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LES LIVRES ET LES IDÉES
The Blank Slate.The Modern
Denial of Human Nature
Par Steven Pinker
La « culture »,
un bagage génétique ?
D OMINIQUE G UILLO*
1 Steven Pinker,
The Blank Slate.
The Modern
Denial of Human
Nature, Londres,
Allen Lane,
Penguin Books,
2002, 509 pages.
Le psychologue Steven Pinker montre que ce que
l’on sait aujourd’hui sur le cerveau impose
d’abandonner l’idée selon laquelle nos esprits
seraient des « ardoises vierges » intégralement
façonnées par l’éducation et la culture. Ce que
nous attribuons à la culture est selon lui, pour
l’essentiel, l’expression de dispositions trouvant
leur siège dans nos systèmes neuronaux – dispositions en partie communes, en partie propres à
chaque individu. Si l’ouvrage1 a le mérite de
mettre en lumière les développements des neurosciences, sa défense radicale du néo-darwinisme
culturel est beaucoup moins convaincante.
2
Steven Pinker
est professeur
de psychologie
et directeur du
Centre de
neurosciences
cognitives du
MIT.
Sociétal
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D
’où viennent les émotions, le
sens moral, les facultés intellectuelles, les croyances religieuses,
notre capacité à nous mentir à
nous-mêmes, nos institutions, les
conduites violentes et criminelles,
les différences hommes/femmes ou
encore l’attachement aux enfants ?
Bref, quel est le fondement explicatif de la plupart des dispositions
et conduites observables dans les
diverses sociétés humaines ? Pour
Steven Pinker2, l’époque moderne
répugne à admettre, plus encore
regarde comme un véritable tabou,
la réponse que l’objectivité scientifique impose de donner à cette
question : ce qui fonde la majeure
partie de ce que nous sommes, c’est,
dit Pinker, la nature humaine, au sens
où l’entend aujourd’hui la biologie
néo-darwinienne.
Selon lui, le monde intellectuel
contemporain refuse d’admettre
cette idée parce qu’il est hanté par
* Chargé de recherche au CNRS, laboratoire GEMAS.
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le « modèle standard des sciences
sociales », une idéologie qui repose
sur trois hypothèses. La première,
qui vient de Locke, est l’idée selon
laquelle l’esprit humain serait à la
naissance une « ardoise vierge »
(Blank Slate), une tabula rasa, sur
laquelle l’éducation viendrait inscrire des facultés, des émotions ou
des dispositions susceptibles de
varier infiniment selon l’environnement socioculturel : en somme, rien
ne serait inné, tout serait acquis. La
seconde est l’idée rousseauiste du
« bon sauvage », d’un homme originellement pur de toute corruption : le mal viendrait des institutions
sociales, qui graveraient sur la cire
vierge de l’enfant des dispositions
parfois délétères. Réformées, ces
institutions pourraient donc permettre, selon cette doctrine, de
façonner un homme moralement
meilleur. La troisième, enfin, celle
du « fantôme dans la machine », provient du dualisme cartésien : l’esprit serait dans le corps comme un
machiniste dans une machine ; il le
guiderait à volonté, et n’obéirait à
aucun déterminisme physique. En
un mot, on ne pourrait expliquer
les phénomènes de l’esprit en les
ramenant aux mécanismes neuronaux. Ces trois idées, poursuit Pinker, sont certes bien distinctes.
Toutefois, elles ont des affinités mani-
LA « CULTURE », UN BAGAGE GÉNÉTIQUE ?
festes et, dans la pensée moderne
dominante, elles se renforcent l’une
l’autre pour former le socle d’une
idéologie tenace articulée autour
d’un même refus, d’un même déni :
le déni de l’existence d’une « nature
humaine » ancrée dans la biologie
de notre espèce.
