclure que la rémunération variable devait atteindre 30 % pour que le contrat soit analysé comme une délégation de service public, alors que cette solution s’appliquait à l’espèce, et qu’il a été montré par la suite que cette qualification pouvait s’appliquer lorsque la rémunération variable était inférieure à 30 %. La conception qu’a le Conseil d’État du droit des concessions ne peut donc s’enrichir qu’à l’occasion des litiges qui lui sont présentés, dans la limite des faits de l’espèce. L’étude des arrêts du Conseil d’État montre que le juge administratif est très souvent appelé à se prononcer sur des affaires touchant au droit des concessions à travers la question du choix des procédures de passation, comme l’illustrent l’arrêt Commune de Cabourg de 1994 et l’arrêt Tête de 1998. Cela n’est pas sans lien avec la pénalisation du droit public, qui fait que le choix d’une mauvaise procédure expose non seulement l’opération à une annulation complète mais aussi au risque de suivi de l’affaire devant le juge pénal. Sur la question de l’annulation, la jurisprudence a longtemps été généreuse, puisque la sanction du moindre vice affectant la procédure de passation du contrat était la nullité. Aujourd’hui, on peut identifier quatre points de convergence entre la jurisprudence du Conseil d’État et le droit communautaire : • Le libre choix du mode de gestion a été accepté par la Cour de Justice. • Le transfert du risque est consensuel, même si à la lecture de certains arrêts du Conseil d’État on peut se demander si le risque s’apprécie en fonction de la variabilité du chiffre d’affaires ou du risque de pertes. La jurisprudence récente permet de clarifier cette question. L’utilisation du critère du transfert de risque par le Conseil d’État clôt néanmoins le débat sur la nature de l’activité. • Sur la question des procédures de dévolution, le Conseil d’État a suivi, dans l’arrêt Keolis de 2009, la logique de l’arrêt Telaustria : compte-tenu de l’importance du contrat et de l’opération en cause, une mesure de publicité doit être organisée au niveau européen. 60 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? • L’application des mécanismes issus de la directive recours fait l’objet d’une articulation forte entre le droit national et le droit européen. Un certain nombre de divergences ont déjà été rappelées : • Le critère de l’origine des recettes est à nouveau discuté, suite aux dernières conclusions de l’avocat général devant la Cour. On voit revenir l’approche selon laquelle le contrat est nécessairement une concession si les recettes proviennent de l’usager. Un élément de clarification serait le bienvenu car le cumul des critères du transfert du risque et de l’origine des recettes sera trop difficile à mettre en œuvre dans la pratique par les acteurs. • L’investiture unilatérale donne lieu à une opposition frontale. Pour la Cour, peu importe le mode d’investiture, unilatéral ou contractuel, la mise en concurrence est obligatoire. Or, jusqu’à maintenant, lorsqu’il a été saisi de cas d’investiture unilatérale, le Conseil d’État a toujours maintenu que la loi Sapin s’appliquait aux seuls contrats et qu’en l’absence de contrat la mise en concurrence n’était pas nécessaire. Ce régime s’applique notamment à un certain nombre de contrats de transport en région parisienne. • L’évolution dans le temps et la cession de contrat font débat, on l’a vu aujourd’hui. L’avis du Conseil d’État de 2000 semble complètement battu en brèche par les arrêts de la CJCE de 2008 et 2010. • La question de la procédure de négociation, au regard des impératifs de transparence, reste ouverte. L’appréciation de la procédure de négociation par le Conseil d’État peut faire douter de la compatibilité de cette solution avec le droit européen – ainsi de cette solution où le juge administratif n’exige pas de négociation avec tous les candidats retenus. Ce doute ne condamne pas, à mon avis, la procédure de négociation en tant que telle mais des aménagements semblent nécessaires pour le rendre pleinement compatible avec les principes issus du droit européen. Quels pourraient être les apports d’une directive ? Je pense que la multiplicité des autorités juridictionnelles se prononçant sur ces questions constitue un facteur d’insécurité juridique : juge communautaire, tribunaux administratifs, autres ordres de juridiction – même la chambre criminelle de la Cour de cassation a une jurisprudence sur ce qu’est une délégation de service public. Dans l’autre sens, il est vrai qu’un nouveau texte peut être, en soi, perturbateur : il suffit de se rappeler l’effet de la loi Sapin faisant apparaître le nouvel objet contractuel qu’était la délégation de service public sans pour autant définir cet ensemble. Comment traduire le fait que la concession est le contrat organisant un transfert significatif de risques ? Faut-il aller plus loin ? 61 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Quelle interprétation sera donnée de la nature du risque ou de la notion de transfert significatif ? Certaines dispositions risquent de poser plus de problèmes qu’elles n’en résoudront. Si le choix était fait d’intervenir par une directive, trois questions mériteraient d’être tranchées. D’abord, bien que cela n’ait pas nécessairement vocation à être inscrit dans la directive, le débat sur la nature de l’activité doit avoir lieu à l’occasion de l’élaboration de ce texte. Nous commettons tous des abus de langage aboutissant à dire qu’un marché est l’achat d’une prestation, alors que certains marchés publics de transport ressemblent parfois furieusement à des contrats de délégation de service public de transport, à quelques détails près. Est-il préférable de conserver une approche individuelle ou économique du contrat ou vaut-il mieux tenter d’identifier de grands ensembles à fin de clarification ? Peut-être est-il temps de débattre clairement autour de l’idée selon laquelle les concessions seraient une « dérivée » des marchés publics. La deuxième question fondamentale est celle de la procédure à suivre, notamment en matière de publicité. L’arrêt Keolis marque la reconnaissance par le Conseil d’État des avancées du droit communautaire mais un grand subjectivisme demeure : l’importance du contrat doit être appréciée, le choix des organes de publicité s’opère au regard de la personnalité des opérateurs intéressés... Ce raisonnement avait déjà été développé pour les marchés à procédure adaptée, mais il ne garantit pas le donneur d’ordre public contre les risques. Pourquoi ne pas construire une mécanique bien définie, prévoyant les modalités d’information, les délais, etc. ? La procédure de passation de contrat – négociation ou appel d’offre – mériterait également d’être abordée, quitte à laisser une pleine liberté sur ce point aux autorités nationales et locales au nom du principe de subsidiarité. La troisième porte sur l’évolution dans le temps. La situation actuelle ne peut durer. Il existe une formidable dichotomie entre une approche économique, pour laquelle la relation contractuelle ne peut survivre à long terme sans éléments d’adaptation, et une logique juridique implacable – dès lors qu’un élément important du contrat initial est modifié, les principes exigent une remise en concurrence. Dans le débat entre les juristes et les économistes, il revient au législateur de trancher et de définir quelques règles robustes. De la salle : J’aimerais compléter la toile de fonds. Dans l’arrêt Altmark, la Cour de justice a dit que, dans le cadre d’un appel d’offres, si l’adjudication était faite au meilleur offrant, la rémunération publique du contrat constituait un prix et non une aide 62 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? d’État. Cela rapproche les concessions des marchés de services. En revanche, en l’absence d’appel d’offres et d’adjudication au meilleur offrant, la compensation versée par la collectivité est assimilable à une aide d’État – cette problématique est applicable, par analogie, aux concessions domaniales. Qui plus est, il existe des risques d’incompatibilité si les paramètres de calcul de la rémunération ne sont pas clairement fixés à l’avance de manière transparente. N’est-il pas nécessaire de prendre en compte ces contraintes pour légiférer en matière de