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HORS COLLECTION Poétocratie Les écrivains suédois à l’avant-garde de la politique Sylvain Briens Martin Kylhammar Avec la participation de Jean-François Battail Table des matières Les mythes de la nation 7 La Suède, une invention française. 9 Les mythes de la nation suédoise. Mise en perspective historique par Jean-François Battail. 41 Les écrivains nordiques à l’avant-garde du folkhem. 65 Ecrire la machine 83 Les ingénieurs, les héros de la nation. Mise en perspective historique par Jean-François Battail 85 August Strindberg, ingénieur amateur et critique de la civilisation moderne. 99 Les écrivains nordiques à l’avant-garde de la technique. 119 Ecrire la nature 145 La tradition linnéenne. Mise en perspective historique par Jean-François Battail. 147 Les écrivains à l’avant-garde de la politique écologique. 159 Le Nord comme territoire. Poétique et écologie du paysage dans les haïkus de Tomas Tranströmer. 171 Ecrire le bien-être 201 Le modèle de société de bien-être et la culture populaire. Mise en perspective historique par Jean-François Battail. 203 Verner von Heidenstam, modernité et joie de vivre. 205 Le roman d'un crime. Le polar nordique et la critique du modèle. 221 Ecrire le monde 245 La conquète du monde. Les scientifiques, les ingénieurs, les entrepreneurs. Mise en perspective historique par Jean-François Battail 247 Poètes nationaux, écrivains cosmopolites. 249 La littérature nordique à la conquête du monde. 275 Présentation de Poétocratie, Briens et Kylhammar – Ithaque – Hors collection 1 Que se passerait-il si l’on donnait le pouvoir aux poètes ? Imaginons les écrivains à la tribune politique. Imaginons une poétocratie. Cet exercice intellectuel permet de relire la littérature sous un nouvel angle, mais aussi de comprendre les débats et évolutions de la société. Les écrivains dont nous allons parler n’ont pas cherché à prendre le pouvoir, ils n’ont pas été poétocrates au sens strict du terme, mais ils se sont tous engagés dans les débats politiques, technologiques, écologiques et sociaux. Ils ont participé chacun à leur manière à la construction d’une meilleure société, au projet national suédois du folkhem, à ce qu’on appelle communément le modèle suédois. Un livre sur la poétocratie est une proposition de lecture émanant d’historiens de la littérature soucieux de mieux saisir la place de la littérature dans la cité. Mais la proposition va au-delà d’un simple art de la lecture. Il s’agit de saisir une identité essentielle de la littérature suédoise moderne. Les écrivains au centre de l’étude ont en effet cherché activement à participer aux débats politiques et redéfini la fonction de l’écrivain et son autorité. Le terme poétocratie est créé par l’historien norvégien Ernst Sars pour qualifier une génération d’écrivains nordiques de la fin du XIXe siècle qui s’engageaient dans les questions politiques ou sociales. Délaissant la figure du poète pastoral, romantique ou dilettante, le poétocrate est un écrivain au centre de la société, provocateur et tribun, en dialogue avec les responsables politiques et les idéologues. Sars définit ainsi le terme poétocratie : Dans notre époque de grands changements, alors que les problèmes les plus cruciaux et essentiels demandent solution, l’engagement d’autres forces est nécessaire. Les politiciens doivent accepter que les poètes et les prophètes, à l’aide de l’imagination et de la sensibilité morale, participent à leur mission et contribuent à créer une sorte de poétocratie (…). (Ernst Sars, « Bjørnsons plads i Norges politiske historie ») Lire la littérature suédoise moderne comme une poétocratie invite à réflechir aux conditions de développement des sociétés modernes, à la démocratie et à ses valeurs, et à la contribution des écrivains, et plus généralement de la culture, au projet européen. Présentation de Poétocratie, Briens et Kylhammar – Ithaque – Hors collection 2 Ce livre n’est pas un manuel, mais un essai. Son propos est de dresser une histoire des écrivains poétocrates à une époque où se construit le modèle suédois, une histoire des écrivains face au modèle suédois. Les écrivains que nous avons selectionnés dans ce livre sont-ils représentatifs de la culture suédoise ? Non, du moins pas selon des critères sociologiques ou statistiques. Par leur originalité et spécificité, ils se différencient de la culture moyenne dominante et occupent une position d’avant-garde par rapport à la société. Nous avons convoqué pour cette poétocratie des écrivains qui se sont engagés, de la façon la plus originale et la plus riche, dans le débat d’idées autour des questions proposées comme centrales dans notre livre. Leurs textes ont décrit et discuté les principales apories de la société moderne. Leur questionnement s’adresse à nous tous et touche aux problèmes, dilemmes et visions que chaque citoyen peut rencontrer dans sa vie quotidienne. Sismographes d’une société en pleine mutation, leur reflexion orginale a posé le cadre conceptuel dans lequel la Suède moderne s’est développée. Ce cadre n’est pas un espace homogène mais plus un forum de dialogue entre différents points de vue, opinions et idéologies. La controverse et la polémique y nourrissent