Rétention d`œufs chez les Psittacidés
Transcription
Rétention d`œufs chez les Psittacidés
N 318-EXE_Mise en page 1 31/01/14 11:23 Page24 CAS CLINIQUE Rétention d’œufs chez les Psittacidés Traitement médical et chirurgical Les rétentions d’œufs sont assez fréquentes chez les oiseaux. À partir de deux cas cliniques impliquant deux espèces différentes, nous nous proposons d’envisager l’abord médical et chirurgical de ces affections qu’il convient de reconnaître précocement mais dont le pronostic est habituellement bon. Cas n°1 l’examen à distance confirme les difficultés respiratoires caractérisées par des battements de queue synchrones de la respiration. © CHV Atlantia Une perruche callopsitte (Nymphicus hollandicus) femelle de sept ans est présentée en consultation pour dyspnée. Depuis trois jours, elle est abattue et se frotte le cloaque sur ses perchoirs. les propriétaires rapportent également un « décrochement » de la queue. l’appétit et le transit sont cependant normaux. 2 Ovocentèse échoguidée. d’ocytocine (2 Ui/kg), une injection de gluconate de calcium à 100 mg/kg et un implant de desloréline (suprelorin® 4,7) est posé dans le muscle pectoral. trente minutes après l’administration d’ocytocine, la perruche expulse le reste de l’œuf ponctionné. Lauriane Devaux Docteur vétérinaire Praticien au Centre Hospitalier Vétérinaire Frégis 94110 ArCUeil l’oiseau est revu trois jours plus tard en contrôle. l’état général de l’animal est bon et aucune crise de dyspnée n’est rapportée depuis la dernière consultation. Un nouvel œuf a été expulsé la veille au soir et l’échographie révèle la présence d’un ovocyte de 5 mm de diamètre sur la grappe ovarienne. il n’est pas revu lors du contrôle échographique la semaine d’après. 1 Radiographie du corps entier, noter l’élargissement de la masse viscérale réduisant largement l’espace des sacs aériens abdominaux. Emmanuel Risi Docteur vétérinaire CHV Atlantia 44200 NANtes Une radiographie (photo 1) est réalisée après une anesthésie flash à l’isoflurane et révèle un élargissement de la masse viscérale (perte de la forme en sablier de la silhouette cœur/foie) associé à une diminution importante du volume des sacs aériens abdominaux. Une échographie abdominale met en évidence la présence d’un œuf de 2 cm de diamètre, non calcifié, se situant dans l’oviducte. la grappe ovarienne et d’éventuels œufs supplémentaires ne sont pas visualisés. Une ponction échoguidée de l’œuf (photo 2) est réalisée à l’aide d’une seringue de 1 ml sertie d’une aiguille de 25 gauges. l’œuf est partiellement vidé. la perruche reçoit ensuite une injection intramusculaire © CHV Atlantia Cas n°2 Samuel Sauvaget Docteur vétérinaire Clinique Vétérinaire Massilia 13012 MArseille Un ara chloroptère (Ara chloroptera) femelle de six ans est présenté chez son vétérinaire traitant pour de l’apathie et une dyspnée évoluant depuis 48 heures. elle vit dans une volière extérieure avec un mâle de la même espèce. le propriétaire rapporte de nombreux accouplements dans les semaines précédentes. Une radiographie et une biochimie sanguine sont pratiquées. les anomalies relevées sont un élargissement de la silhouette cœur/foie et une hypercalcémie (non mesurable par l’automate). l’animal est référé pour diagnostic le jour même. Une échographie de la cavité cœlomique est réalisée sous anesthésie générale à l’isoflurane. elle révèle la présence d’un œuf non calcifié dans l’oviducte. Ainsi l’hypercalcémie mise en évidence précédemment est compatible avec le début de la phase de calcification de la coquille. Une ponction échoguidée de l’œuf a permis de réduire sa taille d’un tiers (photos 3 et 4). N°318 du 6 au 12 février 2014 24 N 318-EXE_Mise en page 1 31/01/14 11:24 Page25 4 6 Échographie du cœlome. Aspect de l’œuf après l’ovocentèse. Aspiration du contenu de l’œuf après l’avoir cassé dans l’oviducte. Malgré deux injections d’ocytocine (2 UI/kg en IM) à 2 heures d’intervalles, et une injection de gluconate de calcium (100 mg/kg en IM), l’œuf visualisé à l’échographie n’est pas expulsé. (Suprelorin® 4,7) est posé dans le muscle pectoral. La douleur postopératoire est gérée par du butorphanol (1 mg/kg en IM toutes les 6 heures) pendant 48 heures. Une injection intramusculaire de méloxicam est également réalisée à 0,5 mg/kg deux fois par jour pendant 48 heures puis par voie orale pendant 5 jours. L’oiseau est gavé deux fois par jour avec une bouillie de réalimentation pendant 3 jours avant la reprise de l’alimentation spontanée. L’option chirurgicale est alors proposée au propriétaire. L’oiseau est prémédiqué au butorphanol à 1 mg/kg et au midazolam à 1 mg/kg en intramusculaire. L’anesthésie est induite au sévoflurane à 5 % et maintenue, après