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MINISTERE DE LA JUSTICE
Ecole Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse
Formation préparatoire à la prise de fonction
de Responsable d'Unité Educative
2016
MASSARI Vincent
Le Responsable d'Unité Educative en Milieu Ouvert
et la question nomade:
une prise en charge impossible?
L'accompagnement des mineurs nomades
sous main de justice ou sous protection judiciaire
en zone péri-urbaine
Dossier d'expertise
Mars 2016
Sous la guidance de
Jean Jacques ZEZA REDON
Le Responsable d'Unité Educative en Milieu Ouvert
et la question nomade:
une prise en charge impossible?
L'accompagnement des mineurs nomades
sous main de justice ou sous protection judiciaire
en zone péri-urbaine
I) ETAT DES LIEUX et DIAGNOSTIC :
L'impossible prise en charge des mineurs nomades
A) Présentation de la situation : le nomade dans la ville
B) Analyse du contexte institutionnel : la PJJ face au nomade
II) PLAN D'ACTION et EVALUATION :
Répondre à la commande judiciaire
A) De la contextualisation à la conceptualisation :
La mise en mouvement de l'UEMO
B) Les axes de travail :
Organiser et convaincre pour dynamiser l'équipe
1
Une route sans bas-cotés en croise une autre au dessus d'une friche industrielle. Des
carcasses de voitures côtoient des amas de poubelles. Un motard en gilet fluorescent zigzague
entre les plots posés par une auto-école. Sur la gauche, deux énormes roches bouchent l'entrée
d'un terrain vague. Un adolescent marche dans cette allée de carcasses de voitures. Il devine
ses parents dans un coin du terrain, le long de la voie ferrée. Des caravanes, des installations
de fortune, des gamins, il ne voit pas grand chose en cette fin d'après-midi : il y a deux heures
à peine, il était dans les geôles du Palais de Justice.
Cette tranche de vie est celle d'un mineur âgé de 16 ans interpellé en train de voler un
smartphone sur une table de café. Accompagné au commissariat par les policiers en faction, il
lui est demandé son identité et son adresse. Il donne un nom incompréhensible et une adresse
vaseuse. Le fait reproché n'est pas d'une gravité immense et le procureur de permanence
demande que le mineur soit remis à ses parents car une alternative aux poursuites est
envisagée pour ce primo-délinquant. Mais les parents sont injoignables. Le mineur est seul et
la Garde à Vue s'éternise. Un deuxième procureur de permanence demande un défèrement au
Tribunal Pour Enfants. Le vol simple est requalifié en vol par ruse et le Parquet stipule toute
mesure utile dans ses réquisitions. Le défèrement est présenté comme éducatif par un
Parquetier qui souhaite que la mise en examen débouche sur une prise en charge éducative. Le
jeune homme n'entre pas dans les cases de ceux rencontrés habituellement : Il ne peut être
remis à famille car aucun représentant majeur ne se déplace (rendant caduque une
Convocation par un Officier de la Police Judiciaire pour mise en examen), il ne peut être
confié à l'Aide Sociale à l'Enfance suite à la Garde à Vue car il n'est pas considéré comme un
Mineur Isolé Etranger et il n'est pas déclaré, ce qui l'exclut du champ de compétence du
Service d'Urgence Educative du Conseil Général.
Arrivé dans les geôles du Palais, le mineur rencontre un éducateur de l'Unité Educative
Auprès du Tribunal qui peine à rédiger un Recueil de Renseignements Sociaux Educatifs
devant tant d'imprécisions quant à sa situation éducative. Les parents ne se déplacent pas au
Tribunal et la Mise en Examen se déroule sans eux. Le Juge pour Enfants ne sait s'il doit
prononcer un placement car le mineur affirme vivre avec ses parents et refuse toute
séparation. Une Ordonnance de Placement Provisoire est confiée à une Unité Educative
d'Hébergement Collectif de la PJJ et une mesure de Milieu Ouvert doit permettre de mieux
connaître le mineur. Moins d'une heure plus tard, le jeune homme fugue au premier feu
tricolore lors de l'accompagnement …
Cette situation est le point de départ d'une réflexion globale sur la prise en charge des
mineurs nomades par la Protection Judiciaire de la Jeunesse en général et dans une Unité de
Milieu Ouvert en particulier. Actuellement Chef de Service Educatif dans une Unité
Éducative Auprès d'un Tribunal, j'aspire à occuper une fonction de Responsable d’Unité
Educative. Ce dossier d’expertise expose une représentation personnelle de la réalité
fonctionnelle et institutionnelle d'un RUE en Milieu Ouvert face à une commande judiciaire et
administrative : Comment accompagner des mineurs nomades sous main de justice ou sous
protection judiciaire en zone péri-urbaine ? Le choix narratif d’un je projectif dans la fonction
facilite la fluidité scripturale et transcriptive de l'écrit. J’entends démontrer la manière dont
j’envisage les rôles, l'action et la place du Responsable d’Unité Educative dans le traitement
des situations et des problématiques diverses qui se posent à lui.
Une démarche globale qui s'inscrit dans un contexte historique, judiciaire et
administratif. L'histoire appartient aux nomades, le judiciaire aux magistrats prescripteurs et
l'administratif à la PJJ qui se doit de répondre à une décision de Justice. Un argumentaire qui
s'appuie sur un état des lieux, l'impossible prise en charge des mineurs nomades et un plan
d'action/évaluation comme réponse à la commande judiciaire.
