Les différents visages de l`exhibition - AP-HM

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Les différents visages de l`exhibition - AP-HM
Approche médico-psychologique :
les différents visages de l’exhibition
Drs G. Azas, M. Bonierbale, M-H. Colson, D. Glezer
L'exhibitionnisme entre dans le cadre des paraphilies, lorsque le sujet a une
préférence marquée voire une exclusivité de cette conduite pour parvenir à
l'excitation sexuelle.
En effet, l'exhibitionnisme répond aux critères diagnostiques suivants dans le DSMIV :
A. Présence de fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, d'impulsions
sexuelles, ou de comportements, survenant de façon répétée et intense, pendant
une période d'au moins 6 mois, consistant à exposer ses organes génitaux devant
une personne étrangère prise au dépourvu par ce comportement.
B. La personne a cédé à ces impulsions sexuelles, ou les impulsions sexuelles ou
les fantaisies imaginatives sont à l'origine d'un désarroi prononcé ou de difficultés
interpersonnelles.
Sur un plan psychopathologie, la dimension "prendre au dépourvu" est un point
capital. En effet, l'exhibitionniste fait en sorte d'érotiser le regard de quelqu'un qui
n'est pas habituellement voyeur.
Cette pratique sexuelle peut constituer un trouble à l'ordre public et être génératrice
d'infractions prévues par la loi. En effet l'exhibition sexuelle est considérée comme
une agression visuelle à caractère sexuel, définie par l' article 222-32 du code pénal
comme une exhibition imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards
du public. Elle est passible d'1 an d'emprisonnement et de 15 000€ d'amende.
Les éléments constitutifs de l'infraction sont
- la nudité, accompagnée d'une attitude provocante. Dans la jurisprudence,
l'infraction n'a pas été retenue pour un individu qui se dévêt, plonge dans l'eau et
remonte par une échelle sur un bateau ; pas retenue non plus pour la nudité dans
les spectacles, la jurisprudence considérant les spectateurs
par définition
consentants)
- un lieu accessible au regard du public (y compris un lieu privé comme chez soi,
mais visible de la rue). Dans la jurisprudence, l'infraction n'a pas été retenue pour
deux personnes se livrant à une fellation dans une voiture garée dans un parking
privé.
L'exhibition sexuelle prend une toute autre dimension lorsqu'elle est effectuée à
l'intention d'un mineur de 15 ans ou lorsque ce mineur est employé par un majeur
comme objet d'exhibition ou comme spectateur de relations sexuelles entre adultes.
En pratique, on ne rencontre dans les prisons que des exhibitionnistes récidivistes.
On les rencontre dans les cabinets de sexologues, de psychiatres ou de
psychologues.
Derrière le mot exhibitionnisme se cache une pluralité de conduites, et lorsque ces
conduites sont l'objet de délit, il appartient au psychiatre ou au psychologue expert,
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d'une part de resituer la conduite dans la signification qu'elle peut avoir, et d'autre
part (pour le psychiatre) de préciser au juge si cette conduite relève d'une
responsabilisation pleine, d'une abolition ou d'une atténuation de la responsabilité.
Quelles sont ces différentes situations ?
I - Conduites exhibitionnistes s'intégrant dans une pathologie neurologique ou
psychiatrique
1. Schizophrénie ou psychose délirante aïgue
2. Crise d'épilepsie, avec automatisme psychomoteur
3. Traumatismes crâniens
4. Etats démentiels, avec lésions frontales
Dans ces cas là, les comportements exhibitionnistes sont totalement pathologiques
et devraient relever d'une abolition totale de la responsabilité pour cause de trouble
mental, en application de l'article 122-1 alinéa 1 du Code Pénal
II - Conduites exhibitionnistes distinctes d'une paraphilie ou "pseudoexhibitionnisme"
1. Exhibition agressive
Il s'agit d'une réponse agressive à une situation frustrante, l'exhibition prend alors
l'équivalent d'un bras d'honneur en quelque sorte.
