Gérer le trauma. Un combat quotidien.

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Gérer le trauma. Un combat quotidien.
3SM
Psychologie
Mag
Lu pour vous :
« Gérer le trauma. Un combat quotidien »
« Gérer le trauma. Un combat quotidien » est le septième livre d’Erik de
Soir, officier d’infanterie de l’armée belge, également qualifié et expérimenté comme intervenant de terrain (psychologue, sapeur-pompier et
ambulancier). Cet ouvrage vient s’ajouter aux nombreux autres qu’il a
consacrés aux traumatismes psychiques.
Il se présente cependant, sous un jour original
et dans une perspective pratique, comme le
témoignage d’un « combat au quotidien ». Il
éclaire dans un langage extrêmement accessible
comment les impliqués, les victimes directes ou
leurs proches, peuvent réaliser le cheminement
post-traumatique, aidés par les intervenants de
première ligne, afin de se défaire de l’emprise
maléfique du trauma.
Le monde de l’effroi
Dans une première étape, ce livre illustre au
moyen de différents témoignages de survivants
et de sauveteurs (ambulanciers, infirmiers, médecin urgentiste), l’essentiel du trauma psychique dans le quotidien, mais aussi lors d’urgences
collectives. Ces témoignages plongent immédiatement le lecteur dans le monde de l’effroi, du
désarroi, de la détresse péri traumatique et de
l’usure « de compassion ».
Au cours d’une deuxième étape, Erik De Soir
donne son point de vue sur le vocable d’« expérience traumatogène », terme initialement introduit par le Professeur Michel De Clercq dans
l’ouvrage « Les traumatisme psychiques » qu’il a
coédité avec le Professeur François Lebigot. Il est
vrai qu’un même événement peut être vécu par
un sujet sur le mode du trauma, avec surprise,
effroi, horreur, déréalisation et sentiment d’impuissance, mais vécu par un autre sujet sur le
mode de la réaction de stress adaptative, mobilisatrice d’énergie et inspiratrice de solutions pour
faire face.
Assimiler l’expérience
traumatogène
L’auteur indique ensuite comment les victimes
(et aussi les secouristes) peuvent être aidés à assimiler leurs expériences traumatogènes, avant
d’accentuer l’importance du triage psychologique en utilisant le fameux modèle CRASH à
trois dimensions : le type de victimes, le type
d’événement et le type de prévention. L’utilisation de ce modèle par les chercheurs anglosaxons, ayant essayé de détruire le débriefing
psychologique comme protocole d’intervention
auprès des impliqués d’événements traumatogènes, aurait évité beaucoup de malentendus et
d’erreurs dans les discussions entre spécialistes,
utilisant différentes formes de soutien à tort et à
travers sous le dénominateur commun de « débriefing ».
Une quatrième partie, bien documentée et
également pourvue de « mauvais » exemples
est consacrée aux annonces de mauvaises nouvelles.
Erik De Soir, formule et illustre les recommandations pour l’accueil immédiat, c’est-à-dire
la Première Assistance Psychologique en cas
d’Accident (acronyme PAPsyA), qui s’effectue
selon les principes IPASU, énoncés par Thomas
Salmon en 1917 : immédiateté, proximité, attentes, simplicité, uniformité.
Dans une sixième étape, il propose cinq grands
principes de la victimologie, dénommés les « big
five », à savoir ; les rituels, la reconnaissance,
l’information, la couverture sociale et la victimisation secondaire. Les nombreuses expériences
de terrain de l’auteur, lors d’urgences collectives
et durant ses interventions avec les sapeurspompiers, justifient largement ce regroupement
original.
Verbaliser le trauma
La dernière partie de ce livre aborde les techniques de verbalisation du trauma. Dans ce
passage, Erik de Soir reprend les principes de
son modèle CRASH afin d’introduire différentes formes d’entretien post-événementiel : la
séance de ventilation émotionnelle, la séance
de récupération et la séance de stabilisation
psychologique, après, respectivement, un
événement dépressogène, un événement exhaustogène (de l’ordre de l’épuisement) et un
événement traumatogène. Il aborde également
de façon détaillé le Débriefing du Stress Traumatogène (acronyme DST), avec sa méthode, ses
modalités d’intervention et ses phases codifiées,
mais aussi ses variantes. Appliqué aux sauveteurs
et intervenants, le debriefing psychologique devient Entretiens d’Accueil Collégial (EAC), assuré
par les Fire Stress Teams (FiST), dont Erik De
Soir énonce la composition structurale : objec-
tifs, éléments de base, organisation pratique,
composition du groupe, et phases du soutien
psychologique de crise, qui se terminent par
l’entretien complet de découplage psychologique.