2
I) ETAT DES LIEUX et DIAGNOSTIC :
l'impossible prise en charge des mineurs nomades
A) Présentation de la situation : le nomade dans la ville
Le nomade est celui qui n'a pas d'habitation fixe. Il est un pasteur (du latin Nomas)
sans troupeau, son mode de vie est une perpétuelle transition. Il n'est pas isolé car
l'organisation sociale repose sur un fonctionnement familial et historique. Il n'est pas un Sans
Domicile Fixe, un SDF, acronyme qui atténue la situation de clochardisation de certaines
personnes en rupture. En France, il est souvent assimilé à un forain, ce qui a débouché sur la
définition moderne des gens du voyage. Ces derniers sont structurés et habitent dans des
villages ambulants. Ils se cantonnent très souvent aux (rares) terrains aménagés par les
mairies. Le jeune homme décrit en préambule n'appartient pas à cette communauté semisédentarisée depuis des lustres. Il est plus volatile et voyage le long d'une route qui part des
Balkans, glisse le long de la plaine italienne du Pô, longe le sud de la France pour se diluer en
Catalogne. Simplifier cette population sous l'étiquette de Roms est une construction
eurocentriste du langage. Les mineurs et leurs familles se disent quelques fois Yougoslaves (la
guerre est encore dans toutes les mémoires) ou Italiens (la ville de Monza à coté de Milan est
un pôle important de passage) ou apatrides quand le lieu de naissance ne fait pas sens dans
son histoire. La cellule familiale se déplace seule et les regroupements massifs sont rares. Un
groupe d'individus s'installe quelques mois sur un terrain, côtoie d'autres nomades et les
alliances sont de circonstance.
La réalité des mineurs nomades appelle une réflexion de fond sur la définition de la
cellule familiale : «nulle part un homme et une femme ne suffisent à faire un enfant 1». Les
sociétés judéo-chrétiennes ont pour base la famille dans la définition même de l'enfant, les
débats enflammés sur l'homoparentalité nous rappellent la brulante actualité de ce débat au
XXIème siècle. Le mouvement de valorisation de l'enfance qui a accompagné la Révolution
Industrielle, l'enfant comme main d'oeuvre, est une des origines de l’ordonnance du 2 février
1945, base de notre intervention. L'enfant pris en charge par la PJJ est issu d'une filiation
dans un monde scandé par le travail. Qu'importe que l'enfant vive dans une famille
monoparentale, qu'il soit orphelin, que les parents soient sans emploi, l'individu est envisagé
comme le fils ou fille de parents qui se meuvent dans un monde construit par le salariat selon
des horaires et un lieu d'habitation. Il s'agit de « l'alliance de la filiation et de la résidence2».
Dans ce contexte, la singularité des enfants nomades interpelle. Le prisme d'analyse du
fonctionnement familial doit être adapté grâce à une « approche qui aiguise le rapport à
l'autre et aux autres cultures3 ». L'individu doit être considéré dans son univers familial et
culturel. Prendre en charge le mineur dans sa singularité sans le stigmatiser et prendre en
compte son environnement sans l'enfermer.
B) Analyse du contexte institutionnel : la PJJ face au nomade
La répétition des défèrements de mineurs nomades inquiète. Le Parquet mineur, la
Présidente du Tribunal Pour Enfants et la Direction Territoriale PJJ décident de mettre
prioritairement ce point à l'ordre du jour de leur réunion trimestrielle de fonctionnement. Cette
1 Maurice GODELIER, Métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2004
2 Idem
3 Tobie NATHAN, Ethno-Roman, Grasset, Paris, 2013
3
rencontre régulière entre le Siège, le Parquet et le DT PJJ permet de coordonner l'action
judiciaire. Le rôle de la PJJ est central et s'argumente selon deux axes : l'Unité Educative
Auprès du Tribunal qui propose au magistrat les mesures éducatives à mettre en place et
l'Unité Educative en Milieu Ouvert qui doit les mettre en œuvre. La fausse solution du
placement au sein d'une Unité Educative d’Hébergement Collectif est écartée. Il est acté que
l'Ordonnance de Placement Provisoire n'est pas une réponse adaptée car les mineurs
rencontrés fuguent systématiquement lors de l'accompagnement.
La solution (rendre soluble la prise en charge sans la diluer) est à chercher dans le
champ de l'accompagnement en Milieu Ouvert. Dans ce contexte, la Présidente du Tribunal
Pour Enfants demande à la PJJ de garantir l'efficience de mesures de Milieu Ouvert 4
prononcées par les Magistrats.
Le Directeur Territorial de la PJJ a une feuille de route : sortir la prise en charge des
mineurs nomades de la question de l'urgence, dépasser les 24h de Garde à Vue et l'impasse du
défèrement pour mettre en place un accompagnement éducatif. Une démarche qui doit
s'inscrire dans un calendrier à 18 mois (fin de l'exercice en cours et une conclusion opérative
attendue à la fin du deuxième exercice).
La prise en charge des mineurs nomades est mise à l'ordre du jour du Collège de
Direction Elargie5 qui suit et les Directeurs de Services de Milieux Ouverts sont mobilisés. Il
est question de répondre au fondement de la PJJ : la mise en œuvre des mesures judiciaires
confiées aux Unités. D'après l'expérience de l'Unité Educative Auprès du Tribunal, l'Unité
Educatif de Milieu Ouvert est particulièrement impactée.