Vignette clinique : cas d'un homme qui dans son contexte de travail vivait sa chef
comme dévalorisante et hyper-exigente envers lui. Un jour, il rentre dans son
bureau, baisse son pantalon et s'exhibe devant elle. Il consulte une sexologue, et
établit un lien avec sa mère, castratrice, contre laquelle il n'avait jamais réussi à se
rebeller.
Cette réponse agressive à la situation frustrante dévoile la réactivation d'une
situation ancienne analogique sur laquelle un travail psychothérapeutique peut le
faire progresser.
2. Exhibition dans le cadre d'une sexualité frustre et immature.
Le sujet auteur d'exhibition ne connaît pas les codes comportementaux socialement
adaptés, et il relève d'une réponse psycho-éducative.
Vignette clinique : Cet homme de 35 ans, père de famille, consulte une sexologue
dans un état de détresse psychologique pour des comportements d’exhibition
sexuelle répétés au travail. Enfant surprotégé par des parents anxieux et trop
permissifs, il a commencé à s’exhiber la première fois à 11 ans, en présence de sa
grand-mère, seul personnage d’autorité de sa famille, dans un geste « d’affirmation
et de provocation ». En grandissant, il n’a jamais été à l’aise avec la séduction ou les
relations avec les filles. Il a aujourd’hui avec sa femme une sexualité stéréotypée et
immature. Ses fantasmes d’exhibition sont fréquents, avec passage à l’acte
principalement lors d’épisodes dépressifs ou de forte tension interne, et toujours face
à des personnes représentant l’autorité pour lui. Sous antidépresseurs et en thérapie
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depuis un an, il n’a plus de comportements d’exhibition, et a appris à diversifier sa
sexualité avec sa femme.
3. Exhibition conjoncturelle
C'est le cas par exemple d'une personne bronzant nue sur sa terrasse, visible par
des voisins.
Dans ces cas-là, il y a lieu de proposer une responsabilisation pénale.
III - Conduites exhibitionnistes s'inscrivant dans le cadre des paraphilies
L'exhibitionnisme peut être la seule paraphilie, ou s'inscrire dans le cadre de
pratiques perverses polymorphes.
En effet, il peut comporter
- une dimension sadique, c'est le cas de celui qui s'exhibe devant des religieuses par
exemple
- une dimension masochiste, c'est le cas de celui qui s'exhibe devant les
commissariats de police, recherchant inconsciemment la punition
Lorsque la paraphilie s'inscrit dans des pratiques pédophiles, c'est le cas de celui qui
ne cherche à s'exhiber que devant la sortie des écoles par exemple.
Dans ces cas-là, les comportements exhibitionnistes devraient relever d'une
atténuation de la responsabilité pour cause de trouble mental, en application de
l'article 122-1 alinéa 2 du Code Pénal, dans la mesure où ces individus ont des
troubles de la sexualité, mais ceux-ci ne sont pas de nature à abolir leur
discernement.
Sur le plan de la clinique et des mécanismes, il est intéressant de remarquer que ces
sujets ont une imagination débordante et proposent des explications visant à
masquer la paraphilie et à désavouer le caractère sexuel de l'exhibition
(rationalisations au service du déni ).
Ils proposent à l'expert des "diagnostics différentiels" en quelque sorte, parmi
lesquels :
- lésions de grattage
- inconfort physique (forte chaleur)
- dénudation intempestive (se rhabiller sur la plage)
- polyurie impérieuse
- incontinences urinaires ou anales
L'exhibition est souvent également verbale, consistant à faire naître chez
l'interlocuteur des images à partir du discours.
La question de l'exhibition sexuelle pose donc le problème de l'évaluation
diagnostique et psychopathologique, de la dangerosité sociale, et de l'accession à la
psychothérapie.
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Vignette clinique
Ce patient, âgé de 67 ans est suivi depuis 11 ans par un psychiatre, dans le cadre
d'une peine de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins.