Au total
Ce livre témoigne de plus de quinze ans d’expériences personnelles de sauveteur et d’intervenant psychologique de terrain. Il fournit une richesse d’exemples d’où se dégage un ensemble
cohérent de recommandations pratiques.
Il faut vivement conseiller cet ouvrage, tant aux
praticiens du trauma qu’aux intervenants des
services d’intervention. Pourtant, une question
demeure : comment l’homme, derrière cet
auteur, a pu vivre lui-même ces nombreuses
années auprès des grands blessés et des morts ?
J’aurais voulu lire davantage à ce sujet… qui sera
peut-être traité dans le prochain livre de notre
collègue et ami belge.
Sylvain GOUJARD
Président de l’AEPSP
Courriel : [email protected]
Formation
33
L’examen de l’urgence
psychologique
P
ailleurs, il est similaire à un outil bien connu des
intervenants de l’urgence et quotidiennement
utilisé : l’échelle visuelle analogique (EVA) employée pour chiffrer le niveau de douleur. Enfin, le BFP rassure aussi quant à la démarche de
l’Unité de Secours Psychologique : la prise en
charge psychologique est ainsi perçue au travers
d’une approche pragmatique et claire.
En fin de compte, cette autoévaluation favorise
la prise de conscience : « Je ne pensais pas avoir
été aussi touché par l’intervention ». Le BFP motive ainsi un travail de stabilisation personnelle.
hilipe P., adjudant et chef d’agrès de VSAB rentre d’intervention avec
son équipage. Il vient d’être engagé sur une tentative d’autolyse
par défenestration. L’intervention a duré plus de deux heures. La victime
s’est jetée du 8ème étage au décours des échanges avec l’équipe chargée
de lui porter secours. La RCP mise en œuvre immédiatement s’est soldée Quand pratiquer
par un échec. De retour au casernement, l’équipe s’effondre : tensions, la mesure ?
de pratiquer la mesure au plus près
crispations, pleurs. L’officier de jour demande l’intervention de l’Unité de Ildeimporte
l’événement. Nous recommandons donc de
Secours Psychologique (USP).
réaliser une évaluation dans l’heure qui suit la
fin de l’intervention. La cotation peut aussi être
utilisée afin de réaliser des mesures répétées
autorisant une surveillance à brève échéance. A
moyen et long terme, elle peut servir d’indice
de récupération.
Avant toute interprétation, les résultats recueillis
sont saisis dans une grille de cotation.
Le travail du binôme de l’USP ne diffère pas de
la méthode de travail des sapeurs-pompiers
arrivant sur un sinistre. Ils vont commencer par
réaliser une « reconnaissance » correspondant à
ce que nous dénommons ici « Examen de l’Urgence Psychologique ».
Comment interpréter
les résultats ?
Analyser la situation,
mesurer l’impact psychologique
L’examen de l’urgence psychologique est la première action à réaliser. Elle doit permettre à la
fois une analyse rapide de la situation et une mesure de son impact psychologique. A la manière
d’un bilan secouriste, cet examen est préalable à
toute action de secours. Correctement réalisé,
il permet à l’Unité de Secours Psychologique de
définir la méthode de secours psychologique la
plus adaptée à la situation rencontrée.
Cet examen permet d’aboutir à des données
mesurables à la fois qualitatives et quantitatives :
• L’analyse quantitative est réalisée par le « Bilan
Flash Psychologique » (BFP®),
• L’analyse qualitative est réalisée avec le « 5 Qs ».
Cette double évaluation doit être précoce,
rapide et peu invasive. Elle correspond à un
véritable « triage psychologique » des sapeurspompiers impliqués dans l’intervention.
Quantifier l’urgence
psychologique : LE BFP
Comme nous l’avons dit, cette quantification se
fait à l’aide du BFP. Pour cela on utilise trois réglettes de mesure subjective qui vont permettre
de coter l’axe 1 du CRASH Model (voir notre
dossier dans 3SM-Mag n°8). Ces outils permettent d’obtenir dans un temps très court - moins
d’une minute par individu - une intensité de
l’impact traumatogène, dépressogène et épuisogène.
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En pratique : « A son arrivée au casernement,
l’USP rencontre rapidement l’équipe du VSAV.