Le périmètre géographique de l'Unité n'est pas neutre. Il s'agit de la médiatique
banlieue, territoire à « l'urbanité molle »6. Des quartiers ni urbains, ni ruraux, une zone
rurbaine7 en prise directe avec la crise, globale, qui touche le monde occidental. Les gamins
nomades se meuvent dans les interstices laissés libres par l'urbanisme. Ils ne sont pas « en bas
des blocs » mais « entre les blocs8 ». Leur terrain s'inscrit dans les usines en ruine et les
franges de la vie sociale. En septembre 2012, un Comité Interministériel Extraordinaire réuni
à Marseille a mis l'accent sur l'implication de la PJJ dans ces zones et donné d'avantage de
moyens à certaines Unités Educatives la PJJ pour une intervention plus efficace : le territoire
est en friche et des résultats sont attendus.
Maillon de la chaine hiérarchique PJJ, acteur de la mise en œuvre du service public, le
RUE doit permettre à l'unité d’exécuter sa mission et de répondre aux injonctions pénales
auprès de personnes, d'individus qui échappent à tout repère d'exercice traditionnel: un mineur
ne peut être exclu d'une prise en charge de part sa situation sociale ou son origine. Un mineur
nomade ne peut être exclu parce que nomade. Il s'agit du fondement de l'action de la Fonction
Publique. Les Magistrats du Siège et du Parquet demandent expressément une action de la PJJ
et il n'est pas question d'éluder le problème. Il faut créer un nouveau mode de prise en charge
car la loi l'impose.
Pour le nouveau responsable d’Unité Educative que je suis, l'enjeu est de créer et
développer une action adéquate: innover sans mettre en danger l’existant, perpétuer sans
immobilisme. Quelle innovation est possible pour répondre au besoin? La réponse est dans le
savoir-faire et le faire-savoir, un binôme articulé par le diagnostic partagé d'une action
commune.
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Note relative à l'action éducative en Milieu Ouvert au sein des services de la PJJ (22 octobre 2015)
Participation des RUE du Territoire
Eric CHAUVIER, Contre Télérama, Paris, Allia, 2011
G. BAUER et J-M ROUx, La rurbanisation ou la ville éparpillée, Édition du Seuil, Paris 1976
Pierre BOURDIEU, la misère du monde, Paris, Seuil, 2007
4
II) PLAN D'ACTION et EVALUATION :
Répondre à la commande judiciaire
A) De la contextualisation à la conceptualisation :
la mise en mouvement de l'UEMO
L'organisation humaine de l'Unité est classique et recentrée : un RUE, moi-même, une
Adjointe Administrative, un Assistant de Service Social, une dizaine d'éducateurs(trices) et
un Directeur de Service chapeautant deux unités de Milieu Ouvert. La multiplication des
mesures éducatives prononcées par les juges des enfants marseillais devant la paupérisation
de la population, a eu raison des anciennes unités plus importantes en personnel et en rayon
d'intervention. Pour ma première affectation, je suis donc responsable d'une unité à taille
humaine sur un territoire complexe mais mieux délimité que les années précédentes. Le
paysage PJJ est passé d'un ensemble de grosses unités à un maillage d'unités plus modestes
mais mieux réparties sur le territoire.
L'unité dans laquelle j’exerce n'est pas neutre. En tant qu'entité, elle a développé un
savoir-faire particulier basé sur l'expérience du terrain. Pousser la porte du hall d'entrée, c'est
pénétrer dans un lieu chargé d'histoire. Chaque professionnel connait son métier et ses
missions. L’équipe éducative a sensiblement la même coloration depuis des années selon un
amalgame d'éducateurs proches de la retraite et de professionnels nouvellement nommés.
L'entre-deux est plus limité. Historiquement, on arrive dans ce secteur, on poursuit sa carrière
intra-muros (en ville dit-on souvent) ou à la campagne pour revenir dans les Quartiers en fin
de carrière. Intégrer cette histoire, c'est appréhender les facteurs psychologiques qui
parcourent l’équipe, le « poids culturel9 » qui permet à chaque agent de se sentir utile
professionnellement.
Avant d'apporter du mouvement, il est indispensable d'intégrer le contexte existant et
de respecter les singularités en présence. L'Unité fonctionne et je suis convaincu qu'il est
possible d'ouvrir son quotidien professionnel à la nouveauté des mineurs nomades. Comme
tout système vivant (au sens premier du terme), l'UEMO suit le fil de l’homéostasie 10, c'est à
dire un équilibre qui se garde des changements brutaux. Vouloir créer ex-nihilo une activité
dans une unité historique est une entreprise vouée à l'échec. En revanche, d’un point de vue
de la stratégie opérationnelle, pour répondre aux demandes des magistrats, il est efficient
d’organiser l'unité différemment en tenant compte du savoir-faire existant pour créer une
dynamique de construction. La résistance au changement est inévitable, souhaitable même car
« seul un organisme mort ne se défend pas »11. Il est donc indispensable de comprendre les
résistances et d'accompagner le changement. Pour ce faire, il est primordial de faire dialoguer
deux cultures : celle de l'institution et celle du mineur et de sa famille.
