Le sens - PISTES
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Le sens - PISTES
ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE Santé, réduction des risques et usages de drogues N o 46 Trimestriel / 2 € Édito / 24 Les candidats répondent à nos questions Eurobaromètre, L’ les jeunes et la prévention / 10 et 35 SDF dépendances heures sans Un centre spécialisé pour les usagers de /2 crack / 17 Le sens d’un programme de RdR / 12 c! taba à Kaboul / 18 / 14 Publications / 22 Brèves... / 23 2 ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE Les candidats répondent à nos questions Parce que la position des candidats à la présidence de la République sur les rapports entre drogues et société n’apparaît pas toujours clairement dans leurs programmes, nous avons demandé, comme il y a cinq ans, aux postulants à la plus haute fonction de l’État de répondre à quatre questions simples sur ces sujets. Sur les 12 candidats interrogés, 5 ont joué le jeu des questions/réponses, 1 a décliné, “faute de moyens”, notre invitation et 6… n’ont pas répondu. En prime, un petit rappel d’une partie des réponses du “candidat Chirac”… en 2002. 3 “Relancer le débat” François Bayrou Les professionnels de santé doivent être davantage impliqués dans l’élaboration d’une politique de lutte contre la toxicomanie efficace. Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat sur l’usage des drogues et des autres substances psychoactives en France ? Depuis ces dernières années, la consommation de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic drogues illicites dans notre pays n’a cessé d’augmende l’usage de substances vénéneuses, initialement prévue pour contenir le développement préoccupant de ter, accompagnant le fort développement d’un trafic la consommation de l’héroïne, n’est plus adaptée à la multiforme. La France est confrontée à un grave prosituation actuelle et aux nouvelles consommations. Le blème de santé publique. La consommation de cannadélit d’usage n’est plus sanctionné, l’injonction thérabis chez l’adolescent en France est la plus forte peutique, c’est-à-dire l’obligation de d’Europe. Aujourd’hui, la réponse à cette situase soigner contre une remise de tion n’est plus adaptée : la prévention est pratiLes capacités de prise en charge peine est diversement prescrite, le quement inexistante et l’interdit est sans cesse des toxicomanes volet prévention a été négligé, et les transgressé. sont dramatiquement capacités de prise en charge des Bien qu’opposé à une légalisation pure et simple insuffisantes. toxicomanes sont dramatiquement de l’usage de certaines drogues, je souhaite sorinsuffisantes. tir de la répression systématique et de la stigIl est donc urgent de mettre en œuvre une politique de matisation des comportements addictifs. La personne prévention généralisée et de soins adaptés aux nouvelles qui se drogue est avant tout une personne en détresse toxicomanies. La prévention et l’accompagnement doiqui doit être aidée. C’est pourquoi, il faut permettre un vent être préférées à la sanction, laquelle peut avoir des suivi des comportements vis-à-vis des drogues illicites effets beaucoup plus graves que les effets dissuasifs comme des drogues licites, psychologique et médical, et recherchés au départ. La réduction des risques, notamun accompagnement durable de ces personnes pour les ment par l’échange des seringues et la délivrance de proaider à sortir de cet état. duits de substitution aux toxicomanes, dont les résultats Mais il faut surtout relancer le débat sur la politique de en termes de santé publique doivent être salués n’ont pas soins. Quelle politique de santé publique sur l’usage des été accompagnés d’un véritable programme d’informadrogues souhaite-t-on mener ? Quel accompagnement tion et de prévention, notamment en direction des jeunes. pour les personnes toxicomanes ? Quelle politique de substitution ? Et surtout quels sont les moyens que l’on est capable d’y consacrer ? Les professionnels de santé doivent être davantage impliqués dans l’élaboration d’une politique de lutte contre la toxicomanie efficace. Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de drogues? Si certaines mesures ont pu prouver leur efficacité, aujourd’hui les textes ne sont plus adaptés. La loi du 31 décembre 1970, relative aux mesures sanitaires de 4 “Abandonner la guerre à la drogue” Olivier Besancenot Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat sur l’usage des drogues et des autres substances psychoactives en France ? En revendiquant clairement la légalisation du cannabis, une mesure urgente pour des millions de jeunes usagers, en même temps qu’en dénonçant l’absence de moyens pour une véritable politique de prévention et de réduction des risques. Qui doit d’ailleurs englober L’usage de drogues doit les drogues aujourd’hui illicites, mais passer définitivement aussi l’alcool, le tabac et la surconsomdu domaine de la répression mation de certains médicaments. à celui de la prévention L’usage de drogues doit passer définitiet de la réduction des risques. vement du domaine de la répression à C’est le seul efficace. celui de la prévention et de la réduction des risques. C’est le seul efficace. La guerre à la drogue de Sarkozy, les contrôles policiers à la sortie des bus de Médecins du monde, ce n’est pas ça qui réduit les souffrances des usagers de drogues. Ce sont les traitements de substitution à l’héroïne, les programmes d’échange de seringues… qui ont permis de sauver plus de 3 500 vies, réintégré les usagers dans le circuit des soins (hépatite, VIH…), parfois du travail et je l’espère de l’estime de soi. Quelles thématiques souhaiteriez-vous voir abordées lors d’un éventuel débat parlementaire sur l’usage de drogues ? Plus qu’un débat parlementaire, c’est un débat citoyen que je souhaite. La politique de guerre à la drogue a du plomb dans l’aile. Elle doit être abandonnée. Abandonnée au profit d’une politique de réduction des risques, qui parie sur le cœur et l’intelligence des usagers. À notre société de leur en donner les moyens. En termes de structure de soins et de prévention, mais aussi en termes d’avenir. Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de drogues? La loi de 1970 est un bel exemple d’hypocrisie et d’inefficacité. Elle n’a pas empêché la consommation de cannabis de doubler en dix ans chez les 16-24 ans. Par contre, elle favorise le business. Elle criminalise une partie de la jeunesse, toujours la même d’ailleurs, celle des quartiers populaires, celle que Sarkozy traite de racaille. Pourtant on sait que l’usage de drogue touche autant la jeunesse des quartiers que celle des “beaux” quartiers. Mais tous Je suis favorable à l’abrogation de la loi de 70, à la dépénalisation de la consommation des drogues et à la légalisation du cannabis. n’ont pas droit au harcèlement policier. La prohibition n’est pas la solution. L’hypocrisie doit cesser. Je suis donc favorable à l’abrogation de la loi de 70, à la dépénalisation de la consommation des drogues et à la légalisation du cannabis. Dans le même temps, la dépénalisation doit aller de pair avec des actions de prévention, des actions de suivi médical-social. Et les budgets doivent être à la hauteur ! Sarkozy veut nous faire croire que la jeunesse est un danger pour la société. Alors que trop souvent, c’est elle qui est en danger ! Précarité, racisme, discriminations, violences policières… Quel avenir ! Un boulot, un appart, un copain ou une copine… C’est un petit coin de ciel bleu dans la tête et le produit qui s’éloigne. Le bonheur, une idée neuve contre l’usage de drogues. Croyez-vous à une société sans drogue ? Pas vraiment, non. C’est un phantasme policier, ça ! Mais il paraît qu’on souffre beaucoup dans la police, et que l’alcoolisme y fait des ravages. Par contre, tous les produits ne sont pas équivalents. Certains sont mis au ban de la société, alors que d’autres sont tolérés. L’alcoolisme fait 40 000 morts par an en France, le tabagisme 60 000. La France est presque championne du monde de l’usage des anxiolytiques. Certains produits peuvent être consommés avec modération. Si l’on est bien dans sa tête. Mais ce n’est pas le cas de tous les produits. Alors une société sans drogue, je ne crois pas. Mais une société qui s’organise pour réduire les risques, j’y crois ! La réponse d’Arlette Laguiller Voici la réponse que nous a fait parvenir la candidate de Lutte ouvrière : J’accuse réception de votre courrier concernant les rapports entre drogue et société. C’est une question importante mais, malheureusement, je ne dispose pas d’un secrétariat numériquement nombreux ni d’une armée d’experts me permettant de répondre avec la compétence et la précision voulues à votre demande. Je suis, en effet, en campagne avec des déplacements nombreux et je n’ai pas pu me consacrer à tout le courrier que doivent recevoir tous les candidats à la présidence de la République. (…) 5 Ségolène Royal “Action” et “information” Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat sur l’usage des drogues et des autres substances psychoactives en France ? Dans ce domaine, ma détermination est de mettre en place une politique efficace de santé publique fondée sur l’information, la prévention, la réduction des risques et les soins car ces sujets font partie intégrante de mon engagement en faveur de la santé pour tous. Comme pour d’autres questions d’ordre sanitaire et social, je suis en Un dispositif d’évaluation effet avant tout convaincue qu’une action volonde la politique de réduction tariste et une information transparente en direcdes risques, indépendant tion des usagers et du grand public sont prioriet permanent, sera créé. taires, cela à tous les âges mais évidemment tout particulièrement en direction des jeunes. S’agissant du tabac, l’augmentation des prix décidée par l’État, l’interdiction de la publicité et de l’usage du tabac dans les lieux publics, les campagnes de prévention et une offre de soin améliorée ont permis une très nette baisse de sa consommation. La consommation d’alcool, quant à elle, a été divisée par deux en 25 ans après de très larges campagnes de prévention, qui ont notamment porté sur la sécurité routière. Quant aux autres substances, outre les questions soulevées par le régime juridique de la loi de 1970, abordées plus loin, ma conviction est qu’il faut adopter une démarche globale fondée sur deux priorités : l’information des publics sensibles, prioritairement les enfants et les adolescents ; la prévention sous toutes ses formes, qui en est le corollaire indispensable. Ces combats sont encore loin d’être gagnés, si l’on en juge par le nombre considérable de morts prématurées et de drames humains que les Français paient encore comme tribut à ces produits : ainsi, peut-on admettre, dans notre pays, qu’à l’âge de 12 ans, 70 % des garçons et 63 % des filles aient déjà consommé de l’alcool ? La loi n’est plus appliquée, il faut donc débattre des voies possibles d’évolution, Cette politique devra donc être afin de rendre les textes efficaces, amplifiée. en veillant bien entendu à ne pas légaliser Dans ce cadre, la politique de ces produits. la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) sera améliorée pour plus d’efficacité, avec notamment des moyens de sensibilisation aux dangers de la consommation de drogues à l’âge des premières consommations. On sait, en effet, que plus la consommation est précoce, plus le risque est grand d’une consommation ensuite source de complications. Les acteurs associatifs de prévention qui sont au cœur de la réduction des risques devront être soutenus et un dispositif d’évaluation de cette politique, indépendant et permanent, sera créé, dont les résultats seront rendus publics. J’ajoute, bien entendu, que le renforcement des moyens de la médecine scolaire et universitaire et de ceux de la médecine du travail jouera un rôle essentiel dans ce contexte, tout comme, de manière plus générale, la mise en place d’une véritable “médecine de première ligne” autour de médecins généralistes mieux formés, moins isolés, et d’un réseau de dispensaires, qui délivreront des prises en charge de qualité, pluridisciplinaires. Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de drogues ? Les problèmes liés à l’usage du cannabis devront être spécifiquement traités au regard des ravages sociaux que son trafic crée. En France, l’usage du cannabis est un délit sanctionné d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende aux termes de la loi du 31 décembre 1970. Bien que sa législation soit une des plus répressives d’Europe, notre pays compte le plus grand nombre de consommateurs de stupéfiants. Il nous faut donc une action publique de prévention et de soutien plus efficace. La circulaire d’avril 2005 prévoit une réponse systématique mais graduée avec plusieurs peines alternatives ou poursuites. Dans les faits, les sanctions de l’usage de cannabis sont aléatoires et ont conduit une majorité de jeunes à penser à tort que la consommation de cannabis n’est pas répréhensible. La loi n’est plus appliquée, il faut donc débattre des voies possibles d’évolution, afin de rendre les textes efficaces, en veillant bien entendu à ne pas légaliser ces produits. Il faut, en revanche, cesser de transformer un simple usager en délinquant, mais maintenir l’interdit pour un produit dangereux. Croyez-vous à une société sans drogue ? Il ne s’agit pas de croyance mais d’action. Les ravages des drogues, notamment chez les jeunes, doivent mobiliser les responsables politiques. Il sera de ma responsabilité, si je suis élue, de mettre en œuvre une politique de santé publique qui protège la jeunesse, réduise les risques d’usage de drogues et soigne efficacement les malades. Notre objectif doit être de permettre à chacun de construire sa vie. Les paradis artificiels sont des enfers réels. 6 “Articuler la sanction judiciaire et l’injonction thérapeutique” Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat sur l’usage des drogues et des autres substances psychoactives en France ? Avec fermeté. La drogue ne détruit pas que les relations sociales d’un individu : elle met sa vie en danger. Il faut donc rappeler sans relâche que l’usage des drogues n’est jamais sans conséquence pour soi-même comme pour les autres. Comme je l’ai fait depuis 2002, je continuerai à lutter contre le trafic de drogue qui mine le tissu social de nos banlieues et laisse penser que l’enrichissement rapide et criminel peut prévaloir sur un travail honnête. Par ailleurs, je constate que la médicalisation des addictions a permis de réduire considérablement le nombre de décès par overdose qui a baissé de 80 % depuis 1994. Je crois qu’il ne faut pas chercher à choisir entre la répression, la prévention, les soins et la réduction des risques, mais mener de front ces quatre dimensions de l’action publique. J’ai d’ailleurs souligné dans la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance l’attachement que je porte à l’articulation entre la sanction judiciaire et l’injonction thérapeutique en la confiant à un médecin-relais. Quelles thématiques souhaiteriez-vous voir abordées lors d’un éventuel débat parlementaire sur l’usage de drogues ? Je tiens tout d’abord à souligner l’intérêt du travail parlementaire en matière de lutte contre les drogues et les addictions, comme l’a montré le plan national addictions 2007-2011 lancé par Xavier Bertrand. Dans le cadre d’un prochain débat, je pense que nos parlementaires pourraient s’intéresser à la question du rapport entre soin et justice qui doit encore être amélioré. Il y a en prison des gens qui y ont été conduits par leur addiction et à qui un traitement doit être prodigué pour permettre la réinsertion et éviter la récidive. Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de drogues ? La loi de 1970 doit être régulièrement réévaluée. Elle a été conçue dans un contexte de lutte contre l’héroïne. Malheureusement, s’il y a bien un domaine qui évolue rapidement, c’est celui des drogues et des toxicomanies. J’ai procédé à une réforme de la loi de 1970 par la loi du Nicolas Sarkozy Il ne faut pas chercher à choisir entre la répression, la prévention, les soins et la réduction des risques, mais mener de front ces quatre dimensions de l’action publique. Les données scientifiques sont très claires : le cannabis entraîne un risque de dépendance très élevé. (…) Il n’y aura pas sous mon mandat de banalisation de [son] usage. 5 mars 2007. La procédure de l’ordonnance pénale a été étendue au délit d’usage. Nous avons rendu de la valeur à l’interdit. D’une part, dans la hiérarchie pénale, l’usage reste un délit. D’autre part, il est puni d’une amende, ce qui rend la sanction crédible pour les simples consommateurs. Par ailleurs, les possibilités de peines de substitution à la disposition des magistrats ont été élargies et comprennent à présent des stages de sensibilisation aux dangers de l’usage des produits stupéfiants. Je suis tout à fait opposé à la suppression du régime pénal du cannabis. Les données scientifiques sont très claires : le cannabis entraîne un risque de dépendance très élevé et les conséquences sur la vie sociale des utilisateurs réguliers sont dramatiques. Il n’y aura pas sous mon mandat de banalisation de l’usage du cannabis. Croyez-vous à une société sans drogue ? Malheureusement, nous n’aurons jamais une société sans drogues. Nous lutterons toujours avec énergie contre les drogues aussi dangereuses que l’héroïne ou la cocaïne, mais il y a aussi des addictions sans agent psychotrope. Aujourd’hui, plus personne ne nie que l’addiction aux jeux est un fléau pour les familles qui en souffrent. De même, la cyberdépendance progresse. L’homme est ainsi fait que la recherche des paradis artificiels ne connaîtra pas de fin. La société peut et doit toutefois faire en sorte qu’il y ait moins de mal-être, moins de souffrances, moins de mal-vivre. 7 “Accompagner plutôt que juger” Dominique Voynet Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat sur l’usage des drogues et des autres substances psychoactives en France ? Le débat nécessite une approche de santé publique. Il s’agit de faire le point sur la mortalité due à la drogue, sur les maladies qu’elle induit, sur les souffrances psychiques des personnes et de leur entourage ainsi que des problèmes sociaux qui l’accompagnent. Les axes qui me semblent prioritaires sont la répression du trafic, les soins aux personnes dépendantes et la prévention, tout particulièrement vis-à-vis des Les axes qui me semblent jeunes. Reste qu’il n’y a aucune prioritaires sont la répression justification biologique ou médidu trafic, les soins aux personnes cale à considérer de manière difdépendantes et la prévention, férente les drogues licites et les tout particulièrement vis-à-vis drogues illicites. Il y a donc là un des jeunes. sérieux changement des mentalités à opérer. La dépénalisation de la consommation de toutes les drogues et la légalisation contrôlée du cannabis en font partie. Je précise qu’il ne s’agit nullement pour nous de pousser à la consommation du cannabis, mais de rompre avec une politique passablement hypocrite et inefficace. Il a fallu des années de discussion pour faire admettre que la Mildt devait se préoccuper d’abord des personnes, souvent polytoxicomanes (usant et abusant tour à tour de drogues différentes), et rompre avec une approche “par produits”, distinguant de façon arbitraire entre les drogues aujourd’hui légales – alcool, tabac, psychotropes (dont les Français sont quand même les consommateurs les plus enthousiastes en Europe !) – et celles qui ne le sont pas, cannabis ou cocaïne. Je ne veux pas rentrer dans le débat sur la “dangerosité” de chaque produit. Parce que le débat est complexe. S’il est exact que le tabac et l’alcool tuent beaucoup, beaucoup plus que le cannabis, il est juste aussi de reconnaître que les “produits” mis aujourd’hui sur le marché n’ont plus grand chose à voir avec l’herbe cultivée sur le balcon par les “babas cools” des années 1970. En vérité, tous ces produits sont susceptibles de provoquer l’addiction, avec des conséquences sur la santé de l’usager, sur sa sécu- rité et sur celle des autres, en cas de conduite de machines sur le lieu de travail, ou de véhicules sur la voie publique. Il en va de la responsabilité de chacun d’être conscient des risques d’accoutumance, d’assuétude. Beaucoup de parents sont tellement inquiets qu’ils préfèrent ne rien voir, ne rien savoir ? C’est leur responsabilité d’informer leurs enfants. Et la responsabilité des pouvoirs publics, des enseignants, des services de santé de les y aider. En apportant des éléments précis sur les risques. Sans banaliser, et sans dramatiser. Comment espérer être pris au sérieux par un adolescent si on prétend que le premier joint le mènera inexorablement à l’héroïne et à la déchéance, comme tant de “spécialistes”, intervenant dans les collèges et lycées, le font encore ? Ça n’est pas une raison pour faire de la démagogie : on doit expliquer que, non, le cannabis, ça n’aide pas à se concentrer, ou à être plus créatif ! Et rappeler fermement qu’il n’est pas plus admissible de fumer un joint entre deux cours “pour que le temps passe plus vite” que de boire de l’alcool. Du point de vue de la prévention, l’information ne peut pas suffire. Il s’agit d’un enjeu d’éducation pour la santé permettant aux jeunes de développer leurs capacités de qualité de vie et d’autonomie et favorisant le développement des relations adultes-jeunes. Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de drogues? Il me semble que nous n’avons rien à gagner à poursuivre une politique qui a fait la preuve de son inefficacité. La répression féroce des consommateurs (avec l’incarcération chaque année de plusieurs milliers d’usagers de drogues dans les prisons françaises) n’a empêché ni les profits des mafias des drogues, ni l’enrôlement des jeunes de certains quartiers dans les trafics locaux, ni la croissance régulière du nombre de “consommateurs” occasionnels, ou plus réguliers. 