concession et d’encadrer la souplesse indispensable à la renégociation du contrat ? Laurent RICHER : Concernant les concessions domaniales, peut-on considérer que l’octroi d’un avantage consistant dans le droit d’occuper le domaine public est une aide d’État ? Je pense que dans de nombreux cas, la règle de minimis s’appliquera. Sous cette réserve, il est certain que cette problématique pourrait constituer un argument en faveur d’une mise en concurrence, puisque l’appel d’offres est une forme d’absolution générale dans notre culture catholique. La question a été débattue pendant des années ; le Conseil d’État a rendu le mois dernier l’arrêt Jean-Bouin, dans lequel il affirme qu’aucune règle n’impose d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public ayant pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance. Toute référence au droit communautaire est éliminée, le Conseil d’État estimant, semble-t-il, qu’une législation communautaire est nécessaire à l’application du principe de transparence. La question des rapports entre la délégation de service public et le droit des aides d’État s’est déjà posée. La Commission considère que la procédure française de délégation de service public ne respecte pas l’exigence d’une procédure de marché public posée dans l’arrêt Altmark et laisse une place trop importante au pouvoir d’appréciation. L’absolution par l’appel d’offres n’a donc pas lieu, et une délégation de service public conforme à la loi Sapin ne peut prévoir de subvention de la collectivité. Ces questions doivent-elles relever d’une norme communautaire sur les concessions ? Je crois que le droit des aides d’État évolue parallèlement et de manière indépendante. De la salle : Ma question porte sur le transfert de risque en droit spatial. Le droit spatial prévoit la responsabilité totale de l’État lanceur concernant un bien introduit frauduleusement dans un système spatial – logiciel, boulon, etc. L’UE, dans le cadre du programme européen de 63 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? surveillance de la Terre (GMES) conclut un contrat de concession de services, dans lequel on trouve un risque : logiciel dupliqué ou autre. Normalement, le service doit être interrompu. L’État lanceur est-il responsable ? Des répercussions sur la certification sont-elles à prévoir avant le lancement ? Les accords de consortium et de PPP peuvent-ils être remis en cause dans le cadre de la concession de travaux ? Laurent RICHER : Vous nous accorderez un délai de réflexion. Le droit spatial est tout à fait passionnant mais un peu complexe. De la salle : En 1991, un accord a été conclu : nos partenaires ne remettaient pas en cause les concessions, nous ne remettions pas en cause les Stadtwerke. Cet accord semble avoir été perdu de vue. Depuis, la communication interprétative de 2008 sur les PPP-I est foulée aux pieds en France grâce à un cadre légal ignorant parfaitement les principes européens. Que dira-t-on le cas échéant dans cette directive sur les partenariats public-publics ou sur les PPP-I ? Le monde public se gère aujourd’hui par lui-même, dans lui-même et avec lui-même, en éliminant totalement le secteur privé : que dire de cette situation qui nous préoccupe ? Un problème d’équilibre et de logique se pose à l’échelle européenne. Quel est le périmètre des services, des concessions de services et de la mise en compétition des prestations de services ? La Stadtwerke Frankfurt, pour son aéroport, devra-t-elle être mise en compétition parce qu’il s’agit d’une concession de services ? Ce sujet est brûlant et semble plus urgent qu’une réglementation sur un sujet tranché depuis l’arrêt Telaustria : tout contrat doit être mis en compétition. Laurent RICHER : Votre intervention renvoie à plusieurs problèmes, qui ne seront pas forcément traités par la directive sur les concessions de services. S’agissant de la personnalité juridique du candidat, je ne pense pas qu’il soit possible d’interdire à des organismes publics de se porter candidats. Cette question relève en grande partie du droit de la concurrence et du principe – très affecté depuis deux ans – de la liberté du commerce et de l’industrie. Dans ce domaine, les législations demeurent indépendantes. La deuxième question est celle de l’acte unilatéral. On peut considérer que la règle est partiellement acquise. La Cour de justice a affirmé dans l’arrêt Brixen que le caractère unilatéral de l’acte était complètement indifférent. Le Conseil d’État l’a implicitement reconnu dans un arrêt au sujet d’Aéroports de Paris, où il a écarté un 64 Les enjeux juridiques actuels Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ? argument tiré de ce qu’ADP avait été désigné par la loi sans mise en concurrence préalable, non pas au motif qu’il ne s’agissait pas d’une concession mais au motif qu’il n’était pas compétent pour apprécier en l’espèce la compatibilité de la loi avec le droit communautaire. Dans quel cas un acte unilatéral peut-il être qualifié de concession ? En France, une loi est nécessaire : la délibération d’une collectivité désignant une société publique ou semi-publique n’est pas suffisante pour échapper à la délégation de service public. Les juridictions françaises vont devoir opérer un travail de requalification car la CJCE a commencé à développer une catégorie communautaire de contrat : il y a contrat lorsqu’un acte unilatéral attribue à un tiers une activité avec le consentement de celui-ci mais cette définition suppose qu’il y ait un tiers préexistant. Ainsi, un décret créant un office public de l’habitat et lui confiant la gestion du service public du logement au niveau local n’est pas susceptible d’être requalifié en contrat, puisque le tiers n’existe pas encore. Dans ce cas, l’État ne peut se retrancher derrière des qualifications nationales, et un renvoi à une catégorie communautaire de contrats est nécessaire. Une théorie du contrat s’écartant de la conception française de l’autonomie de la volonté a d’ailleurs été développée par l’avocat général dans une affaire dont le nom m’échappe. Robert STAKOWSKI : La définition de la concession apparaît centrée sur le critère du risque mais vous n’ignorez pas que divers groupes de travail à l’échelle de l’UE ou du FMI réfléchissent à une définition liée à la comptabilité des PPP, fondée non plus sur le risque mais sur le contrôle. Ne faites-vous pas fausse route en conservant le critère du risque ? Si la mise en concurrence laisse la charge de consolider l’opération d’investissement aux comptes publics, elle ne sert pas à grand-chose. Cette question agite un certain nombre de cercles européens qui cherchent à distinguer ce qui est consolidant de ce qui est déconsolidant. Laurent RICHER : Il me semble que la déconsolidation dépend pour une bonne partie de l’importance des risques transférés. Paul LIGNIERES : La notion de risque a été définie en 1916 et reprise par la CJCE. Elle est donc véritablement pertinente pour distinguer les marchés publics des concessions. Par ailleurs, une communication Eurostat de février 2004 sur la notion de risque a bien préconisé le transfert au secteur public du risque de construction, qu’il soit 65 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? d’exploitation ou d’entretien, afin que, schématiquement, l’opération soit bien consolidante. La notion de risque est donc à mon avis la plus riche. Pierre VAN DE VYVER : L’IGD a mis en place il y a un an et demi, à la demande de la Cour des comptes et de l’Institut du benchmarking, une réflexion sur le thème « Économie et comptabilité des contrats de long terme ». La question soulevée par la salle n’est pas celle à laquelle vous venez de répondre. Faute de définition de la concession reconnue au niveau international ou communautaire, les comptables ont avancé une définition de la concession – nommée « service concession arrangements » – qui se base sur le contrôle économique, et qui n’a rien à voir avec les définitions évoquées depuis ce matin. Les comptables ont eu jusqu’alors la liberté d’adopter toute définition qui leur convient. Évidemment, une définition juridique capable de s’articuler avec la définition comptable serait la bienvenue. L’approche comptable du risque abordée par la norme Eurostat de février 2004, pose une autre