La prise en charge des mineurs nomades est une question d’éthique professionnelle,
une démarche vers l'externe ayant pour cadre le lieu de vie du sujet. Il ne s'agit pas d'une
simple question d'organisation de l'unité car ces personnes n'existent que le temps de leur
apparition furtive, elles disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues. Le nomade ne laisse
pas de trace de sa présence et l'interaction avec le professionnel est minime. Tout le monde en
connait un mais devant la confusion, l’inexplicable et l'intraitable, un silence gêné est de
mise. L'échec de la prise en charge des mineurs nomades n'impactent pas matériellement les
9 Jean Philippe TOUTUT, Organisation, Management et Ethique, L'Harmattan, Paris, 2010.
10 Idem
11 Idem
5
agents. Convaincre l'équipe qu'il est impossible de s'en contenter est primordial. Mon discours
s'appuie sur un cadre légitime. Une action légitime est par définition fondée en droit : dura
lex sed lex12, la loi s'impose à tous et la mesure ordonnée par le Juge est indiscutable. La
mesure est consacrée par la loi et les actions qui en découlent sont reconnues conformes au
Droit. En tant que RUE, je suis garant du travail éducatif mis en œuvre dans le cadre de la
mesure judiciaire ordonnée par le Juge. Sa mise en place est de ma responsabilité 13. Légitime
de part la Loi, ma démarche managériale doit être légitime aux yeux des agents de l'Unité. Un
enjeu managérial qui oscille entre mode directif et mode persuasif.
Parallèlement, il faut rendre légitime l'intervention de la PJJ sur le terrain des
populations nomades. Une gageure car les mineurs nomades ne sont pas demandeurs d'aide
éducative. Ils refusent systématiquement tout placement et ne souhaitent pas rencontrer
d'éducateur. La famille élargie se tient elle aussi à l'écart des actions régaliennes. L'éthique
professionnelle de la PJJ est questionnée et à travers elle, la puissance sédentaire de l'Etat face
à l’évanescence de l'habitat des usagers. Les visites à domicile deviennent des visites sans
domicile fixe, le cadre de la rencontre singulière est celui du mineur là où il se situe et l'Unité
n'est qu'un point d'ancrage qui rebute. L'Etat est vu comme une menace et la venue d'un
professionnel doit être légitimée par le groupe, c'est à dire admise comme juste, raisonnable et
justifiée. Il ne s'agit pas d'un rapport à la loi mais d'un rapport à l'autre. Dans la culture
nomade, « la famille est un clan »14 et les liens ne sont pas de sang. Le cousin peut être le
tuteur principal, qu'importe si ce fameux cousin n'a aucun lien de parenté avec le mineur. Les
liens sont ceux du groupe qui se déplace et les déclarations de naissance ont souvent
échappées à l'Etat Civil.
Le temps nomade n'est pas celui de l'administration. Les mesures éducatives doivent
être adaptées à la temporalité des usagers sous peine d'être sans fondement. L'inverse est
impossible. Nul n'adapte la réalité sous peine de la pervertir.
Il faut faire vite …. et prendre le temps de l'attente lors d'un rendez-vous avec le
mineur qui n'a pas de montre, qui n'en a jamais eu et n'en aura jamais. Ma place est alors
centrale car je dois éviter de tomber dans la stratégie des blocs : la réticence de l'équipe face à
celle du public concerné. La réponse est de mettre en place une animation d'équipe scandée
par un calendrier de réunions et d'aller vers le public concerné en adaptant les moyens.
B) Les axes de travail :
Organiser et convaincre pour dynamiser l'équipe
L'UEMO s'appuie sur un ensemble stable d'acteurs en charge d'une mission pour
réaliser des activités en commun. Dans le nouveau règlement d’emploi de la fonction15, le
RUE est recentré sur son cœur de métier, l’organisation de la prise en charge éducative.
Valorisé dans mon rôle de premier niveau d’encadrement de l’unité éducative, je cherche les
leviers d'action efficaces pour mettre en œuvre une démarche volontaire que chacun puisse
s'approprier.
Je cherche à « distiller, par touches, une vision »16 nouvelle de la prise en charge des
mineurs. Il est donc urgent de ne pas se précipiter, de s'appuyer sur l'existant et d'optimiser la
gestion des ressources : des professionnels, un échelon hiérarchique, un parking avec
quelques voitures de service, des semaines de 37h 10 pour certains et des journées de 24h
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La loi est dure mais c'est la loi, locution latine
Règlement d'emploi du RUE PJJ (21 décembre 2015)
Tobie NATHAN, Ethno-Roman, Grasset, Paris, 2013
Guide d'emploi du RUE PJJ
Jim KOUZES et Barry POSNER in le manager intuitif de Meyriem LE SAGET, Paris, Dunod, 1992
6
pour tous. Dans un premier temps, je m'attelle à analyser le fonctionnement initial :
organisation permanences, véhicules à disposition, fréquence des réunions …. Si organisation
nouvelle il doit y avoir, elle devra s'intégrer dans une dynamique collective de changement
sous mon autorité de responsable selon un « mode directif et volontaire »17. La clef de voute
de la démarche est le Projet Pédagogique.