1 8 Et pourquoi deux poids, deux mesures, avec d’un côté une complaisance incompréhensible pour les boissons alcoolisées, les “premix” ; de l’autre, une criminalisation persistante du cannabis ? La loi de 1970 doit être abrogée au profit d’une politique de réduction des risques qui ne juge pas, mais accompagne, selon les besoins afférant à chaque situation. Certes, elle a représenté un progrès social en considérant que la personne droguée relève des soins aux malades et pas seulement de la Il y a un sérieux changement des mentalités à répression, mais elle opérer. La dépénalisation de la consommation pose de sérieux prode toutes les drogues et la légalisation blèmes d’application contrôlée du cannabis en font partie. car la démarche de soin, pour être efficace, doit être volontaire et ne peut pas relever seulement de l’obligation judiciaire. Le débat est réellement complexe et la solution est un problème de citoyen autant qu’un problème d’expert. C’est pourquoi j’envisagerai d’organiser un bilan et une réflexion associant les différents corps professionnels concernés ainsi que des représentants des citoyens ou usagers. La formule de Conférence de Consensus me semble pertinente dans ce domaine pour ce qui est de l’étape de réflexion. C’est une question de santé publique, à aborder sérieusement, distinguant entre l’usage occasionnel, récréatif, par des personnes bien insérées dans la vie, et l’abus, par des personnes fragiles, en rupture, qui doit conduire à une prise en charge globale des personnes concernées. Information, éducation, prévention… Croyez-vous à une société sans drogue ? Je ne suis pas sûre qu’il existe une société sans drogue, en tout cas à notre stade d’évolution humain. Mais je suis sûre que peu de personnes dans notre société s’en passent sous une forme ou sous une autre, qui peut même apparaître banale, comme les tranquilisants. Ce qui est sûr, c’est que la drogue se définit par une perte de sa liberté et que la perte de liberté est toujours un échec du développement personnel comme du développement social. Je pense donc qu’il est majeur de repérer et d’investir dans les démarches éducatives, tout particulièrement auprès des jeunes pour les aider à se construire comme adultes et comme citoyens avec le maximum de liberté et le minimum de dépendances possible. 9 En marge des réponses apportées par les candidats à l’élection présidentielle 2007, il nous a semblé intéressant de revenir sur celles du “candidat Chirac” à notre questionnaire 2002… En voici quelques extraits : Les réponses du “candidat Chirac” en 2002 La Loi de 1970, qui fonde notre dispositif de lutte contre la toxicomanie, mérite aujourd’hui d’être actualisée, notamment en ce qui concerne l’échelle des peines qu’elle prévoit. Une telle révision conditionne l’efficacité de notre arsenal répressif. Des rapports ont mis en avant la notion globale de “pratiques addictives” pour souligner les dangers pour la santé que présente l’ensemble des produits ou substances auxquels vous faites référence et les phénomènes de dépendance que leur consommation entraîne. Mais elle comporte aussi l’inconvénient très sérieux de banaliser la consommation de substances illicites. Elle n’apporte pas non plus une réponse pertinente en termes de prise en charge sanitaire et de soins. Je sais que l’objectif d’une société sans drogue est un objectif ambitieux. C’est pourtant le mien. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics et de tous les acteurs sociaux d’apporter des réponses adaptées aux souffrances humaines ; aux situations ou aux moments de fragilité. La toxicomanie est, toujours la plus mauvaise des réponses. 10 ALCOOL La dernière livraison de l’Eurobaromètre a porté sur la consommation d’alcool et les attitudes en matière de politique anti-alcool. Par rapport aux chiffres de 2003, plus d’Européens boivent, mais de plus petites quantités d’alcool. Cependant, le principal intérêt de cette étude est peut-être de pointer le décalage entre l’appui général apporté à des mesures de restrictions envers les jeunes et leur ressenti… Eurobaromètre, L’ les jeunes et la prévention Chaque semestre, la Commission européenne publie un Eurobaromètre qui sonde les Européens alternativement sur leurs opinions et attitudes vis-à-vis de l’Union Européenne (UE) et sur un sujet de société. Chaque sujet est périodiquement repris pour appréhender les évolutions. C’est l’occasion de mettre en perspective notre observation hexagonale, de dégager ce qui, au-delà des politiques, rapproche les sociétés civiles ou singularise leur culture nationale. La livraison de 2006 porte sur la consommation d’alcool et les attitudes en matière de politique anti-alcool 1. En 2006, les 25 pays faisant partie de l’UE ont été inclus dans l’étude plus les deux pays entrés en 2007 (Bulgarie et Roumanie) et deux candidats à l’adhésion, la Croatie et la communauté chypriote turque. Les statisticiens européens fournissent la comparaison avec 2003 pour les 15 pays qui formaient alors l’UE. Les données globales sont données par pays, et les résultats pour l’ensemble de la population européenne sont publiés par sexe, âge, niveau d’étude, profession et environnement urbain ou rural. Les données de 1 Attitude towards alcohol consommation classiquement recueillies porEurobarometer Special 272b Bruxelles, Commission européenne, mars tent sur les 30 derniers jours avec la fréquence 2007, 76 pages de la consommation d’alcool, les quantités http://europa.eu.int/comm/health/ ph_publication/eurobarometers_en.htm prises et la fréquence des consommations de 5 verres et plus par occasion, à rapprocher du “binge drinking” (soûlerie) dans les enquêtes de population. La France au cœur du peloton Globalement, par rapport à 2003, plus d’Européens boivent, mais quand ils boivent ils boivent un peu moins. La consommation quotidienne (13 %) ou quasi quotidienne (8 %) d’alcool est un mode de boire minoritaire. La France s’approche de ces chiffres avec 18 % de buveurs quotidiens et 5 % de buveurs quasi quotidiens, loin derrière l’Italie (25 % et 8 %) et le Portugal (47 % et 8 %). Les quantités d’alcool bu les jours de consommation opposent Irlandais, Finlandais, Anglais et Danois, tous gros buveurs, et Bulgares, Allemands, citoyens des pays baltes, Chypriotes et Italiens, la France occupant làencore une position intermédiaire. La consommation de plus de 5 verres plusieurs fois par semaine (13 %) ou une fois par semaine (15 %) concerne un peu plus les 15-24 ans, tandis que, dans la comparaison entre pays, Espagnols, Irlandais et Autrichiens se singularisent 11 dans l’excès, la France se situant pour cet indicateur du côté des plus austères (39 % jamais vs 31 % en moyenne). Ces informations élargissent notre regard, nous situent en cœur de peloton, mais manquent de précision pour comparer les profils nationaux. L’individu et l’État Les questions sur les attitudes sont plus intéressantes car elles renvoient à des cultures politiques très hétérogènes. Environ la moitié des Européens (52 %) se déclarent plus proches de l’assertion “les individus sont responsables” que du libellé “les autorités publiques doivent intervenir”, choisi par 44 % des répondants. Les gros buveurs sont plus individualistes – ou plus réalistes – que les abstinents ou petits buveurs : au-delà de 5 verres d’alcool par occasion de boire, 65 % se déclarent plus favorables au contrôle individuel qu’à celui de l’État (31 %). Avec les Finlandais, les Néerlandais et les Suédois, les Français se situent juste dans la moyenne européenne, alors que certains pays récemment passés à des régimes démocratiques (Slovaquie, République tchèque, Croatie) se montrent farouchement individualistes, s’opposant sur ce sujet aux Italiens, Hongrois et Autrichiens, plus interventionnistes. Les Européens se montrent assez sceptiques sur l’influence des hausses de prix sur les achats d’alcool : 33 % disent qu’ils diminueraient leurs achats si l’alcool subissait une hausse de 25 %, 30 % pensent que les hausses de prix diminueraient la consommation des jeunes et des gros buveurs, 15 % seulement admettent qu’ils augmenteraient leurs achats avec une baisse symétrique des prix de 25 %. 77 % sont favorables à la présence sur les étiquettes de messages alertant sur les dangers de l’alcool pour les femmes enceintes et les conducteurs, 73 % sont favorables à un abaissement du seuil d’alcoolémie à 0,2 g/L pour les jeunes conducteurs, 80 % sont favorables aux contrôles aléatoires d’alcoolémie sur les routes, 76% sont opposés à la publicité pour l’alcool en direction des publics jeunes, 87% à la vente d’alcool aux moins de 18 ans. Autrement dit, si les mesures économiques sont jugées peu efficaces, l’intervention étatique surtout envers les jeunes a une grande proportion de supporters, y compris chez les individualistes. Les jeunes en ligne de mire Et les jeunes ? Ils semblent pour leur part nettement moins enthousiastes sur des mesures qui les placent en ligne de mire, même de manière bien intentionnée. Moins riches, ils se montrent beaucoup plus sensibles aux mesures sur les prix : ils achèteraient moins d’alcool s’il était plus cher (36 % vs 30 %), diminueraient leurs achats si le prix augmentait de 25 % (44 % vs 33 %), et les augmenteraient en cas de baisse (26 % vs 15 %). S’ils ne se distinguent pas de leurs aînés pour l’approbation d’un étiquetage préventif des bouteilles d’alcool, 28 % contre 22 % au total sont opposés à un abaissement du seuil légal d’alcoolémie au volant pour les jeunes conducteurs, et 37 % vs 22 % désapprouvent l’idée d’interdire la publicité ; enfin, 24 % contre 12 % s’opposent à l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs de 18 ans. Ce point de vue de la “jeune génération” est à prendre au sérieux. La prévention les cible en tout premier lieu – ce qui est normal car un comportement installé est plus difficile à bien contrôler –, mais cette débauche d’interdictions souhaitées par ceux qui ne sont pas concernés (les abstinents) ou qui sont installés dans une consommation régulière et vécue comme sans risque (les vieux buveurs quotidiens), et qui entraîne même les individualistes à choisir la loi, ne passe pas auprès d’eux. Peut-être est-il temps aussi d’associer les jeunes à la conception des politiques qui les concernent ? FRANCE LERT 12 PRISE EN CHARGE et SDF dépendances À l’initiative des Enfants de Don Quichotte, les sans-domicile-fixe (SDF) ont fait plusieurs fois la “une” des médias début 2007, un problème reste peu abordé, celui des dépendances des sans-logis – notamment à l’alcool. Swaps a cherché à connaître l’ampleur du phénomène. Difficile d’évaluer exactement les problèmes de dépendance des SDF. Peu de recherches statistiques ont été menées sur ce thème. Une récente étude de l’Insee (lire encadré), qui dresse un bilan assez surprenant de la question de d’alcool chez les sans-logis, apporte quelques éléments de réponse. Selon cette enquête menée par questionnaires et titrée “Remise en cause d’un stéréotype”, 50 % des SDF interrogés se déclarent consommateurs d’alcool et 50 % abstinents. Seulement 16 % souffriraient d’une dépendance. Des chiffres loin, effectivement, de l’image que l’on peut avoir de la rue. La réalité est certainement un peu moins rose. En effet, l’enquête inclut également des personnes hébergées ou en foyer, qui, d’après les statistiques, sont moins exposées aux problèmes de dépendance alcoolique. Les sansabri qui vivent dans la rue sont, eux, plus exposés. Des profils variés C’est d’ailleurs ce que souligne le Dr Etienne Grosdidier, alcoologue et médecin référent des lits “halte soins santé” (ex “lits infirmiers”) du Samu social. Selon lui, “80 % des sans-logis ont une dépendance à l’alcool ou à la cigarette, et dans la majorité des cas il