Brad Mehldau - Philharmonie de Paris

Transcription

Brad Mehldau - Philharmonie de Paris
DIMANCHE 12 AVRIL 2015 .......................................................................... 16H30
SALLE DES CONCERTS
Brad Mehldau
BRAD MEHLDAU, PIANO
FIN DU CONCERT VERS 18H.
BRAD MEHLDAU
Brad ! Il est de ceux que le prénom seul suffit à identifier. Ils ne sont pas si nombreux dans la saga d’un
siècle de jazz. Probablement parce qu’on le ressent immédiatement proche, familier, autant pour ce
qu’il nous dévoile d’intime que pour le miroir qu’il nous tend. Sous les doigts du pianiste, des histoires,
les siennes et les nôtres ; des sentiments, les siens et les nôtres ; le cœur qui s’emballe et des beautés
éphémères à partager…
Lorsqu’il fit ses premières apparitions en Europe, à 24 ans (il est né en 1970), Brad Mehldau fut d’emblée un « musicien pour musiciens ». Tout ce que Paris comptait de jazzmen se pressait à chacune de
ses apparitions dans le minuscule club de la Villa, rue Jacob. Un rituel s’accomplissait là chaque soir.
Une manière unique de ressusciter des standards que l’on croyait nécrosés, en leur insufflant un lyrisme
et une fraîcheur de premier matin du monde. Mais déjà, les néophytes sortaient de cette « expérience
vécue » les yeux embués, sans voix, la carapace fendue.
Aujourd’hui, vingt ans après, le pianiste a tout simplement imposé un art du trio, patiemment apprivoisé
la discipline du solo, régulièrement tenté des expériences inouïes pour ne pas se laisser chloroformer par
les sirènes de la renommée. Deux trios en vingt ans… et encore ! Seul le batteur a changé depuis 1996,
Jeff Ballard prenant la place de Jorge Rossy, la contrebasse de Larry Grenadier continuant à gambader
sur ce qui est désormais un terrain de jeu triangulaire. Tempos parallèles, inversions des rôles, phrases
que l’on s’échange les yeux fermés, silences et suspensions partagés… Il faut absolument multiplier les
angles d’écoute quand on va les voir en concert : commencer par le piano, se concentrer sur la main
droite, avant de s’apercevoir que la main gauche, chez Brad Mehldau, virevolte avec autant de grâce,
puis n’écouter que la contrebasse, puis choisir de mettre la batterie au premier plan, s’amuser ensuite
des combinaisons à deux, s’abandonner aux entrelacs des trois… Ils décident du scénario, incarnent les
personnages, mais laissent ainsi le plaisir de la mise en scène à chacun d’entre nous.
Brad Mehldau a commencé le piano très tôt, par son versant classique. Parmi tous ceux qui lui ont plus
tard prodigué des conseils avisés, Fred Hersch occupe une place singulière. C’est celui qui a permis à
Brad de tout rassembler, en l’encourageant à redistribuer ensuite les cartes en étant le plus naturel, le
moins affecté, le plus vrai possible. Comme le fut Jim Hall pour tous les grands guitaristes qui comptent
aujourd’hui, Fred Hersch est tout simplement un maitre pour toute une nouvelle génération de pianistes.
L’essence de la musique est son jardin.
En présentant ainsi le tronc de son arbre généalogique, Brad choisit, dans le cadre de sa Carte blanche,
de mettre en lumière Baptiste Trotignon, de quatre ans son cadet. Voilà qui témoigne d’un aspect de
la personnalité de Brad Mehldau que l’on n’a pas assez souligné jusqu’ici : la générosité aux autres. Et
pourtant, si l’on examine la discographie du pianiste, les statistiques parlent d’elles-mêmes : à ce jour,
il a signé 18 albums en leader, 12 en co-leader, participé à 30 autres comme membre du groupe et été
ponctuellement invité dans 19 autres. Tout sauf un solitaire !
Un penchant encore plus flagrant lorsqu’il s’agit de dialoguer avec un surdoué de la génération qui le
suit, Tigran Hamasyan (27 ans), comme ils le firent à Montréal l’été dernier : loin de la bataille d’ego,
leur duo consiste à se placer au mieux pour faire briller l’autre. Sous son masque d’insondable douceur,
ce garçon est tout simplement étincelant.
ALEX DUTILH