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Bulletin printemps 2014_ici Maintenant dec 07 14-04-17 3:39 PM Page 15 Chronique juridique Sous réserve des dispositions d’ordre public du Code civil : « Le contrat est la Loi entre les parties. » Cette maxime est bien connue du monde juridique : elle établit le principe de la liberté contractuelle notre système de droit. Essentiellement, elle nous indique que toutes personnes qui ont la personnalité juridique peuvent convenir d’à peu près n’importe quel type de contrat à n’importe quel sujet. Bien que ce soit le Code civil du Québec qui, en principe, régit habituellement les contrats, les parties peuvent choisir d’y déroger, sous réserve de certaines exceptions. Me François Nantel est avocat dans l’étude Gascon & associés, membre professionnel L’une des exceptions qui empêchent les parties à un contrat de se soustraire aux obligations imposées par le Code civil du Québec réside dans la notion « d’ordre public ». sonnes précises dans des situations précises. La loi et la jurisprudence reconnaissent dès lors la possibilité pour ces personnes (et non un tiers ou un co-contractant) d’abdiquer cette protection, si telle est leur volonté, mais uniquement lorsque ce droit leur sera acquis (c’est-àdire qu’elle ne pourra y renoncer à l’avance, sous peine de nullité). Ce concept a été créé par le législateur pour, d’une part, encadrer cette liberté contractuelle et, d’autre part, protéger les justiciables contre certains contrats qui pourraient leur être préjudiciables. Prenons par exemple l’article 2092 du Code civil du Québec, qui prévoit que « Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive ». Pour atteindre ces objectifs, on a développé deux types d’ordre public, soit a) l’ordre public « de direction » et b) l’ordre public « de protection ». On voit clairement, dans ce cas-ci, que seul l’employé touché par un congédiement peut renoncer à cette protection. Il pourrait donc demander aux tribunaux de déclarer nulle la clause comprise dans son contrat d’emploi par laquelle il aurait renoncé d’avance à cette protection. a) Ordre public de direction Cette désignation (d’ordre publique de direction) est employée pour tous les articles d’une loi dont on ne saurait déroger sous aucun prétexte. Ces articles représentent souvent une codification d’une valeur fondamentale de la société ou d’une disposition visant à protéger l’ensemble de la collectivité. À titre d’exemple, l’article 541 du Code civil du Québec établit que « Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue ». Par cette disposition, la société québécoise s’est assurée que jamais ne serait reconnu un contrat de mère porteuse. Malgré le consentement de toutes les parties impliquées, un tel contrat serait nul et non avenu. En raison de son caractère d’ordre public « de direction », toute personne informée d’un tel contrat aurait l’« intérêt juridique » soit l’intérêt qui est requis pour contester celui-ci devant les tribunaux et en obtenir l’invalidité. De même, un juge pourrait d’office, c’est-àdire à sa propre initiative, déclarer ce contrat nul. b) Ordre public de protection À l’inverse, ce ne sont pas toutes les dispositions du Code civil du Québec ou d’une loi qui se veulent une codification d’une valeur fondamentale ou qui visent à protéger l’ensemble de la collectivité. En effet, certains de ces articles ne visent qu’à protéger des per- 15 C’est quoi? Dès lors, comment faire pour savoir si une disposition législative est d’ordre public, et d’autre part, s’il s’agit d’ordre public « de protection » ou « de direction »? D’une part, la formulation de l’article peut donner une indication : par exemple, l’article 1101 du Code civil du Québec, qui prévoit qu’une stipulation à la déclaration de copropriété qui modifie les majorités requises pour prendre une décision, en référence aux articles 1096 à 1098 du Code civil du Québec, est réputée non écrite. En employant le terme « réputée », le législateur a pris bien soin d’indiquer aux justiciables québécois qu’aucune exception à cet article ne serait acceptée. Pour le reste, nous devons malheureusement nous en remettre aux tribunaux. En effet, c’est plus souvent sur une base jurisprudentielle, après jugements et interprétations, que les justiciables connaitront la portée d’un article et s’il est possible d’y déroger contractuellement. L’article 1064 du Code civil du Québec À une époque où la copropriété est de plus en plus omniprésente, l’importance de comprendre les articles du Code civil du Québec auxquels une déclaration de copropriété peut (ou ne peut pas) déroger est désormais très grande. (suite à la page 16) Bulletin printemps 2014_ici Maintenant dec 07 14-04-17 3:39 PM Page 16 Chronique juridique Prenons par exemple le cas de l’article 1064 du Code civil du Québec. Cet article établit que « Chacun des copropriétaires contribue, en proportion de la valeur relative de sa fraction, aux charges résultant de la copropriété et de l'exploitation de l'immeuble, ainsi qu'au fonds de prévoyance […]. » antérieures5 et de la jurisprudence en cette matière. De cette disposition, ne pouvons-nous pas