s’agit d’une codépendance. En ce qui concerne les toxicomanies aux autres drogues, les circuits de prise en charge ne sont souvent pas les mêmes, et nous ne les voyons pas au service médical du Samu social”. Certes, le constat aux lits infirmiers du Samu social est certainement quelque peu biaisé, puisque seuls les SDF du Samu social ayant de réels problèmes de santé y accèdent. Tous les sans-abri ne sont pas logés à la même enseigne. Certains groupes vont ainsi être plus exposés aux problèmes d’alcool que les autres. Comme le confirme l’enquête de l’Insee, l’alcool est essentiellement un problème masculin, et concerne particulièrement la tranche des 44-45 ans. La dépendance alcoolique semble par ailleurs relativement épargner les populations immigrées. C’est le même constat que fait le Dr Grosdidier sur le terrain : “Les vieux SDF très désocialisés, qui connaissent la rue depuis des dizaines d’années, ont généralement une consommation problématique d’alcool et souvent de tabac aussi. Les nouvelles populations qui viennent d’Europe de l’Est, elles, ont une problématique différente : l’alcool est associé à des problèmes comportementaux, à de la violence, qu’il s’agisse d’auto-agression ou d’hétéro-agression. Les populations immigrées récentes, du Maghreb ou d’Afrique noire, se retrouvent moins dans cette problématique de la dépendance.” Causes et conséquences Devant l’importance des consommations d’alcool chez les sans-domicile, une question se pose : Est-ce la consommation d’alcool qui a entraîné une désociabilisation progressive et l’arrivée dans la rue, ou est-ce la rue qui a provoqué l’apparition de la dépendance ? Bien sûr, les termes ne sont pas aussi simples, et le parcours qui amène à la rue est lié à de nombreux facteurs. Pour le Dr Grosdidier ; “il faut remettre les choses dans leur contexte : la population de la rue est déjà extrêmement différente de la population générale : beaucoup de pathologies psychiatriques, de problèmes familiaux… Autant de troubles que la rue vient aggraver”. Bien sûr, une forte dépendance alcoolique est très désocialisant, et peut favoriser l’arrivée dans la rue. Mais c’est aussi une population qui cumule de nombreux autres problèmes augmentant la vulnérabilité à l’alcool. “Survivre à la rue sans prendre de substances est quasiment impossible, souligne le Dr Grosdidier. Elle vous aspire, elle va catalyser tous les aspects négatifs. Je vois des gens qui arrivent dans la rue sans dépendance. Au bout de quatre à cinq ans, cela a bien changé.” Les auteurs de l’Insee font un constat similaire, osant même une comparaison avec l’héroïne : “Ce rôle joué par l’alcool, qu’on pourrait presque qualifier d’antalgique, 13 apparaît assez proche de celui parfois tenu par les opiacés (en particulier l’héroïne). Ceux-ci permettent de soulager les douleurs liées à la rudesse et l’inconfort de la vie dans la rue lorsque les individus n’ont pas les moyens financiers de s’en procurer.” Espérance de vie, 43 ans Bien sûr, l’alcool et le tabac, associés aux conditions très dures, ont un impact direct sur la santé et l’espérance de vie des sans-domicile-fixe. Une enquête de Médecins du monde menée en décembre 2006 évalue ainsi l’espérance de vie d’un SDF à 43 ans. Le Dr Grosdidier le confirme : “C’est vrai qu’on voit en lits infirmiers des gens très dénutris et abîmés par l’alcool. Le tabac joue aussi un rôle important. Mais il ne faut pas oublier la violence ou même le suicide. Ces derniers sont extrêmement nombreux chez les sans-logis, même si on n’en parle pas dans les journaux.” Au Samu social, on rencontre aussi de plus en plus de troubles cognitifs chez les gros consommateurs d’alcool. Cela peut se traduire par des légers déficits ou aller jusqu’à la véritable démence alcoolique. On retrouve aussi des problèmes neurologiques spécifiques de l’alcool, tels que le syndrome de Korsakoff (amnésies ponctuelles, sur la mémoire immédiate souvent). Et les problèmes neurologiques sont loin d’être rares. “Ces troubles, pratiquement toujours liés à la prise d’alcool, apparaissent de plus en plus tôt, souligne le Dr Grosdidier. On a des gens qui arrivent avec des prises quotidiennes clairement neurotoxiques, des cas qu’on ne rencontre pas en consultation d’alcoologie de ville. Par exemple, j’ai reçu un sanslogis dont la consommation quotidienne atteignait les 300 à 400 g d’alcool (environ deux bouteilles de vin plus deux cannettes de 50 cl de bière à 8°). Et il consommait cela depuis dix ans… Une autre fois, j’ai rencontré un jeune de 22 ans qui avait déjà un trouble cognitif majeur.” Sortir de la rue pour sortir de l’alcool Autre interrogation : faut-il aider les SDF à sortir de l’alcool avant d’essayer de les sortir de la rue, ou faire la démarche inverse ? Vu du terrain, la question ne se pose pas : “Il est pratiquement impossible de sortir quelqu’un de l’alcool sans le sortir d’abord de la rue. C’est comme n’importe quel sevrage : il faut changer de mode de vie, sortir de l’environnement délétère si on veut que cela réussisse. Si on met quelqu’un en sevrage et qu’on le remet dans la rue, combien de temps croyez-vous qu’il va tenir avant de replonger ?” On revient donc au problème initial d’aider les sans-logis à être resocialisés. Mais en la matière, le Dr Grosdidier est plutôt sceptique sur les mesures gouvernementales promises aux Enfants de Don Quichotte : “Le problème avec les personnes très désocialisées, c’est qu’on ne les sort pas du jour au lendemain de la rue. Cela demande beaucoup de temps. Quelqu’un qui est dans la rue depuis deux ans, il faudra au moins deux ans pour l’en sortir.” C’est alors seulement qu’il sera possible d’envisager une prise en charge du problème de dépendance : “Une fois qu’on a commencé à leur trouver un logement et assuré la transition, je les envoie dans le circuit “classique”, les structures de consultation en alcoologie, avec les cures.” Au même titre qu’une spirale descendante peut amener dans la rue et entraîner des problèmes de dépendance, il semble donc qu’avec du temps, on puisse créer un cercle vertueux, pour en sortir étape par étape. Mais c’est loin d’être gagné : il y aurait en France entre 200 000 et 400 000 personnes sans domicile fixe. ALAIN SOUSA Au-delà des stéréotypes L’“Enquête auprès des personnes fréquentant les services d’hébergement ou les distributions de repas chauds”, dite Sans-domicile 2001 et réalisée en France par l’Insee auprès d’un échantillon de 4 084 utilisateurs francophones dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, comportait 4 questions relatives à la consommation d’alcool. À partir de ces questions, les auteurs de l’article de Économie et Statistique 1 mettent en évidence la diversité des pratiques au sein de cette population, ainsi que des “distinctions nettes” suivant le type d’hébergement et de ressources, mais aussi suivant l’âge, le sexe et la nationalité des répondants. “Les personnes de nationalité française apparaissent ainsi plus souvent consommatrices, tandis que les usages les plus importants s’avèrent liés aux situations de précarité les plus marquées”, écrivent-ils, avant de se livrer à une comparaison – qu’ils reconnaissent “fragile sur le plan méthodologique” – avec la population générale. Cette comparaison montre, selon eux, que “l’alcool n’est pas tou1 “L’alcoolisation des personnes sans jours aussi présent dans les parcours des personnes sans domicile que dans l’imaginaire collectif”. domicile : remise en cause d’un stéréotype” L’article se clôt sur un examen des signes d’usages problématiques d’alcool qui vient nuancer ce constat généFrançois Beck, Stéphane Legleye et Stanislas Spilka, de l’Observatoire français ral, la proportion de personnes “semblant présenter d’importants risques d’usage nocif ou de dépendance à l’aldes drogues et des toxicomanies. cool” apparaissant nettement plus élevée chez les sans-domicile, et surtout parmi ceux dont les situations Économie et Statistique, 2006, n 391-392, p. 131-149 sociales sont les plus difficiles. o 14 35 heures sans c! taba SANTÉ PUBLIQUE Depuis le 1er février, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Principaux concernés : les travailleurs. Pas facile de gérer ce passage pour satisfaire à la fois fumeurs et non-fumeurs. Mais certaines entreprises ont su préparer la transition, proposant notamment des aides au sevrage. Deux exemples : la GMF et le musée du Louvre. “Il y a eu quelques récalcitrants, des fumeurs qui trouvaient que l’on empiétait sur leur espace de liberté. Mais, globalement, tout le monde était satisfait.” C’est le résumé que fait Florence Barraud, responsable développement des ressources humaines de la GMF lorsqu’on aborde la fin du tabac dans l’entreprise. Le constat est le même dans un tout autre type d’établissement : le musée du Louvre. “Les gens sont favorables à la loi, et l’interdiction de fumer est respectée”, souligne le Dr Françoise Moreau, qui dirige le service médical du musée. Une loi indispensable Pourquoi cette interdiction totale était-elle nécessaire dans les entreprises ? “Ce que l’on oublie peut-être, c’est que le risque lié au tabagisme passif est beaucoup plus important au travail qu’au domicile, explique le Dr Patrick Dupont, tabacologue et directeur scientifique de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT) 1. On passe plus de temps éveillé au travail qu’à la maison. Il est ainsi plus néfaste d’avoir un collègue fumeur qu’un conjoint fumeur.” Outre la lutte contre le tabagisme passif, le but de cette loi est bien sûr d’amener les fumeurs à arrêter. Car le fait d’interdire le tabac dans tous les lieux publics permet une prise de conscience de sa dangerosité. De manière générale, l’interdiction va freiner la consommation et faciliter le sevrage. Et cela semble fonctionner, comme le souligne le Dr Dupont : “Depuis que la loi a été mise en place, il y a une hausse des demandes de consultations en tabacologie. Et il y a également une aug1 Pour en savoir plus sur les programmes mentation des appels sur Tabac Info Service” d’aide au sevrage proposés par l’Office français de prévention du tabagisme : (lire encadré). OFT, 66 boulevard Saint-Michel, 75006 Paris, Si l’interdiction de fumer peut faire réfléchir les tél. 01 43 25 19 65, fax 01 43 25 18 27. www.oft-asso.fr fumeurs, voire leur faire réduire la consomma- tion, il faut en plus un petit coup de pouce pour franchir le pas vers le sevrage total. C’est l’une des raisons pour lesquelles le dispositif est complété par une aide pour le sevrage : le remboursement de 50 euros des substituts nicotiniques si ceux-ci ont été prescrits par un médecin. Certes, la somme reste assez modeste (moins d’un mois de traitement) en regard du coût des substituts. Mais, concrètement, comment les salariés fumeurs ont-ils vécu le passage à l’entreprise sans tabac ? Accompagner l’interdiction Certaines entreprises ont en tout cas décidé de jouer le jeu et d’aider les fumeurs à arrêter. Les exemples de la GMF et du Louvre sont deux modèles du genre. Ainsi, la GMF, qui compte plus de 4 200 salariés, avait anticipé la loi, avec une interdiction totale du tabac dès le 1er décembre 2006 sur ses sites centraux parisiens. Mais pas question de se lancer sans préparer le terrain, et assurer ses arrières : la