Le sens - PISTES

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Le sens - PISTES
ÉLECTION
PRÉSIDENTIELLE
Santé, réduction des risques et usages de drogues N o 46 Trimestriel / 2 €
Édito / 24
Les candidats répondent
à nos questions
Eurobaromètre,
L’
les jeunes et la prévention / 10
et
35
SDF
dépendances
heures sans
Un centre spécialisé
pour les usagers de
/2
crack
/ 17
Le sens
d’un programme de RdR
/ 12
c!
taba
à Kaboul
/ 18
/ 14
Publications
/ 22
Brèves...
/ 23
2
ÉLECTION
PRÉSIDENTIELLE
Les candidats répondent à nos questions
Parce que la position des candidats à la présidence
de la République sur les rapports entre drogues et société
n’apparaît pas toujours clairement dans leurs programmes,
nous avons demandé, comme il y a cinq ans, aux postulants
à la plus haute fonction de l’État de répondre à quatre
questions simples sur ces sujets.
Sur les 12 candidats interrogés, 5 ont joué le jeu
des questions/réponses, 1 a décliné, “faute de moyens”,
notre invitation et 6… n’ont pas répondu. En prime,
un petit rappel d’une partie des réponses du “candidat Chirac”…
en 2002.
3
“Relancer le débat”
François Bayrou
Les professionnels de santé doivent
être davantage impliqués dans
l’élaboration d’une politique
de lutte contre la toxicomanie efficace.
Comment envisagez-vous de vous impliquer dans
le débat sur l’usage des drogues et des autres
substances psychoactives en France ?
Depuis ces dernières années, la consommation de
lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic
drogues illicites dans notre pays n’a cessé d’augmende l’usage de substances vénéneuses, initialement
prévue pour contenir le développement préoccupant de
ter, accompagnant le fort développement d’un trafic
la consommation de l’héroïne, n’est plus adaptée à la
multiforme. La France est confrontée à un grave prosituation actuelle et aux nouvelles consommations. Le
blème de santé publique. La consommation de cannadélit d’usage n’est plus sanctionné, l’injonction thérabis chez l’adolescent en France est la plus forte
peutique, c’est-à-dire l’obligation de
d’Europe. Aujourd’hui, la réponse à cette situase soigner contre une remise de
tion n’est plus adaptée : la prévention est pratiLes capacités
de prise en charge
peine est diversement prescrite, le
quement inexistante et l’interdit est sans cesse
des toxicomanes
volet prévention a été négligé, et les
transgressé.
sont dramatiquement
capacités de prise en charge des
Bien qu’opposé à une légalisation pure et simple
insuffisantes.
toxicomanes sont dramatiquement
de l’usage de certaines drogues, je souhaite sorinsuffisantes.
tir de la répression systématique et de la stigIl est donc urgent de mettre en œuvre une politique de
matisation des comportements addictifs. La personne
prévention généralisée et de soins adaptés aux nouvelles
qui se drogue est avant tout une personne en détresse
toxicomanies. La prévention et l’accompagnement doiqui doit être aidée. C’est pourquoi, il faut permettre un
vent être préférées à la sanction, laquelle peut avoir des
suivi des comportements vis-à-vis des drogues illicites
effets beaucoup plus graves que les effets dissuasifs
comme des drogues licites, psychologique et médical, et
recherchés au départ. La réduction des risques, notamun accompagnement durable de ces personnes pour les
ment par l’échange des seringues et la délivrance de proaider à sortir de cet état.
duits de substitution aux toxicomanes, dont les résultats
Mais il faut surtout relancer le débat sur la politique de
en termes de santé publique doivent être salués n’ont pas
soins. Quelle politique de santé publique sur l’usage des
été accompagnés d’un véritable programme d’informadrogues souhaite-t-on mener ? Quel accompagnement
tion et de prévention, notamment en direction des jeunes.
pour les personnes toxicomanes ? Quelle politique de substitution ? Et surtout quels sont les moyens que l’on est
capable d’y consacrer ? Les professionnels de santé doivent être davantage impliqués dans l’élaboration d’une
politique de lutte contre la toxicomanie efficace.
Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant
la politique française en matière de drogues?
Si certaines mesures ont pu prouver leur efficacité,
aujourd’hui les textes ne sont plus adaptés. La loi du
31 décembre 1970, relative aux mesures sanitaires de
4
“Abandonner la guerre à la drogue”
Olivier Besancenot
Comment envisagez-vous de vous impliquer dans
le débat sur l’usage des drogues et des autres
substances psychoactives en France ?
En revendiquant clairement la légalisation du cannabis,
une mesure urgente pour des millions de jeunes usagers,
en même temps qu’en dénonçant l’absence de moyens
pour une véritable politique de prévention et de réduction
des risques. Qui doit d’ailleurs englober
L’usage de drogues doit
les drogues aujourd’hui illicites, mais
passer définitivement
aussi l’alcool, le tabac et la surconsomdu domaine de la répression
mation de certains médicaments.
à celui de la prévention
L’usage de drogues doit passer définitiet de la réduction des risques.
vement du domaine de la répression à
C’est le seul efficace.
celui de la prévention et de la réduction
des risques. C’est le seul efficace.
La guerre à la drogue de Sarkozy, les contrôles policiers à
la sortie des bus de Médecins du monde, ce n’est pas ça
qui réduit les souffrances des usagers de drogues. Ce
sont les traitements de substitution à l’héroïne, les programmes d’échange de seringues… qui ont permis de
sauver plus de 3 500 vies, réintégré les usagers dans le
circuit des soins (hépatite, VIH…), parfois du travail et je
l’espère de l’estime de soi.
Quelles thématiques souhaiteriez-vous voir abordées lors d’un éventuel débat parlementaire sur
l’usage de drogues ?
Plus qu’un débat parlementaire, c’est un débat citoyen
que je souhaite. La politique de guerre à la drogue a du
plomb dans l’aile. Elle doit être abandonnée. Abandonnée
au profit d’une politique de réduction des risques, qui
parie sur le cœur et l’intelligence des usagers. À notre
société de leur en donner les moyens. En termes de structure de soins et de prévention, mais aussi en termes
d’avenir.
Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant
la politique française en matière de drogues?
La loi de 1970 est un bel exemple d’hypocrisie et d’inefficacité. Elle n’a pas empêché la consommation de cannabis de doubler en dix ans chez les 16-24 ans. Par contre,
elle favorise le business. Elle criminalise une partie de la
jeunesse, toujours la même d’ailleurs, celle des quartiers
populaires, celle que Sarkozy traite de racaille. Pourtant
on sait que l’usage de drogue touche autant la jeunesse
des quartiers que celle des “beaux” quartiers. Mais tous
Je suis favorable à l’abrogation de la loi de 70,
à la dépénalisation de la consommation
des drogues et à la légalisation du cannabis.
n’ont pas droit au harcèlement policier. La prohibition
n’est pas la solution.
L’hypocrisie doit cesser. Je suis donc favorable à l’abrogation de la loi de 70, à la dépénalisation de la consommation des drogues et à la légalisation du cannabis.
Dans le même temps, la dépénalisation doit aller de pair
avec des actions de prévention, des actions de suivi
médical-social. Et les budgets doivent être à la hauteur !
Sarkozy veut nous faire croire que la jeunesse est un danger pour la société. Alors que trop souvent, c’est elle qui
est en danger ! Précarité, racisme, discriminations, violences policières… Quel avenir ! Un boulot, un appart, un
copain ou une copine… C’est un petit coin de ciel bleu
dans la tête et le produit qui s’éloigne. Le bonheur, une
idée neuve contre l’usage de drogues.
Croyez-vous à une société sans drogue ?
Pas vraiment, non. C’est un phantasme policier, ça ! Mais
il paraît qu’on souffre beaucoup dans la police, et que
l’alcoolisme y fait des ravages. Par contre, tous les produits ne sont pas équivalents. Certains sont mis au ban
de la société, alors que d’autres sont tolérés. L’alcoolisme
fait 40 000 morts par an en France, le tabagisme 60 000.
