La Belgique à notre porte : une chance - Lille

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La Belgique à notre porte : une chance - Lille
171faits et effets
24/02/05
16:42
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Faits & effets
Franck LORTHIOIR,
Agence de la Lys à Comines et Halluin
“Peu de Belges
achètent en France”
our Franck Lorthioir, patron
de l’agence immobilière de la
Lys, installée dans deux communes frontalières (CominesFrance et Halluin), la frontière est
plutôt un inconvénient : “Elle
diminue notre secteur d’activités,
d’autant que nous sommes à côté
de la Flandre, donc à moins d’em baucher un négociateur belge ou
de trouver un associé là-bas, nous
ne pouvons pas espérer y faire
beaucoup d’affaires”. La situa tion est d’ailleurs à peu près
symétrique puisque les agences
belges ne prennent pas de maisons en France, “mais ils insèrent
de la publicité pour des biens en
Belgique dans les magazines
français”.
Et effectivement, certains clients
français prospectent en Belgique
où le marché immobilier n’a pas
connu la même flambée qu’en
France. Par le passé, il arrivait
aussi que des Belges cherchent à
s’installer en France pour échapper aux impôts trop élevés dans
leurs pays, mais la différence des
prix des maisons est telle aujourd’hui qu’ils y ont généralement
renoncé. Une différence qui
finira peut-être par se restreindre
car le marché belge commence à
souffrir de la proximité de la
France : “Certains font estimer
leurs maisons par des agences
françaises qui les évaluent selon
leurs propres critères. Du coup,
là aussi, le marché monte…”
P
10
FACE - MARS 2005- N°171
Franck Lorthioir est plus touché
par la concurrence belge par le
biais de sa seconde société,
l’Agence de la Lys-Bâtiment. Ils
ont notamment du mal à embaucher plus difficilement des
ouvriers qui préfèrent aller travailler en Belgique où ils sont
mieux payés.
Et puis, dit-il, “Les sociétés
belges ont d’autres moyens que
nous, tant en matériel qu’en
matière d’horaires de travail
beaucoup plus larges, ou de lois
de protection des salariés plus
souples que les nôtres”. Enfin, les
clients français ont une fâcheuse
tendance à se tourner vers les
entreprises belges : “Ils ont telle ment été influencés par l’essence
moins chère (ce qui n’est plus vrai
aujourd’hui !) qu’ils pensent que
ce sera le cas pour tout, alors que
pour une qualité de travail équi valente, les Belges ne sont pas for cément moins chers”..
■
Jean-Pierre
STERNHEIM,
Fédération française du bâtiment
“Les sentiments
nationaux sont plus
forts ailleurs
que chez nous”
résident de Rabot-Dutilleul
Construction,
Jean-Pierre
Sternheim est aussi le président de
la commission internationale de la
Fédération française du bâtiment.
S’il convient que l’entreprise qu’il
dirige n’est pas trop gênée par la
concurrence belge, il juge la situation “plus problématique” pour les
PME confrontées à des entreprises
P
Peut-être dans la métropole lilloise plus qu'ailleurs en France, on se
pose souvent la question de savoir si c'est un avantage ou un inconvénient d'être frontalier. Et les réponses divergent selon les activités.
A cela s'ajoutent les différences de fiscalité, de contraintes
administratives, de langues, de mentalités pratiquées de
chaque côté de la frontière.
La Belgique à notre porte :
une chance ?
spécialisées dans tel ou tel corps
d’Etat. Les salaires belges n’étant
pas inférieurs à ceux pratiqués de
ce côté-ci de la frontière, la situation est moins critique que dans le
sud-ouest de la France où les prix
pratiqués par les entreprises espagnoles défient toute concurrence,
du fait des charges beaucoup
moins fortes.
Cependant, Jean-Pierre Sternheim
souligne une inégalité dans le
contrôle des chantiers : “L’inspec tion du travail ne va jamais
contrôler les chantiers belges en
France, ce qui leur permet de faire
ce qu’ils veulent. C’est très pénali sant pour les entreprises fran çaises, d’autant que la réciproque
n’est pas vraie : en Belgique, un
simple garde-champêtre peut
arrêter un chantier français s’il le
veut !”
