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instrument
piano
titre
BRAHM S, VARIATIONS
stefan
chaplikov
collection
jeunes solistes
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CONSERVATOIRE
NATIONAL SUPÉRIEUR
DE MUSIQUE ET
DE DANSE DE PARIS
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Stefan
cHAPLIkOV
Né à Plovdiv, Bulgarie, Stefan Chaplikov fait à l’âge de 11 ans
ses débuts à Sofia comme soliste de l’ensemble de chambre
Les Solistes de Sofia avec le Concerto en ré mineur BWV 1052
de Bach. Il est lauréat de nombreux concours internationaux,
entre autres : Grand Prix au Concours International de Varna,
au Concours International Schumann-Brahms de Plovdiv,
Premier Prix au Concours International Rubinstein de Paris ;
Deuxième Prix au Concours International Albert Roussel de
Sofia. En 2006, il achève brillamment ses études à l’École
nationale de musique Dobrine Petkov à Plovdiv et reçoit le
prestigieux prix du même nom.
Entré en 2006 au Conservatoire de Paris dans la classe de
piano de Michel Béroff, Denis Pascal et Marie-Josèphe Jude, il y
obtient en 2011 son diplôme de Master, mention Très Bien. Dans
le cadre de son cursus de musique de chambre, il bénéficie des
conseils de Daria Hovora. Pendant ses études à Paris, Stefan
Chaplikov est lauréat-boursier de la Fondation Meyer et du
Fonds de Tarrazi, de l’ADAMI et du prix Oriolis.
Sa carrière de soliste et de chambriste l’amène à jouer dans
des endroits prestigieux en France, en Espagne et au Canada,
et dans divers festivals et académies de musique comme,
récemment, à l’Académie de Musique de Lausanne en 2011, et
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au Banff Centre, Canada, en 2012. Il a bénéficié des conseils de
maîtres tels que Leon Fleisher, Fou Ts’ong, Éric Heidsieck, Dmitri
Bashkirov, Bruno Canino, Idil Biret et John O’Conor.
En 2013, il a été accepté dans le prestigieux Rebanks Family
Fellowship Program dans l’École Glenn Gould à Toronto où il a
été dans la classe de piano de John Perry. Depuis septembre
2014, il est étudiant en Diplôme d’Artiste au Yale School of
Music dans la classe de piano de Peter Frankl.
[email protected]
Born in Plovdiv, Bulgaria, Stefan Chaplikov made his concert
debut in Sofia at the age of eleven as a soloist with the
Sofia Soloists chamber ensemble performing Bach’s Piano
Concerto in D Minor, BWV 1052. He was the recipient of the
Bulgarian Minister of Culture’s Award for Outstanding Artistic
Achievements as well as receiving an Honorary Diploma from
the President of the Republic for “Exceptional Results in the
Musical Arts”. In 2006, he continued his education at the
Conservatoire de Paris in the studio of Michel Béroff, Denis
Pascal and Marie-Josèphe Jude. While there, Stefan received
chamber music coaching with Daria Hovora. During his studies
in Paris, Mr Chaplikov was awarded scholarships and grants
from the Adami, Meyer and Tarazzi Foundations, as well as
the prix Oriolis for 2010. In 2011, Stefan obtained his Master’s
degree in Piano from the Conservatoire de Paris with highest
distinctions (Mention Très Bien).
Stefan Chaplikov has performed across Europe and North
America to a high critical acclaim. First prize winner of
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several international competitions, including the International
Piano Competition Varna, Nikolai Rubinstein International
Piano Competition, Paris, International Piano Competition
Schumann-Brahms in Plovdiv, Bulgaria, second prize at the
Concours international de piano Albert-Roussel in Sofia,
Mr. Chaplikov enjoys a versatile career as a soloist, concerto
soloist, and chamber musician. His emerging career thus far
has seen him performing in venues such as Salle Cortot, Musée
de l’Armée, Paris, Musée des Augustins de Toulouse, Palacio
de Festivales de Cantabria, Santander, Richard Bradshaw
Amphitheatre and Koerner Hall, Toronto.
Recent performance highlights include a concerto with the
Plovdiv Philharmonic Orchestra in Bulgaria under the baton of
Dian Chobanov performing Beethoven’s Piano Concerto no. 4.
