POUR UNE PLUS GRANDE PEDAGOGIE DU CONTENTIEUX
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POUR UNE PLUS GRANDE PEDAGOGIE DU CONTENTIEUX
POUR UNE PLUS GRANDE PEDAGOGIE DU CONTENTIEUX COMMUNAUTAIRE : REFLEXIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES PROCEDURES DE COLLABORATION AVEC LES JURIDICTIONS SOUS REGIONALES (Renvoi préjudiciel et demande d’Avis) Les années 90 ont été caractérisées, en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier, par une redynamisation des processus d’intégration, à travers la mise en place de nouvelles organisations (UEMOA) ou la substantielle transformation d’organisations existantes (CEDEAO, révision de 1993)1. Ces transformations institutionnelles ont été accompagnées d’une sorte de mystique du droit, d’une espérance nouvelle investie dans le droit. L’illustration de ce nouveau credo se trouve incontestablement dans la création d’organes judiciaires au sein de ces organisations, organes qui soit n’existaient pas du tout auparavant (dans l’UMOA par exemple), soit existaient simplement sur le papier mais n’ont jamais été effectifs (le « Tribunal » de la CEDEAO par exemple). Quelques années après ces réformes, il importe de s’interroger sur le bilan de deux procédures qui ont été instituées pour manifester ce nouvel empire du droit : la procédure de demande d’avis – par des autorités nationales ou par des organes des organisations – et la procédure du renvoi préjudiciel, ouverte aux juges des Etats membres2. I – La collaboration avec les juridictions nationales : le renvoi préjudiciel - Rappel des dispositions régissant cette procédure devant les Cours de la CEDEAO et de l’UEMOA Le bilan, en termes quantitatifs, est plutôt maigre : zéro renvoi en 2009 devant la Cour de la CEDEAO, et un seul devant la Cour de l’UEMOA Le seul arrêt rendu devant le juge de l’Union, l’arrêt du 12 janvier 2005, sur renvoi du Conseil d’Etat sénégalais, pose problème à plusieurs égards : la manière dont le juge national a posé sa question mais également la méthode adoptée par le juge de l’UEMOA pour répondre à l’interrogation soulevée. La formulation quelque peu « générale » de la demande du juge national a pu donner l’impression à la Cour qu’on « lui en demandait trop ». Et de fait, plutôt que solliciter d’elle qu’elle « désigne la juridiction compétente », le Conseil d’Etat aurait pu l’interroger sur le sens à donner à des normes, lui demander par exemple si telles dispositions devaient s’interpréter comme signifiant que telle juridiction est compétente – ou non - . Certes, concrètement, le résultat aurait été le même, l’opinion 1 L’auteur s’excuse de renvoyer à un ouvrage qu’il a écrit, et qui se rapporte à ces transformations institutionnelles. Il porte sur les « nouvelles » organisations d’intégration en général (Les mutations de l’intégration des Etats en Afrique de l’Ouest. Une approche institutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2006). 2 S’agissant de la Cour de la CEDEAO, nous avons pu nous procurer les décisions rendues jusqu’en 2009. Pour ce qui concerne la Cour de l’UEMOA, dont nous n’avons connaissance d’aucune publication systématique des arrêts depuis 2003, le travail n’a pu porter que sur les recueils de jurisprudence effectivement publiés, même si nous avons pu nous procurer quelques arrêts rendus postérieurement à cette date. - - délivrée par la Cour aurait conduit, comme dans la question effectivement posée, à désigner une juridiction compétente. Mais rien n’interdit au Conseil d’Etat de rester dans l’orthodoxie du renvoi préjudiciel, et de poser littéralement une question sur une norme communautaire nommément indiquée. Cette approche scrupuleuse, tatillonne même, aurait eu l’avantage non seulement de ne pas « effrayer » la Cour, mais d’ « enfermer » en quelque sorte celle-ci, pour l’ « obliger » à répondre. En matière judiciaire, la formulation des demandes est décisive ; d’elle dépend le sort de bien des requêtes. Quoiqu’il en soit, il est permis de penser que les juridictions nationales ne sont pas nécessairement rompues à cette technique du renvoi préjudiciel, la faiblesse du contentieux y donnant lieu ne les disposant pas, déjà, à se familiariser aux arcanes d’une procédure plus subtile qu’il n’y paraît. Au demeurant, la Cour elle-même semble faire allusion à une