tionnés pour la plupart chez nos
ancêtres chasseurs-cueilleurs du
pléistocène. Nos esprits seraient
constitués, selon Pinker, de « modules
mentaux » programmés dès la naissance pour répondre de façon spécifique à certaines sollicitations de
l’environnement. Ce véritable hardware serait le substrat de nombre
de traits que l’on retrouverait dans
UN ˙ HARDWARE ¨
toutes
les cultures : par exemple, la
DE DISPOSITIONS
«
grammaire
universelle », structure
NATURELLES
commune à toutes les langues mise
r, souligne Pinker, les connaisen évidence par Noam Chomsky,
sances accumulées par les
l’aversion pour l’inceste, le langage
sciences de la vie autorisent aujourdes expressions faciales, l’altruisme
d’hui à rejeter fermement ces trois
réciproque, la faculté d’établir des
hypothèses, et tout particulièrement
distinctions parmi les êtres vivants,
la première : l’esprit, dit ainsi Pinker,
certains algorithmes de calcul stan’est pas un « mastic stupide ». Pour
tistique ou probabiliste ou encore
le prouver, Pinker convoque quatre
les différents affects et émotions
disciplines, qui peuvent être
constitutifs du sens moral.
regardées, selon lui, comme Nos esprits
les piliers de la « nouvelle seraient
Certes, Pinker prend
science de la nature
bien soin de souligner
constitués
humaine » : les « sciences
à plusieurs reprises qu’il
cognitives », qui étudient les de « modules
ne nie pas l’importance
processus mentaux ; les mentaux »
du milieu et de la cul« neurosciences », dont
ture dans la formation
programmés
l’objectif est de décrire et
des traits individuels.
d’expliquer les modalités dès la naissance
Malgré tout, le champ
sous lesquelles les émo- et que l’on
d’application de la
tions et la cognition sont
« science de la nature
retrouverait
inscrites dans le cerveau ;
humaine » paraît fort
la « génétique comporte- dans toutes
étendu. Il ne se borne
mentale », qui étudie la les cultures.
p a s a u x u n i ve r s a u x
manière dont les gènes
t r a n s c u l t u re l s : l e s
affectent le comportement ; et, enfin,
gènes, à travers les circuits neula « psychologie évolutionniste », qui
ronaux qu’ils commandent,
vise à rendre raison de l’histoire évoseraient également au fondement
lutive de l’esprit humain. Ces discide nombre de différences séparant
plines, ajoute Pinker, ont jeté
les êtres humains. Les états psyd’innombrables « ponts » entre la
chopathiques, les différences de
nature et la culture, et ont fait tompersonnalité (par exemple l’attiber le « dernier mur », d’origine relitude face au danger), les différences
g i e u s e o u m é t ap hy s i q u e , q u i
de facultés intellectuelles entre les
interdisait que l’on unifie l’ensemble
individus ou encore le penchant
du savoir scientifique en l’appliquant
pour le viol s’expliqueraient, pour
à toutes choses, y compris l’esprit
une bonne part, selon Pinker, par
humain.
des différences innées. Autre
exemple abondamment développé
Ainsi ces sciences ont-elles montré
dans l’ouvrage, les différences entre
que ce que l’on appelle la culture
les sexes : en particulier, les
n’est, pour l’essentiel, que l’expreshommes seraient, en moyenne,
sion de dispositions trouvant leur
plus agressifs, plus souvent dyssiège dans des circuits de neurones
lexiques, « se débrouilleraient un
commandés par des gènes sélecpeu mieux mentalement avec les
O
objets en rotation et les cartes ;
tandis que les femmes se remémoreraient un peu mieux les paysages et les positions d’objets ».
NE PAS CONFONDRE
SCIENCE ET MORALE
P
inker n’entend pas seulement
montrer la fausseté de la théorie de la « cire vierge » et la valeur
explicative de la « nouvelle science
de la nature humaine ». Il consacre
également une très large partie de
son ouvrage à soutenir que, contrairement à une idée répandue, la
conception de l’esprit comme tabula
rasa peut avoir des conséquences
politiques et morales dangereuses :
elle ouvre la voie, dit-il, à toutes les
idéologies et ingénieries sociales
qui, au nom de la fabrication d’un
homme nouveau, brident la libre
expression des désirs et dispositions
de l’individu, à l’exemple du stalinisme, de l’architecture de Le Corbusier, du féminisme radical, des
politiques de quotas ethniques et
sexuels ou encore de la psychiatrie
et des sciences de l’éducation d’inspiration béhavioriste.