Le projet pédagogique (ou d'établissement) est la mise en œuvre des droits des
personnes des usagers selon la loi du 2 janvier 2002. Il rassemble et met en cohérence
l'ensemble des outils nécessaires à l'accompagnement d'un sujet dans sa progression au jour le
jour. Il ne s'agit pas de fixer l'existant mais d'inventer un ailleurs : lutter contre l'institution
machine qui s'auto-alimente et permettre au mineur d'améliorer sa situation. Il n'existe pas
d'institution idéale. Le projet de service doit évoluer et faire évoluer les pratiques. Il reconnaît
les compétences historiques des professionnels mais doit en développer des nouvelles. Etre
porteur de projet sans faire référence, c'est sombrer dans l'agitation stérile. La prise en compte
de la problématique particulière des mineurs nomades sera l'occasion d'une mise à l'épreuve
du Projet Pédagogique existant.
J'impose le sujet à l'ordre du jour de la prochaine réunion d'équipe. Nous sommes au
début d'une année civile, période propice à l'accueil d'un nouveau projet 18. Le Directeur de
Service dispose de la compétence de principe dans l’expression des besoins, les politiques
publiques et les relations avec les magistrats référents du territoire. Présent lors de cette
réunion fondatrice, il relaie la commande du TPE, l'attente de voir s'exprimer la continuité du
Service Public et les valeurs des prises en charge éducatives. La présentation en binôme du
chantier renforce l'image de cohérence de l’équipe de direction. Nous serons disponibles, à
l’écoute des personnels mais ne transigerons pas sur l'amélioration des prises en charge
éducative.
Même s'il est indispensable d'imposer (car indiscutable) la mise en œuvre des mesures
concernant les enfants nomades, le piège serait que la démarche apparaisse comme la marotte
d'un cadre nouvellement nommé. De la discussion nait la lumière et animer les réunions selon
les valeurs d'écoute, c'est sensibiliser les professionnels à une nouvelle problématique,
permettre l'appropriation par tous du projet et donner à l'équipe le pouvoir d'être motrice de
son propre changement. En deux mots : être persuasif. Pour convaincre, il faut être porteur
d'une parole directive mais aussi (et surtout) susciter des questionnements. Le fonctionnement
d'une unité éducative ne répond pas à un dogme gravé dans le marbre car il s'appuie sur un
contexte. Distribuer la parole19, c'est canaliser les subjectivités et les émotions. C'est travailler
la question du sens. A ce jour, la disparition des gamins nomades est une question d'éthique
professionnelle. Tout professionnel ne pouvant répondre à sa mission se sent inutile et
déclassé.
En appui des réunions d'équipe hebdomadaires, je planifie des réunions bimestrielles 20
avec des intervenants extérieurs qui apportent leur éclairage particulier : le chef de service et
un éducateur de l'Aide Sociale à l'Enfance en charge des maraudes dans le centre ville, le
Directeur du Centre Social qui borde une zone repérée par les nomades et un responsable
d'une association culturelle21. Grace à leur éclairage particulier, les intervenants extérieurs
mettent en place un débat citoyen sur la situation des mineurs et de leur famille. L'action
légitime de l'Unité ne s'inscrit plus seulement dans la loi mais dans un questionnement sur les
17 Michel BARABEL, Les fondamentaux du management, Paris, Dunod, 2008
18 Calendrier du changement : septembre à décembre, construction de la nouvelle prise en charge / janvier au
début d'été, pérennisation de la prise en charge
19 Dans une réunion d'équipe, je suis le Président de séance
20 Pour accompagner le rythme des réunions d'équipe hebdomadaires
21 www.latcho-divano.com
7
valeurs éducatives, elle s'ouvre au cadre plus général des politiques publiques22. En permettant
ces formations internes et ces échanges, l'équipe s'ouvre à un sentiment nouveau : le désir de
réussir cette nouvelle démarche envers des mineurs. La question nomade n'est plus secondaire
et ouvre un espace de re-connaissance de son métier. Grace à une démarche managériale
directive et persuasive23, la prise en charge éducative est améliorée car les agents sont sortis
du piège du déterminisme : comme tout mineur, le nomade peut bénéficier d'un
accompagnement éducatif, nous en sommes capables.
Un plan opérationnel peut émerger. L'organisation de la conduite du projet s'appuie sur
le rôle et les responsabilités de chacun24. L'Adjoint Administratif, les éducateurs, l'Assistant
Social et la psychologue doivent se sentir acteur et non spectateur d'un petit théâtre. Sous
l'autorité du Directeur de Service, une réunion est organisée au sein de l'unité avec un juge
pour enfants de notre secteur d'intervention. Le prescripteur entend notre volonté de répondre
à la commande judiciaire mais nous ne cachons pas nos craintes. Le Directeur de Service et
moi-même, prenons volontairement le risque de provoquer un échange direct entre le Juge et
l'équipe au début de la démarche, au moment où les difficultés sont apparentes. L'idée de
partenariat devient une évidence et notre travail est replacé dans le cadre général du
fonctionnement de la Justice des Mineurs. Cette rencontre permet au Tribunal Pour Enfants et
à la PJJ de faire un bilan commun de l'action dans la transparence. Surtout, elle a permis
d'acter le nous. De directif à persuasif, j'ai pu installer une démarche participative. Il reste du
chemin à parcourir mais NOUS avançons en ce début d'année scolaire.
De nouvelles mesures arrivent sur le fax. Aucune adresse précise n'est stipulée : il va
falloir se déplacer auprès des mineurs et de leur famille pour démarrer la prise en charge.