La France est presque championne du monde de l’usage
des anxiolytiques. Certains produits peuvent être consommés avec modération. Si l’on est bien dans sa tête. Mais
ce n’est pas le cas de tous les produits.
Alors une société sans drogue, je ne crois pas. Mais une
société qui s’organise pour réduire les risques, j’y crois !
La réponse d’Arlette Laguiller
Voici la réponse que nous a fait parvenir la candidate
de Lutte ouvrière :
J’accuse réception de votre courrier concernant les
rapports entre drogue et société.
C’est une question importante mais, malheureusement,
je ne dispose pas d’un secrétariat numériquement
nombreux ni d’une armée d’experts me permettant de
répondre avec la compétence et la précision voulues à
votre demande.
Je suis, en effet, en campagne avec des déplacements
nombreux et je n’ai pas pu me consacrer à tout le courrier que doivent recevoir tous les candidats à la présidence de la République. (…)
5
Ségolène Royal
“Action” et “information”
Comment envisagez-vous de vous impliquer dans
le débat sur l’usage des drogues et des autres
substances psychoactives en France ?
Dans ce domaine, ma détermination est de mettre en place
une politique efficace de santé publique fondée sur l’information, la prévention, la réduction des risques et les soins
car ces sujets font partie intégrante de mon engagement
en faveur de la santé pour tous. Comme pour d’autres
questions d’ordre sanitaire et social, je suis en
Un dispositif d’évaluation
effet avant tout convaincue qu’une action volonde la politique de réduction tariste et une information transparente en direcdes risques, indépendant
tion des usagers et du grand public sont prioriet permanent, sera créé.
taires, cela à tous les âges mais évidemment tout
particulièrement en direction des jeunes.
S’agissant du tabac, l’augmentation des prix décidée par
l’État, l’interdiction de la publicité et de l’usage du tabac
dans les lieux publics, les campagnes de prévention et
une offre de soin améliorée ont permis une très nette
baisse de sa consommation. La consommation d’alcool,
quant à elle, a été divisée par deux en 25 ans après de
très larges campagnes de prévention, qui ont notamment
porté sur la sécurité routière.
Quant aux autres substances, outre les questions soulevées par le régime juridique de la loi de 1970, abordées
plus loin, ma conviction est qu’il faut adopter une
démarche globale fondée sur deux priorités : l’information
des publics sensibles, prioritairement les enfants et les
adolescents ; la prévention sous toutes ses formes, qui en
est le corollaire indispensable.
Ces combats sont encore loin d’être gagnés, si l’on en
juge par le nombre considérable de morts prématurées et
de drames humains que les Français paient encore
comme tribut à ces produits : ainsi, peut-on admettre,
dans notre pays, qu’à l’âge de 12 ans, 70 % des garçons
et 63 % des filles aient déjà
consommé de l’alcool ?
La loi n’est plus appliquée, il faut donc
débattre des voies possibles d’évolution,
Cette politique devra donc être
afin de rendre les textes efficaces,
amplifiée.
en veillant bien entendu à ne pas légaliser Dans ce cadre, la politique de
ces produits.
la Mission interministérielle de
lutte contre la drogue et la
toxicomanie (Mildt) sera améliorée pour plus d’efficacité,
avec notamment des moyens de sensibilisation aux dangers de la consommation de drogues à l’âge des premières consommations. On sait, en effet, que plus la
consommation est précoce, plus le risque est grand d’une
consommation ensuite source de complications.
Les acteurs associatifs de prévention qui sont au cœur de
la réduction des risques devront être soutenus et un dispositif d’évaluation de cette politique, indépendant et permanent, sera créé, dont les résultats seront rendus publics.