question. Voulons-nous que les comptables rejoignent une définition admise par tous ? Aujourd’hui, la notion de concession employée par les comptables correspond approximativement aux PPP contractuels au sens international. La norme Eurostat semble être un bon outil pour départager les concessions des marchés publics si on prend davantage en compte le risque que l’origine de la rémunération. Laurent RICHER : La question est de savoir si, entre un partenariat et une concession, on peut identifier des différences dans le transfert du risque. La seule réponse disponible est celle de l’OCDE, contenue dans son rapport de 2008 sur les partenariats, qui exclut les concessions de la catégorie des partenariats, au motif que la concession transfère le risque de fréquentation. Samuel KOUASSI : Je suis surpris qu’il ait été à ce point question d’insécurité juridique, alors que l’arrêt Altmark est plutôt source de sécurité juridique pour l’opérateur économique, qu’il soit privé ou public. La doctrine française doit accepter de voir le curseur se déplacer et ne doit pas craindre le pouvoir créateur de la Cour de justice. Si la Commission n’est pas à même de clarifier la notion de concession, il suffira d’attendre qu’un cas de jurisprudence ouvre la discussion. Si nous cherchons à prévenir toute évolution, je redoute que la crainte de l’insécurité juridique ne l’emporte. 66 Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? Bertrand CARSIN, Directeur de la politique des marchés publics à la DG MARKT Yves-Thibault de SILGUY, Vice-Président, Administrateur référent de Vinci Noël CHAHID NOURAI, Conseiller d’État honoraire, avocat, cabinet Allen & Overy Carles A. GASOLIBA, Président du Comité espagnol de la Ligue Européenne de Coopération Économique Session animée par Bertrand FABRE, ancien rédacteur en chef du Moniteur. Bertrand FABRE : Bonjour. Je vais vous présenter les différents intervenants. Bertrand CARSIN était avocat à Rennes, puis a rejoint la Commission européenne en 1976 ; il est aujourd’hui directeur de la politique des marchés à la DG marchés intérieurs et services. Carles GASOLIBA, est Espagnol, ancien membre des parlements catalan et européen, aujourd’hui président d’Axis Consultoria Europea ; il nous donnera le point de vue des acteurs économiques espagnols. YvesThibault DE SILGUY a été conseiller du Premier ministre pour les affaires européennes et commissaire européen de 1995 à 1999, en charge des dossiers économiques, monétaires et financiers ; c’est au titre de ses responsabilités chez Vinci qu’il nous expliquera comment réaliser des concessions performantes, répondant aux besoins des pouvoirs publics, des opérateurs et surtout des usagers et des contribuables. Enfin, Noël CHAHID NOURAI, représentant le Comité des concessions de l’IGD, nous parlera des réflexions qu’il mène et réagira aux propos de Bertrand CARSIN. Maître LIGNIERES a cité Paul VALÉRY, je citerai Montesquieu : « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Après les tentatives de suicide presque réussies qu’ont été les deux guerres mondiales, il a été décidé de construire l’Europe. La voie trouvée, le charbon, n’était peut-être pas l’activité économique la 67 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? plus prometteuse ; en matière de défense, il était trop tôt mais l’Acte Unique Européen (AUE) a finalement lancé la construction d’un grand marché européen au sein duquel circuleraient librement citoyens, marchandises, capitaux et services. Le programme législatif de l’AUE impressionnerait même les Italiens, puisqu’il comportait près de 200 directives et règlements. À l’époque, je faisais partie de l’équipe chargée de définir à Paris et de promouvoir à Bruxelles, la position du secteur français de la construction et des services associés. Notre attention a particulièrement été retenue par les projets de directives sur la commande publique. En effet, il semblait logique que les marchés publics, représentant des montants énormes, auraient un d’entraînement sur le reste. On peut évoquer certains éléments importants qui ont affecté le secteur : les directives recours – il est inutile de poser des règles de droit si on ne peut ensuite défendre ses droits devant les tribunaux ; la reconnaissance mutuelle des diplômes, notamment dans la maîtrise d’œuvre ; la directive sur les produits de construction – les matériaux représentent approximativement la moitié du coût global d’un ouvrage. Sans de tels éléments, des directives sur les marchés publics, les concessions ou les contrats globaux ne permettraient aucun développement de la concurrence en Europe. Le secteur du BTP français a pensé, à tort ou à raison, que le projet de directive marchés publics poursuivait deux objectifs : créer un corps de règles commun, une forme de Code des marchés publics européen et, à travers lui, contribuer à construire ce fameux marché intérieur. D’après la sagesse paysanne, il faut toujours se méfier lorsqu’on poursuit deux lièvres à la fois… Quelles ont été les actions menées par rapport à ces objectifs ? S’agissant de la création d’un corps de règles commun, nous avons tenté de faire en sorte que la réglementation européenne reprenne au maximum le code français des marchés publics. Non pas qu’il soit parfait, il n’est pas à la mesure du chef d’œuvre qu’est le code Napoléon, mais parce que nous souhaitions obtenir un corpus de règles qui ne serait pas dépaysant, qui ne bousculerait pas des habitudes bien ancrées et bien huilées. La concurrence est chère aux entreprises, mais elle ne doit pas être utilisée au-delà du nécessaire et nous tenions à pouvoir préserver la possibilité de conclure des marchés de gré à gré. Nous avons donc dialogué avec les autorités – je me souviens de hauts fonctionnaires très ouverts et très pragmatiques, tels que Robert KOLLEMANN Edward WHITE ou Ronaldo CARONA – et avons à peu près atteint notre objectif. Je ne crois pas que les entreprises aient été déstabilisées par les règles édictées. 68 Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? Pour ce qui est du second objectif, je ferai trois observations. D’abord, la construction d’un marché intérieur européen nous a toujours semblé utopique, alors qu’une entreprise havraise ne travaille pas à Rouen : dans notre secteur, les partenariats priment, qu’ils soient occasionnels par regroupement, ou institutionnels par filialisation. En outre, la volonté de construire un marché a eu pour effet d’appréhender parfois la concurrence comme une fin plutôt que comme un moyen. Évidemment, des divergences culturelles sont apparues. Laurent RICHER faisait tout à l’heure référence à la culture catholique de l’appel d’offres, on pourrait parler de tradition catholico-colbertiste : nous sommes favorables à la concurrence mais reconnaissons une place à l’État. Les anglo-saxons préfèrent une concurrence sauvage. Il nous est apparu rapidement que nos craintes étaient fondées. Certains contrats s’accommodent mal d’une concurrence totale et trop systématique : il en va ainsi des contrats qui nécessitent des investissements très importants en amont ou des études qui débouchent souvent sur des astuces techniques susceptibles d’appropriation intellectuelle – la tentation est alors forte pour les maîtres d’ouvrages. Pour d’autres contrats, l’intuitu personae est primordial. Enfin, ce cadre a été élaboré à une époque où le modèle concessif n’avait pas connu le développement actuel. Dès lors que le projet comportait une part de travaux, il était qualifié par certains de marché de travaux. En France, pour des raisons à la fois juridiques et extra-juridiques, les contrats globaux représentés par les METP étaient contestés ; d’ailleurs, le Code des marchés publics, encore aujourd’hui, est opposé aux contrats globaux, puisque le principe est celui du marché public en lots séparés. Or, nous avons désormais un ministère du Développement durable, ce qui induit une approche globale des sujets, dans le temps – exploitation – et dans l’espace – prise en compte des performances énergétiques. Nous sommes là pour nous assurer que l’évolution de ces sujets aille dans le bon sens. Certains d’entre eux avancent rapidement. Ainsi, grâce au formidable travail de l’IGD, une ordonnance est parue sur les contrats de