société a lancé un programme qui a démarré dès avril 2006. Le principe était de proposer une aide au sevrage pour tous les fumeurs, avec l’aide de l’OFT. Mais avant de mettre en place cet accompagnement, il était important de poser les bases de la démarche. “Nous avons beaucoup dialogué avec les instances représentatives du personnel, les CHSCT en tête, souligne Florence Barraud. Nous avons d’abord proposé un accompagnement pour l’aide au sevrage tabagique qui a emporté l’adhésion de tous. Cela a commencé par un affichage, une exposition puis des réunions d’information animées par un tabacologue pour répondre aux questions.” Une fois les salariés informés, un entretien privé avec le tabacologue dans le but de mettre en place un accompagnement personnalisé était proposé aux volontaires. Ce 15 dispositif débutait par six entretiens répartis sur quatre mois. Puis un entretien téléphonique était réalisé deux mois après. Enfin, un dernier rendez-vous était prévu six mois plus tard. Mais l’accompagnement ne s’arrêtait pas à ce “coaching”. Une aide financière était proposée pour l’achat de substituts nicotiniques (pour un montant total de 200 euros par personne). Coût de l’opération: 500 euros par salarié (substituts plus accompagnement individuel). Devoir d’exemplarité Le Louvre aussi, a joué la carte de l’accompagnement en amont de l’interdiction totale. Au musée, un projet social négocié avec les partenaires sociaux prévoyait dès 2003, entre autres, des actions concernant la cigarette et l’alcool. “Ce sont des programmes de prévention qui associent la direction et les organismes syndicaux. Nous avons alors fait appel à l’OFT, avec qui nous avons mis en place le programme l’année dernière”, précise le Dr Moreau. Le dispositif mis en place est proche de celui de la GMF. Il prévoit ainsi une rencontre préalable avec un tabacologue, puis des entretiens réguliers sur une durée de quatre mois. Le tout est accompagné d’une prise en charge des substituts nicotiniques et autres aides au sevrage, pour une durée de deux mois maximum (auxquels vient donc s’ajouter un mois supplémentaire pris en charge par la sécurité sociale). Un affichage, des annonces dans le journal interne et des réunions avec les personnels ont permis de faire connaître le dispositif. Il faut dire que le musée avait toutes les raisons d’aider ses employés à passer le cap fatidique du 1er février. D’abord, comme tous les établissements publics, il connaît une contrainte supplémentaire en matière d’interdiction du tabac : une circulaire de Christian Jacob, le ministre de la fonction publique, a institué le “devoir d’exemplarité” dans les administrations. Il est impossible, notamment, de créer des espaces fumeurs comme le prévoit pourtant la loi. De plus, l’accueil du public au musée impose aussi quelques aménagements. Ainsi, les salariés n’ont pas le droit de sortir fumer dans la cour aux abords de la pyramide : pas question de voir les agents en costume fumer autour de cette “vitrine” du musée. D’autant plus que le Louvre est aussi un modèle pour tous les autres musées de la capitale. Aussi se devait-il de mettre en place des initiatives exemplaires. Postes différents, sevrages différents Pour en rester à l’exemple du Louvre, passer à un établissement totalement non-fumeur était au départ une gageure. Les profils des fumeurs varient énormément, comme l’explique le Dr Moreau : “Sur les 2 000 employés, Ce que dit la loi À compter du 1er février 2007, il est donc interdit de fumer dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail. Attention, les lieux qui ne recouvrent pas les deux conditions (couverts et fermés) situés dans l’enceinte de l’établissement peuvent aussi être déclarés non-fumeurs si l’employeur le décide. La loi prévoit toutefois la possibilité de créer, dans les lieux fermés et couverts, la création d’emplacements réservés aux fumeurs, après avis du comité d’hygiène et de sécurité. Néanmoins, cette mise en place est très contraignante : ces emplacements devront être clos, équipés de dispositifs de ventilation indépendants, aucune prestation ne pourra y être délivrée… Pour connaître précisément les modalités d’application de la loi, consultez le site www.tabac.gouv.fr. la moitié des salariés travaillent dans les bureaux, et peuvent fumer assez facilement. Mais l’autre moitié est constituée d’agents postés, à l’accueil ou pour la surveillance. Ces agents connaissent une proportion importante de fumeurs et surtout beaucoup de très gros fumeurs. Non seulement ils sont continuellement sous l’œil du public, mais ils ont des horaires de pause très encadrés : en fonction de là où est posté l’agent, il lui est mathématiquement impossible d’aller à l’extérieur du musée pour fumer, et revenir reprendre son poste.” Autre exemple de difficulté spécifique : les agents qui travaillent toute la nuit dans le poste de contrôle. Ceux-ci se trouvent dans une pièce fermée et observent les écrans de contrôle ou font des rondes dans le musée. Difficile pour un fumeur de rester toute une nuit dans cette salle sans allumer une seule cigarette… Prévoyant des difficultés, le Louvre avait rendu cette salle non-fumeurs un an avant l’entrée en vigueur de l’interdiction. Et cela a été semble-t-il bien respecté. Face à ces spécificités, le Louvre a donc décidé d’adapter les objectifs de son programme d’accompagnement. Ainsi, le but du suivi par un tabacologue était bien sûr principalement le sevrage total, mais aussi, dans la mesure du possible, une diminution de la consommation. Une approche peut-être critiquable d’un point de vue médical, mais plus réaliste pour certains agents postés très gros fumeurs… et un pas vers un sevrage total. 1 16 Un pari gagnant Pour des établissements comme le Louvre et la GMF, l’accompagnement au sevrage, avec l’aide des tabacologues, a réellement aidé les salariés à passer le cap de l’entreprise sans tabac, comme l’explique Florence Barraud : “L’opération a connu un franc succès, nous avons été très sollicités. Certes, nous n’avons pas encore les évaluations précises, mais dans l’ensemble les salariés qui ont bénéficié de l’accompagnement ont été très satisfaits. Seuls quelques-uns ont abandonné en cours de route.” Au Louvre également, l’action a porté ses fruits. “Sur les quatre premiers groupes, qui comptaient au total une cinquantaine de personnes, nous avons eu 4 ou 5 abandons. Le bouche à oreille et l’émulation fonctionnent très bien. Lorsque les salariés voient un gros fumeur réussir à arrêter de fumer, ils sont très intéressés par le pro- Un tout premier bilan Selon le tableau de bord mensuel réalisé par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) à la demande de la Mildt, les ventes de cigarettes, qui avaient enregistré une légère augmentation en 2006 (+1,8%), ont diminué de 1,2 % en février 2007 par rapport à février 2006. Les ventes de substituts nicotiniques ont enregistré en février, mois de l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, une hausse de 126,8 % par rapport à février 2006. Les timbres (patchs) arrivent en tête, avec une hausse de 140,7 % ; les formes orales sont en hausse de 76 %. Les ventes du Zyban, antidépresseur utilisé pour diminuer les symptômes de sevrage tabagique, en baisse de près de 5 % sur l’année 2006, ont progressé en février 2007 de 19,3 % par rapport à février 2006. Les consultations de tabacologie enregistrent également une hausse du nombre de nouveaux patients (+23,7% par rapport à février 2006), dont plus de la moitié (50,4 %) sont adressés par un professionnel de santé. Le délai moyen d’attente d’un premier rendez-vous est estimé à 15 jours. Enfin, le nombre d’appels traités par Tabac Info Service a augmenté de 68,7 % sur la même période. Les données complètes sont disponibles sur www.ofdt.fr. gramme…” souligne le Dr Moreau. Et le Louvre peut ainsi s’enorgueillir d’un respect total de l’interdiction de fumer, malgré des craintes, au départ, de débordements. Des problèmes subsistent… Certes, toutes les entreprises n’ont pas proposé un accompagnement aussi poussé, et la transition a été beaucoup plus abrupte. Mais il faut noter que même à la GMF, et malgré les campagnes d’information, il y a eu quelques difficultés, comme le rapporte Florence Barraud : “Nous avons beaucoup communiqué quand nous avons lancé le projet, il y a eu quelques récalcitrants, qui considéraient qu’on empiétait sur leur espace de liberté. Compte tenu des contraintes imposées nous n’avons pas souhaité mettre en place des espaces fumeurs. Il a fallu faire accepter l’idée. Depuis la mise en œuvre de la loi en février, nous avons supprimé sur nos sites provinciaux les salles réservées auparavant aux fumeurs.” En ce qui concerne la tolérance entre fumeurs et nonfumeurs, la GMF ou le Louvre n’ont pas rencontré de problèmes particuliers depuis la mise en place de la loi. Mais cela n’a pas été forcément le cas partout, comme l’explique le Dr Patrick Dupont, de l’OFT : “Il y a quelques abus, comme des non-fumeurs qui se vengent de ce qu’ils ont vécu en stigmatisant les fumeurs, ce qui amène à des dégradations des ambiances de travail dans certains cas, et attise les tensions entre fumeurs et non-fumeurs. Il faut plus de tolérance… de chaque côté!” Malgré ces légers accros, force est de reconnaître que l’interdiction de fumer a bien fonctionné dans les entreprises partout en France. Un bon présage pour l’élargissement de cette mesure en 2008 aux bars et aux restaurants ? ALAIN SOUSA 17 PRISE EN CHARGE Un centre spécialisé pour les usagers de crack Le 26 février, après de longs mois de gestation, le Centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) de l’association Espoir Goutte d’Or (EGO), premier CSST dédié aux usagers de crack, a enfin ouvert ses portes au public. Le choix de la proximité CSST EGO 13, rue Saint-Luc 75018 Paris Tél. 01 53 09 99 49 [email protected] L’association a fait “le choix de la proximité” en implantant le CSST dans ses anciens locaux entièrement rénovés, situés dans une zone très concernée par la consommation et le trafic de drogues, dans le but de “faciliter l’accès aux soins d’un public très éloigné des dispositifs spécialisés et souvent réfractaire aux traitements”. Comme l’explique Ramon Neira, son directeur, l’objectif général est de proposer aux usagers de crack et polytoxicomanes des soins médicaux et sociaux adaptés à leur situation, le traitement de la dépendance et le renforcement des liens sociaux. L’équipe médico-sociale est constituée d’un psychiatre, d’une infirmière, de deux médecins généralistes, de deux psychologues, d’une assistante sociale, d’un éducateur spécialisé et d’une animatrice de santé. Elle reçoit tous les matins sur rendez-vous les usagers prêts à s’engager dans un parcours de soins. Des soins de premier niveau sont proposés sans rendez-vous l’après-midi. Concernant la prise en charge de l’hépatite, outre un dépistage décentralisé et une aide à l’accès aux soins, une consultation au sein du CSST avec un hépatologue va être mise en place une fois par mois, précise Ramon Neira. Un réseau de prise en charge “Grâce au groupe de travail “prise en charge socio-sanitaire” du Plan crack, nous avons eu l’opportunité d’établir un travail en commun avec les différentes structures impliquées : hôpitaux, Ecimud, autres CSST du nord-est de Paris, etc., explique Ramon Neira. Des contacts étroits ont été liés avec l’Ecimud de l’Hôpital Bichat, le Pr Lépine à l’Hôpital Fernand-Widal ou l’Hôpital Paul Brousse à Villejuif par exemple.” Des contacts ont aussi été établis avec les centres de soins des prisons de la région parisienne, le taux de per1 “craving” : désir irrépressible sonnes incarcérées consommatrices de de consommer un produit. crack étant en forte augmentation. L’articulation avec la RdR Le partage des locaux avec la boutique d’accueil “bas seuil” du Caarud déjà géré par EGO permet de créer un lien et facilite l’orientation des usagers du Caarud désireux de s’inscrire dans une démarche de soins. L’équipe de STEP, l’antenne de prévention et de réduction des risques d’EGO située dans le même quartier, a aussi pour vocation d’orienter vers le CSST les usagers en demande de soins et/ou d’un accompagnement social. Sur le plan du traitement des addictions, après une première évaluation de la situation du patient, un parcours thérapeutique est proposé, qui peut éventuellement comprendre la prescription de traitements de substitution aux opiacés, la mise en place d’un projet de sevrage et le cas échéant une orientation vers des centres de traitement résidentiels. Le traitement de la dépendance au crack Un protocole de traitement de la dépendance au crack a été établi. Il parie sur une prise en charge intensive en ambulatoire constituée de rendez-vous quotidiens avec l’équipe du CSST, éventuellement accompagnés de prescription en lien avec l’hôpital d’un traitement visant à atténuer le “craving” 1. L’idée, comme l’explique Ramon Neira, est “de s’appuyer sur une prise en charge psychothérapeutique encore peu utilisée en France, axée sur une approche motivationnelle et cognitivo-comportementale, plutôt que sur l’éloignement”. Cette offre de soins expérimentale va se structurer progressivement au cours de l’année 2007. Sur une file active pour le CSST estimée aux alentours de 500 personnes, Ramon Neira évalue entre 30 et 50 le nombre de protocoles intensifs qui seront proposés cette année. NESTOR HERVÉ 18 INTERNATIONAL Le sens d’un programme de RdR à Kaboul Au-delà des objectifs propres à un programme classique de RdR (PES, travail de rue, boutique, etc.), la mission de Médecins du monde à Kaboul a pour enjeu de faire la preuve locale, par l’action, de la signification des principes fondateurs de la RdR afin d’éviter une technicisation qui la réduirait à une seule approche sanitaire sur fond de rédemption, comme l’explique ici son responsable Olivier Maguet. Ces dernières années, la réduction des risques (RdR) liés aux usages de drogues est devenue une évidence à l’échelle planétaire, de la France, qui a consacré la RdR dans sa loi en 2004, au Vietnam, qui a autorisé les traitements de substitution en juin 2006, en passant par les États de l’ex-URSS qui tolèrent des programmes de RdR. Cette évidence, dont l’efficacité avait été démontrée par de nombreuses études, s’impose aux décideurs, quels que soient les régimes politiques, les niveaux de développement économique, les traditions historiques ainsi que l’héritage social et culturel. L’Afghanistan n’échappe pas à ce que les Anglo-Saxons appelleraient un “mainstream”, c’est-à-dire un courant de fond qui structure les politiques publiques, de la même façon que les profonds courants sous-marins circulent d’un océan à un autre pour réguler la planète. Ce constat – positif – posé n’élude pas pour autant une difficulté majeure : l’absence d’une compréhension partagée sur le sens de la RdR. Cette absence conduit à décliner localement des actions dites de RdR qui en pervertis1 C’est la période de la fameuse affiche de sent l’objectif et les contenus. Pointe alors, en MDM : “Quand un pays ne soigne pas les germe, le risque de voir la RdR devenir une femmes, c’est le pays qu’il faut soigner”. “fausse bonne idée” dans les années à venir. 2 Pour donner une idée de l’ampleur de ces mouvements, rappelons que 2,8 millions de L’Afghanistan cristallise particulièrement cet réfugiés Afghans sont rentrés des camps du écueil, que la mission de RdR de Médecins de Pakistan depuis 2002, et qu’il en reste toujours 2,4 millions… monde (MDM) à Kaboul s’attache à surmonter. Plusieurs millions de réfugiés MDM est présente sans discontinuité en Afghanistan depuis 1982. La tragique histoire du pays, de l’invasion soviétique de 1979 à la chute du régime des talibans en novembre 2001, a amené Médecins de monde à réorienter constamment ses champs d’implication au plus près des besoins : médecine urgentiste pendant les périodes de conflit, médecine humanitaire dans les camps de réfugiés, médecine en direction des femmes quand ces dernières étaient exclues de la société – et donc de l’accès aux soins – par les talibans 1… À partir de 2002 commencent à revenir au pays des millions de personnes qui l’avaient quitté à l’un ou l’autre moment de ces années de troubles 2. Beaucoup ont vécu de longues années dans des camps de réfugiés en Iran et au Pakistan. À ces mouvements de population s’ajoutent les personnes déplacées à l’intérieur du pays, au gré des zones de conflit. Pour une grande partie, ces retours se concentrent sur Kaboul, qui a vu sa population plus que doubler jusqu’à aujourd’hui (environ 5 millions d’habitants, sur une population totale de moins de 30 millions). Des jeunes adolescents ayant grandi dans les camps aux anciens combattants paumés parce que la guerre s’arrête, l’éventail des profils et des trajectoires est large. Cela ne saurait cacher des tendances récurrentes : importance des troubles mentaux et des problèmes psychiques 19 liés aux années de violence et de guerre ; désoeuvrement économique et social au retour, dans un des pays les plus pauvres du monde ; sentiment d’abandon qui croît au rythme de celui de l’aide internationale – et de ses détournements – dont la plus grande partie de la population ne voit pas le premier afghani 3… D’une consommation traditionnelle à un usage de crise La RdR comme approche politiquement correcte Une phase exploratoire conduite en juin 2005 a clairement fait apparaître que le “mainstream” dont il était question plus haut était arrivé en Afghanistan. En effet, le pays travaille sur une stratégie nationale de lutte contre le VIH ainsi qu’un plan national de lutte contre les drogues (ce dernier étant essentiellement axé sur l’éradication de l’offre – nous y reviendrons – mais comportant aussi un volet réduction de la demande). Et là, alors que l’Afghanistan n’a aucune culture en matière de RdR, le sabir international est directement importé, en anglais, sans traduction ni appropriation des termes : “outreach”, “community involvement”, “harm réduction”, etc. Les décideurs politiques et les opérateurs locaux ont bien compris l’enjeu de présenter des programmes et des stratégies d’action puisant dans ce vocabulaire d’une évidence qui n’est plus à démontrer, pour faciliter leur accès à des fonds internationaux 4. Conséquence : notre exploration de terrain fait apparaître que le “community outreach” dont il est question peut se traduire, par exemple, par un programme de rue où le message accompagnant la distribution de trois seringues est : “Au bout de la troisième injection, tu arrêtes”… 1 La conjonction de ces phénomènes, parmi bien d’autres, conduit de plus en plus de personnes, particulièrement à Kaboul, à chercher refuge dans les substances psychotropes. D’une consommation traditionnelle d’opium, rythmée par des us et coutumes, le pays bascule rapidement dans un usage de crise : augmentation du nombre de consommateurs, élargissement de la palette des produits, diversification des modes de consommation (dont l’introduction de l’injection). Une série d’enquêtes, menées par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), fait état de plus d’un million de consommateurs de substances variées dans le pays ; et c’est certainement la pointe émergée de l’iceberg. Les témoignages remontés du terrain confirment l’émergence de ce qui devient un véritable problème de santé 3 La monnaie locale. publique. Dans la même période, il n’existe à Kaboul que 4 L’Union européenne, par exemple, a ainsi donné plus de un milliard d’euros sur deux centres spécialisés locaux (créés à l’aube la période 2002-2006 et prévoit des années 2000), et qui ne proposent qu’une une enveloppe supplémentaire de 600 millions d’euros pour 2007-2010. approche de sevrage. C’est alors que MDM décide de s’investir sur le terrain des consommateurs de drogues, avec le souci de promouvoir une approche en termes de RdR. Une production d’opium toujours à la hausse “Les estimations effectuées cet hiver montrent que la culture de l’opium en Afghanistan en 2007 ne sera pas inférieure au record de 165 000 hectares cultivés en 2006”, indique un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) rendu public début mars. La culture de l’opium avait déjà augmenté dans ce pays de 59 % en 2006 par rapport à l’année précédente. L’ONUDC prévoit une progression de la culture de l’opium dans 15 provinces sur 34, notamment celles d’Helmand et de Kandahar. Ces régions méridionales, où se concentre l’insurrection des talibans, ont été responsables en 2006 d’environ la moitié de la production d’opium du pays. Environ 80 % des paysans du sud du pays cultivent le pavot, alors que la moyenne nationale est de 13 %, selon l’étude de l’ONUDC conduite en décembre et janvier. Alors que les programmes de destruction des champs de pavots montrent leurs limites, des propositions alternatives voient le jour. Ainsi le Conseil de Senlis, un groupe international d’experts, s’est prononcé dans un rapport publié mercredi 14 février à Londres pour l’arrêt de la destruction des champs de pavots. Elle “renforce la pauvreté et nourrit la rancœur envers le gouvernement et la communauté internationale, en même temps qu’elle fournit à la rébellion une facile base de recrutement”, soutient le rapport. Les paysans afghans devraient au contraire obtenir l’autorisation de produire de l’opium destiné à l’usage médical dans les pays riches, ce qui assurerait leur subsistance. Un point de vue partagé par trois groupes parlementaires de la gauche italienne, qui ont proposé début mars que l’Italie achète légalement de l’opium produit en Afghanistan pour le transformer en médicaments anti-douleur afin de “couper l’herbe sous le pied” aux talibans et aux trafiquants, mais qui se heurte à deux écueils : l’écart entre l’offre et la demande et le prix de vente, comme l’expliquait il y a quelques mois Alain Labrousse dans un entretien à Swaps sur la culture de l’opium en Afghanistan (no 43, p. 13-15). En outre, la stratégie du Conseil de Senlis pour mener son lobbying sur l’usage médical de l’opium peut se révéler contre-productive : elle ne prend en compte ni le rythme ni les programmes des partenaires présents en Afghanistan (décideurs politiques et opérateurs locaux, institutions internationales et ONG étrangères). 