un débat fructueux dans lequel le poète retrouve sa place au centre de la polis. C’est dans cet esprit que nous proposons de mettre en scène la poétocratie. Les rôles principaux de cette poétocratie sont tenus par un petit nombre d’écrivains. August Strindberg, Verner von Heidenstam, Tomas Tranströmer et Stieg Larsson et ses prédécesseurs. Une douzaine d’écrivains apparaissent dans les rôles secondaires, mais pour autant pas moins intéressants : Harry Martinson, Eyvind Johnson, Sten Selander, Artur Lundkvist, Karin Boye, Gunnar Ekelöf, Sjöwall et Wahlöö, Kerstin Ekman, Henning Mankell, Jonas Hassem Khemiri, et sur un autre plan Carl von Linné. Ils sont accompagnés de leurs collègues scandinaves comme H. C. Andersen, Henrik Ibsen, Johannes V. Jensen, Edith Södergran ou encore les poètes atomiques islandais. Des écrivains français ont également été invités dans la discussion : par le dialogue direct et indirect qu’ils ont entretenu avec les écrivains suédois, ils ont joué au XXe siècle un rôle décisif dans la construction du modèle suédois. Le livre laisse aussi la possibilité à beaucoup d’autres écrivains de donner la réplique sur la grande question de ce livre, l’histoire et l’avenir du modèle suédois. Ils sont tous à leur manière, pour reprendre la célèbre expression de Shelley, des « législateurs non reconnus du monde ». Même si les acteurs choisis sont des écrivains établis et reconnus (on trouve dans la liste la plupart des lauréats suédois du prix Nobel de littérature), les choix n’ont pas été motivés par le canon littéraire. C’est la qualité de leur engagement sur les questions posées ici qui a motivé notre sélection. Ces écrivains sont ceux qui ont réalisé de la façon la plus remarquable les exigences proposées par Jean-Marie Le Clézio lorsqu’il annonce : « Agir, c’est ce que l’écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Écrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. » (Discours de réception du prix Nobel, 2008) Un point commun les réunit tous : l’aspiration, par la littérature, à la construction d’une meilleure société. Présentation de Poétocratie, Briens et Kylhammar – Ithaque – Hors collection 3 Il nous a semblé important de convoquer l’Histoire afin de montrer l’ancrage du dialogue contemporain sur le modèle suédois dans une perspective historique large. Les racines et le berceau des identités suédoises ont en effet formé un imaginaire collectif dont les résonances peuvent se sentir jusque dans le débat actuel. Au-delà de la perspective historique, notre analyse est pluridisciplinaire : elle étudie comment la littérature est en interaction avec de nombreuses forces différentes, la technique, la politique, l’économie et la science et pour cela prend en considération la diversité des interactions entre les écrivains et la société. Dans nos études de la littérature suédoise, nous avons constaté que les écrivains ont identifié quatre thèmes principaux dans les questions durables de construction politique et sociale en Suède. Ces quatre thèmes forment les quatre parties de l’ouvrage, après le prologue : les écrivains et la technique, les écrivains et la nature, les écrivains et le bien- être, les écrivains et le monde. Ces parties principales sont toutes composées de trois chapitres et leur structure est identique : après une mise en perspective historique dans un chapitre liminaire, deux chapitres analysent comment les écrivains ont identifié, discuté et décrit les thèmes choisis. Plus précisément, dans chaque partie : - le premier chapitre, écrit par Jean-François Battail, explique le contexte et l’ancrage historique de la discussion littéraire sur le folkhem ; - le deuxième chapitre, écrit par Martin Kylhammar, se concentre principalement sur la littérature suédoise de la percée moderne à la Seconde Guerre mondiale ; - le troisième chapitre, écrit par Sylvain Briens, compare cette littérature avec des mouvements plus contemporains et élargit la perspective à l’espace culturel nordique. Chaque partie est aussi le fruit d’un travail collectif et de discussions entre les auteurs. Les références internes entre les chapitres sont données dans le corps du texte entre parenthèses. Le propos de ces références est de souligner que les chapitres se répondent et se complètent, touchent des aspects communs ou prolongent la réflexion ou l’analyse de tel ou tel sujet. Les références mentionneront le titre de la partie puis le numéro du chapitre auquel elles s’adressent. Exemple : (Écrire le monde, 2) fait référence au deuxième chapitre de la partie Écrire le monde, « Poètes nationaux, écrivains cosmopolites. » Les références des citations sont aussi données dans le corps du texte entre parenthèses et ne mentionnent que l’auteur et le numéro de page. Pour la référence complète, voir la bibliographie en fin d’ouvrage. Le lecteur pourra trouver des références bibliographiques plus détaillées dans nos travaux de recherche antérieurs. Les traductions ont été réalisées par nos soins, à de rares expressions près (auquel cas le traducteur est mentionné). Jean-François Battail Le café des Mousquetaires, le 15 octobre 2015 Sylvain Briens Martin Kylhammar Présentation de Poétocratie, Briens et Kylhammar – Ithaque – Hors collection 4