Corrélativement, Pinker consacre
de longs développements à montrer
que les craintes suscitées par l’idée
de « nature humaine » sont injustifiées : à ses yeux, la discrimination,
l’oppression, le fatalisme politique,
le nihilisme, la déresponsabilisation
des individus, l’abandon du féminisme
ou encore l’acceptation du niveau
actuel de violence ne sont absolument pas des conséquences nécessaires de la reconnaissance de
l’existence d’une nature humaine.
Pourquoi ? En particulier, dit Pinker,
parce que la science diffère de la
morale. Celle-ci n’est pas déduite
de celle-là : on peut à la fois constater l’existence de telle ou telle disposition génétique dans l’humanité
et la condamner moralement. Au
total, Pinker paraît plaider en faveur
d’un humanisme libéral dont l’idéal
serait de minimiser les souffrances
dans la société par l’intervention de
l’Etat, tout en laissant une liberté suf-
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LES LIVRES ET LES IDÉES
fisante pour permettre la réalisation
des potentialités et désirs inscrits
dans chaque nature individuelle.
Cet ouvrage, dense, écrit d’une
plume alerte et non dénuée
d’humour, est riche en éléments
empiriques, en hypothèses et en
arguments suggestifs, parfois d’une
incontestable profondeur. Le lecteur français sera d’autant plus sensible à ces informations qu’elles ne
sont généralement guère accessibles
dans la littérature hexagonale, en
particulier en sciences humaines :
de ce côté-ci de l’Atlantique, sans
doute plus qu’ailleurs, la défiance
est grande à l’égard des vues élaborées dans le sillage des sciences
de la vie et, plus encore, du darwinisme. Aussi est-ce assurément avec
profit et intérêt qu’on lira les passages consacrés à la présentation
des savoirs récemment acquis, en
particulier, sur le cerveau humain
et ses facultés, les émotions et le
comportement.
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de bien distinguer dans l’argumentation : en particulier, il ne suffit pas
de mettre au jour les faits qui attestent la vacuité de la thèse de
l’« ardoise vierge » pour être en droit
de considérer que l’on a réfuté l’ensemble des arguments développés
en sciences sociales sur l’esprit
humain et la culture, ni pour considérer que la théorie néo-darwinienne de la culture, telle que l’entend
Pinker, est validée.
L INN N EXPLIQUE
PAS TOUT
C
’est pourtant manifestement
ce que fait Pinker.Tout d’abord,
il ramène les arguments développés en sciences sociales à un
constructivisme culturaliste radical, c’est-à-dire à l’idée selon laquelle
la culture constituerait un monde
ontologiquement à part, façonnant
intégralement les esprits individuels
sous des formes infiniment variables
selon les sociétés. Ensuite, il réfute
ce modèle – à vrai dire sans difficulté, tant il est fragile. Enfin, il en
Toutefois, pour récolter cette moisconclut que la pauvreté manifeste
son, il faudra la dégager d’une gangue
de cette théorie impose de reconargumentative dont la forme et
naître que la culture
le contenu laissent souhumaine est un ensemble
vent un peu perplexe et Montrer la
de dispositions adaptasoulèvent quelques ques- faiblesse du
tives inscrites dans les
tions ou difficultés impor«tout culturel»
circuits neuronaux et
tantes. L’objectif poursuivi
sélectionnées par la
par l’auteur dans cet et de la théorie
nature chez nos ancêtres
ouvrage est en effet assez de l’« ardoise
du pléistocène. Même s’il
ambigu : s’agit-il de
vierge » est
souligne dans plusieurs
défendre une théorie (la
passages l’impossibilité de
théorie néo-darwinienne assurément
ramener intégralement
de l’esprit et de la nature utile, mais, en
les différences entre les
humaine), de présenter les
se cantonnant à
cultures aux dispositions
faits les plus récents mis
génétiques de la nature
au jour dans une série de cette critique,
humaine, dans l’ensemble,
disciplines (les sciences Pinker se
il semble souvent
cognitives, les neurosconstruit un
défendre une version
ciences et la génétique du
assez radicale de cette
comportement), ou de adversaire bien
théorie néo-darwinienne.
réfuter une théorie jugée pâle.
très largement dominante
Or montrer la faiblesse du construcdans le monde intellectuel contemtivisme culturaliste extrême est
porain, en particulier dans les sciences
assurément utile, tant il est indésociales et la psychologie (la théoniable que cette théorie est aujourrie de l’esprit humain comme
d’hui répandue, et que la conception
« ardoise vierge ») ? Ce sont là trois
de l’esprit comme tabula rasa a pu
problèmes différents, qu’il convient
inspirer, parfois, des politiques aux
conséquences dramatiques. Mais en
se cantonnant à la critique de cette
doctrine, Pinker se construit un
adversaire bien pâle, qui est fort loin
de représenter le noyau dur des
thèses les plus solides proposées
en sciences sociales.