partenariats. J’ai lu dans le Moniteur qu’un desserrement des cas d’utilisation des contrats de conception-réalisation était envisageable. En outre, des contrats intermédiaires, entre les marchés publics et les délégations de service public, qui seraient des contrats globaux de construction-exploitation-maintenance ou de conception-construction-exploitation, pourraient être créés – ce qui ne facilitera pas la tâche des juristes. Un non paper – il s’agit, à Bruxelles, de papiers qui 69 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? ne sont pas sensés exister, et qui permettent de tâter le terrain – a circulé dans ce sens. Bertrand CARSIN : Il convient maintenant d’apporter une réponse à la question posée par le titre de votre colloque. Nous pensons que la construction du droit communautaire des concessions est inachevée. Tout ce qui a été dit aujourd’hui milite en faveur de ce constat. Les règles et pratiques nationales pour l’attribution des contrats de concession continuent à être aussi diverses qu’il y a vingt ans. Les services de la direction générale « marché intérieur » considèrent que des règles élémentaires assurant la mise en concurrence de l’attribution des concessions au niveau de l’Union constituent un instrument indispensable à une plus large utilisation de ce type de contrats. Nous considérons également que les concessions devraient être régies par un instrument renforçant la sécurité juridique. Le pouvoir concédant doit en outre disposer d’une relative flexibilité, liée à la nature spécifique des concessions. Il ne s’agit en aucun cas pour nous d’imposer des règles jugées parfois strictes, complexes, voire inadaptées, qui existent pour les marchés. Nous n’avons pas pour objectif d’élargir ce régime aux concessions. Néanmoins, des éléments de la réglementation des marchés pourront être utilisés. L’importance économique des concessions est incontestable mais il est parfois difficile de déterminer leur valeur précise, en l’absence d’une définition commune. Dans le cadre d’une étude commandée en 2009, cent contrats de PPP attribués dans huit États membres ont été examinés en détail : 60 % d’entre eux devaient être qualifiés de concessions. L’application de ce pourcentage aux contrats de PPP attribués en 2006 dans vingt-trois États – les derniers entrants ont été écartés – permet d’estimer la valeur totale des concessions à 112 milliards d’euros. Cette valeur est en outre sous-estimée car certains pays ne sont pas pris en compte et certaines concessions de services, notamment les délégations de service public en France, n’ont pas été incluses. C’est dire l’importance économique des concessions. Les contrats de concession constituent une réalité transversale à de nombreux secteurs stratégiques de l’activité économique de l’Union, tels que ceux constitués par certains services d’intérêt économique général, comme la distribution d’eau, le traitement des déchets, les services portuaires et aéroportuaires… Dans le secteur de la distribution d’eau et de l’assainissement, l’utilisation des concessions est très répandue. Dans certains États membres comme la France, l’Espagne, ou le Royaume-Uni, 50 % de la population est desservi par 70 Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? un opérateur privé ou mixte. En France, cela représenterait 10 000 contrats de concession pour une valeur de 80 milliards d’euros. L’enjeu est énorme. La notion de concession est définie dans la directive 2004/18 sur les marchés publics, qui contient quelques dispositions régissant l’attribution des concessions de travaux. Ce type de concessions est également soumis à la directive sur les recours. Quant aux concessions de services, elles sont régies par les seules principes du Traité. Cette situation est à l’origine de l’extrême variété de traitement des concessions au niveau européen. Une même réalité juridique est souvent traitée différemment par les droits nationaux. Certains États ont élaboré des règlementations et ne les appliquent pas. On fait parfois, dans certains États, des concessions sans le savoir. Pour la Commission, cette diversité pose le problème fondamental du fonctionnement du marché intérieur. Dans certains cas, des législations détaillées sont applicables, enrichies par une jurisprudence abondante. Dans d’autres cas, des règles nationales assez générales s’imposent mais sont en réalité une carte blanche laissée au pouvoir adjudicateur pour déterminer la procédure de passation qu’il lui semble bon d’appliquer. Dans d’autres situations encore, il revient uniquement au pouvoir adjudicateur, en l’absence totale de règles nationales, de décider de la procédure d’attribution à suivre, à la lumière des seules obligations du Traité. Or, si les obligations du Traité peuvent être exploitées/utilisées par de vrais experts, le responsable du marché à passer dans une autorité locale ne sera pas toujours dans cette position. Nous avons ainsi constaté dans de très nombreux cas l’attribution de gré à gré de concessions de services. Cette situation n’a pas échappé à la Cour, qui l’a considérée comme une grave violation du droit des marchés publics. Cette situation entraîne une information imparfaite sur les opportunités économiques offertes aux opérateurs, qui contribue au cloisonnement des marchés. Il est très difficile d’identifier les vrais contrats de concession, ainsi que les sources d’information sur ces concessions en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique, ou au Pays-Bas. Une enquête que nous avons menée a révélé que 37 % des personnes interrogées connaissaient l’attribution de la concession de services sans qu’aucune mesure de transparence n’ait été prise : l’information avait circulé via des réseaux informels de professionnels ou d’amis. Ne s’agit-il pas d’une carence ? En outre, cette situation provoque l’absence de sécurité juridique en matière de procédures d’attribution, qui débouche sur un recours limité 71 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? à ce type de contrats. Dans certains cas, l’insécurité juridique est un facteur qui rend encore plus difficile l’utilisation des fonds structurels et des fonds communautaires pour le financement des PPP : comment les États membres peuvent-ils utiliser de manière optimale l’ensemble des fonds mis à dispositions s’ils ne savent pas comment le faire via une méthode concessive ? On peut également souligner que l’accès aux procédures de recours en cas de non-respect de la procédure d’attribution est inégal. Enfin, la confusion entre concessions et marchés publics débouche sur le détournement des règles de procédure. Près de 46 % des participants à notre consultation ont déclaré avoir connaissance de marchés publics attribués sous forme de concessions. Tous ces constats nous poussent à nous interroger sur la législation à mettre en place. La crainte d’un cadre trop détaillé, rigide, a été évoquée. L’initiative législative devra donc aborder les problèmes évoqués de manière souple. Nous ne cherchons pas à résoudre toutes les difficultés. Qui trop embrasse, mal étreint. La voie est étroite si nous ne voulons pas dissuader les acteurs économiques. Je parlerai avec prudence de notre initiative, car elle n’est pas prête mais elle devrait consister pour l’essentiel en un amendement des directives 2004/17 et 2004/18 qui porterait sur : une définition plus claire et opérationnelle des concessions de services, que nous souhaitons au minimum amener au niveau de la définition des concessions de travaux ; une augmentation de la transparence, via l’encadrement de l’obligation de publier un avis de concession de services dans le Journal Officiel de l’Union Européenne ; l’application de la directive recours aux concessions de services. Une réflexion est en cours sur l’ajout d’autres éléments, notamment des précisions relatives aux spécifications techniques et aux critères de sélection et d’attribution. Les critères de sélection ne devraient pas constituer un moyen d’écarter des opérateurs capables. Quant au déroulement de la procédure, nous ne souhaitons pas déterminer quelles seraient les procédures à suivre mais préparer un texte offrant la possibilité d’une procédure négociée. Le recours à une procédure négociée peut parfois être pertinent et nécessaire