Les parents avouent la mort de Loan, victime de violences

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Les parents avouent la mort de Loan, victime de violences
FAITS DIVERS
Aujourd’hui en France
Lundi 1er septembre 2014
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Les parents avouent la mort
de Loan, victime de violences
ENQUÊTE. Christelle Mourlon et Cédric Danjeux ont reconnu avoir menti. Leur bébé de 4 mois n’a pas été enlevé.
Le couple l’avait enterré près d’un étang dans la Creuse. Peu de temps avant, il avait subi des maltraitances.
La réaction
d’une avocate
spécialisée
n
Christelle Mourlon, la mère de Loan. (DR.)
LE SCÉNARIO de l’enlèvement du
petit Loan imaginé par ses parents a
vite volé en éclats. Quelques heures
après leur placement en garde à vue
samedi soir, ils craquaient face aux
gendarmes de la section de recherches de Limoges (Haute-Vienne) qui
les ont conduits, pas à pas, vers des
aveux rapides, grâce à une approche
psychologique très étudiée.
Christelle Mourlon, 24 ans, et Cédric Saint-Sulpice-les-Champs (Creuse), hier. C’est près de cet étang qu’a été retrouvé le corps de Loan, enfoui dans un sac plastique.
Danjeux, 30 ans, ont admis que le petit
garçon « avait été victime de violen- provisoire au petit Loan. Son cadavre plus liés que ce qu’ils veulent bien cet enfant. » Le petit Loan était sans
ces », sans doute plusieurs jours avant était enfoui dans un sac en plastique à nous dire », décrypte le procureur. doute, au vu de son état de santé, « un
qu’ils ne déclarent la disparition de proximité de l’étang de la Salma, au Quant à la date exacte de la mort du bébé en difficulté, très solliciteur pour
l’enfant, enlevé selon leur témoignage lieu-dit de la Morlaix, que l’on atteint nourrisson, le magistrat a assuré être des parents dont l’exaspération a été
initial par un mystérieux inconnu le au bout d’un chemin pierreux. « Ils incapable de la donner, précisant atteinte et certainement débordée ».
27 août, à la base de loisirs de Chéné- disent l’avoir enterré tous les deux », seulement que les « faits dataient de « L’enfant pleurait trop » pour ses parailles où le couple
explique Sébastien bien avant le mercredi, jour de la dé- rents, selon le magistrat. Enfin, le mapassait la soirée. Le
Farges, le procureur claration de disparition de l’enfant ». gistrat a indiqué qu’à deux reprises
corps du bébé de « Les rôles de l’un et de de la République de
Pour le procureur, l’enfant est décé- des témoins ont fait état de violences
4 mois a été retrou- l’autre sont beaucoup plus Guéret. « Ils sont en- dé à la suite de « violences volontaires subies par cet enfant opéré début juilvé, hier, enterré à liés que ce qu’ils veulent suite rentrés à leur ayant entraîné la mort sans intention let d’une malformation de l’aorte.
proximité d’un
domicile et ont éla- de la donner ». Il ne voit pas, en effet, Quant aux services sociaux, il a estibien nous dire »
étang, sur les indiboré un scénario », a « de volonté immédiate d’homicide ». mé qu’ils « sont allés jusqu’au bout de
Sébastien Farges, procureur
cations des paprécisé le magistrat. Et il réfute l’argument d’une « puni- ce qu’ils pouvaient faire ».
de la République de Guéret
rents, entendus
« Le père s’attri- tion qui a mal tourné », avancé par le
Hier soir, les gendarmes tentaient
tous deux séparément. Leur garde à bue des violences déterminantes père selon une source proche de l’en- encore d’établir une hiérarchie des
vue a été prolongée.
dans la mort de l’enfant. La mère quête. « Je ne peux pas parler de puni- responsabilités de chacun. Une autopC’est un étang privé fermé par une confirme peu ou prou ce scénario, tion envers un enfant de 4 mois », sie de l’enfant aura lieu ce matin. Cette
grille, perdu au milieu de la campagne mais on peut aujourd’hui se poser des tranche le magistrat avant de revenir affaire sera désormais confiée au pôle
bocagère paisible de Saint-Sulpice-les- questions sur son implication. Les rô- sur les parents : « Ils ont eu des gestes d’instruction criminelle de Limoges.
Champs, qui a donc servi de sépulture les de l’un et l’autre sont beaucoup déplacés qui ont conduit à la mort de
JEAN-MARC DUCOS
(AFP/Thierry Zoccolan.)