Stefan has been invited to several prestigious music festivals
and academies, most recently The Banff Centre, Encuentro
de Música y Academia Santander, Académie de Musique
Lausanne, Festival International des Jeunes Étoiles Paris. He
has also studied or coached with such esteemed pedagogues
as Leon Fleisher, Fou Ts’ong, Dmitri Bashkirov, Bruno Canino,
Idil Biret, Éric Heidsieck and Marc Durand.
In 2013, he was accepted into the prestigious Rebanks Family
Fellowship Program at The Glenn Gould School in Toronto
where he is a student of John Perry.
In September 2014 he was admitted to the Artist Diploma
programme at the Yale School of Music under the tutelage
of Peter Frankl.
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Le statut de l’interprète subit actuellement une évolution déterminante et
l’instrumentiste formé au Conservatoire n’est plus seulement le virtuose qui
compose son répertoire en vue d’ébahir le public par ses prouesses digitales.
bRAHMS,
vARIATIONS
Il est aussi une figure intellectuelle qui réfléchit sur le sens
des œuvres, sur sa propre démarche, sur l’orientation de son
répertoire et en ce sens on peut admettre qu’il « compose »
également. Vus depuis cette perspective, les choix de Stefan
Chaplikov quant au programme de cet enregistrement méritent
d’être placés à la lumière des interrogations qui les ont fait
naître. Le choix d’une forme unique, la variation, et à plus
forte raison d’un seul compositeur, Johannes Brahms, pose
au moins une question essentielle, à savoir celle de l’évolution
d’un type de forme musicale chez un auteur donné. Car voilà
le problème conceptuel auquel nous confronte le pianiste, et
auquel il nous offre une réponse sensible : comment, entre 1854
et 1861, Brahms va-t-il s’intéresser à ce cadre spécifique de
l’organisation du matériau musical qu’est la variation, le faire
évoluer, et que cela révèle-t-il de l’évolution des préoccupations
compositionnelles de l’auteur ? C’est sans aucun doute la question que s’est posée l’interprète de ces pièces, et c’est donc par
ce biais que nous tenterons d’en percer une partie du sens — et
une partie seulement, l’analyse d’une œuvre étant impuissante
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à en épuiser les significations totales. Exercice toujours périlleux
que celui de parler du sens de la musique, quand celle-ci est par
nature un support donc le caractère est en définitive objectivement insaisissable.
La forme « variation »
Lorsque Brahms, en 1854, écrit ses premières variations, la
forme n’en est pas à ses balbutiements, elle traîne déjà derrière
elle un héritage lourd de sens. Mais qu’entend-on exactement
par variation et par forme-variation ? Le problème posé par le
terme « variation » vient du fait que celui-ci est très souvent
entendu dans son sens large, c’est-à-dire comme la faculté
d’apporter du changement. Le simple fait de modifier un objet
dans son déroulement temporel suffirait donc à le varier.
En musique, il faut le comprendre de façon plus précise. Pour
qu’il y ait variation d’une substance thématique, il faut aussi
qu’il y ait permanence de certains attributs de cette substance,
sans quoi la variation devient simple succession et la cohérence
de l’ensemble se borne à un simple cheminement temporel.
Pour qu’il y ait variation il faut donc que la mémoire de certaines caractéristiques, mélodiques, métriques ou harmoniques
soit décelable à l’audition. En d’autres termes, la variation est
en quelque sorte la nature même de la composition,si l’on
entend cette dernière comme la manière d’agencer un ou des
matériaux musicaux de façon à ce que chacun des moments
de la forme ainsi obtenue renvoie à un ou plusieurs autres
moments de la même forme. C’est pourquoi elle se retrouve
depuis des siècles dans la musique occidentale : une fugue, un
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canon, un développement portent en eux le principe même de
la variation et il n’est donc pas étonnant que cette dernière se
rencontre à la fois dans la polyphonie médiévale et renaissante
(on pense par exemple au cantus firmus de la liturgie du Moyen
Âge — paradigme mélodique sur lequel s’édifiait une polyphonie — ou aux pièces polyphoniques de Claude Lejeune), mais
aussi chez les instrumentistes et chanteurs des XVI e et XVII e
siècles, pour lesquels la variation était un moyen de briller
face à l’auditeur par l’ajout d’ornements virtuoses et raffinés
— doubles et diminutions. Les airs de Michel Lambert (1661 et
1689) ou The Harmonious Blacksmith d’Haendel en sont les
parfaits exemples, mais on pourrait très bien citer également
les Variations sur des airs anglais de Byrd (1591) ou bien encore
le second livre de Toccate de Frescobaldi (1637). Mais la variation, dans l’idée d’un processus de composition, est encore
trop proche de l’idée et d’une pratique de l’improvisation.