De toute façon, comme l’explique
M. Sternheim, il est quasiment
impossible pour une entreprise de
construction française de travailler
de l’autre côté de la frontière :
“Pour travailler en Belgique, il
faut être belge. Les groupes fran çais n’ont pas d’autre solution
pour travailler là-bas que de
racheter des entreprises belges”.
Du coup, Rabot-Dutilleul a
renoncé à prospecter en Belgique :
“Il n’y a qu’en Allemagne que les
entreprises françaises arrivent à
travailler. De façon générale, les
sentiments nationaux sont beau coup plus forts dans les autres
pays que chez nous”. Et, après
avoir fait remarquer que presque
tout le béton utilisé dans le Nord
était fabriqué à partir de cailloux
belges, M. Sternheim conclut :
“La frontière est perméable
dans un sens, imperméable dans
l’autre”..
■
Danièle DUJARDIN,
café-tabac Le Rallye à Halluin
“Tout le quartier a
pâti de la hausse du
tabac”
n septembre 2003, Danièle
Dujardin et son époux ont
repris le café-tabac-presse "Le
Rallye". En janvier 2004, le prix
du tabac connaissait une de ses
plus fortes hausses. Or, le Rallye
est situé à Halluin, à 100 mètres de
la Belgique où le paquet de cigarettes est vendu presque 2 euros
moins cher. "Nous avons perdu
presque 60% sur la vente du
tabac”, soupire Danièle Dujardin
“et la compensation versée par
l’Etat ne résout pas les pertes sur
les autres produits. Les gens ache taient leurs cigarettes mais aussi
un jeu ou un journal… Au total,
notre chiffre d’affaires a baissé de
30 %”. Le boucher a également
vu baisser son chiffre d’affaires à
cause de la hausse du prix du
tabac. Les gens qui se garaient
chez nous en profitaient pour aller
dans les commerces voisins !”.
Par curiosité, Mme Dujardin est
allée voir de l’autre côté de la fron-
E
tière. Elle a été frappée par les
véritables “petits supermarchés du
tabac” qui, ont apparu et qui, en
particulier le dimanche, attirent
une foule de voitures “immatriculées de partout, jusqu’en région
parisienne”. Elle a aussi été froissée par la démarche commerciale
des Belges : “Ils ont affiché en très
grand : nous vendons des produits
français au prix belge. Ça a créé
une polémique, on a eu l’impres sion qu’ils nous faisaient passer
pour des voleurs…” La buraliste
attend avec impatience une hausse
des taxes en Belgique et, d’ici là,
compte pour se rattraper sur le
développement de son rayon
librairie-DVD : “Pour l'instant, ce
concept n'est pas encore déve loppé en Belgique”..
■
Didier DE WEERDT,
hôtel-restaurant des Acacias à Neuvilleen-Ferrain
“Encore des barrières”
idier De Weerdt est belge. il
rachète à son père en 1998
l’hôtel-restaurant des Acacias
situé à Neuville-en-Ferrain. Un
hôtel trois étoiles de 42 chambres
qui attire à la fois une clientèle
D
voyait le jour à Tourcoing et au
Furet du Nord à Lille. Aujourd’hui,
Dominique Persyn, le fils de
péniche Come in Europe
Jeanne, est administrateur de la première et co-gérant de la seconde.