en matière de concessions. Nous voudrions reconnaître cette idée, sans pour autant la laisser totalement à la merci du pouvoir adjudicateur : la négociation doit donc être encadrée a minima, afin qu’un certain nombre de principes basiques soient respectés. Voilà les principales orientations telles que nous les envisageons. Aujourd’hui, un bon nombre d’États semble favorable à cette approche 72 Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? light touch, qui est réaliste sans aller trop loin. Cela doit passer par un instrument à caractère législatif. Les communications interprétatives, la soft law, semblent assez inutiles, puisqu’elles ne produisent pas d’effet contraignant. En outre, la communication sur les marchés en-dessous des seuils, sur lesquels certains États membres ont exprimé des réserves, et qui a conduit à un litige tranché par la Cour en notre faveur, nous a appris à utiliser cet instrument avec circonspection. La Commission devra prendre donc ses responsabilités et adopter un acte à caractère législatif répondant aux carences constatées dans le marché intérieur. Bertrand FABRE : L’approche favorisée pour une directive est donc light touch. Comme disait Verlaine : « Elle est discrète, elle est légère : un frisson d’eau sur de la mousse ». Carles A. GASOLIBA : J’interviens en tant que président du Comité espagnol de la Ligue Européenne de Coopération Économique. Cette entité a été fondée à Bruxelles en 1946 et en Espagne dès 1956. À l’époque, il fallait être très « européiste » pour défendre les projets de l’UE en matière économique et financière. Lorsque la Commission européenne a annoncé il y a quelques années parmi ses priorités la promotion et l’établissement du PPP pour faciliter le financement des projets publics, nous nous sommes penchés sur le sujet et avons organisé des conférences sur ce thème à Barcelone en 2008 et 2009, afin de connaître l’opinion de la société civile. Dans le domaine des PPP, le régime des concessions joue un rôle très important et ce colloque a permis de rappeler son importance en matière de financement ; ce rappel a également été fait par le ministère de l’Économie et des Finances, comme le rapportait hier "Les Echos", et José Manuel BARROSO, durant sa campagne de réélection, a également mentionné la nécessité d’approfondir et de développer les PPP et les concessions. Il s’agit en effet d’un élément essentiel pour assurer le développement des réseaux de communications, des infrastructures ou le progrès technologique. Les ressources publiques seules seront insuffisantes. La contrainte budgétaire actuelle va durer des années, tandis que la nécessité de nouveaux projets est croissante afin de garder une voix sur la scène mondiale. Le financement privé de projets publics est donc indispensable. Je suis tout à fait favorable à l’annonce faite par Monsieur CARSIN. Une harmonisation au niveau communautaire du régime des 73 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? concessions est absolument essentielle. Cela permettra de faire cesser les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur et favorisera l’émergence de champions européens capables de peser au niveau mondial. Nous nous sommes également réjouis de l’adoption du Single market act, mentionné ce matin par le commissaire BARNIER. Le marché intérieur est encore inachevé et de nombreuses distorsions perdurent ; à ce propos, je vous conseille la lecture du rapport MONTI. Les points 17 et 18 du Single market act, qui annoncent la création d’un cadre normatif dès cette année, nous ont particulièrement enthousiasmés. Je tiens donc à exprimer mon appui à cette proposition de la Commission, qui est nécessaire à l’économie européenne : nous avons besoin d’améliorer notre niveau de productivité et d’accroitre une croissance économique porteuse d’emplois. Les PPP ont un rôle clé à jouer et le régime des concessions est fondamental. Bertrand FABRE : Je vais passer la parole à Monsieur DE SILGUY. Son prédécesseur m’a fait remarquer en 2002 que Vinci n’était plus un groupe de BTP, ni un groupe de construction et de services comme je l’écrivais alors dans Le Moniteur mais un groupe de services et de construction : si à l’époque les services ne représentaient que 25 % de leur chiffre d’affaires, ils représentaient 75 % de « l’Ebitda ». Cela prouve l’importance stratégique centrale des concessions et la nécessité d’un débat comme celui-ci pour des opérateurs aussi puissants et prestigieux que Vinci. J’ai reçu leur très bel agenda 2011, qui comprend l’histoire du groupe : ce n’est qu’en 2008 qu’a démarré le développement d’une politique internationale des concessions. Ce rappel illustre bien que les concessions ne sont pas encore arrivées à maturité. Yves-Thibault DE SILGUY : Puisque j’y suis incité, je rappellerai que Vinci a un chiffre d’affaires de 32 milliards d’euros, dont 90 % est réalisé en Europe, et que le groupe emploie 190 000 personnes. Les marchés publics représentent une part majeure de notre résultat et les PPP sont notre pain quotidien. De par la nature de notre activité, ce sont essentiellement les concessions de travaux qui nous intéressent et dans ce domaine, le cadre législatif communautaire est fixé. Vinci n’est donc pas particulièrement demandeur d’une directive sur les concessions de service. Cependant, il existe un vide juridique et je salue la volonté de la Commission d’agir pour y remédier. La voie envisagée me paraît d’ailleurs préférable à une communication interprétative, 74 Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? qui risquerait de compliquer la situation d’un point de vue juridique. Le développement des concessions que pourrait entraîner l’harmonisation constituerait une avancée positive, c’est pourquoi Vinci a collaboré aux travaux engagés sur le sujet. Au niveau français, les concessions, comme l’ensemble des contrats de délégation de service public, sont encadrées par la loi Sapin. Ce cadre est efficace pour assurer la prévention de la corruption, la transparence de la vie économique, la sécurité juridique et l’égalité de traitement. Le principe de la libre négociation entre le concédant et le concessionnaire est parfaitement adapté à la passation des contrats de concession, l’intuitu personae étant un facteur très important dans ce type de contrat. J’attire donc l’attention de la Commission sur la nécessite de ne pas imposer des règles de passation trop formalisées et trop rigides. À cet égard, je pense que le dialogue compétitif est tout à fait inadapté à la délégation d’un service public. La pratique est courante en Angleterre avec le PFI et l’on constate que cela coûte horriblement cher, allonge les délais et nécessite de s’entourer d’un luxe de conseils. En outre, l’autorité concédante a tendance à s’approprier les concepts novateurs, remettant en cause les droits de propriété intellectuelle. Nous sommes favorables à une approche light. Aucune contrainte supplémentaire ne doit venir s’ajouter au cadre existant, en particulier dans un pays comme la France où la législation est globalement satisfaisante et fiable. L’idée qui consiste à aligner le régime de la passation des concessions de services sur celui des concessions de travaux me semble intéressante. Nous devons prévenir toute confusion entre marchés publics et concessions de services. Si la distinction n’est pas conservée et que des règles trop strictes sont édictées, les pouvoirs publics risquent de recourir de manière accrue aux prestataires internes : or, le "in house" doit être extrêmement dérogatoire car il constitue le pire système en termes de transparence, d’égalité de traitement et de sécurité juridique. Je m’interroge cependant sur la nécessité de conserver la distinction entre concessions de travaux et concessions de services. Je constate, dans notre métier, que ces deux contrats sont extrêmement liés. Nous avons inauguré il y a huit jours le tunnel de l’A86 qui boucle l’ouest parisien ; les travaux ont duré vingt ans, pour un investissement de deux milliards d’euros intégralement financé par le secteur public et la concession durera, je crois, jusqu’en 2080 : jamais le plan de financement n’aurait pu être monté sans la concession de la gestion de l’ouvrage attachée au projet. Les liens entre