Tout d’abord, contrairement à ce
que dit Pinker, les arguments en
faveur d’une autonomie épistémologique de l’étude des phénomènes
sociaux et culturels ne se réduisent
pas à l’hypothèse de la « cire
vierge ». On peut ainsi très bien
admettre, comme le soulignent une
bonne partie des pères fondateurs
de la sociologie, en particulier
Auguste Comte, Herbert Spencer,
Emile Durkheim ou encore Vilfredo
Pareto, qu’il y a des dispositions individuelles naturelles, innées, et, dans
le même temps, reconnaître que les
phénomènes socioculturels dessinent un champ d’investigation spécifique. Pour cela, il suffit simplement
d’admettre, comme le dit Spencer,
que l’on ne peut pas déduire et prédire l’ensemble des faits sociaux
observables, par exemple, le
contenu des croyances, des pratiques et des institutions à partir
de ce que l’on sait sur la nature
humaine. Les données de celle-ci
sont assurément nécessaires, du
moins importantes ; mais elles ne
sont pas suffisantes.
Prenons l’exemple de l’agressivité
ou de la violence, dispositions fréquemment évoquées par Pinker. Il
est possible que certains individus
soient naturellement disposés à être
plus violents que d’autres, que le
degré d’agressivité soit en partie lié
à des causes neurophysiologiques.
Mais cette hypothèse, à supposer
qu’elle soit vérifiée, ne permet manifestement pas d’expliquer – et pourtant, c’est bien souvent ce qu’il nous
importe de savoir – les écarts de violence ou d’agressivité très sensibles
que l’on peut observer d’une société
à l’autre. Par ailleurs, une disposition à l’agressivité peut trouver à
s’exprimer dans diverses carrières
LA « CULTURE », UN BAGAGE GÉNÉTIQUE ?
sociales : le crime, mais aussi peutêtre la carrière militaire, la boxe, etc.
Et réciproquement, une même activité peut être le terrain d’expression de penchants ou de dispositions
très variés. De sorte qu’il n’y pas de
correspondance parfaite entre la
table des dispositions, des facultés,
d’une part, et celle des institutions,
des pratiques, d’autre part. Ce n’est
pas à dire, bien entendu, qu’il n’y a
aucun lien entre les deux plans. Simplement, ce lien est assurément plus
complexe que ne le suggère souvent
Pinker.
UN N O-DARWINISME
TROP RADICAL
P
ar ailleurs, si la sélection naturelle a doté les êtres humains
d’une faculté, au moins partielle, de
rationalité, nombre de conduites et
de croyances peuvent être regardées non pas comme le produit de
dispositions instinctuelles, mais
comme des adaptations conscientes,
susceptibles d’être révisées le cas
échéant en fonction des besoins :
pour le dire sous une forme lapidaire, si l’on vaccine aujourd’hui les
individus contre telle ou telle maladie, ce n’est pas parce qu’il y a une
disposition instinctuelle à vacciner,
mais parce que l’on a compris que
cela permettait d’augmenter les
chances de survie. Il en va de même
pour la faculté d’imitation, ou, si l’on
veut, la tendance à endosser le comportement d’autrui ou d’individus
charismatiques. Cette faculté rend
possible la propagation de conduites,
voire d’institutions, qui ne sont pas
directement ancrées dans les gènes,
puisqu’elles sont acquises. On ne
peut donc pas écarter l’hypothèse
selon laquelle l’émergence de ces
deux facultés chez l’homme – mais
on pourrait sans soute en évoquer
d’autres, comme la faculté symbolique – est susceptible de donner une
autonomie relative aux phénomènes
culturels humains.