J’ajoute, bien entendu, que le renforcement des moyens
de la médecine scolaire et universitaire et de ceux de la
médecine du travail jouera un rôle essentiel dans ce
contexte, tout comme, de manière plus générale, la mise
en place d’une véritable “médecine de première ligne”
autour de médecins généralistes mieux formés, moins
isolés, et d’un réseau de dispensaires, qui délivreront des
prises en charge de qualité, pluridisciplinaires.
Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant
la politique française en matière de drogues ?
Les problèmes liés à l’usage du cannabis devront être
spécifiquement traités au regard des ravages sociaux
que son trafic crée.
En France, l’usage du cannabis est un délit sanctionné
d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison et
3 750 euros d’amende aux termes de la loi du 31 décembre
1970. Bien que sa législation soit une des plus répressives
d’Europe, notre pays compte le plus grand nombre de
consommateurs de stupéfiants. Il nous faut donc une
action publique de prévention et de soutien plus efficace.
La circulaire d’avril 2005 prévoit une réponse systématique mais graduée avec plusieurs peines alternatives ou
poursuites. Dans les faits, les sanctions de l’usage de
cannabis sont aléatoires et ont conduit une majorité de
jeunes à penser à tort que la consommation de cannabis
n’est pas répréhensible.
La loi n’est plus appliquée, il faut donc débattre des voies
possibles d’évolution, afin de rendre les textes efficaces,
en veillant bien entendu à ne pas légaliser ces produits. Il
faut, en revanche, cesser de transformer un simple usager en délinquant, mais maintenir l’interdit pour un produit dangereux.
Croyez-vous à une société sans drogue ?
Il ne s’agit pas de croyance mais d’action. Les ravages
des drogues, notamment chez les jeunes, doivent mobiliser les responsables politiques. Il sera de ma responsabilité, si je suis élue, de mettre en œuvre une politique de
santé publique qui protège la jeunesse, réduise les
risques d’usage de drogues et soigne efficacement les
malades. Notre objectif doit être de permettre à chacun
de construire sa vie. Les paradis artificiels sont des
enfers réels.
6
“Articuler la sanction judiciaire
et l’injonction thérapeutique”
Comment envisagez-vous de vous impliquer dans
le débat sur l’usage des drogues et des autres
substances psychoactives en France ?
Avec fermeté. La drogue ne détruit pas que les relations
sociales d’un individu : elle met sa vie en danger. Il faut
donc rappeler sans relâche que l’usage des drogues n’est
jamais sans conséquence pour soi-même comme pour les
autres. Comme je l’ai fait depuis 2002, je continuerai à
lutter contre le trafic de drogue qui mine le tissu social de
nos banlieues et laisse penser que l’enrichissement
rapide et criminel peut prévaloir sur un travail honnête.
Par ailleurs, je constate que la médicalisation des addictions a permis de réduire considérablement le nombre de
décès par overdose qui a baissé de 80 % depuis 1994. Je
crois qu’il ne faut pas chercher à choisir entre la répression, la prévention, les soins et la réduction des risques,
mais mener de front ces quatre dimensions de l’action
publique. J’ai d’ailleurs souligné dans la loi du 5 mars
2007 relative à la prévention de la délinquance l’attachement que je porte à l’articulation entre la sanction judiciaire et l’injonction thérapeutique en la confiant à un
médecin-relais.
Quelles thématiques souhaiteriez-vous voir abordées lors d’un éventuel débat parlementaire sur
l’usage de drogues ?
Je tiens tout d’abord à souligner l’intérêt du travail parlementaire en matière de lutte contre les drogues et les
addictions, comme l’a montré le plan national addictions
2007-2011 lancé par Xavier Bertrand. Dans le cadre d’un
prochain débat, je pense que nos parlementaires pourraient s’intéresser à la question du rapport entre soin et
justice qui doit encore être amélioré. Il y a en prison des
gens qui y ont été conduits par leur addiction et à qui un
traitement doit être prodigué pour permettre la réinsertion et éviter la récidive.
Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de
drogues ?
La loi de 1970 doit être régulièrement réévaluée. Elle a
été conçue dans un contexte de lutte contre l’héroïne.
Malheureusement, s’il y a bien un domaine qui évolue
rapidement, c’est celui des drogues et des toxicomanies.