20 Établir une réelle proximité avec les groupes d’usagers Il n’est pas question ici de remettre en cause une réelle perception, par les acteurs locaux, des enjeux de santé liés à la consommation de drogues, ni de douter de leur volonté d’agir en la matière. Mais force est de constater que l’absence de déclinaison locale du concept de RdR, avec du temps pour la digérer et comprendre son état d’esprit, peut conduire à rendre contre-productives des mesures qui paraissent “valables” sur le papier. Ainsi, les deux structures kaboulies survalorisent la présence de travailleurs sociaux ou de spécialistes du conselling divers et variés, ainsi que celle d’ex-usagers témoignant des malheurs causés par la drogue… Un des principes fondamentaux de la RdR n’est pas au rendez-vous : celui qui consiste à établir une réelle proximité avec les groupes d’usagers visés par l’action et à les impliquer. Recruter, au sein d’une équipe « outreach », des usagers actifs, en raison même de leurs connaissances et expertise en matière de produits, de modes de consommation – et donc des risques associés – et, surtout, d’accès aux lieux et groupes les plus à risque, est une idée qui apparaît, au mieux farfelue, au pire dangereuse. La question de l’injection est très significative : décliner le kit international de RdR n’a pas de sens ; en effet, à Kaboul, l’héroïne n’est pas chauffée et dissoute directement dans le piston avec un anti-histaminique (pratique qui nécessite des aiguilles à gros diamètre). L’eau distillée et la seringue 1 ou 2 cc ne sont pas adaptées dans ce contexte, car un véritable travail sur les pratiques n’est pas mené. Dans ce cas d’espèce, l’injection comme pratique à risque a bien été traduite, mais pas documentée ni commentée… Faire comprendre les principes de la RdR Dans ce contexte, la mission de MDM, au-delà des objectifs propres à un programme classique de RdR, ici ou làbas (PES, travail de rue, boutique, etc.), a bien pour enjeu de faire la preuve locale, par l’action, de la signification des principes fondateurs de la RdR, et d’accompagner ainsi l’environnement afghan vers une compréhension de ces principes. À défaut, les programmes de RdR risqueraient de n’être perçus, par les usagers, que comme une modalité supplémentaire issue du champ sanitaire et social, dans laquelle ils ne sont pas impliqués. 5 Pour n’en citer qu’un seul, voir le texte de F.-X. Dudouet, “De la régulation C’est pourquoi MDM a décidé, pour répondre à à la répression des drogues”, paru ce défi, de mener une phase d’implantation de dans les Cahiers de la sécurité intérieure (n 52, deuxième trimestre 2003). neuf mois en 2006. Concrètement, nous o sommes partis du terrain des usages et des usagers, en menant, en avril et mai 2006, une enquête de type “boule de neige”, qui avait aussi pour vocation d’identifier, parmi les usagers rencontrés, ceux qui présentaient des aptitudes à devenir de futurs intervenants de RdR. Un premier vivier de personnes-ressources a ainsi été constitué et a bénéficié d’une formation à visée de recrutement en juillet 2006. Ceux qui présentaient le plus d’atouts en matière d’expertise des drogues d’une part, de capacité à retransmettre une information au-delà de leur histoire personnelle d’autre part, ont ainsi été intégrés à une équipe plus large (dans laquelle il y a des intervenants non-consommateurs et un infirmier). Enfin, jusqu’à la fin de l’année 2006, cette équipe a travaillé, sous la responsabilité d’un coordinateur expatrié, à l’acquisition et à l’appropriation de la philosophie et des techniques de la RdR. Nous avions la volonté que cette équipe réinvente finalement elle-même, avec ses mots, la RdR, à partir des expériences, représentations et connaissances de ses membres. C’était la condition pour ne pas tomber dans les risques du “copier-coller” dénoncé plus haut… Ce travail de longue haleine, qui rappelle qu’une démarche communautaire nécessite du temps, reste d’actualité. Le programme a ainsi l’ambition, à terme, de construire un corpus idéologique et pratique de la RdR propre à l’Afghanistan. Cet enjeu revêt une importance encore plus grande dans le pays des champs de pavots… Le pays de la guerre à la drogue Plusieurs travaux ont montré que la “guerre à la drogue” conduit inéluctablement à une “guerre aux drogués” 5. Quel pays mieux que l’Afghanistan cristallise-t-il avec autant d’éclat cette guerre à la drogue ? Avec 92 % de la production mondiale d’héroïne en 2006, la lutte contre les rebelles talibans ne justifie pas à elle seule l’attention de la communauté internationale. Les 35 000 soldats de l’ISAF (Force internationale de sécurité en Afghanistan) ne font pas que traquer du rebelle dans les montages ou protéger la capitale d’incursions terroristes ; ils soutiennent aussi l’effort d’éradication des champs de pavot à opium. Les Nations Unies ont créé un fonds dédié au financement de la stratégie nationale afghane contre les drogues (le Counter Narcotic Trust Fund), abondé à hauteur de 75 millions de dollars sur sa première tranche (dont 40 millions provenant du gouvernement britannique et 15 millions de l’Union européenne). Seulement un peu moins de 2 millions seront affectés au volet Dans un appartement à Kaboul, novembre 2006. © Jacky Naegelin/Reuters “réduction de la demande” – et encore, essentiellement sur des programmes visant au sevrage et à l’abstinence… L’enjeu d’une démarche véritablement comprise de RdR prend, dans un tel contexte, encore plus de sens. Car il s’agit bien ici de ne pas la confier aux seuls professionnels du champ social et sanitaire local, encadrés par des conseillers occidentaux qui sont les mêmes que ceux de la lutte anti-drogue… La réelle participation des usagers et la définition d’une culture locale de RdR constituent le seul rempart à une technicisation de la RdR, qui la réduirait à une seule approche sanitaire sur fond de rédemption. Elle est en outre la condition indispensable à l’émergence d’une parole collective des usagers, en préfiguration de la “guerre aux drogués” à venir (l’UNODC finance ainsi un programme de construction de prisons…). Laissons, pour finir, la parole au responsable de l’administration pénitentiaire afghane, qui, en juin 2005, déclarait en substance : “Vous avez quelques années devant vous car, de toute façon, nous n’avons pas les moyens et les infrastructures pour enfermer les drogués”… Eh bien, utilisons ces quelques années pour donner un sens à la RdR dans son pays ! OLIVIER MAGUET, responsable de la mission RdR de MDM à Kaboul VIH/sida et hépatite C En l’absence d’un système de surveillance épidémiologique, les données les plus significatives proviennent du centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) de Kaboul, qui a ouvert ses portes en septembre 2005. De cette date à octobre 2006, le CDAG déclare avoir testé 464 usagers de drogues, avec 102 résultats positifs pour l’hépatite C et 14 pour le VIH. [Communication orale, novembre 2006] 22 PUBLICATIONS / NOUVELLES PARUTIONS envisagé dans le long terme. – ceux pour qui la buprénorphine fonctionne comme une drogue légale, consommée pour la recherche d’effets et de défonce. – ceux pour lesquels elle est un produit piège, dont l’usage aboutit à des dommages aggravés. Les auteurs soulignent le rôle des situations sociales des usagers et de leurs conditions de vie dans l’appropriation de la buprénorphine, le poids persistant de l’image péjorative du toxicomane comme obstacle à devenir une personne traitée. La lutte contre le tabagisme Patrick Peretti-Watel Problèmes politiques et sociaux, no 932 La Documentation française, janvier 2007, 112 p. La revue Problèmes politiques et sociaux consacre un numéro thématique à “la lutte contre le tabagisme ”. Selon le principe habituel à cette revue, le sociologue Patrick Peretti-Watel introduit une sélection de textes significatifs pour apporter différents niveaux d’éclairages et de compréhension sur cette question d’actualité. Ils retracent les actions, les acquis et les écueils de des trente années de lutte contre le tabagisme. La première partie propose un bilan de la lutte contre le tabagisme en France en s’attachant à l’impact de quelques mesures (la hausse des taxes, la législation antitabac, le rôle des professionnels de santé). La deuxième partie permet d’appréhender les usages individuels de tabac et leurs motivations, la notion de risque pour les fumeurs, l’évolution des approches préventives. La dernière partie est consacrée à la “guerre” que se livrent – sur le plan de la communication et de la prévention – les industriels du tabac et les autorités de santé publique. L’ouvrage est complété d’une chronologie de la lutte contre le tabagisme en France (19762006). Premières rencontres nationales de la réduction des risques liés à l’usage de drogue AFR, mars 2007, 90 p. Commande gratuite sur le site de l’AFR : www.a-f-r.org Les 12 et 13 octobre 2006, l’Association française de réduction des risques (AFR) et ses partenaires organisaient deux journées d’échanges et Abonnement Je m’abonne 쑗 1 an = 8 € de réflexions pour faire un bilan des acquis de la politique de réduction des risques (RdR) et réfléchir à l’évolution des dispositifs, des actions et des méthodes d’intervention (lire Swaps no 45). Ces actes reprennent les interventions en plénières et les prises de paroles lors des forums et des ateliers thématiques. Elles concernent le concept de RdR, ses réussites et ses difficultés, ses acteurs, sa place dans les stratégies et les politiques des drogues au niveau national ou européen, les enjeux récents de l’évolution des dispositifs de soins, de RdR et de première ligne, les réponses aux nouveaux usages et usagers, la question de l’accès aux traitements, des salles de consommation, des hépatites virales… Au final, des constats et des besoins, des recommandations et des pistes pour agir, des volontés d’innover et de travailler ensemble. CLAUDINE VALLAURI Rapports des usagers au Subutex® : de la reconquête de l’autonomie à la spirale de l’échec Anne Guichard, France Lert, Jean-Marc Brodeur, Lucie Richard Sciences sociales et santé, décembre 2006, vol. 24, no 4, pp. 5-43 Une enquête qualitative menée auprès d’usagers de drogues sous traitement par la buprénorphine permet de mieux comprendre le rapport des usagers au produit de substitution. Des entretiens successifs avaient pour objectif d’explorer les modes d’appropriation et les usages de la buprénorphine, le vécu de la toxicomanie, les modes de vie et situations sociales, l’image de soi. De leur analyse croisée, les auteurs dégagent quatre profils d’usagers : – ceux pour lesquels la buprénorphine agit comme une ressource pour s’en sortir : pour eux, le Subutex® est un médicament, ressource transitoire pour sortir de la toxicomanie. – ceux pour lesquels la buprénorphine constitue un traitement de maintenance : c’est-à-dire un soutien chimique pour la vie quotidienne dont l’usage est 쑗 2 ans = 15 € Chèque à l’ordre de Pistes, à retourner Tour Maine-Montparnasse BP 54 75755 Paris cedex 15 Nom.......................................................................Prénom................................................ Profession........................................................Organisme................................................ Adresse............................................................................................................................. ......................................................................................................................................... Code postal.....................................Ville........................................................................... Tél............................................................Fax............................................................. 23 Brèves... Distribution d’héroïne : la Belgique suit l’Allemagne Les sept villes allemandes qui distribuent de l’héroïne à des toxicomanes très dépendants vont pouvoir poursuivre ce programme, a indiqué fin janvier le chef du groupe parlementaire conservateur en Allemagne (CDU et CSU), qui s’opposait jusqu’ici à toute prolongation. Il a cependant rejeté toute extension de ce projet pilote à d’autres villes. Les sept municipalités (Francfort, Hambourg, Bonn, Hanovre, Karlsruhe, Cologne et Munich) avaient demandé avec insistance que la distribution d’héroïne de synthèse (diamorphine) sous surveillance médicale se poursuive, arguant que ce traitement avait fait ses preuves sur les toxicomanes très dépendants, pour lesquels toutes les thérapies de désintoxication et de substitution avaient échoué. C’est dans cette optique que les ministres belges de la santé et de la justice ont donné courant mars leur aval à un projet pilote de traitement avec diacétylmorphine qui devrait débuter cette année à Liège. La cocaïne se banalise en Italie Selon l’institut de recherche Eurispes, 7 % des Italiens de 14 à 54 ans, soit 2130000 personnes, déclarent avoir consommé de la cocaïne au moins une fois dans leur vie, et 286 000 en ont pris durant le seul mois de décembre 2006. Le ministre de l’Intérieur a saisi l’occasion d’un déplacement à Naples, début février, pour tirer la sonnette d’alarme: “la consommation de cocaïne est gigantesque, la demande est effrayante”, a-t-il déclaré. On ne peut pas demander aux forces de l’ordre de combattre seules le trafic “si une telle demande vient des familles, des adultes et des jeunes adultes”, a-t-il averti. Dans la seule région de Naples, une tonne de cocaïne a été saisie en 2006. À Milan, un habitant sur dix aurait pris de la cocaïne, selon les services sanitaires locaux. 25 000 déclarent en prendre au moins une fois par mois, et 15 000 seraient dépendants. (AFP) Le maire d’Epinal veut expérimenter les salles de consommation “Il faut expérimenter les salles de consommation afin d’accueillir des personnes qui se droguent de manière très régulière, de faire en sorte qu’elles le fassent dans de bonnes conditions sanitaires, pour les emmener vers des produits de substitution et ensuite vers le sevrage, affirme le député-maire d’Epinal Michel Heinrich (UMP). Bien sûr, je ne dis pas que c’est un dispositif à généraliser. Ce n’est pas la panacée, mais quelque chose qu’il faudrait essayer, dans un cadre bien précis, avec un encadrement très expérimenté.” Pharmacien de profession, Michel Heinrich est rapporteur de la mission santé publique pour la loi de financement de 2007. Il a consacré une partie de son rapport à “l’enfer des paradis artificiels : comment renforcer l’efficacité de l’action publique en matière de lutte contre les drogues illicites”. (AFP) Tests de dépistage de la drogue au volant La gendarmerie expérimente plusieurs tests de dépistage instantané de consommation de drogue au volant, basés sur la salive, pour une mise en service prévue courant 2008. Selon le colonel de gendarmerie Jean-Robert Bauquis, ces tests sont “compliqués” à mettre en œuvre car il s’agit de détecter quatre familles de produits stupéfiants : cannabis, amphétamines, cocaïne et opiacés. Le test qui sera utilisé “devra être le plus fiable possible avec un seuil de sensibilité le plus élevé possible”, et “plusieurs entreprises ont été mises en concurrence dans le cadre d’une procédure de “dialogue compétitif ””, explique le colonel Bauquis. Une première campagne d’expérimentions vient de se dérouler dans la région Centre. Une seconde se tiendra cet été dans trois autres régions auprès de plusieurs centaines d’automobilistes. (AFP) Le nombre de plantations de cannabis a triplé à Londres Le nombre de plantations de cannabis découvertes par la police en Grande-Bretagne a triplé depuis deux ans, avec une moyenne de trois plantations saisies chaque jour ces derniers mois, a affirmé mardi 13 mars l’organisation d’information sur les drogues DrugScope. 1 500 plantations ont été découvertes à Londres au cours des deux dernières années, contre 500 les deux années précédentes, selon le rapport de DrugScope. Aujourd’hui, plus de 60 % du cannabis vendu en GrandeBretagne sont cultivés dans le pays, contre seulement 11 % il y a dix ans. Ces plantations se trouvent généralement dans des résidences privées (souvent vides) ou des propriétés commerciales, estime DrugScope. Travail communautaire pour “mammy cannabis” Une grand-mère anglaise récidiviste, qui cuisinait avec du cannabis pour lutter contre la dépression, a été condamnée début mars à 250 heures de travaux d’intérêt général. Le jury n’a mis que 15 minutes pour juger coupable, à l’unanimité, Patricia Tabram, 68 ans, qui cultivait quatre pieds de cannabis dans une armoire à son domicile, en violation d’une condamnation à six mois de prison avec sursis. “Je vais continuer à me soigner avec du cannabis. Ce tribunal n’est pas compétent et je vais faire appel et déposer plainte car je n’ai pas eu droit à un avocat”, a déclaré Mme Tabram après sa condamnation, disant qu’elle n’avait pas peur d’aller en prison. La police était intervenue chez elle sur dénonciation et avait trouvé, outre les plants, un bocal de poudre de cannabis près de la cuisinière. Auteur du livre Mamie mange du cannabis et deux fois grand-mère, Mme Tabram avait indiqué à la police que son congélateur était rempli de plats cuisinés et de glaces contenant du cannabis, qui n’ont pas été confisqués pour ne pas la priver de nourriture. Elle a expliqué au tribunal qu’elle utilisait le cannabis pour lutter contre la dépression dont elle souffre depuis 1975, lorsqu’elle avait découvert son fils de 14 ans mort dans son lit, et soulager des douleurs persistantes dues à deux accidents de voiture. (AFP) Les Américains se droguent moins mais boivent plus L’usage de drogues illégales aux États-Unis a légèrement baissé en 2004-2005 mais la consommation d’alcool est en hausse, selon un rapport de l’Administration des services de santé mentale publié fin février. Un peu plus d’un Américain sur deux, soit 51,1 %, consommait de l’alcool en 2004-2005 contre 50,2 % en 2003-2004 et près d’un sur quatre (22,7 %) s’adonne à des soûleries (“binge drinking”), définies par l’enquête comme le fait de boire au moins cinq verres en l’espace de quelques heures. La consommation de drogues illégales est en légère baisse à 8 % contre 8,1 % en 2003-2004. La marijuana est la drogue la plus utilisée : 6 % de la population en fume. Après l’alcool, le tabac est la substance la plus consommée : 29,3 % des Américains sont fumeurs. La cocaïne est utilisée par 2,3 % de la population. C’est dans la capitale fédérale, Washington DC, que l’usage de cocaïne est le plus répandu (3,4 %). Il a même augmenté parmi les jeunes adultes de 18 à 25 ans pour atteindre 5,8 % en 2004-2005 contre 4,1 %, la période précédente. (AFP) Tabac : les avertissements les plus gros sont les plus remarqués Les avertissements sur les dangers du tabac figurant sur les paquets de cigarettes ont davantage d’impact sur les fumeurs lorsqu’ils sont présentés de façon explicite, voire crue, et régulièrement renouvelés, selon des chercheurs de l’Université de Washington. Ceux-ci ont mené une étude comparative sur l’efficacité de ces messages au Canada, en Grande-Bretagne, en Australie et aux États-Unis. Entre 2002 et 2005, ils ont interrogé par téléphone quelque 15 000 fumeurs de ces pays, leur demandant s’ils avaient remarqué ces messages. Selon les résultats de l’étude, publiée début février par l’American Journal of Preventive Medicine, les mises en garde les plus efficaces figurent sur les paquets de cigarettes canadiens qui comportent des photos de taille importante montrant par exemple une bouche aux gencives noircies et abîmées sous l’effet du tabac. 60 % des fumeurs canadiens interrogés ont déclaré remarquer l’avertissement. (AFP) ... 24 Directeur de la publication Antonio Ugidos Rédacteur en chef Gilles Pialoux Rédaction Philippe Périn Alain Sousa Comité de rédaction Florence Arnold-Richez Mustapha Benslimane Lydie Desplanques Clotilde Genon Isabelle Grémy Mélanie Heard Marie Jauffret-Roustide Jimmy Kempfer France Lert Vincent Pachabézian Pierre Poloméni Brigitte Reboulot Olivier Smadja Marianne Storogenko Agnès Sztal Claudine Vallauri Gestion Amanda Baptista Natalia De Oliveira Secrétariat Anne-Sophie Woreth Réalisation graphique Céline Debrenne d’après une conception de Sylvain Enguehard Impression : Stipa / 4M Dépôt légal : à parution ISSN : 1277-7870 Commission paritaire : en cours SWAPS Tour Maine-Montparnasse BP 54 75755 Paris cedex 15 Téléphone : 01 56 80 33 51 Fax : 01 56 80 33 55 [email protected] www.pistes.fr/swaps Édité par l’association Pistes (Promotion de l’information scientifique, thérapeutique, épidémiologique sur le sida) Avec la participation des Centres régionaux d’information et de prévention du sida : Île-de-France Provence - Alpes - Côte d’Azur Avec le soutien du laboratoire et de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie. N° 46 / 1er trimestre 2007 Édito Cette nouvelle livraison de Swaps est, à l’instar de l’année 2007, placée sous le signe des élections. Et donc forcément politique, comme l’est si souvent l’approche sanitaire des usagers de drogues et la question de la réduction des risques (RdR). Dire que la RdR est un thème “porteur” de la campagne 2007 serait mentir. Comme en 2002, nous avons néanmoins souhaité recueillir les positions et propositions des principaux candidats qui visent à atteindre la plus haute marche de l’État. Même s’il n’est pas dans la mission de Swaps de veiller au niveau de véracité des promesses des candidats en campagne, nous rendons compte ici des réponses à des questions qui engagent le politique : Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat de l’usage des drogues et d’autres substances psychoactives en France ? Quelles thématiques souhaiteriez-vous voir aborder lors d’un éventuel débat parlementaire sur l’usage des drogues ? Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de drogues ? Et, ultime question : Croyez-vous à une société sans drogue ? Comme en 2002, il y a ceux qui ont répondu, ceux qui n’ont pas pu répondre ou qui n’ont tout simplement pas voulu répondre. Pour autant, cela n’a pas forcément valeur de désengagement sur cette thématique : Swaps n’est pas Le Monde ou Libération… Nous avons fait le choix de livrer ces réponses en “brut”, sans analyse critique, laissant, dans cette période intense de doute électoral, à chacun la liberté de se faire une opinion sur la/les position(s) du candidat – ou de la candidate – dans la champ de la toxicomanie et de la réduction des risques. Et nous avons repris, à titre d’effet mémoire, certaines des réponses du “candidat Chirac” en 2002 à l’heure d’une intense production biographique, autobiographique et commémorative de l’encore actuel président de la République. GILLES PIALOUX & ANTONIO UGIDOS