concessions de travaux et de 75 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? services devraient se renforcer dans ces grands projets d’infrastructure et d’équipement. Pour terminer, j’attire l’attention du directeur de la politique des marchés publics sur la question des seuils. Je sais que les seuils constituent un outil très pratique pour déclencher les procédures. Cependant, en matière de concessions de services, on constate des différences substantielles dans les valeurs des contrats en fonction des types de services et des pays : une concession de service d’eau et une concession de transport scolaire ne sont pas comparables, et la concession de services implique nécessairement d’importants coûts de main d’œuvre, qui varient grandement selon les États membres. Les seuils pourraient donc s’avérer peu pertinents. En outre, une réflexion sera nécessaire pour déterminer si les seuils doivent être fixés annuellement ou sur la durée totale du contrat ; selon les pays, la durée des contrats est très variable. Noël CHAHID NOURAI : La commission juridique du Comité des concessions de l’IGD n’a pas de position arrêtée sur toutes les questions qui sont posées et poursuit sa réflexion. Cependant, parmi les principes que nous suivons figure l’idée qu’il est préférable de réfléchir que de ne rien faire et de proposer plutôt que de s’abstenir. Ainsi, si l’idée d’un texte communautaire sur le sujet ne suscite pas un enthousiasme débordant, elle est peut-être raisonnable. Les textes nationaux ne sont pas les seuls à être ignorés par les autorités des États membres : les textes communautaires le sont aussi. Une nouvelle règlementation risque fort de ne s’appliquer qu’à un ou deux pays qui sont souvent présents dans les rubriques de la CJUE, la France ou l’Italie, qui sont les pays où la plus grande attention est portée aux textes communautaires. Dans certains pays, la règlementation communautaire est ignorée, dans d’autres pays elle fait l’objet d’une interprétation subjective et ouverte. Je donnerai pour exemple l’Angleterre : interrogeant des confrères britanniques à propos d’une difficulté portant sur la distinction entre concessions de services et de travaux, nous nous sommes vus répondre que le principe n’avait pas d’importance et qu’il convenait d’abord de faire le choix le plus approprié au projet, pour ensuite le justifier. La directive est-elle plus appropriée que la communication interprétative ? Je me suis occupé pendant un certain temps de droit spatial au Quai d’Orsay ; en la matière, les principes directeurs étaient appliqués avant de conclure des traités ou des conventions, ce qui permettait de tester les procédés avant de les intégrer au droit positif. Ainsi, avant 76 Perspectives d’avenir Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ? d’agir de manière définitive, il est souhaitable de réfléchir au fonctionnement concret des règles envisagées et la soft law peut constituer un préalable à un droit raisonnable. Il pourrait également être objecté au droit communautaire que les processus rédactionnels en matière de directives sont tels qu’on pourrait mettre le doigt dans un engrenage dangereux. Dans ce domaine, quels que soient les objectifs initiaux, les résultats sont souvent incertains. Le cadre légal français fonctionne. Est-il vraiment utile de le modifier considérablement ? Avant de mettre en place un cadre nouveau, ne devrait-on pas réfléchir à la remise à plat des textes qui se sont empilés dans le domaine – marchés, concessions, contrats de partenariat… Lorsqu’en 2003 a été discutée la création du contrat de partenariat, j’étais de ceux qui pensaient possible de faire l’économie d’un texte nouveau en mettant à plat la totalité du dispositif des contrats publics mais la peur de chambouler l’édifice a triomphé. Les désordres sémantiques et intellectuels qui existent nécessitent pourtant une réflexion approfondie. Au sein de notre Comité, un dialogue interactif se déroule entre les commissions économique et juridique. Au niveau communautaire et particulièrement du côté de Luxembourg, la prise en considération des éléments économiques n’est peut-être pas suffisante. Je prendrai l’exemple de la TVA : la CJCE a un jour décidé que cette taxe ne s’appliquait pas au trafic de drogue car il s’agissait d’une activité illicite n’entrant pas dans le circuit économique. Ce raisonnement est aberrant car il nous a privés d’une recette fiscale appétissante si on avait bien voulu s’en donner la peine. De très vifs débats ont lieu au sein de notre commission, à la fois intellectuels et pratiques. Nous sommes soucieux d’adopter une démarche concrète et réalisons des tentatives de rédaction avec exposé des motifs. S’agissant de l’objet de la directive, nous sommes évidemment partisans d’une approche light. En outre, il nous paraît raisonnable de limiter l’entreprise de régulation à la passation, qui détermine au premier chef la compétence et l’intérêt communautaire. Faut-il profiter de cette occasion pour fusionner les régimes des concessions de services et de travaux ? Le débat sur ce sujet au sein de la Commission n’oppose pas les professions les unes aux autres mais des sensibilités et des personnalités différentes. Nous nous posons également la question de l’autonomie : est-il préférable de mettre au point une directive ad hoc ou d’amender les directives existantes ? L’expérience démontre que les insertions peuvent par la suite être sources de complications. 77 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Tout le monde connaît la complexité des lois sur la privatisation, due au refus d’élaborer une loi fondamentale sur la question ; le professeur DELVOLVE a abordé cette question dans un manuel. Une autre question essentielle est celle de l’inclusion des contrats de partenariats ou assimilables – au sens français – dans la définition. Nous sommes plutôt en faveur de l’exclusion de ces contrats mais la question n’est pas tranchée. Notre réflexion porte également sur la procédure de choix, ainsi que sur la délicate question des seuils. Doivent-ils être laissés à la discrétion des autorités nationales ? Nous pensons que le texte communautaire doit introduire un minimum d’harmonisation dans ce domaine, mais la remarque d’Yves-Thibault DE SILGUY concernant les disparités de salaires est essentielle. Nous nous sommes également penchés sur la question des exceptions, du "in house" ou de la publicité. En ce qui concerne les critères de sélection, il est clair que certains souhaitent écarter les contrats de partenariat en raison de réserves à l’égard de procédures comme le dialogue compétitif. Cette procédure est onéreuse mais je veux rappeler que les conseils ne sont pas nécessairement à la recherche de la complexité juridique mais plutôt de travail intéressant et pas uniquement du point de vue financier. S’agissant de l’adaptation du contrat, l’arrêt Pressetext a introduit une grande confusion. La solution adoptée est complètement irréaliste. La question de l’adaptation, qui relève du principe de la mutabilité cher à nos grands anciens, doit être l’objet constant de nos préoccupations. Les causes d’adaptations doivent certainement être établies : évolutions techniques, normatives, de l’environnement du contrat… Le contrat doit prévoir une clause permettant de s’assurer que toutes les probabilités ont été envisagées. Enfin, la durée est une notion fondamentale dans le domaine des concessions. Le comité est en faveur d’une grande liberté contractuelle favorisant la souplesse mais également d’une certaine rationalité : le lien avec l’investissement est évident, quoiqu’en matière de services cela soit parfois complexe. La motivation est ici indispensable. Bertrand FABRE : Je constate un bon accueil de principe du projet de directive mais des questions demeurent et certaines mises en garde ont été prononcées, largement partagées par les intervenants de cette table ronde. 