C’est avec les organistes que le procédé va dépasser la simple
diminution et on trouve bientôt un véritable travail thématique
qui cristallisera bientôt ce que nous appellerons la formevariation, incontestable archétype formel de l’organisation du
matériau musical — qu’on pense par exemple aux passacailles
de Buxtehude ou de Bach, dont le sommet en la matière restera les fameuses Variations Goldberg écrites pour le clavecin.
C’est de cette époque qu’apparaissent ces pièces présentant
un thème suivi d’une série de variations, et dont le tout
constitue un ensemble unitaire. Cependant, les compositeurs
de la seconde moitié du XVIII e siècle vont délaisser ce côté
contrapuntique tant travaillé par leurs prédécesseurs et traiter
la variation davantage dans l’esprit léger de l’ornementation,
comme le faisaient les chanteurs et instrumentistes des XVI e et
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XVII e siècles : ce sera le cas de Haydn, Mozart, mais aussi Pleyel
ou Eckaert. C’est véritablement avec Beethoven qu’on peut
parler de l’épanouissement de la forme-variation, et à sa suite
viendra, tout au long du XVIII e siècle, une pléthore de compositeurs dont les plus connus sont Mendelssohn, Chopin, Heller,
Thalberg, Schumann, et surtout celui qui a intéressé Stefan
Chaplikov dans cet enregistrement : Johannes Brahms.
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la variation chez brahms
Nous pouvons saluer cet enregistrement à plus d’un titre. Audelà de ses qualités techniques prodigieuses et de la sûreté de
ses positions esthétiques, Stefan Chaplikov nous offre en effet
deux présents inestimables. D’abord, il éclaire d’une vision
nouvelle un répertoire peu connu et peu fréquenté par les pianistes, malgré l’intelligence et la beauté sonore de ses formes :
nous pensons là aux deux pièces de l’op. 21, que l’on a que trop
rarement l’opportunité d’entendre au concert ou en disque. Mais
surtout il nous permet d’apprécier, dans un cadre temporel et
esthétique relativement condensé (celui de la forme-variation,
chez Brahms, entre 1854 et 1862), les différentes manières et
les différentes réponses que propose le compositeur à ce qu’il
considère être le « problème » de la variation comme modèle de
forme musicale. Ainsi, la forme-variation pourra-t-elle s’éprouver aussi bien au niveau microscopique de l’œuvre en tant que
forme fermée et autonome, qu’au niveau macroscopique du
groupe d’œuvres élaborées sur quelques années selon un même
principe de base.
À un niveau supérieur, et dans un effet de mise en perspective
tout à fait légitime, il s’agira donc de savoir comment Brahms
varie — ou pas — cette forme-variation au fur et à mesure de sa
plongée au cœur de la question posée par ce paradigme formel.
Ce qui suit n’est pas un exposé technique complexe ; bien au
contraire, nous nous efforcerons d’aller à ce qui nous semble
être l’essentiel dans ce groupement d’œuvres, et de traiter de
points qui sont directement perceptibles par l’auditeur. Aussi
faut-il prendre les quelques lignes qui suivent comme une
manière de guider l’écoute à certains moments-clés de l’œuvre
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et d’en préciser les enjeux compositionnels en plaçant des
repères chronologiques et en rappelant des références qui nous
ont semblé légitimes.