J’ai procédé à une réforme de la loi de 1970 par la loi du
Nicolas Sarkozy
Il ne faut pas chercher à choisir
entre la répression, la prévention,
les soins et la réduction des risques,
mais mener de front ces quatre
dimensions de l’action publique.
Les données scientifiques sont très claires :
le cannabis entraîne un risque de dépendance
très élevé. (…) Il n’y aura pas sous mon mandat
de banalisation de [son] usage.
5 mars 2007. La procédure de l’ordonnance pénale a été
étendue au délit d’usage. Nous avons rendu de la valeur à
l’interdit. D’une part, dans la hiérarchie pénale, l’usage
reste un délit. D’autre part, il est puni d’une amende, ce
qui rend la sanction crédible pour les simples consommateurs. Par ailleurs, les possibilités de peines de substitution à la disposition des magistrats ont été élargies
et comprennent à présent des stages de sensibilisation
aux dangers de l’usage des produits stupéfiants. Je suis
tout à fait opposé à la suppression du régime pénal du
cannabis. Les données scientifiques sont très claires : le
cannabis entraîne un risque de dépendance très élevé et
les conséquences sur la vie sociale des utilisateurs réguliers sont dramatiques. Il n’y aura pas sous mon mandat
de banalisation de l’usage du cannabis.
Croyez-vous à une société sans drogue ?
Malheureusement, nous n’aurons jamais une société
sans drogues. Nous lutterons toujours avec énergie contre
les drogues aussi dangereuses que l’héroïne ou la
cocaïne, mais il y a aussi des addictions sans agent psychotrope. Aujourd’hui, plus personne ne nie que l’addiction aux jeux est un fléau pour les familles qui en souffrent. De même, la cyberdépendance progresse. L’homme
est ainsi fait que la recherche des paradis artificiels ne
connaîtra pas de fin. La société peut et doit toutefois
faire en sorte qu’il y ait moins de mal-être, moins de
souffrances, moins de mal-vivre.
7
“Accompagner plutôt que juger”
Dominique Voynet
Comment envisagez-vous de vous impliquer dans
le débat sur l’usage des drogues et des autres
substances psychoactives en France ?
Le débat nécessite une approche de santé publique. Il
s’agit de faire le point sur la mortalité due à la drogue,
sur les maladies qu’elle induit, sur les souffrances psychiques des personnes et de leur entourage ainsi que des
problèmes sociaux qui l’accompagnent. Les axes qui me
semblent prioritaires sont la répression du trafic, les
soins aux personnes dépendantes et la prévention, tout
particulièrement vis-à-vis des
Les axes qui me semblent
jeunes. Reste qu’il n’y a aucune
prioritaires sont la répression
justification biologique ou médidu trafic, les soins aux personnes cale à considérer de manière difdépendantes et la prévention,
férente les drogues licites et les
tout particulièrement vis-à-vis
drogues illicites. Il y a donc là un
des jeunes.
sérieux changement des mentalités à opérer. La dépénalisation
de la consommation de toutes les drogues et la légalisation contrôlée du cannabis en font partie. Je précise qu’il
ne s’agit nullement pour nous de pousser à la consommation du cannabis, mais de rompre avec une politique
passablement hypocrite et inefficace.
Il a fallu des années de discussion pour faire admettre
que la Mildt devait se préoccuper d’abord des personnes,
souvent polytoxicomanes (usant et abusant tour à tour de
drogues différentes), et rompre avec une approche “par
produits”, distinguant de façon arbitraire entre les
drogues aujourd’hui légales – alcool, tabac, psychotropes
(dont les Français sont quand même les consommateurs
les plus enthousiastes en Europe !) – et celles qui ne le
sont pas, cannabis ou cocaïne. Je ne veux pas rentrer
dans le débat sur la “dangerosité” de chaque produit.