Parcours socio-judiciaire
Il a eu des incarcérations multiples pour exhibitionnisme, et décrit un exhibitionnisme
compulsif ayant débuté dans l’adolescence avec initialement de nombreuses
exhibitions par jour. Selon des scénarios fixés, il s’exhibe devant des jeunes femmes
ou des jeunes filles. Auparavant, il s’exhibait devant des prostituées des quartiers
chauds de sa ville, attirait l’attention des jeunes femmes par différents moyens
visuels ou sonores, "pour les amuser", disait-il. "J’attendais qu’elles me fassent signe
de venir et alors je les aurais suivies". Cette situation ne s’est bien sûr jamais
produite.
A sa sortie de prison, il s'est fait appréhender par une femme policière, dans ce
même quartier, alors qu’il s’apprêtait à uriner, "il pleuvait précise-t-il", en ayant
entrouvert la porte de son véhicule. La conversation avec la femme policière
s’organise autour de l’état de son pénis, flasque d’après lui, en érection d’après elle.
Il est condamné en correctionnel à une suspension du permis de conduire de 3 ans
(le juge démuni ayant sûrement pensé que la privation de son moyen de
déplacement limiterait les tentations de se rendre dans son lieu de prédilection).
On peut dès l'époque des soins sous injonction, en relation avec le suivi, constater
une diminution de la fréquence des interpellations. Sur les trois dernières connues,
Au cours du suivi, il s'est exhibé une fois devant des joueuses de tennis ; un mois
avant la date de fin de son suivi qui avait été rallongé entre temps, il s'était
également exhibé dans un rond point où il aurait été découvert par des passantes,
déshabillage rendu selon lui obligatoire puisqu’il était toujours tenaillé par sa
« maudite vessie ». Pas d'interpellation pendant 5 ans. Une dernière interpellation
pour exhibition lui vaut d'être condamné à 3 ans à une peine de prison avec sursis,
sans expertise, ni mesure contraignante aux soins.
Cette fois, selon ses dires, il se promène avec un short un peu large, et a envie
d'uriner, ce qu'il fait. Un adolescent l'interpelle : "oui, j'ai vu votre sexe, je vais porter
plainte" ; "Pas de problème, va-z-y !", lui aurait-il répondu. Interpellé par la police, il
comprend qu'il va être relâché, l'infraction n'étant pas suffisamment caractérisée,
mais la consultation de son casier judiciaire aurait modifié le traitement de cette
plainte. Au cours du procès, il se sent trahi par son avocate qui n'aurait pas suivi sa
ligne de défense, et n'aurait notamment pas fait mention de son traitement
médicamenteux, responsable d'une polyurie.
Relecture clinique
Cet homme marié depuis trente ans, vit également avec la fille de sa compagne,
étiquetée schizophrène, en rupture de soin, et avec leur fils, déscolarisé après la
troisième, sans aucune activité extérieure. Ayant déjà connu la faillite et ayant dû
faire un dossier de sur-endettement, il paraît aujourd'hui protégé de la précarité
sociale, ayant hérité de la fortune de son père, celle-ci lui ayant permis d'acheter,
maison et voiture. Ses relations conjugales se caractérisent par une mésentente
chronique, devenue avec le temps moins conflictuelle. On peut repérer dans ses
modalités relationnelles de couple un fonctionnement sadomasochiste, avec
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absence de relation sexuelle, objet de plainte dans son discours, mais aussi de refus
délibéré de satisfaire sa compagne.
Le seul souvenir de sa sexualité « aboutie » consiste alors qu’il était militaire à avoir
eu une relation avec une prostituée sans trop de plaisir. Il a le souvenir nostalgique
de la période ou il était adolescent et ou il éprouvait déjà des difficultés relationnelles
avec les jeunes de l’endroit ou il habitait, il était replié sur lui et n’arrivait pas à établir
un contact. Il a rencontré sa compagne par le kiosque à journaux qu’il tenait. Le
travail de sa femme a toujours constitué un empêchement à toute vie commune, elle
ne prenait jamais de vacances. Lui partait seul dans une caravane et elle restait sur
place. Depuis un licenciement, elle s'occupe uniquement des tâches ménagères, n'a
pas fait valoir ses droits aux allocations chômage, et dépend financièrement de lui. Il
semble exister dans ce fonctionnement de couple une dimension des règlement de
compte : elle lui ferait payer l'addition pour ses périodes d'emprisonnement où elle
avait assumé seule l'autonomie financière familiale.