Les Variations op. 9
Partant de la définition dont nous avons convenu quant à la
forme-variation, il faut en premier lieu s’interroger sur le choix
des thèmes variés par Brahms. Ont-ils les mêmes caractéristiques ? Qu’impliquent les qualités de leurs attributs ? Y a-t-il un
modèle de thème à varier ? Le thème de l’op. 9, choisi en 1854 par
le jeune compositeur alors à peine âgé d’une vingtaine d’années,
est absolument exemplaire à la fois dans son matériau, sa forme
mais aussi dans la mémoire de laquelle il est déjà chargé lorsque
Brahms s’en empare. Au niveau structurel, il est parfaitement
symétrique (une mélodie de 8 mesures variée pendant 8 mesures
et reprise pendant 8 mesures). Sa formulation mélodique est extrêmement sobre, et quand on observe la manière avec laquelle
le tout est harmonisé, on se rend compte que le thème est déjà
variation harmonique en soi : la même phrase mélodique est en
effet harmonisée de trois façons différentes (tonalité principale
de fa dièse mineur, tonalité relative de la majeur et emprunt au
ton voisin de si mineur dans sa réexposition). Ainsi Brahms s’empare d’un matériau qui reflète déjà la structure entière de l’œuvre
à bâtir, au moins dans son principe mélodico-harmonique. Par
ailleurs les références dont il est déjà chargé ne peuvent être passées sous silence : Brahms avait fait connaissance des Schumann
durant l’été 1853, et cela avait été le début d’une grande et profonde amitié avec le couple d’artistes. C’est la raison pour laquelle
cette œuvre, dédiée à Clara Schumann (les variations 10 et 11 ont
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d’ailleurs été composées les dernières, deux mois après toutes les
autres, le 12 août 1854, jour de la Sainte Clara!) tire son thème du
premier Albumblatt op. 99. Par ailleurs il est amusant d’observer
que la variation 9 est une paraphrase du deuxième Albumblatt et
que la trente-cinquième mesure de la variation 10 commence par
le « Thème de Clara Wieck » des Impromptus op. 5l ! Le thème
de l’op. 9 possède donc deux caractéristiques essentielles : une
structure élémentaire dans sa forme et son matériau, ainsi que la
mémoire d’un modèle musical cher au compositeur. Concernant
ce modèle, nous venons de voir que Brahms s’en servira pour
multiplier (varier?) les références. Ces multiples clins d’œil aux
Schumann doivent être entendus ainsi : puisque Robert fournit la
substance thématique et que Clara est la destinataire, pourquoi
ne pas varier également les allusions qui leur sont faites ? Clara
avait d’ailleurs déjà composé des variations sur ce thème. Mais
ce qui nous paraît être le plus significatif, c’est la manière avec
laquelle est varié ce thème. Deux points nous paraissent intéressants à préciser au cours de ces 16 variations :
• d’abord celles-ci ne coïncident pas strictement avec la
structure formelle et l’harmonisation du thème, mais sont
développées librement avec la mélodie de celui-ci. En cela,
elles suivent la trace du Schumann des Études Symphoniques.
Par ailleurs, comme pour Schumann, les variations exploitent
des tonalités différentes et non la simple opposition majeur/
mineur comme l’auteur le fera plus tard assez régulièrement.
En fait, c’est l’hommage rendu au couple d’amis qui importe
à Brahms : en multipliant les allusions, les citations, il varie à
la fois le thème et la mémoire dont celui-ci est chargé, d’une
façon dont se souviendra la postmodernité des années 19801990 dans sa manière de multiplier les références.
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• mais surtout le jeune compositeur fait preuve d’une science
de l’écriture très impressionnante pour son jeune âge. Les
ressources contrapuntiques employées tout au long des
variations révèlent une connaissance approfondie des procédés dont usait le Bach des Variations Goldberg. Dans la
dixième variation, à partir de la mesure 17, la basse du thème
est employée dans l’aigu comme mélodie, et c’est son propre
renversement qui est utilisé comme basse, pendant que les
doubles-croches des parties intermédiaires reprennent en
diminution la mélodie du thème initial. La huitième variation
introduit un canon à l’octave, la quatorzième un canon à la
seconde et la quinzième un canon à la sixte. Ou encore la
dixième variation, dans laquelle la mélodie est employée
comme canon de l’inversion : à chaque intervalle descendant
de la main droite correspond un intervalle ascendant de la
main gauche, et vice versa, pendant que les parties intermédiaires répètent le thème diminué. En bref, nous sommes face
à une maîtrise totale de l’écriture pianistique, de la science
contrapuntique et on peut avancer que ces variations vont
bien au-delà de l’écriture des trois sonates pour piano écrites
précédemment.
Dès son premier essai, on remarque donc que malgré la nouveauté de cette forme pour le compositeur, celui-ci y semble
totalement à l’aise.