Philipe P. et son équipe rencontrent individuellement le psychologue ou l’infirmier de l’USP. Ces
derniers leur font passer le BFP :
- USP : Dans le but de savoir comment vous aider
par rapport à cette intervention, je vais vous demander de bien vouloir vous situer sur ces trois
axes. Le premier concerne votre niveau de tension
ou de stress. Où vous situez vous sur cet axe ?
- Philipe P. : 6/ 10
- USP : 6/10, cela correspond à une tension ou à
un stress modéré, clairement désagréable. C’est
bien cela ?
- Philipe P. : oui, c’est cela… »
Les trois réglettes étalonnées vont évaluer le
niveau de tension ou de stress, le niveau moral
immédiat et le niveau d’épuisement. Elles sont
utilisées exclusivement pour évaluer quantitativement l’impact situationnel. Insistons sur le
fait que cet outil ne doit être utilisé que par des
personnels formés au protocole de secours psychologique. Durant le développement du BFP, il
a été constaté que la mesure s’avère impossible
si la présentation de cet outil est mal faite ou au
mauvais moment.
En revanche, correctement présenté, le BFP est
accepté par les sapeurs-pompiers. En effet, il fait
appel à leur culture de l’évaluation par bilan. Par
La cotation se fait en deux phases : par code
couleur et par représentation graphique.
• Le bilan peut être vert, orange ou rouge.
Un bilan rouge recommande la mise en place
immédiate de premiers secours psychologiques. Un bilan orange impose d’avoir recours
à d’autres mesures plus cliniques pour mesurer
l’urgence psychologique. Enfin un bilan vert révèle l’absence quantitative d’urgence psychologique (voir tableau 1).
L’utilisation du BFP en Europe
L’AEPSP va réaliser la traduction du BFP en
plusieurs langues et suivre attentivement
les remontés des résultats d’utilisation de
ce protocole en Europe. Cet article est
aussi l’occasion de proposer aux services
de secours de rentrer dans notre réseau de
suivi des protocoles de secours psychologique.
En effet, l’AEPSP rédige des recommandations en la matière. Elle fournit aux sapeurs-pompiers des protocoles d’intervention, les forme à leur utilisation, cotation et
interprétation. Pour le BFP, nous organisons
un système de remontée de données afin
d’évaluer sa solidité scientifique à grande
échelle. Les adhérents du « réseau protocole de secours psychologique » bénéficient en retour des corrections apportées
à l’outil ou des dernières innovations le
concernant.
Magazine du Service de Santé et de Secours Médical
3SM
Vert
Pas de prise en charge
psychologique urgente
Prise en charge psychologique,
Orange (réaction urgente à évaluer
finement)
Prise en charge psychologique
Rouge urgente, secours psychologique
immédiat requis.
Tableau 1
• Cette première cotation est doublée d’une
analyse graphique individuelle ou collective. Elle
oriente sur le type de premiers secours psychologique à mettre en œuvre en fonction de
la dominante traumatogène, dépressogène et
épuisogène (voir tableau 2 et graphique 1).
Traumatogène Stabilisation psychologique
Dépressiogène Ventilation émotionnelle
Récupération / recondiEpuisogène
tionnement
Tableau 2.
En pratique : « Le binôme de l’Unité de Secours
Psychologique constate rapidement, en dehors
de toutes les manifestations cliniques observables (au niveau comportemental, cognitif ou
émotionnel), que le BFP classe trois sapeurspompiers en bilan rouge et un en bilan vert.
Une action de secours immédiat est donc requise pour l’équipe ».
La forme du secours sera influencée par la représentation graphique. Ici une dominante traumatogène est mise en évidence. Le triage psychologique nous indique donc que « le trauma
surpasse la déprime ». L’épuisement vient seulement après, en troisième position.
Le BFP est donc un outil rapide (utilisable à
l’échelle de la minute) et précis. Il permet de
réaliser des mesures immédiates ou répétées.
Il renseigne sur le degré d’urgence et sur la
forme d’action devant être mise en place. Insistons cependant sur le fait que l’utilisation du BFP
comme seul Examen de l’Urgence Psychologique est un non-sens. Une simple mesure quan-
Mag
titative n’aboutit en effet en aucun cas à un bilan
sérieux. Le BFP doit donc impérativement être
utilisé couplé avec une analyse qualitative. A cet
égard, nous recommandons l’emploi du 5 Qs.
Qualifier l’urgence
psychologique : Le 5 Qs
L’entretien des 5 Qs s’articule autour des 5
questions suivantes :
- Q1 : Qu’est-ce que tu as fait et dans quel rôle ?