intubation, au sévoflurane entre 3,5 et 4 %. L’animal est placé en décubitus dorsal et une incision de 3 cm est réalisée 1,5 cm au-dessus du cloaque. L’oviducte est visualisé et inspecté. Sa paroi est friable et très amincie, une salpingectomie partielle est donc préférée à une césarienne. L’œuf étant localisé profondément dans l’abdomen, la partie lésée du conduit est retirée dans un premier temps afin d’avoir une meilleure visibilité. Deux clamps sont placés en aval de l’œuf et sur la partie proximale de l’utérus afin d’individualiser la portion lésée et permettant l’exérèse de l’oviducte (photo 5). Un surjet simple est réalisé sur les deux extrémités sectionnées au monofilament résorbable 4-0. La partie proximale du conduit contenant l’œuf est ensuite extériorisée. Une incision de la paroi en marge saine est réalisée en regard de l’œuf. Celui-ci étant très adhérent à la paroi de l’oviducte, la coquille est percée afin de le vider de son contenu (photo 6). Cela permet de faciliter son extraction et de préserver la muqueuse de l’oviducte. La paroi est ensuite suturée à l’aide d’un surjet enfouissant au monofilament résorbable. Avant de réveiller l’animal, un implant de desloréline © CHV Atlantia Exérèse de la portion lésée de l’oviducte. © CHV Atlantia Échographie du cœlome. Aspect de l’œuf non calcifié avant l’ovocentèse. 5 © CHV Atlantia 3 © CHV Atlantia NAC Il est rendu à ses propriétaires une semaine après la chirurgie. Un suivi téléphonique a lieu 10 jours après la sortie d’hospitalisation. L’animal est en bon état général et mange normalement. La plaie de chirurgie est correctement cicatrisée et les points sont retirés chez le vétérinaire traitant. Discussion Rappels anatomiques et physiologiques L’appareil reproducteur femelle de l’oiseau est composé d’un unique ovaire, situé à proximité du pôle crânial des reins et des glandes surrénales. Il est fermement attaché à la paroi dorsale du cœlome par un ligament suspenseur. Ces caractéristiques font de l’ovariectomie une intervention difficile et risquée. L’oviducte est divisé en cinq segments ayant chacun un rôle dans la fabrication et l’expulsion de l’œuf : l’infundibulum, le magnum, l’isthme, l’utérus et le vagin1, 2. La durée de transit de l’œuf dans l’oviducte varie selon les N°318 du 6 au 12 février 2014 25 N 318-EXE_Mise en page 1 31/01/14 10:12 Page26 CAS CLINIQUE espèces. Elle est de 24 heures chez la poule et chez la plupart des oiseaux de compagnie. Cependant, des variations individuelles sont possibles au sein d’une même espèce2. La rétention d’œuf est l’incapacité de l’œuf à parcourir l’oviducte à une vitesse normale. La variabilité de la durée de transit de l’œuf complique donc le diagnostic d’un éventuel problème de ponte. Cette situation est à différencier de la dystocie qui est un état pendant lequel le transit de l’œuf en formation est interrompu dans la partie caudale de l’oviducte et qui peut causer une obstruction du cloaque ou un prolapsus de l’oviducte dans le cloaque1, 2. Les dystocies sont plus fréquentes chez les petites espèces (inséparables, callopsittes, conures…)2. Bibliographie 1- Harcourt-Brown NH, Chitty J. BSAVA manual of Psittacine birds. 2nd ed. Gloucester : British Small Animal Veterinary Association ; 2005. 2- Ritchie BW, Harrison GJ, Harrison LR. Avian medicine : Principles and application. Delray Beach : HBD International ; 1999. 3- Harcourt-Brown NH. Torsion and displacement of the oviductas a cause of egg-binding in our psittacines birds. J Avian Med Surg. 1996 ; 10 : 262-267. 4- Mans C, Sladky KK. Clinical management of an ectopic egg in a Timneh African grey parrot (Psittacus erithacus timneh). J Am Vet Med Assoc. 2013 ; 242 : 963-968. 5- Petriz OA et coll. Evaluation of the efficacy and safety of single administration of 4.7-mg deslorelin acetate implants on egg production and plasma sex hormones in Japanese quail (Coturnix coturnix japonica). Am J Vet Res. 2013 ; 74 : 316-323. 6- Keller KA et coll. Longterm management of ovarian neoplasia in two cockatiels (Nymphicus hollandicus). J Avian Med Surg. 2013 ; 27 : 44-52. Pathogénie et tableau clinique L’origine de la rétention d’œuf est souvent multifactorielle. Elle peut découler de problèmes de maintenance comme des carences alimentaires (hypocalcémie, carences vitaminiques), de l’obésité, un manque d’exercice, un environnement inadapté. Une affection de l’appareil génital, une maladie systémique ou une anomalie génétique peuvent aussi être mises en cause. Les dystocies peuvent être également consécutives à de la reproduction hors saison, à une persistance kystique de l’oviducte droit ou se produire chez les femelles lors de leur première ponte1, 2. Quelques cas de dystocies