Il paraît aussi important d’ajouter que le rôle assigné à la basse
dans cette œuvre est essentiel. Le musicologue Victor Luithlen
a établi en 1927 une typologie des variations dans ses études
consacrées à Brahms. Pour lui, il existe quatre types de variations possibles :
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• les variations mélodiques : déterminées par la prégnance
de la mélodie du modèle ;
• les variations sur basse : basse thématique
particulièrement saillante ;
• les variations harmoniques : importance accordée
aux harmonies du thème ;
• les fantaisies-variations : se distancent des harmonies et
de la forme thématique tout en exploitant une structure
mélodique ou un motif issu du modèle.
Ici, outre la présence indiscutable du quatrième modèle, on
peut aussi noter l’importance du deuxième. Cela renvoie à
une remarque du compositeur lui-même qui affirmait : « Les
compositeurs d’aujourd’hui savent rarement choisir un thème
approprié et permettant un développement intéressant du
point de vue de la technique instrumentale comme de la pensée
musicale... la difficulté consiste à domestiquer son imagination.
On a toujours tendance à multiplier les variations. Les moins
nombreuses sont les meilleures, à condition, bien entendu, que
tout ce qui peut être dit soit dit. C’est là que réside le grand
écueil du genre... les variations ne doivent jamais perdre de vue
leur prétexte et leur but : c’est là une évidence dont on oublie
trop facilement aujourd’hui la nécessité. Et pour cela, il est indispensable de choisir un thème dont la basse ait un poids solide :
la basse est, à mon sens, plus importante que la mélodie ellemême. C’est elle qui est le véritable guide, et aussi le contrôle de
la fantaisie... ».
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Les pièces op. 21
Ces préceptes-là vont-ils se retrouver dans ce que l’on peut
considérer comme le deuxième cycle de la variation chez
Brahms, à savoir les deux pièces de l’op. 21, composées entre
1857 et 1861 ? Le thème original de l’op. 21 n° 1 est intéressant
en ce sens qu’il est écrit par Brahms lui-même. On peut donc
supposer qu’il représente pour son auteur le type même de
matériau musical dont les caractéristiques le rendraient idéal
à varier. Comment se présente-t-il ? Au niveau de la forme, on
retrouve une structure binaire à reprise de type AABB, dont
la symétrie est compensée par le fait que chaque partie se
divise en deux phrases de chacune 4 et 5 mesures. Au niveau
mélodique, les phrases se déploient sur un ambitus très large ;
harmoniquement, on peut remarquer l’opposition des deux
parties : dans la première, les fonctions harmoniques sont relativement simples (malgré une densité polyphonique très touffue),
la seconde partie quant à elle suit un parcours tonal sinueux
(ton homonyme de ré mineur, son relatif fa majeur, ton voisin de
la majeur avant de retourner au ré majeur initial). On est donc en
présence d’un thème complexe, aussi bien dans sa structure qui
refuse l’équilibre binaire (neuf mesures à chaque fois) que dans
sa présentation mélodique (ambitus) et harmonique (parcours
tonal déjà complexe). Nous sommes donc à l’opposé du thème
de Schumann (mis à part peut-être ce qui concerne la forme très
ramassée de sa mélodie), ce qui montre comment, en un laps
de temps très court — à peine deux années, Brahms s’emploie à
développer et renouveler ses conceptions. Mais qu’en est-il des
onze variations qui suivent ?
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Si Brahms conserve souvent la structure périodique et les harmonies du thème, ses variations sont pourtant traitées encore
une fois très librement, davantage dans le style de la grande
variation amplificatrice beethovénienne. Il avait pour habitude
d’appeler ces onze variations ses « variations philosophiques » :
en effet, on y rencontre en permanence la prééminence de
la construction architectonique au détriment de la séduction
immédiate, ce qui explique peut-être aussi leur succès mitigé au
moment de la période du Sturm und Drang, où les effets étaient
légions. Comme dans l’op. 9, l’élément contrapuntique est
présent, par exemple dans la cinquième variation qui consiste
en un canon en mouvement contraire, la ligne inférieure étant
l’inversion de la ligne supérieure. D’une façon générale, cet opus
se rattache dans la manière au précédent, bien que les deux
thèmes qui servent de substance aux variations soient profondément opposés dans leurs attributs.
L’op. 21 n°2, avec ses treize variations et finale, a pour base un
thème populaire hongrois, et ici Brahms décale encore une
fois la problématique de composition, puisqu’à une structure
mélodico-harmonique très sommaire, répond une structure
métrique complexe : le thème se décompose en effet en une
alternance de mesures à 3 temps et de mesures à 4 temps, ce
qui est assez rare à l’époque pour mériter d’être souligné.