78 Synthèse des travaux Synthèse des travaux par Pierre DELVOLVE, Membre de l’Institut, Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas Paris II Le droit des concessions est un droit très ancien. Il suffit de se référer aux travaux de Xavier BESANCON sur l’histoire des concessions, qui montrent que depuis l’Antiquité et dans tous les pays, le système des concessions au sens large est connu et a fait l’objet de précisions juridiques manifestant la construction d’un droit spécifique. Si nous avons eu à nous réunir pour discuter de ce sujet, cela tient à une évolution récente dans les États membres de l’Union Européenne et aux tâtonnements du droit communautaire, qui dès 1977 parlait de concession de service public mais n’a ensuite approché la notion et le régime que de manière très succincte et prudente. Les concessions existent bien plus que cette approche communautaire très fragmentaire pourrait le laisser penser. L’inventaire réalisé par certains auteurs et par la DG « marché intérieur » elle-même indique qu’implicitement ou explicitement des systèmes de concessions sont mis en place, même si certains s’en défendent – je pense notamment à la situation de l’Allemagne ou d’autres pays du Nord. L’inventaire qui nous a été proposé ce matin a fait état de solutions importantes et diversifiées. Ainsi est née l’idée de procéder à certaines innovations d’ordre législatif. Des propositions ont été formulées, des colloques ont été tenus. Celui du 18 février 1992 à Nanterre a été mentionné, celui du 21 septembre 2009 à Barcelone doit également être évoqué. Je crois que le colloque d’aujourd’hui participera aussi à l’évolution, à l’amélioration, voire à l’achèvement, du droit communautaire des concessions. Des chiffres ont été cités, qui ont montré l’ampleur du recours à la concession et au PPP pour exploiter certaines activités. En même temps, le cloisonnement de certains systèmes a été souligné : certaines entreprises ne peuvent accéder à l’attribution de concessions compte tenu de l’état du droit et de l’approximation des notions dans certains systèmes nationaux. Pour assurer l’unité de l’Europe et plus particulièrement du marché, des solutions nouvelles doivent être adoptées, qui doivent être marquées par la recherche de l’efficacité : celle des dispositifs est nécessaire pour assurer celle des services. Le droit est en cette matière comme dans les autres au service de ceux que nous appelions naguère les administrés et qu’il faut appeler désormais, de 79 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? manière plus noble, les citoyens. C’est pour eux que l’amélioration du système doit être réalisée. Jusqu’ici, on a surtout pris en compte les marchés publics. Si les services de la Commission ont aujourd’hui une conscience aigüe de la distinction à laquelle il convient de procéder entre marchés publics et concessions, cette préoccupation n’était pas partagée par les auteurs des directives 2004/17 et 2004/18, qui définissent les concessions à partir des marchés publics, à la différence que le cocontractant est rémunéré par le droit d’exploiter l’ouvrage, ce droit étant assorti le cas échéant du paiement d’un prix. La conception initiale en droit communautaire rattache la concession au marché. Ce lien doit être rompu : compte tenu des particularités des concessions, il faut reconnaître l’autonomie de la notion et du régime. On peut reprocher au juriste d’essayer de placer les notions comme dans un herbier, comme l’avait dit Monsieur CHENOT dans un fameux article aux Études et documents du Conseil d’État en 1954 mais la qualification est nécessaire car elle détermine le régime applicable. EINSTEIN disais, je crois, « On ne peut pas résoudre mieux un problème pratique qu’en faisant d’abord de la théorie ». Il faut procéder à ce travail théorique pour tenter d’identifier ce que peut être exactement la concession et essayer de déterminer les éléments de la notion pour en définir la portée. Les éléments constitutifs de la concession sont l’objet, la rémunération et les risques. L’objet de la concession est essentiellement l’attribution par une personne publique à un opérateur économique d’une activité. Je n’ai pas parlé d’activité publique ou d’activité économique d’intérêt général et surtout pas de service public. L’essentiel est la volonté d’une personne publique de faire assurer une activité par une autre personne qui en assume la responsabilité, moyennant une certaine forme de rémunération. La rémunération n’est pas le prix mais résulte de l’exploitation de l’activité. Elle peut prendre la forme d’une redevance, mais il peut également s’agir d’une autre forme directement liée à l’exploitation, par exemple la "shadow toll". Une différence doit être opérée entre certaines sommes versées par la collectivité publique à l’opérateur : l’aide peut être prise en compte au titre d’une rémunération mais la compensation d’une obligation de service public n’est pas une rémunération, un prix ou une aide. Il n’est pas exclu que la rémunération puisse venir en partie, voire en totalité, de la personne publique qui délègue l’activité, dès lors qu’elle contribue substantiellement à la rémunération du 80 Synthèse des travaux cocontractant. Une palette de solutions est disponible. L’essentiel est que le cocontractant soit rémunéré par l’exploitation : c’est cette rémunération qui détermine alors le risque qu’il prend en charge. On a beaucoup parlé du risque et on a contesté que le critère du risque puisse correspondre à ce que des organismes internationaux prennent encore en compte du point de vue de la comptabilité. Mais jusqu’à présent, tant dans la jurisprudence communautaire que française, le transfert du risque a été mis en valeur comme étant déterminant, en liaison avec la rémunération, pour identifier la concession. Les risques portent sur le chiffre d’affaires, le bénéfice, les dépenses, les recettes, la fréquentation… L’essentiel, selon la jurisprudence, est l’existence d’un transfert significatif de risque…ou d’un transfert de risque significatif. « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font » : nous en sommes encore, dans les organismes officiels, à faire comme le Bourgeois Gentilhomme. Il faudra trancher car la place des mots a son sens mais l’essentiel est le transfert du risque. Dès lors que nous nous accordons sur ces éléments de qualification, nous pourrions essayer d’en déterminer la portée, d’une part, par rapport à d’autres mesures, ensuite par rapport à son régime. S’agissant d’autres mesures, nous avons rencontré beaucoup de cas où il est traité de concessions. Il faut distinguer celles qui ne portent pas sur des activités déléguées par une personne publique et celles qui s’y rapportent, les seules dont nous ayons à nous occuper. Beaucoup d’activités peuvent faire l’objet d’une concession au sens très large. L’une d’entre elles n’a pas été évoquée, à laquelle pourtant aucun d’entre nous n’échappera : la concession funéraire. Il ne s’agit évidemment pas d’une concession au sens où nous l’entendons mais cet exemple, volontiers provocateur, illustre bien que certaines concessions peuvent porter sur des activités purement privées. Nous retrouvons ainsi des concessions mentionnées à plusieurs reprises : concessions domaniales ou minières, qui dans certains cas font l’objet de mesures qui ne sont pas véritablement conventionnelles. Mais la caractéristique de toutes ces concessions est l’attribution à une personne d’un titre lui permettant d’exercer une activité purement privée. Il ne s’agit pas du transfert d’une activité que la collectivité publique a décidé de prendre en charge mais de l’autorisation d’exercer une activité privée, le cas échéant avec des moyens publics ou sur le domaine public. En l’absence de dévolution d’une activité publique, nous ne sommes pas en présence d’une concession entrant dans le champ de notre étude. 