Or Pinker, tout entier concentré sur
la critique de la tabula rasa, s’attarde
peu sur ces hypothèses, même si,
quer de donner aux vues qu’il
ça et là, il leur reconnaît une impordéfend un caractère parfois assez
tance dans l’explication de certaines
radical. Perdant en nuances, son
différences culturelles. En particupropos perd également en force
lier, il reste silencieux sur la fameuse
de conviction.
théorie des « mèmes » de
Richard Dawkins, alors Les facultés
Pinker suit ainsi une ligne
qu’il cite et défend volon- d’adaptation et
tiers ce fondateur de la
argumentative qui appad’imitation, qui
sociobiologie animale3.
raît, au total, curieuseCette théorie de l’auto- rendent possible
ment,
comme
le
nomie de la culture, pour- la propagation
symétrique de celle que
tant proposée par un fin
l’on retrouve dans de
de conduites
connaisseur et fervent
nombreux ouvrages écrits
défenseur du néo-darwi- acquises,
en sciences sociales
nisme, doit-elle également peuvent donner
contre le néo-darwiêtre rejetée, et pour
nisme. Organisée autour
une autonomie
quelles raisons ?
de la critique d’un adverrelative aux
saire auquel est prêtée
Enfin, l’auteur ne s’attarde phénomènes
une théorie assez radicale
guère davantage sur un
et simpliste, dont sont
culturels.
argument central évoqué
dénoncés à la fois la
par les sciences sociales
faiblesse scientifique, le
et la philosophie contre le naturacaractère idéologique, et les implilisme, et qui a donné lieu à une litcations politiques, cette ligne argutérature fort abondante, au contenu
mentative contourne ou esquive de
riche et complexe : les phénomènes
nombreuses questions essentielles
humains s’expliqueraient par des
posées aujourd’hui sur le rapport
raisons, et seraient ainsi irréductibles
entre nature et culture. Pourtant,
à des causes naturelles4.
comme les ouvrages sociologiques
ou anthropologiques qui critiquent
En somme, Pinker laisse largement
le naturalisme néo-darwinien, ce livre
dans l’ombre les critiques les plus
devient riche et intéressant lorsque
élaborées et profondes qui ont été
sont exposés les faits, les arguments
adressées depuis une trentaine
et les hypothèses proposés dans le
d’années aux diverses variantes
champ d’investigation propre de l’audu néo-darwinisme5. Certes, il est
teur, c’est-à-dire ici les neurostout à fait possible que les théociences, les sciences cognitives et
riciens néo-darwiniens aient des
l’éthologie.
arguments à faire valoir contre ces
critiques ou nuances. Simplement,
En somme, comme souvent sur ces
on peut regretter qu’ils ne soient
thèmes hautement polémiques, le
pas développés par Pinker, dont
lecteur devra trier entre les argul’essentiel des efforts est consaments qui relèvent de l’affrontement
cré à ferrailler contre une thèse
idéologique et les vues dont l’intéqui, du strict point de vue intelrêt est indéniable. l
lectuel, ne mérite sans doute pas
autant d’attention.
Parce qu’il délaisse ces questions
essentielles, notre auteur peine
à convaincre le lecteur de la solidité de la théorie naturaliste de
la culture qu’il propose ; et,
en construisant la légitimité de
sa conception de l’homme en
contrepoint de la théorie de
l’« ardoise vierge », il ne peut man-
3
Dawkins propose
une théorie dans
laquelle la
dynamique
culturelle est
présentée comme
un processus de
diffusion analogue,
dans ses principes
généraux, à celui
des gènes, mais
totalement
indépendant d’eux,
la propagation des
idées se faisant
principalement par
imitation : Richard
Dawkins, The Selfish
Gene, Oxford,
Oxford University
Press, 1989, chap.
XI.
4
On trouvera une
présentation très
éclairante et précise
de ces débats et de
leurs enjeux dans
P. Engel, Philosophie
et psychologie, Paris,
Gallimard, coll.
« Folio », 1996.
5
Sur les critiques
formulées par une
partie des
biologistes de
l’évolution, on
pourra se reporter
à Ernst Mayr, What
Evolution Is, New
York, Basic Books,
2001 [et au
commentaire que
lui a consacré
Dominique Guillo
dans Sociétal, n° 37,
2002-3, NDLR].
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