Est-ce bizarre

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Est-ce bizarre
Est-ce bizarre ?
1Une compagnie d’aviation qui relie entre elles des îles du Pacifique dit que le taux
moyen de remplissage de ses avions est d’environ 50%.
Et pourtant, M. Cook, qui emprunte régulièrement cette compagnie, a toujours voyagé
dans des avions presque pleins. Il enquête auprès d’autres clients de la compagnie : une
écrasante majorité d’entre eux voyagent aussi dans des avions presque pleins.
M. Cook trouve ça bizarre et conclut, dans la ligne de plus grande pente de sa pensée,
qu’il y a dans les vols beaucoup de passagers non déclarés.
2Cent familles d’une île du Pacifique ont envoyé tous leurs enfants dans un centre de
vacances, sur une autre île. 70% d’entre elles ont envoyé 1 ou 2 enfants, les autres ont envoyé
3 ou 4 enfants.
Pour le transport en avion, une réduction est accordée aux enfants bénéficiant d’une
carte de famille nombreuse (famille d’au moins 3 enfants).
Le nouveau et jeune directeur du centre s’attend à ce qu’environ 30% des enfants aient
une réduction. Mais en faisant les comptes, il s’aperçoit qu’environ 50% des enfants ont
bénéficié d’un tarif réduit. Il trouve ça bizarre.
La première interprétation qui lui vient à l’esprit est que certaines des familles ayant
envoyé un ou deux enfants en ont d’autres ; d’où ce pourcentage de réductions supérieur à ce
qu’il prévoyait.
3Deux sondages, réalisés à la même date dans un même pays, dont l’un donnerait une
moyenne de 2,7 enfants par femme ayant eu au moins un enfant, tandis que l’autre dirait que
les enfants ont en moyenne 3,2 frères et sœurs (soit font partie d’une fratrie dont la taille
moyenne est 4,2 enfants), cela semblerait bizarre.
Une interprétation simple est : « ah, les sondages, c’est n’importe quoi ! »
------------------------------------Les explications proposées dans les situations 1 et 2 ne sont pas les seules possibles !
1Ainsi, pour les avions, on peut imaginer des avions toujours pleins dans un sens et
vides dans l’autre : le taux de remplissage moyen est exactement 50%, et tous les voyageurs
circulent dans des avions sans places vides.
Quand on parle d’un taux moyen de remplissage d’environ 50%, la population
concernée est celle des vols d’avions : l’unité statistique est un vol d’avion et le caractère
mesuré est le taux de remplissage.
M. Cook se place du point de vue du voyageur : l’unité statistique est le voyage d’un
individu et le caractère mesuré est le taux de remplissage de l’avion dans lequel il a voyagé.
Le changement de population de référence (avions ou voyageurs) est ainsi une
explication plausible des résultas observés !
2-
Imaginons la distribution suivante pour les 100 familles :
Nombre d’enfants
Nombre de familles
1
40
2
30
3
20
4
10
Les 100 familles ont envoyé 40 + 60 + 60 + 40 = 200 enfants dont 100, soit 50%, ont
la réduction famille nombreuse.
On notera au passage que la moyenne d’enfants pour ces 100 familles est de 2 enfants
et que 50% des enfants de ces 100 familles appartiennent à des familles de 3 ou 4 enfants.
Quand on dit que 70% des familles ont 1 ou 2 enfants, avec une moyenne de deux
enfants, l’unité statistique est la famille et le caractère mesuré est le nombre d’enfants qui la
composent.
Quand on dit que 50% des enfants ont une réduction, l’unité statistique est l’enfant et
la variable mesurée la taille de la fratrie à laquelle il appartient. Chaque fratrie de 4 enfants
sera « comptée 4 fois », tandis que les fratries d’un enfant seront « comptées » une seule fois.
Donc, la situation proposée… n’a rien de bizarre.
3La situation 3 est construite à partir de « données réelles », celle de la descendance
finale des femmes nées en 1900 :
Nombre
d’enfants
Pourcentage
0
1
2
3
4
5
≥6
23
24
22
13
7
4
7
La moyenne du nombre d’enfants, pour les femmes ayant plus de 6 enfants, est de 8 enfants.
Ainsi, 100 femmes réparties selon les pourcentages ci-dessus ont donné naissance à
211 enfants, soit une moyenne de 2,11 enfants par femme. Le nombre moyen d’enfants
des 77 femmes ayant eu au moins un enfant est 211/77 ≈ 2,74.
Ces 211 enfants se répartissent ainsi :
Taille des fratries pour les
enfants de 100 femmes nées en
1900
Nombre d’enfants
Pourcentage du nombre
d’enfants
1
2
3
4
5
≥6
24
44
39
28
20
56
11,4
20,8
18,5
13,3
9,5
26,5
(moyenne 8)
La moyenne de la taille de la fratrie de tous les enfants de mère née en 1900 est alors :
(24+44×2+ 39×3+ 28×4+ 20×5+ 56×8) / 211 ≈ 4,23
On observe aussi que :
- 69% des femmes nées en 1900 ont eu 0 ou 1 ou 2 enfants ;
- 68% des enfants de mère née en 1900 étaient membres d’une fratrie d’au moins 3 enfants.
Quand on dit que les femmes nées en 1900 et ayant eu au moins un enfant en ont eu en
moyenne 2,7, l’unité statistique est la femme et le caractère mesuré est son nombre d’enfants.
Quand on dit que les enfants ont en moyenne 3,2 frères et sœurs, l’unité statistique est
un enfant dont la mère est née en 1900 et le caractère mesuré est la taille de sa fratrie.
Si on s’intéresse à la taille moyenne d’une fratrie, l’unité statistique est une fratrie
non vide (définie par les enfants d’une même mère) et le caractère mesuré est sa taille. La
taille moyenne est ici 2,7 enfants.
En particulier, un sondage fait en 1960 auprès des femmes nées en 1900 et ayant eu au
moins un enfant donnerait environ 2,7 enfants par femme, tandis qu’un sondage auprès de
leurs enfants sur la taille de leur fratrie donnerait une taille moyenne d’environ 3,2.
On trouvera les distributions selon les mères et selon les enfants (menant aux chiffres
donnés ci-dessus) pour les femmes nées en 1900, 1930 et 1960 dans l’article de Laurent
Toulemon :
« Combien d’enfants, combien de frères et sœurs depuis 100 ans ? »,
dans la revue « Population et société », n° 374, décembre 2001, téléchargeable à l’adresse :
http://www.ined.fr/fr/ressources_documentation/publications/pop_soc/bdd/publication/539/
Les exemples proposés ont en commun de glisser sans qu’on s’en rende vraiment
compte d’une population de référence à une autre, donnant ainsi un caractère « bizarre » aux
résultats. Et cependant, il n’y a ici aucun piège : il convient simplement de bien définir ces
populations de référence. Une habitude à avoir, une éducation à faire…