Les variations s’articulent quant à elles autour de la mélodie,
qui est tour à tour transmise aux différentes voix, transposée
ou agrémentée de notes de passage. Elle reste cependant parfaitement identifiable dans chaque variation. Nous changeons
donc ici complètement de modèle de forme. Pour quelles
raisons ? Est-ce la nature même du thème, populaire, qui exige
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ce traitement ? Nous pensons en effet que ce qui fonde son
intérêt, c’est la joie du chant associée à la dissymétrie métrique.
Grâce à ce revirement dans l’écriture de Brahms, on comprend
mieux quel est le sens de la forme à variations chez lui. Il s’agit
de varier, certes, mais tout en valorisant les attributs essentiels
de la substance thématique. Le thème de l’op. 9 emprunté à
Schumann multipliait les clins d’œil et les références, le thème
original, délicat dans son cheminement métrique et mélodicoharmonique, développait des variations dont le matériau et la
structure étaient extrêmement complexes. C’est pourquoi ce
thème populaire, qui est la manifestation d’un chant exalté, est
varié de façon à mettre en valeur systématiquement cet idéal
mélodique. Le sens de la forme variation chez Brahms éclate
donc ici dans toute sa clarté : il s’agit, en développant dans
de courts épisodes des attributs choisis du thème initial, de
mettre en valeur ce qui fait la substance même de ce thème —
respectivement la mémoire, la construction architectonique et
la glorification mélodico-rythmique. Ce sera encore le cas dans
les célèbres Variations sur un thème de Paganini pour piano
seul (deux cahiers) composées en 1863 : même si l’on y retrouve
quelques-uns des procédés chers à l’auteur — ­nécessité de
l’appropriation du thème, possibilités de développement
symétrique qu’il garantit, importance de la basse harmonique —
l’essentiel est que circule à l’intérieur des variations ce qui fait
la substance première du thème initial : la virtuosité.
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Les Variations op. 24
Cela va se vérifier dans les vingt-cinq variations et la fugue de
l’op. 24, composées entre 1862 et 1863. Le thème est emprunté
à une Aria des trois Leçons pour clavecin que Haendel avait
composées pour les filles du Prince de Galles (il avait d’ailleurs
lui-même déjà composé cinq variations à partir de ce thème).
Comme dans l’op. 9, ce thème est ramassé et extrêmement
simple dans tous ses paramètres : unité mélodique, simplicité
harmonique (enchaînements de toniques et de dominantes
dans la tonalité principale puis dans la tonalité de la dominante), forme symétrique et équilibrée (AABB avec 4 mesures
par partie). L’unique élément de variété vient de l’harmonisation, qui se fait sur des renversements différents de l’accord à
chaque fois, épuisant presque en quelques mesures toutes ses
possibilités de présentation.
Comme dans l’op. 21 n° 2, on retrouve un respect absolu des
structures périodiques, harmoniques et mélodiques dans la
majorité des variations. La science contrapuntique de l’op. 9 et
de l’op. 21 n° 2 est poussée encore davantage ici. En effet Brahms
s’est plu à terminer l’œuvre par une fugue d’une dimension imposante. Si le procédé n’est pas nouveau (on le trouve notamment
chez Beethoven, dont Brahms admirait et connaissait l’œuvre au
plus haut degré), il fait certainement référence au fait qu’Haendel
lui-même avait déjà « osé » introduire une forme à l’intérieur
d’une autre ; en effet, c’est bien lui qui avait inséré le procédé de
la variation dans la suite classique. Par ailleurs, dans les dimensions, sa carrure et sa puissance (l’écriture pianistique acquiert
dans la pièce une dimension orchestrale par son ampleur et les
procédés techniques qu’elle met en jeu), l’œuvre est intimement
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liée à celle du vieux maître. Encore une fois, il s’agit de valoriser
ce qui fait la substance du thème varié. Et ici il s’agit, bien sûr,
de l’art d’Haendel. Par ailleurs, concernant la fugue, on ne peut
qu’être admiratif de sa réalisation : celle-ci épuise en effet toutes
les possibilités contrapuntiques possibles : diminutions, augmentations, renversements, récurrences...