Pour échapper à la médiocrité de ses relations conjugales, selon un scénario
répétitif, il rentre en relation avec une jeune femme via des services téléphoniques
payants. Il explique que ce qu’il cherche c’est une relation d’amitié (comme à
l'époque de son adolescence), obtient peu à peu sa confiance et lui propose après
des mois d’échanges, quand elle a compris qu’il était différent des autres (c'est-à-dire
pas intéressé par le sexe), une rencontre de visu ou un séjour avec lui. La fin du
scénario est toujours identique, la dite personne ne se présente jamais au dit rendez
vous et quand prétextant un retard de train ou un empêchement autre, elle veut
reprendre contact, il refuse ce contact et explique qu’elle l’a pris pour un idiot et qu’il
n’est pas du genre à se laisser avoir. Ce discours est récent car auparavant il restait
« sans voix ».
Récemment à l’occasion d’un voyage, M. S aurait rencontré en vrai une de ces
relations, mais les choses en sont restées là, dit-il, car elle voulait une relation
sexuelle et qu’il se sépare de sa femme.
Ses relations ne portent pas de nom ou de prénom, il les appellent "elles" « il y en a
une" dit-il qui… » ; Il a la même difficulté à différencier les membres de son
entourage. Rien de précis n’existe autour de lui. Que représentent pour lui les
femmes qu’il connaît par SMS ?
Son histoire indique que la réalisation de l'acte sexuel est impossible pour lui, comme
s'il était resté fixé au stade prégénital de son développement psycho-sexuel.
Dans les premiers temps de son suivi, il décrivait une montée de la pulsion en
relation avec la vision de parties de l’anatomie féminine dénudées à la belle saison. Il
adoptait alors des attitudes d’évitement (rester chez soi), peu compatibles avec son
activité professionnelle de l’époque (distribution de prospectus et journaux) pourtant
fortement investie.
Lors de ses passages à l’acte, il a toujours été possible de repérer un élément
extérieur ayant suscité une surcharge anxieuse (maladie de sa mère, aggravation
importante de ses difficultés conjugales).
M. S n’a jamais pris les traitements psychotropes proposés susceptibles de diminuer
son angoisse, expliquant lors de son suivi le caractère accidentel et exceptionnel de
l’incident.
Il ne voit pas l'intérêt de poursuivre sa prise en charge au delà de la mesure de suivi
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socio-judiciaire, demande à son psychiatre de bénéficier du 100%.
Dans son rapport avec la loi, il est régulièrement en infraction, s'autorisant par
exemple à conduire sans permis. Y a-t-il dans ces conduites antisociales un appel au
père, une recherche dans le social de quelque chose qui ne serait pas inscrit, à
savoir une limite posée par le père ?
Dans sa façon d'utiliser le cadre thérapeutique, il montre qu'il a besoin d'un cadre
contenant, mais si ce cadre est posé de façon trop rigide, il se débrouille pour le
mettre en défaut (n'honore pas son rendez-vous). Dans une dimension quelque peu
adolescente à la fois de recherche de limites et de transgression de celles-co
lorsqu'elles sont posées, il a besoin de garder la maîtrise d'un cadre contraignant.
Les « rechutes » se sont toujours manifestées lorsque se produisait un changement
dans le cadre (congés, changement de rendez vous, etc). La relation thérapeutique
actuelle est donc assez complexe. Les entretiens sont ritualisés, le psychiatre
abordant systématiquement sa sexualité et les tentations qu’il a pu avoir, ce qui a
pour fonction de contenir l’angoisse et de répéter le jeu des limites tel qu’il se pose
pour lui dans le cadre de toutes ses relations autres. Bien que percevant cette
fonction positive d'occuper une position intrusive quasi sadique que le patient lui fait
jouer, la question qui se pose au psychiatre est existe-t-il une possibilité de sortir de
cet aspect contenant pour passer à autre chose ? Qu'est-ce qui pourrait déclencher
le passage à une relation à l'autre moins figée ?
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