dues à une torsion de l’oviducte ont également été décrits3. Dans les deux cas décrits précédemment, les examens complémentaires mis en œuvre n’ont pas permis de mettre en évidence une quelconque origine aux rétentions. De nombreuses complications peuvent se produire. Lorsque l’œuf reste bloqué au niveau du bassin pendant une longue période, il est possible d’être confronté à une compression des nerfs et des vaisseaux pelviens et rénaux évoluant vers des troubles circulatoires, un choc ou une paralysie des membres postérieurs. Lorsque le cloaque est comprimé jusqu’à l’obstruction, des troubles métaboliques graves peuvent apparaître. Enfin, l’oviducte peut, à terme, nécroser et se rompre, libérant son contenu dans le cœlome1, 2. Le tableau clinique varie en fonction de la taille de l’oiseau et dépend de la gravité des éventuelles complications. D’une manière générale, l’oiseau est prostré, peut refuser de se percher et il présente des troubles respiratoires (tachypnée, dyspnée, battement de queue synchronisé avec la respiration). La fréquence d’émission des fientes peut être diminuée et leur volume augmenté. Une parésie ou une paralysie des membres postérieurs est aussi possible1, 2. Dans les cas graves de dystocie, une coloration blancbleuté des pattes indique que la vascularisation est compromise. Une intervention immédiate est alors requise1. Prise en charge de l’animal Le diagnostic passe par une radiographie ou une échographie. Lors de la radiographie il est nécessaire de faire apparaître les os long sur le cliché. Une décalcification NAC de ces os suggère une mobilisation du calcium pour la production de la coquille et traduit une hypocalcémie initiale. L’échographie permet de mettre en évidence les œufs non calcifiés, un œuf ectopique et d’éventuelles anomalies des voies génitales ou d’autres organes abdominaux. Une numération formule et/ou une biochimie sanguine peuvent être proposées afin de diagnostiquer d’éventuelles complications1. L’étape la plus importante dans la prise en charge d’un oiseau dystocique est la stabilisation de l’animal (réhydrater, réchauffer, oxygéner)1, 2. L’extraction de l’œuf est réalisée dans un deuxième temps. Elle commence systématiquement par une injection intramusculaire de gluconate de calcium2 (100 mg/kg). Le traitement médical doit être tenté en premier lieu si les voies génitales sont intactes. L’application locale de gel de prostaglandines (PGE2) lorsqu’il est disponible (0,1 ml/100 g de poids vif) au niveau du sphincter vaginal permet une expulsion de l’œuf dans les 15 minutes s’il n’y a aucune adhérence 1. Ce gel étant réservé à l’activité hospitalière humaine, il est difficile de s’en procurer. De l’ocytocine (2 UI/kg/2 h en IM) peut être administrée conjointement pour stimuler la contraction de l’oviducte mais cette molécule présente certains effets secondaires (effets cardiovasculaires, contractions douloureuses des muscles lisses)1, 2. Les prostaglandines PGF2a (0,010,2 mg/kg) sont plus efficaces sur la contraction des fibres musculaires lisses des oiseaux. Les effets secondaires sont moins importants mais elles doivent être systématiquement utilisées en association avec une molécule dilatant le sphincter vaginal afin d’éviter une rupture des voies génitales1. Si l’oviposition n’a toujours pas eu lieu dans les 2 à 14 heures suivant le début du traitement médical, il convient de passer à des méthodes plus invasives : taxis externe, ovocentèse, laparotomie1. La méthode chirurgicale est le dernier recours lors d’une rétention d’œuf ou d’une dystocie, mais c’est la solution de choix lors du diagnostic d’un œuf ectopique (développement d’un œuf hors de l’oviducte, dans la cavité cœlomique)4. Selon l’état des voies génitales on procède à une césarienne ou à une salpingectomie. Chez les psittacidés ayant subi cette intervention, l’activité ovarienne régresse le plus souvent et l’ovaire entre en état de quiescence. En effet, la sécrétion de certaines hormones par l’oviducte régit l’activité de l’ovaire (fabrication des ovocytes, ovulation). Dans l’hypothèse où l’intégralité du salpinx n’est pas retirée lors d’une telle chirurgie, il est donc nécessaire de conseiller la stérilisation de l’animal. L’ovariectomie complète étant une intervention dangereuse, la stérilisation chimique est une bonne alternative1, 2, 5, 6. Des études récentes montrent une durée d’efficacité variable selon les espèces. En théorie, un suivi échographique régulier de l’activité ovarienne est un bon moyen de détecter approximativement le moment où l’implant n’est plus fonctionnel et doit être remplacé. En pratique un nouvel implant peut être mis en place tous les 5 à 6 mois6. n N°318 du 6 au 12 février 2014 26