“Travailler à la fois en Belgique
et en France n’est pas simple,”
dit-il. Nous sommes d’ailleurs
quasiment les seuls dans notre
profession qui est très réglemen tée. Il est nécessaire d’avoir une
société dans chaque pays car cha cune doit obtenir des licences qui
dépendent de critères spécifiques
au pays”. En dépit d’un certain
nombre de “casse-tête administratifs”, Dominique Persyn ne voit que
des avantages à cette situation trans"Que des avantages" frontalière : “D’un point de vue per otée de la double nationalité, sonnel, c’est très enrichissant
française et belge, Sylvie d’être en contact avec différentes
Papart vit sur la frontière : La Lys. cultures, différentes méthodes de
Propriétaire d'une péniche, elle travail. Professionnellement par pratique le transport fluvial avec lant, cela permet de proposer aux
son mari durant six ans, avant clients une offre plus diversifiée et
d'abandonner la batellerie et de se plus adaptée à leurs besoins”.
lancer dans le tourisme fluvial C’est d’ailleurs ce qui a motivé en
franco-belge en 1998, et opte pour la 1978 la création de l’entreprise francréation d'une société de droit fran- çaise : “Historiquement, le voyage
çais. "En matière de contraintes, les organisé s'est développé beaucoup
normes française sont plus rigou - plus vite en Belgique, ce qui s’ex reuses. De ce fait, nous étions assu - plique par la dimension du pays.
rés de pouvoir pratiquer notre Quand cette activité a commencé à
activité des deux côtes de la fron - se développer aussi en France, nous
tière. " Depuis, outre les ballades avons souhaité nous y implanter
sur la Lys proposés aux tristes pour accéder à des produits aux belges et français, la péniche quels nous n’avions pas accès aussi
Come in Europe accueille égale- facilement en tant que Belges,
ment des réunions de travail et comme les Antilles, par exemple.
autres séminaires professionnels.
Les époux Papart ont également
créé une autre activité, un chantier
naval, mais cette fois ci en Belgique. Pour eux : "Pour les ques tions d'ordre financier , exercer en
France ou en Belgique ne change
pas grand-chose. Les charges
salariales sont certes moins fortes
côté belge, mais la TVA est plus
élevée. Au bout du compte, l'en semble s'équilibre".
■
Sylvie PAPART,
d’affaires et de tourisme. “Situés à
côté de l’autoroute E17-A22, nous
optimisons notre proximité à la
fois de Lille et de Courtrai, deux
villes où se déroulent beaucoup de
foires et de salons. Lorsque tout
est complet à Courtrai, les gens
viennent jusqu’à Neuville.”
M. De Weerdt est également propriétaire d’un hôtel à Menin (en
Flandre). Un troisième est actuelleementt en construction sur la
grand-place de Mouscron (en Wallonie) - ce qui lui permet lorsqu’un
hôtel est complet, de renvoyer des
clients dans un autre : Didier De
Weerdt souligne la persistance
d’un certain nombre de barrières :
“Psychologique d’abord, de
langue ensuite car les gens pen sent qu’en France on ne parle que
français (or je suis flamand de
naissance) et enfin administrative,
la récupération de TVA n’étant
pas forcément facile à obtenir”. Il
note toutefois une évolution lente
mais positive. De quel côté de la
frontière est-il plus facile de travailler ? “Chacun a ses avantages
et ses inconvénients. La France
est plus ouverte aux investisseurs
et aussi plus apte à créer de
grands événements comme Lille
2004 ou les jeux olympiques. Son
inconvénient : des normes vrai ment très lourdes. Selon moi, c’est
le plus gros souci en France”. S’il
souligne la complexité de travailler dans deux pays différents, Dominique PERSYN,
voyages Montaine
Didier De Weerdt note qu’il est
aussi difficile de trouver du per“Proposer aux clients
sonnel d’un côté comme de
une
offre plus large”
l’autre : “Le salaire que perçoit
l’employé est beaucoup trop bas
a société anonyme Montaine,
par rapport à ce qu’il nous coûte
spécialisée dans les voyages, a
en charges et ne l’incite pas vrai - été créée en 1966 à Mouscron par
ment à travailler plutôt que de Jeanne Montaine. Douze ans plus
pointer au chômage”.
■ tard, une SARL du même nom
D
L
M. Persyn voit encore un dernier
avantage à la position transfrontalière : elle lui permet de recruter
pour la Belgique des agents fran- 11
çais : “Mouscron n’est qu’une
petite ville de province alors que
Lille est une grande métropole
attractive où je trouve plus facile ment du personnel qualifié”. ■
FACE - MARS 2005- N°171

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