Saint-Sulpice-les-Champs (Creuse)
De notre envoyé spécial
Pénaliste depuis vingt et un
an, Isabelle Steyer est
spécialisée dans les affaires
familiales. Femmes victimes d’abus
sexuels, violences conjugales,
enfants maltraités : cette avocate
parisienne a une longue expérience
de ce type de dossier. Forcément,
elle a suivi l’affaire du petit Loan et
ses développements. Et le mot de
« punition » qu’aurait employé le
père du bébé pendant sa garde à
vue l’a interpellée. « Si cet homme a
parlé de punition pour un bébé de
4 mois, ce serait une explication
inédite. Dans les affaires de
maltraitances graves sur de jeunes
enfants, je n’ai jamais vu ou
entendu ça. Evoquer une punition
pour un nourrisson aussi jeune, ça
n’a pas de sens », commente
Me Steyer. Ce mot lui rappelle en
tout cas le martyr du petit Bastien,
cet enfant de 3 ans que son père
avait mis dans une machine à laver,
en 2011 en Seine-et-Marne, pour le
punir au motif qu’il était turbulent à
l’école.
Dans les dossiers similaires qu’elle a
traités, les couples impliqués dans
le décès de leur enfant ne
« reconnaissent presque jamais
avoir souhaité sa mort », relève
encore la pénaliste. « Ils parlent
souvent d’accident », ajoute
Me Steyer qui retrouve, au vu des
premiers éléments rapportés sur le
couple de la Creuse, certains traits
communs aux parents maltraitants.
« Au bout d’un moment, une femme
victime de violences conjugales ne
peut plus se protéger, ni protéger
son enfant, elle ne peut plus rien
endiguer. Mais il faudra attendre la
suite de l’enquête pour en savoir
plus sur le rôle de chacun. »
GEOFFROY TOMASOVITCH
« Ce sont des bourreaux, c’est indigne »
Laurence Bouchet-Dionnet, grand-mère du petit Loan
(LP/Jean-Marc Ducos.)
Crocq (Creuse)
De notre envoyé spécial
Crocq (Creuse), hier. La grand-mère de
Loan est sous le choc de sa terrible mort.
ELLE PRESSENTAIT LE PIRE
dès le début de l’affaire. Et elle avait
vite deviné le mensonge bancal mis
au point par sa fille, Christelle, et
son compagnon, Cédric Danjeux.
Mais, hier, lorsqu’elle a appris que
son petit-fils, Loan, 4 mois, avait été
retrouvé mort et enterré, un enfant
qu’elle n’a jamais vu ou pu serrer
dans ses bras, cette jeune grandmère a porté la main à la poitrine,
incapable de respirer. Debout dans
sa cuisine, la main appuyée sur un
vieux bahut, le souffle coupé au
point de pâlir. Christelle, sa fille,
avec laquelle les relations étaient
difficiles, ne l’avait même pas infor-
mé de la naissance de ce petit gar- Mais comment une mère n’a-t-elle
çon, le 3 avril dernier…
pas pu empêcher cela ? Quand je
Laurence Bouchet-Dionnet, pense que lorsqu’elle est venue à la
44 ans, avoue désormais « avoir maison, samedi en début d’aprèshonte de sa fille » car elle est à ses midi, en me disant : On ne sait pas
yeux « la complice consentante de où est le petit, elle me mentait enson compagnon, Cédric », et assure core. Aujourd’hui, le pire est là. Une
ne « plus la reconnaître au point de tragédie de plus dans notre vie »,
la renier ». Des
confie la grandmots impitoyables
de Loan, qui
« Comment une mère mère
qu’elle renouvelle.
dénonce l’idée de
n’a-t-elle pas pu
Et elle prévient,
« punition » évosous le coup d’une
quée par le père
empêcher cela ? »
colère rentrée :
de l’enfant.
Laurence Bouchet-Dionnet
« Ce n’est pas la
« Punir un bébé
peine qu’ils viennent vers moi. Ce de 4 mois, cela n’a aucun sens, c’est
ne sont pas des parents, mais des incompréhensible, surtout quand
bourreaux. C’est indigne. » « Cet en- on sait que cet enfant était fragile et
fant, ils étaient incapables de l’assu- malade. » Laurence reconnaît « ne
mer et de l’élever. Elle, comme lui. pas avoir été elle-même une mère
parfaite ou idéale », mais « taper un
bébé, [c’est] inimaginable ».
Un sentiment partagé par la tante
de Christelle, Valérie Bouchet,
39 ans, originaire de Saint-Laurent
dans les environs de Guéret, et qui
avait vite détecté que sa nièce
« n’était pas patiente avec les enfants [et] avait un caractère difficile.
Elle n’avait pas la tête sur les épaules pour faire face. Et son compagnon, on sait tous qu’il la martyrisait et la séquestrait. Ce bébé, il
n’avait pas sa place chez eux. Il était
en danger. Il aurait fallu que les
services sociaux le leur enlèvent,
mais c’est trop tard », constate la
tante, qui veut laisser « une porte
ouverte à Christelle, un jour… ».
Propos recueillis par J.-M.D.