Mais l'équipe, pourtant volontaire, tangue car ce déplacement en terra incognita amène des
réticences. Selon un mode participatif, je propose d'être dans un premier temps
systématiquement moteur de ce déplacement. Je souhaite inscrire concrètement dans les
habitudes cette démarche grâce à mon implication … en gardant à l'esprit de pouvoir, plus
tard, déléguer à un ou plusieurs professionnels. Un agenda est mis en place et un véhicule de
Service est repéré pour cet usage. L'utilisation des véhicules est un sujet épineux. Les
éducateurs se plaignent souvent d'être confronté à un parc automobile restreint et les
déplacements sont par définition chronophages. Pour réussir un déplacement, il faut
coordonner l'emploi du temps et les moyens.
Au volant d'un véhicule de service, je me rends sur le lieu de résidence supposé du
mineur avec l'éducatrice référente. Une vingtaine de personnes résident dans des
baraquements sommaires. L'attroupement est immédiat. Le premier intérêt est le véhicule et
ses options. Le Bluetooth fait plus d'effet que notre carte professionnelle. Le moyen de
déplacement est la clef de voute de la prise en charge, la voiture fonctionne comme un « objet
fétiche désiré »25. Il légitime et donne du sens à notre intervention. Pour être reconnus, il faut
que notre véhicule le soit.
Pour le gamin, s'assoir dans la voiture, c'est déjà entrer en contact avec la PJJ. Les
parents, ou les membres rapprochés du clan, suivent la démarche de réciprocité : nous
sommes allé vers eux, ils sont venus vers nous. L'Unité invente le DIPC in situ.
Le Document Individuel de Prise en Charge est le point de départ d'une coconstruction patiente entre la personne et l'accompagnant. La place du RUE est centrale car il
rappelle le cadre dans un contexte d'unité mobile. En effet, quand le véhicule se gare sur le
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25
Circulaire du 2 septembre 2010 sur l'inscription de la PJJ dans les politiques publiques
Rensis LIKERT in Jean-Claude SCHEID, Les grands auteurs en organisation, Dunod, 1980 (reedit 1991)
Michel MARCHESNEY, stratégies et pouvoirs, Vuibert, Paris, 2008
Roland BARTHES, le plaisir du texte, édition du Seuil, Paris, 1973
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terrain, c'est l'Unité qui se déplace et pas simplement un professionnel PJJ qui bricole avec les
moyens du bord. Un équilibre fragile qui repose sur une dynamique d'équipe, un échelon
hiérarchique solide … et une dose certaine d'optimisme, base de toute démarche éducative.
Mais les écueils sont nombreux. Une fois sur place, nous sommes confrontés à
l’exiguïté du véhicule qui ne permet pas de mettre en place un espace d'échange satisfaisant.
Les professionnels sont souvent invités dans une caravane de fortune mais la pression du clan
est trop importante, la confidentialité nulle. Le travail éducatif se heurte à la réalité. L'outil
principal n'est pas adapté.
J'impulse une réflexion globale lors de la réunion d'équipe suivante : de quoi avonsnous besoin dans l'absolu pour mener à bien notre mission ? Une question qui permet
d'amorcer le débat et surtout, d'être inventif sous l'autorité bienveillante du RUE. Premier
constat, il est impossible de revenir à ce qui ne fonctionne pas, c'est à dire les convocations au
Service. Deuxième constat, le déplacement est difficile …. alors chaque professionnel parle
de son expérience, de ses espoirs mais aussi de ses doutes. Et revient en mémoire le travail de
l'association communautaire qui est venue au service il y a quelques mois. Leurs
déplacements se font en mini-bus. D'ailleurs, ils n'utilisent jamais de simples voitures. Si une
voiture permet d'accueillir un mineur, un camion permet d'accueillir une famille. Mieux
encore, le camion pourra dans un second temps accompagner la famille jusqu'au service pour
des démarches spécifiques. La discussion collective s'anime : l'idée du camion est acquise,
elle est actée dans le cahier de réunion.
Sur un mode directif puis persuasif, j'ai demandé initialement à l'équipe de se
mobiliser dans la prise en charge des mineurs nomades. Aujourd'hui, l'équipe me demande un
camion pour travailler, actant d'un processus de mutation. Mais de camion, l'Unité n'en a pas.
J'en discute avec le Directeur de Service. Dans ce territoire, les Milieux Ouverts sont
exclusivement regroupés en Services. Il n'existe pas de Service mixant Milieu Ouvert et
Insertion ou Milieu Ouvert et Hébergement, pôles qui ont des mini-bus à disposition. Pour
trouver le véhicule, il faudra sortir du Service. Un point mis à l'ordre du jour du prochain
Collège de Direction Elargi auquel je participe. J'expose notre demande à l'ensemble des
cadres présents ce jour et une solution émerge. Le Milieu Ouvert est proche,
géographiquement et professionnellement, de l'Unité Educative d'Action de Jour située dans
la même commune, une entente qui s'est forgée au fil des années. Le Directeur de Service en
charge de l'Insertion affirme qu'il est possible de mettre un traffic à notre disposition un jour
par semaine, ce sera la jeudi, jour où les mineurs de l'UEAJ sont en atelier.