Parce que le débat est complexe. S’il est exact que le
tabac et l’alcool tuent beaucoup, beaucoup plus que le
cannabis, il est juste aussi de reconnaître que les “produits” mis aujourd’hui sur le marché n’ont plus grand
chose à voir avec l’herbe cultivée sur le balcon par les
“babas cools” des années 1970. En vérité, tous ces produits sont susceptibles de provoquer l’addiction, avec
des conséquences sur la santé de l’usager, sur sa sécu-
rité et sur celle des autres, en cas de conduite de
machines sur le lieu de travail, ou de véhicules sur la voie
publique.
Il en va de la responsabilité de chacun d’être conscient
des risques d’accoutumance, d’assuétude. Beaucoup de
parents sont tellement inquiets qu’ils préfèrent ne rien
voir, ne rien savoir ? C’est leur responsabilité d’informer
leurs enfants. Et la responsabilité des pouvoirs publics,
des enseignants, des services de santé de les y aider. En
apportant des éléments précis sur les risques. Sans
banaliser, et sans dramatiser. Comment espérer être pris
au sérieux par un adolescent si on prétend que le premier
joint le mènera inexorablement à l’héroïne et à la
déchéance, comme tant de “spécialistes”, intervenant
dans les collèges et lycées, le font encore ? Ça n’est pas
une raison pour faire de la démagogie : on doit expliquer
que, non, le cannabis, ça n’aide pas à se concentrer, ou à
être plus créatif ! Et rappeler fermement qu’il n’est pas
plus admissible de fumer un joint entre deux cours “pour
que le temps passe plus vite” que de boire de l’alcool.
Du point de vue de la prévention, l’information ne peut
pas suffire. Il s’agit d’un enjeu d’éducation pour la santé
permettant aux jeunes de développer leurs capacités de
qualité de vie et d’autonomie et favorisant le développement des relations adultes-jeunes.
Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant
la politique française en matière de drogues?
Il me semble que nous n’avons rien à gagner à poursuivre
une politique qui a fait la preuve de son inefficacité. La
répression féroce des consommateurs (avec l’incarcération chaque année de plusieurs milliers d’usagers de
drogues dans les prisons françaises) n’a empêché ni les
profits des mafias des drogues, ni l’enrôlement des
jeunes de certains quartiers dans les trafics locaux, ni la
croissance régulière du nombre de “consommateurs”
occasionnels, ou plus réguliers.
1
8
Et pourquoi deux poids, deux mesures, avec d’un côté une
complaisance incompréhensible pour les boissons
alcoolisées, les “premix” ; de l’autre, une criminalisation
persistante du cannabis ?
La loi de 1970 doit être abrogée au profit d’une politique
de réduction des risques qui ne juge pas, mais accompagne, selon les besoins afférant à chaque situation.
Certes, elle a représenté un progrès social en considérant
que la personne droguée relève des soins aux malades et
pas seulement de la
Il y a un sérieux changement des mentalités à répression, mais elle
opérer. La dépénalisation de la consommation pose de sérieux prode toutes les drogues et la légalisation blèmes d’application
contrôlée du cannabis en font partie. car la démarche de
soin, pour être efficace, doit être volontaire et ne peut pas relever seulement
de l’obligation judiciaire.
Le débat est réellement complexe et la solution est un
problème de citoyen autant qu’un problème d’expert.
C’est pourquoi j’envisagerai d’organiser un bilan et une
réflexion associant les différents corps professionnels
concernés ainsi que des représentants des citoyens ou
usagers. La formule de Conférence de Consensus me
semble pertinente dans ce domaine pour ce qui est de
l’étape de réflexion. C’est une question de santé
publique, à aborder sérieusement, distinguant entre
l’usage occasionnel, récréatif, par des personnes bien
insérées dans la vie, et l’abus, par des personnes fragiles, en rupture, qui doit conduire à une prise en charge
globale des personnes concernées. Information, éducation, prévention…
Croyez-vous à une société sans drogue ?