81 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Si nous continuons, nous pouvons rencontrer des hypothèses dans lesquelles les modalités d’organisation, plus ou moins confuses, plus ou moins cachées, font apparaître un transfert d’activité d’une personne publique à un opérateur économique : il en va ainsi du système des Stadtwerke, qui a été évoqué, ou des sociétés publiques qui, sous couvert de l’expression "in house", transfèrent bien une activité. Il me semble même que dans certains cas s’établissent entre des services, qui n’ont pas la personnalité juridique ou qui ne la tiennent que de la personne publique au sein de laquelle ils sont installés, des rapports de dévolution d’une activité à l’autre. Monsieur BRAIBANT le disait dans ses conclusions sur l’affaire Unipain en 1970, lorsqu’il évoquait la vente par une boulangerie militaire de pain à des prisons : il s’agissait d’un rapport à caractère économique ayant tous les aspects d’une relation contractuelle. Dans cet exemple, on est en présence d’un marché public plutôt que d’une concession de service public mais si l’on transpose cette hypothèse à d’autres organismes, notamment allemands, il peut exister des relations entre services qui ne sont pas dotés de la personnalité juridique mais qui ont une personnalité économique, l’un confiant à l’autre une activité moyennant une rémunération résultant de l’exploitation du service. Cette piste peut être explorée pour faire tomber des institutions qui se réfugient derrière le monolithisme apparent de leur organisation. Il faut également considérer que l’attribution de la concession donne lieu à des actes de types divers. Or, si le contrat de concession domine, il peut avoir comme en France un caractère mixte, aux frontières du contrat et de l’acte unilatéral. Ailleurs l’acte est entièrement unilatéral. Peu importe que l’attribution se fasse par la voie contractuelle ou unilatérale : un contrat résulte de la rencontre de deux volontés unilatérales et un acte unilatéral attribuant une activité à une entreprise n’a d’effet que par l’acceptation de cette entreprise. Dans les deux hypothèses, les volontés se rencontrent. Cette analyse permet d’anéantir la jurisprudence du Conseil d’État, qui considère que la dévolution par voie unilatérale d’une activité de service public ne relève pas de la loi Sapin parce que celle-ci ne parle que de conventions. Cette solution ne peut pas durer. En France comme ailleurs, il faut désormais prendre en compte toute mesure, unilatérale ou contractuelle, qui charge un opérateur d’une activité avec le consentement de celui-ci, qui en organise la rémunération par son exploitation et qui en transfère le risque sur l’opérateur. La singularité de la concession à partir de ces éléments permet aussi de refuser l’insertion des concessions dans un système qui est d’abord 82 Synthèse des travaux un système de marchés publics. Cela vaut tant pour le régime de la concession que pour sa notion. Il résulte de nos travaux que le régime de la concession doit avoir une autonomie, tant au niveau de l’attribution que de l’exécution. Monsieur CARSIN a annoncé que le système d’attribution devrait être mis au point dans des conditions relativement souples. Cela rejoint les éléments qui doivent être au cœur des préoccupations pour déterminer le régime de l’attribution des concessions. Le mot performance a été peu employé aujourd’hui, alors qu’il est essentiel. L’attributaire doit réaliser les meilleures performances dans l’exécution de l’activité qui lui est attribuée et dont il est chargé. Cette considération doit déterminer toute la procédure à élaborer. D’autant plus qu’à la performance sont liées la concurrence et la transparence. Cela doit conduire à une rédaction des dispositions relatives à l’attribution des concessions qui permette de combiner efficacité et égalité dans le traitement de tous. On ne peut oublier que toute procédure d’attribution d’une concession comporte des mesures unilatérales, que l’acte de concession lui-même soit unilatéral ou qu’il soit contractuel : nous savons bien, à travers la théorie de l’acte détachable, que tout contrat conclu par une personne publique comprend une mesure unilatérale pouvant faire l’objet d’une contestation. Parmi nos préoccupations quant à l’adoption de dispositions sur l’origine de la concession, cet aspect mineur ne doit pas être oublié. Cependant, cela ne doit pas conduire à une remise en cause de la souplesse du régime. S’agissant de l’évolution du contrat, il a été souligné à plusieurs reprises que la concession, étant attribuée pour une longue durée, nécessaire à l’amortissement des investissements et donc à la rémunération du concessionnaire, ne pouvait être figée dans le temps. La modification du contrat doit pouvoir être admise ; si elle doit être encadrée, ce doit être de manière souple. Enfin, en ce qui concerne l’exécution de la concession, la responsabilité respective des deux parties n’a pas été évoquée, si ce n’est incidemment. Dans la répartition des risques, la responsabilité de chacun est bien sûr en cause mais les problèmes de responsabilité dépassent ce seul sujet : il appartient au concessionnaire d’assurer lui-même, par sa propre appréciation, l’activité qui lui est confiée. Cela soulève une question traitée indirectement par les directives : le concessionnaire, pour ses propres marchés, doit-il observer des procédures de caractère public ? Dès lors que le concessionnaire a une activité propre, qu’il est une entreprise, pourquoi le soumettre à des procédures de passation 83 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? qui n’ont de sens que pour les personnes publiques, dont les préoccupations ne sont pas les mêmes ? Je laisse la question ouverte. Toutefois, quelle que soit la responsabilité du concessionnaire, il exerce une activité publique, puisqu’elle lui a été confiée par une personne publique, qui la considère comme essentielle et qu’elle a voulu faire assurer. Il faut donc maintenir un contrôle de la collectivité concédante sur le concessionnaire, sans que ce contrôle aboutisse à substituer le concédant au concessionnaire. Telles sont, me semble-t-il, les lignes qui ressortent des travaux d’aujourd’hui, qui inspireront souhaitons-le, l’action de la Commission et de ses services. L’initiative annoncée sur les concessions devrait être l’occasion de sortir complètement les concessions de travaux ou de services des directives sur les marchés publics et de rédiger un texte qui leur soit propre, contenant les solutions permettant d’avoir des notions claires, une rédaction compréhensible, et un régime souple. Si ces conditions sont remplies, nous pourrons nous réunir de nouveau pour constater que la construction du droit communautaire des concessions est désormais achevée. 84 85 Le droit communautaire des concessions : une construction inachevée ? Table des matières Table des matières Avant-propos par Jean-Bernard AUBY, Directeur de la chaire « Mutations de l’action publique et du droit public » à Sciences Po et Claude MARTINAND, Président de l’Institut de la Gestion Déléguée................................ 7 Allocutions d’ouverture.................................................................... 9 Séance inaugurale........................................................................... 11 Introduction des travaux................................................................ 17 Panorama des concessions.............................................................. 19 Les premiers résultats d’une enquête IGD/chaire MADP sur l’état du droit des concessions en Europe............................... 19 La dimension économique des concessions................................... 33 Les mécanismes économiques des contrats de long terme : une analyse préalable indispensable à la bonne régulation et à la passation de ces contrats..................................................... 33 Les enjeux juridiques actuels......................................................... 51 Quels seraient les risques d’un statu quo ? Que nous enseignent les récentes décisions jurisprudentielles ? Le droit actuel est-il un catalyseur efficace des projets ?............. 51 Perspectives d’avenir. Au regard des dimensions et du contexte communautaires du dossier, quelles options sont envisageables ?............................................... 67 Synthèse des travaux par Pierre DELVOLVE, Membre de l’Institut, Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas Paris II........................................ 79 86 Numéro d’impression : 126887 Achevé d’imprimer sur les presses du groupe Corlet imprimeur – Condé-sur-Noireau – Juillet 2011 Pour l’éditeur, le principe est d’utiliser des papiers composés de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois issus de forêts qui adoptent un système d’aménagement durable. En outre, l’éditeur attend de ses fournisseurs de papier qu’ils s’inscrivent dans une démarche de certification environnementale reconnue.