déduire qu’une simple multiplication suffit pour connaitre n’importe quelle charge que se doit d’acquitter un copropriétaire dans n’importe quel immeuble, soit en multipliant la somme totale des charges par la valeur relative de sa fraction indiquée à la déclaration de copropriété ? Par conséquent, une déclaration de copropriété qui dérogerait au principe de la proportionnalité des charges selon la valeur relative des fractions et qui l’établirait, par exemple, en fonction des dimensions de chaque fraction par rapport à l’ensemble de l’immeuble, serait valide entre les parties, bien que contraire à ce qu’énonce la loi. Malheureusement non, car les copropriétaires peuvent décider de déroger à ce principe dans leur déclaration de copropriété et répartir les charges différemment; si le copropriétaire qui a le bénéfice de cette protection renonce à exercer son droit, la déclaration de copropriété sera considérée valide. Conclusion Malgré qu’il puisse parfois être difficile pour les justiciables de différencier les dispositions d’ordre public, le jugement de Place Simpson confirme que les tribunaux sont sensibles à cette difficulté et qu’ils n’hésiteront pas à trancher en faveur de la stabilité pour permettre aux copropriétaires de mieux rédiger et négocier leur déclaration de copropriété, ainsi que d’en comprendre ses limites. L’affaire Château Renaissance Ainsi, la Cour d’appel du Québec1 a rendu jugement favorablement sur la possibilité de mettre de côté l’article 1064 du Code civil du Québec. En effet, l’article 1064 a été reconnu à plusieurs reprises par les tribunaux de haute instance comme étant une disposition d’ordre public « de protection ». 1 Syndicat des copropriétaires du Château Renaissance c. Industries d’Orcini À cette occasion, la Cour a établi qu’une déclaration comportant la particularité de diviser la contribution aux charges communes de la copropriété selon la superficie occupée et non la valeur relative détenue (qui permettait à un copropriétaire de payer seulement 40,21 % des charges communes alors que sa quote-part était fixée à 66,56 %) était valide non seulement pour l’ensemble des copropriétaires avec qui il avait conclu cette répartition, mais aussi pour les acquéreurs subséquents de parties privatives dans la copropriété! Ltd., 2009 QCCA 159. 2 Pour plus d’information sur ce concept juridique, nous vous référons à mon article intitulé ATTENTION À LA PRESCRIPTION de l’édition de la Revue d’Automne 2013 # 138. 3 Syndicat des copropriétaires de l'Association des copropriétaires de Place Simon c. Cour du Québec, division des petites créances, 2011 QCCS 6354. 4 Boivin c. Syndicat des copropriétaires Place Simpson, 2011 QCCQ 2361. L’article 1064 du Code civil du Québec ayant été considéré comme un article d’ordre public « de protection », les copropriétaires qui étaient lésés par une telle répartition des charges bénéficiaient du délai de prescription de trois ans pour en contester la validité, ce qu’ils n’ont, malheureusement pour eux, pas fait2. 5 Syndicat des copropriétaires du Château Renaissance c. Industries d’Orcini Ltd., 2009 QCCA 159; Syndicat La Centrale c. Emmar Construction Inc., 2009 QCCA 2177. Par conséquent, les nouveaux acquéreurs de fractions de copropriété se doivent d’être extrêmement prudents, car il n’est pas certain que les charges qu’ils auront à acquitter seront directement proportionnelles à la valeur relative de leur unité, si la déclaration de copropriété prévoit que les copropriétaires contribueront selon la superficie occupée (ou tout autre méthode de division des charges communes). Une assemblée extraordinaire convoquée par un ou des copropriétaires doit répondre de l’article 352 du code civil que voici : ******* 352 : S’ILS REPRÉSENTENT 10 % DES VOIX, DES [COPROPRIÉTAIRES] PEUVENT REQUÉRIR [DU CONSEIL D’ADMINISTRATION] OU DU SECRÉTAIRE LA CONVOCATION D’UNE ASSEMBLÉE ANNUELLE OU EXTRAORDINAIRE EN PRÉCISANT, DANS UN AVIS ÉCRIT, LES QUESTIONS QUI DEVRONT Y ÊTRE TRAITÉES. Il faudra donc que les acquéreurs de copropriété lisent bien leur déclaration de copropriété avant de se lancer dans une acquisition. L’application à la cause Place Simpson c. Boivin Suivant le même raisonnement, la Cour supérieure a récemment rendu une décision3 dans laquelle elle renversait un jugement de la Cour du Québec (division des petites créances)4 ayant déclaré invalide une clause selon laquelle les charges communes sont payables selon une répartition proportionnelle (pourcentage d’occupation) au lieu d’être réparties selon la valeur relative de chacune des fractions, tel que prévu à l’article 1064 du Code civil du Québec. À DÉFAUT PAR [DU CONSEIL D’ADMINISTRATION] OU LE SECRÉTAIRE D’AGIR DANS UN DÉLAI DE VINGT ET UN JOURS À COMPTER DE LA RÉCEPTION DE L’AVIS, TOUT [COPROPRIÉTAIRES] SIGNATAIRE DE L’AVIS PEUT CONVOQUER L’ASSEMBLÉE. [LE SYNDICAT] EST TENUE DE REMBOURSER AUX [COPROPRIÉTAIRES] LES FRAIS UTILES QU’ILS ONT PRIS EN CHARGE POUR TENIR L’ASSEMBLÉE, À MOINS QUE CELLE-CI N’EN DÉCIDE AUTREMENT. Ainsi, l’Honorable juge Poulin a tranché en faveur du syndicat de copropriété, optant pour la stabilité et le maintien des décisions 16