Les autres variations
Nous avons abordé fugitivement les variations écrites sur un
thème de Paganini. Il semble bien que le Thème et variations
op. 18 ait été écrit davantage dans cet état d’esprit : les structures
métriques et tonales sont respectées scrupuleusement et chaque
variation aborde un élément technique ou type d’écriture pianistique bien particulier. Il est seulement intéressant de remarquer
que le thème utilisé a encore une fois une nature différente (il
a été écrit par le compositeur, mais pour une autre œuvre —
deuxième mouvement du Sextuor op. 18) et que le traitement
de ses variations suit un chemin différent des autres œuvres que
nous venons d’observer. Notons également que la variation se
retrouvera dans de nombreuses autres œuvres de Brahms, même
quand celles-ci ne portent pas le nom de thème et variations :
ainsi de la chaconne de la Passacaille finale de la Quatrième
Symphonie, de certains Lieder (où la succession des strophes est
traitée dans l’esprit de la variation), ainsi que des sonates pour
piano (deuxième mouvement de la Sonate pour piano op. 1, avec
quatre variations simples dans l’esprit populaire, deuxième mouvement de la sonate pour piano en fa dièse mineur op. 2, dans
laquelle le thème est traité très librement dans les variations).
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Conclusion
Ce qui se joue dans la succession formée par ces cycles de
variations, ce n’est donc pas la naissance d’une forme — puisque
celle-ci préexiste à l’œuvre de Brahms — mais le développement de celle-ci à un degré jusqu’alors inexploré. Diversité de
nature, de forme et de caractère des thèmes choisis, diversité
dans le traitement de leurs variations : on voit à l’œuvre une
pensée musicale, qui se construit intelligemment et patiemment dans cette succession. Cela nous permet d’apercevoir la
relation qui se tisse au fil du métier entre un compositeur et les
formes musicales qu’il aborde, et qui sont pour lui un moyen
d’exprimer à la fois son métier — nous pensons ici à l’artisanat
contrapuntique ultra-raffiné de certaines variations — et des
conceptions esthétiques puissantes, mémoire qu’entretient une
forme musicale avec le passé, idée d’une substance thématique
qui agirait en tant que moteur de la variation de ses attributs...
Soyons donc reconnaissants à Stefan Chaplikov d’avoir pensé
ce programme et de nous révéler grâce à sa cohérence des liens
qui n’auraient peut-être jamais pu être pensés sans le secours de
son interprétation.
Pierre-Arnaud Le Guérinel
Johannes Brahms en 1855
(Det Danske Brahmsselskab)
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Johannes Brahms (1833-1897)
1.
Variationen über ein
Thema von G. F. Händel op. 24
25’31
2.
Variationen über ein eigenes
Thema op. 21 n° 1
17’01
3.
Variationen über ein Thema
von Robert Schumann op. 9
16’47
4.
Variationen über ein
ungarisches Lied
op. 21 n° 2
6’45
5.
Thema mit Variationen
(Klavierfassung des
Variationensatzes aus dem
Streichsextett op. 18)
9’58
D u r é e tota l e : 7 6 ’ 0 1
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Stefan Chaplikov, piano
Pierre-Arnaud Le Guérinel,
notes de programme
Premier prix de piano et de
formation musicale au CRR de
Boulogne-Billancourt, lauréat de
concours internationaux, premier
prix d’analyse et d’histoire de la
musique au Conservatoire de
Paris dans les classes de Michaël
Lévinas et de Rémy Campos, titulaire d’un Master de musicologie
à l’université Paris IV - Sorbonne,
Pierre-Arnaud Le Guérinel partage son temps entre ses activités
d’interprète (classique et jazz), de
musicologue (rédaction d’articles,
d’ouvrages et participation à de
nombreux colloques) et d’enseignant (il est professeur de la ville
de Paris), aussi bien en France
qu’à l’étranger.
Enregistrement réalisé en juillet
2012 par le service audio-visuel
du Conservatoire, espace Maurice
Fleuret. Prise de son et mixage :
Jean-Christophe Messonnier.
Montage et direction artistique :
Sandrine Pagès, étudiante en
Formation supérieure aux métiers
du son (FSMS).
Collection Jeunes Solistes avec
le soutien de la Fondation Meyer
pour le développement culturel et
artistique.
Centre de recherche et d’édition
du Conservatoire (CREC).
CREC-audio 12/089
CONSERVATOIRE
NATIONAL SUPÉRIEUR
DE MUSIQUE ET
DE DANSE DE PARIS
Centre
de Recherche
et d’Édition
du Conservatoire
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