certaine hétérodoxie de la demande du juge sénégalais, quand elle relève que « la question telle qu’elle a été posée n’est pas une question préjudicielle de type classique prévue par l’article 12 du Protocole additionnel n°1 ». Le bilan du renvoi préjudiciel, dans la pratique juridictionnelle ouest-africaine, reste donc très mitigé. A la rareté des saisines des Cours, il faut ajouter les méprises enregistrées à l’occasion de la seule et unique mise en œuvre de cette procédure censée sceller la collaboration entre les juridictions nationales et les juridictions internationales. Peut-on en dire autant pour l’autre modalité de collaboration avec les juges de l’intégration, susceptible d’être déclenchée aussi bien par des organes des organisations que par les Gouvernements des Etats membres et qui est la procédure de consultation, c’est-à-dire la saisine pour avis ? Cette procédure devrait illustrer l’importance de la fonction juridictionnelle dans le processus d’intégration. Pourtant, non seulement les conditions de sa mise en oeuvre suscitent quelques interrogations, mais l’on a pu relever, en certaines occasions, une forme de bravade exprimée par des Etats ou des organes de l’organisation, à l’adresse de l’autorité juridictionnelle. La coopération entre celleci et les autorités politiques a certainement des progrès à accomplir. II – La collaboration avec les autorités politiques : la demande d’avis Dans le Traité de l’UEMOA comme dans celui de la CEDEAO, il est en effet prévu que la Cour de justice peut être saisie, pour avis, par un certain nombre d’autorités. Il s’agit, dans le premier cas, de la Commission, du Conseil des ministres, de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement3,- les Gouvernements des Etats membres n’étant pas en tant que tels mentionnés4 - et, dans le second cas, de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement, du Conseil des ministres, d’un ou de plusieurs Etats membres et du Président de la Commission5. Ce qui frappe cependant est d’abord la disproportion de l’usage de la procédure consultative, selon que l’on est dans l’une ou l’autre 3 Article 15 par.7 du Règlement de procédures de la Cour. En effet, il existe une dysharmonie des textes de l’UEMOA sur ce point : l’article 15 par.7 du Règlement de procédures ne mentionne pas les Gouvernements des Etats parmi les autorités citées, mais l’article 27 dernier alinéa des statuts de la Cour les cite bien… 5 Article 11 nouveau du Protocole relatif à la Cour. 4 organisation : huit Avis sur vingt interventions de la Cour à l’UEMOA6, un seul Avis sur treize interventions du juge communautaire en ce qui concerne la CEDEAO7. Mais ce sont surtout quelques méprises commisses par les acteurs de cette procédure qui pourraient inquiéter : - - - Il est arrivé que le Conseil des ministres demande à la Commission de saisir, pour son compte, la Cour pour avis, alors qu’il pouvait y procéder lui-même (Avis du 22 mars 1999 au sujet de l’interprétation de l’article 84 du traité de l’UEMOA) Il est arrivé qu’un Gouvernement, qui a pourtant le droit de saisir la Cour pour avis (art 27 dernier alinéa des statuts de la Cour) demande à la Commission de saisir la Cour sur un sujet qui le préoccupe (Avis du 18 mars 2003 sur la création d’une Cour des comptes au Mali) Il est arrivé que des Etats, devant la Cour de la CEDEAO, se trompent sur les procédures en vigueur devant le juge : un Etat a, à un stade de la procédure, au moins évoqué la possibilité d’ « interjeter appel » (arrêt Cour CEDEAO du 29 octobre 2007) ; un autre a parlé de la règle de l’ « épuisement des voies de recours internes », nullement concernée pourtant (arrêt Cour CEDEAO du 27 octobre 2008) Ces quelques exemples montrent bien que le droit sous régional en général, et les règles du contentieux en particulier, méritent d’être mieux connues, que leur pédagogie s’impose donc. L’insuffisante connaissance de celles-ci pourrait bien être un facteur explicatif de la lenteur d de la gestation d’un droit jurisprudentiel de l’intégration. 6 Il s’agit, encore une fois, des statistiques relatives aux décisions systématiquement publiées, c’est-à-dire rendues entre 1996 et 2004. 7 Il s’agit de l’Avis du 16 juin 2008 sur le renouvellement des mandats du Directeur général et de la directrice générale adjointe du GIABA.