L'emploi du temps est organisé depuis des lustres dans l'unité. Sur un tableau de la
salle de réunion sont inscrites les permanences des éducateurs, les disponibilités du
psychologue et de l'Assistant Social, le jour de réunion hebdomadaire (le lundi matin pour
anticiper les urgences de la semaine), les démarches qui impliquent l'ensemble de l'unité
(réunions spéciales, accompagnements problématiques…) et le Dispositif Accueil
Accompagnement est repéré le mercredi après-midi (la salle de réunion est laissée libre). Un
camion stylisé est désormais ajouté sur la colonne du jeudi. Un éducateur sera de permanence
au sein de l'unité et je serai, avec un membre de l'équipe éducative, sur le lieu d'habitation du
nomade avec le camion. Le bilan Ressource Humaine est clair : il est impossible de dégager
deux Equivalent Temps Plein (dont un cadre) toute une journée pour la « mission nomade »,
je privilégie donc l'après-midi. En concertation avec le Directeur de Service, je propose un
modus vivendi en réunion d'équipe : L'Assistant Social et la Psychologue formalisent une
présence dans l'unité mobile un après-midi de jeudi par mois, les éducateurs en charge d'une
mesure nomade se positionnent en priorité sur ces créneaux selon le même calendrier, les
autres éducateurs s'inscrivent sur les créneaux restant pour assurer une permanence au
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camion. Dans un premier temps, je consacre tous mes jeudi après-midi à cette nouvelle
mission pour la pérenniser. Globalement, la nouvelle mission consomme une après-midi par
mois à chaque agent, ce qui permet de ne pas trop impacter le cadre horaire de l'unité. La
présence physique du Directeur sur l'Unité le jeudi me permet d'épauler l'équipe en
déplacement. Les agents se sentent soutenus et partie-prenante d'une démarche globale dans
laquelle je suis physiquement acteur. Une mise en mouvement qui s'approche d'un
«patterning des Ressources Humaines26», c'est à dire bâtir un nouveau système en tissant des
relations, une véritable rééducation douce des pratiques : le RUE serait-il le kiné de l'équipe
éducative ? L'idée me plait ...
Le premier jeudi arrive, je klaxonne en bas de l'Unité au volant du camion que je viens
de récupérer. Les sièges arrières sont ajustables pour former un espace d'entretien. Sommaire
mais pratique. Un gamin a été déféré et une mesure prononcée par le Juge des Enfants. La
satisfaction est visible sur le visage de l'Assistant Social et de l'éducatrice présents. Les
semaines s'enchainent. Une démarche s'amorce. Les mesures éducatives arrivent au service.
Les juges pour enfants actent la démarche volontaire de la PJJ. Parallèlement, une carte des
lieux de séjour des familles se dessine peu à peu. L'inconnu apparaît et le travail éducatif
trouve son chemin. Des semaines se heurtent à l'absence car les terrains vagues sont vides
quelques fois mais les réunions d'équipe permettent de ne pas perdre le fil de notre démarche.
Et un jour, un mineur nomade appelle l'Unité. Nous pouvons être satisfaits. Et surtout passer à
la vitesse supérieure.
Toute équipe mobile est confrontée à la problématique de l'accompagnement en bas
seuil d'exigence27. L'Unité éducative a fait preuve de souplesse à l'encontre d'un nouveau
public et les exigences envers le mineur nomade étaient jusqu'à ce jour minime : être présent
lors de nos déplacements, entrer en contact, s'ouvrir sur l'extérieur … La démarche que j'ai
impulsée dans l'UEMO est inspirée de l'accompagnement mis en place dans les bus de nuit à
l'attention des usagers de drogue selon un principe clair : « être dans la tolérance, jamais
dans le jugement28 ». Pour ne pas s'enfermer dans une posture intenable, il est donc primordial
de passer désormais à une prise en charge en haut seuil d'exigence pour répondre aux attendus
de l’ordonnance confiée à l'Unité. Si pour l'instant nous avons pu nous déplacer, il est
primordial désormais d’intégrer la géographie du service dans la boussole des nomades. S'ils
circulent, ils doivent savoir qu'ils peuvent venir sur un point fixe : l'Unité. Les déplacements
en camion vers les campements continuent mais il est aussi proposé aux mineurs de venir au
service, accompagnés par nos soins. Le camion fait son effet et nous voilà reparti avec un
gamin dans le mini-van. Dans l'autre sens.
Il est alors indispensable d'apporter une valeur ajoutée éducative à notre prise en
charge. Le travail d'accompagnement s'installe peu à peu, avec des hauts et des bas, des
incompréhensions mais la dynamique est lancée. Le mineur qui arrive au service doit pouvoir
trouver autre chose auprès des éducateurs et le Dispositif Accueil Accompagnement 29 peut
être une réponse. Des ateliers sont déjà en place mais l'intégration des mineurs volatiles
comme les nomades n'est pas une évidence. Les horaires sont difficilement intégrés et il n'est
pas rare que le mineur arrive avec une heure … voire une journée de retard. Un crochet par le
lieu d’habitation permet de récupérer le principal concerné. Apparait ensuite que la
problématique centrale n'est pas le cadre de l'activité mais le fond. Doit-on organiser des
26 Lilian RICAUD, Le Patterning permaculturel, un nouveau cadre de pensée pour la conception et la
transformation de système complexes in Le management de l'intelligence collective : Vers une nouvelle
gouvernance par Olivier ZARA, M21 éditions, Paris, 2008
27 Laurent BURLET, le bas seuil d'exigence : une solution ? , revue Lien Social n°1044, Paris, 2012
28 www.aides.org
29 Note d’orientation de la PJJ du 30 septembre 2014
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ateliers spécifiques au risque d'enfermer les mineurs nomades dans un statut particulier ou des
ateliers généraux au risque de les perdre ? Grace à l'appui de la Direction Territoriale,
j'organise une journée banalisée de rencontre avec l'équipe de l'Unité d'Insertion, nos loueurs
de camion, pour partager leur savoir-faire. L'emploi du temps du Dispositif Accueil
Accompagnement déjà en place n'est pas bouleversé mais adapté. Il est décidé en équipe
d'intégrer peu à peu les mineurs nomades au sein de groupes réduits.