- Q2 : Qu’est-ce que tu penses de ton action ? - Q3 : Quelles étaient les difficultés les
plus prononcées ? - Q4 : A l’instant, comment vas-tu ? - Q5 : Serait-ce une bonne idée d’enchaîner avec un débriefing psychologique et/ou opérationnel ?
En pratique :
Q1 : « J’étais chef d’agrès. C’est moi
qui parlait à la victime. J’ai tenté de
l’empêcher de sauter. Quand je me
suis approché, après 15 minutes
d’échange, c’est à ce moment qu’elle
a sauté… Après on a tenté de la réanimer mais c’était peine perdue ».
Q2 : « je pense qu’on a fait ce qu’il fallait. Sauf au
moment où je me suis approché d’elle. À ce momentlà j’étais à court d’idées. Les collègues aussi. Elle allait
sauter…Je pense que…Je ne sais pas… »
Q3 : « Le fait de la voir tomber, l’attente de l’EPA
pour faire venir la nacelle contre la fenêtre… Finalement, elle n’est pas arrivée à temps. Et la réanimation… on l’avait vue vivante, et puis après elle
ne ressemblait plus à rien et elle était morte ».
Q4 : « je suis choqué et énervé… fatigué aussi ».
Q5 : « Je pense que oui… et je sais que je ne suis
pas le seul à me sentir mal… On a l’impression de
s’être planté. Je ne sais pas si on aurait pu faire
autrement. »
Le 5 Qs offre à l’équipe sapeur-pompier la possibilité d’évoquer l’intervention. C’est un premier exercice de mise en mot pour faire face au
trauma qui est une confrontation à l’innommable. Le 5Qs permet ainsi une ventilation émotionnelle indispensable à la récupération. Durant
cette étape, l’Unité de Secours Psychologique
va collecter des informations sur la perception
que chacun a eu de son rôle. Elle va identifier
les cognitions et les marqueurs de difficulté. Elle
permettra au sapeurs-pompiers de faire un premier état des lieux. Enfin, si cela est pertinent,
elle proposera, en s’appuyant sur la réponse à la
question 5, la mise en place d’un dispositif d’accompagnement. Un fois l’examen de l’urgence
psychologique réalisé, le binôme se concentrera
sur les premiers secours psychologiques dont
nous parlerons dans un futur article.
Psychologues
Formations
Conférences de Réanimation
Pré-Hospitalière 2011-2012
BSPP - 3SM - SSA - CARUM
Mardi 10 janvier 2012 :14h30 Amphi
Baudens. Ecole du Val-de-Grâce
Urgences toxicologiques : Actualités
Mardi 6 mars 2012 : 14h30 Amphi Baudens.
Ecole du Val-de-Grâce
De l’appel à l’accouchement…
Mardi 3 avril 2012 : 14h30 Amphi Baudens.
Ecole du Val-de-Grâce
Urgences psychiatriques
Mardi 15 mai 2012 : 14h30 Amphi Baudens.
Ecole du Val-de-Grâce
Quelle induction anesthésique pour quel
patient ?
Amphithéâtre ROUVILLOIS de l’École du Val
de Grâce. 1, Place Alphonse Laveran - 75005
PARIS Cedex (RER Port Royal)
Secrétariat des conférences :
BSPP / SMU - 1 place Jules Renard - BP 31
- 75823 Paris Cedex
Courriel : [email protected]
Les Jeudis du BMPM
Programme 2011 / 2012
Le Pharo - MARSEILLE
12 Janvier 2012 : Médecine d’urgence et
psychiatrie
Président : Pr PILARD (HIA SAINTE ANNE)
9 février 2012 : Approche éthique de la
mort.
Président : Pr JF MATTEI (Membre de l’Académie Nationale de Médecine, Président de
la CRF, fondateur de l’EEM)
15 mars 2012 : Urgences neurologique et
télémédecine
Président : Pr P. ALLA (HIA St ANNE)
12 avril 2012 : Hyper-terrorisme NRBCe,
actualités
Président : Dr C FUILLA (DGSCGC)
Lieu : Le Pharo, amphithéatre de Institut de
Médecine Tropicale du SSA, Bd Charles Livon
13007 Marseille
Sylvain GOUJARD
Président de l’AEPSP, Expert psychologue SDIS 42,
Sapeurs-pompiers au SDIS69
[email protected] - www.aepsp.eu
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