Et les semaines passent. S'amorce la phase de pérennisation de l'action. Un savoir-faire
émerge de l'Unité et nous savons le faire savoir. De directif à persuasif, de persuasif à
participatif, je deviens délégatif pour inscrire le dispositif dans la durée. Mais passer « de faire,
à faire-avec, à faire-faire est un exercice périlleux30 ». Les résistances étaient nombreuses, les
volontés aussi et il a fallu trouver les ressources à l'action dynamique. Dans le court terme, j'ai
structuré le service avec un mode d’action adapté (directif) car le but était de répondre à
l’urgence du contexte, pour une action rapide. Cela a entrainé un fonctionnement en essaierreur-correction illustré par les aléas de la voiture devenue camion. En une année, l'unité a su
s'adapter sous la conduite du binôme hiérarchique. Plusieurs indicateurs sont venus évaluer et
sanctionner positivement le dispositif: le nombre de jeunes correspondant à ce profil a
sensiblement augmenté, les magistrats sont satisfaits du travail mis en œuvre et la prise en
charge des mineurs nomades n'est plus un problème mais une problématique. L'équipe
éducative a besoin d'être confortée dans cette démarche. Mon choix de ne plus investir
systématiquement les accompagnements du jeudis après-midi a permis à l'équipe de mieux
s'approprier la démarche. Je me retire sensiblement pour mieux imposer le dynamisme en
cours. Le travail a commencé au mois de janvier précédent, nous voilà à l'aube d'un deuxième
été : 18 mois ponctués de réunion fédératrices, d'expériences, de doutes et d'espoirs … des
mois qui comptent professionnellement, éducativement et humainement.
Au fil des mois, j'ai su impulser une dynamique, animer la pensée pour organiser, et
structurer l’action de l’équipe dans une temporalité sans cesse ajustée aux aléas
environnementaux et aux interrogations humaines … et arrivent les beaux jours. Avec l'appui
de la Direction Territoriale et du Directeur de Service, j'organise dans une perspective de
bilan et cohésion d’équipe, une grande réunion conviviale de tous ceux qui ont participé à
l'action car à chaque fin d'aventure de l’irréductible Gaulois, le village se rassemble pour un
banquet. Pour fêter la victoire. Autour d'un verre en plastique, nous évoquons les difficultés
passées et les écueils surmontés. Nous nous projetons dans l'avenir avec force et conviction.
Le parc qui entoure l'UEAJ est un point d'ancrage. A la pause méridienne, nous allons
déjeuner sur l'herbe. Il y a les partenaires qui sont intervenus en réunion, la chaine
hiérarchique, les professionnels et surtout, les gamins et leur famille. Les mineurs de
l'Insertion ont organisé un buffet avec nos fameux nomades qui se fondent naturellement
dans le décor. Nous dressons ensemble une grande table. Rien ne manque, pas même la nappe
blanche. On stocke les assiettes dans un coin. A l'arrière du camion, notre camion, symbole
d'un travail accompli.
30 Michel BARABEL, ibid
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BIBLIOGRAPHIE
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ZARA Olivier,
Le management de l'intelligence collective :
Vers une nouvelle gouvernance, M21 éditions, Paris, 2008
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Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de
l'enfance. Dans son préambule, l’ordonnance du 2 février 1945 pose le principe d’une justice
des mineurs sans distinction d’origine ou de situation. La note PJJ de décembre 2015 sur
l’action éducative en milieu ouvert renforce ce postulat. Elle réaffirme la nécessaire
adaptabilité des pratiques et suivis éducatifs aux réalités des mineurs pour une mise en œuvre
réaliste et efficiente des accompagnements : chaque mineur connaît devant la justice et son
organisation les mêmes droits et devoirs.
Les enfants nomades échapperaient-ils à cette règle ? Répondre par l'affirmative n'est
pas envisageable. Une problématique qui soulève trois questions majeures du travail éducatif
sous main de justice :
Comment traiter la réalité des mineurs nomades qui échappent à tout suivi éducatif PJJ
dans un territoire ?
Comment le RUE, maillon de l’organisation judiciaire, doit-il organiser son service
pour que les nomades soient des justiciables comme les autres ?
Comment faire en sorte que soit dispensé le même droit à tous les mineurs pris en
charge malgré leur singularité de vie ?
Ce dossier d’expertise argumente une série de réponses selon l'action managériale d'un
RUE d'une UEMO en zone périurbaine. Dans sa fonction d’organisation et d’animation
pédagogique, le RUE donne du sens à une mission, l'accompagnement de tous les jeunes
confiés à l'Unité et fédère l'équipe éducative autour de ce projet primordial. Le manager
trouve dans l’environnement professionnel, humain, institutionnel, interne et externe les
éléments utiles à l'action. Pour imaginer, créer et impulser le changement, il doit être porteur
d’innovations au sein d’un service de milieu ouvert.
Ces quelques pages sont l’illustration singulière d'une démarche de recherche-action
au sein d'une institution confrontée à la singularité nomade, une aventure humaine et
professionnelle.