Je ne suis pas sûre qu’il existe une société sans drogue,
en tout cas à notre stade d’évolution humain. Mais je suis
sûre que peu de personnes dans notre société s’en passent sous une forme ou sous une autre, qui peut même
apparaître banale, comme les tranquilisants. Ce qui est
sûr, c’est que la drogue se définit par une perte de sa
liberté et que la perte de liberté est toujours un échec du
développement personnel comme du développement
social. Je pense donc qu’il est majeur de repérer et d’investir dans les démarches éducatives, tout particulièrement auprès des jeunes pour les aider à se construire
comme adultes et comme citoyens avec le maximum de
liberté et le minimum de dépendances possible.
9
En marge des réponses apportées par les
candidats à l’élection présidentielle 2007,
il nous a semblé intéressant de revenir sur
celles du “candidat Chirac” à notre questionnaire 2002… En voici quelques extraits :
Les réponses
du “candidat Chirac”
en 2002
La Loi de 1970, qui fonde notre
dispositif de lutte contre la toxicomanie,
mérite aujourd’hui d’être actualisée,
notamment en ce qui concerne l’échelle
des peines qu’elle prévoit.
Une telle révision conditionne
l’efficacité de notre arsenal répressif.
Des rapports ont mis en avant la notion globale
de “pratiques addictives” pour souligner
les dangers pour la santé que présente l’ensemble
des produits ou substances auxquels vous faites
référence et les phénomènes de dépendance que
leur consommation entraîne. Mais elle comporte
aussi l’inconvénient très sérieux de banaliser
la consommation de substances illicites. Elle
n’apporte pas non plus une réponse pertinente
en termes de prise en charge sanitaire et de soins.
Je sais que l’objectif d’une société sans drogue
est un objectif ambitieux. C’est pourtant le mien.
Il est de la responsabilité des pouvoirs publics et
de tous les acteurs sociaux d’apporter des réponses
adaptées aux souffrances humaines ; aux situations
ou aux moments de fragilité. La toxicomanie est,
toujours la plus mauvaise des réponses.
10
ALCOOL
La dernière livraison de l’Eurobaromètre a porté sur la consommation d’alcool et les attitudes en matière
de politique anti-alcool. Par rapport aux chiffres de 2003, plus d’Européens boivent, mais de plus petites
quantités d’alcool. Cependant, le principal intérêt de cette étude est peut-être de pointer le décalage entre
l’appui général apporté à des mesures de restrictions envers les jeunes et leur ressenti…
Eurobaromètre,
L’
les jeunes et la prévention
Chaque semestre, la Commission européenne publie un
Eurobaromètre qui sonde les Européens alternativement
sur leurs opinions et attitudes vis-à-vis de l’Union
Européenne (UE) et sur un sujet de société. Chaque sujet
est périodiquement repris pour appréhender les évolutions. C’est l’occasion de mettre en perspective notre
observation hexagonale, de dégager ce qui, au-delà des
politiques, rapproche les sociétés civiles ou singularise
leur culture nationale.
La livraison de 2006 porte sur la consommation d’alcool
et les attitudes en matière de politique anti-alcool 1. En
2006, les 25 pays faisant partie de l’UE ont été inclus
dans l’étude plus les deux pays entrés en 2007 (Bulgarie
et Roumanie) et deux candidats à l’adhésion, la Croatie
et la communauté chypriote turque. Les statisticiens
européens fournissent la comparaison avec 2003 pour les
15 pays qui formaient alors l’UE.
Les données globales sont données par pays, et les résultats pour l’ensemble de la population européenne sont
publiés par sexe, âge, niveau d’étude, profession et environnement urbain ou rural. Les données de
1 Attitude towards alcohol
consommation classiquement recueillies porEurobarometer Special 272b
Bruxelles, Commission européenne, mars tent sur les 30 derniers jours avec la fréquence
2007, 76 pages de la consommation d’alcool, les quantités
http://europa.eu.int/comm/health/
ph_publication/eurobarometers_en.htm prises et la fréquence des consommations de
5 verres et plus par occasion, à rapprocher du “binge
drinking” (soûlerie) dans les enquêtes de population.
La France au cœur du peloton
Globalement, par rapport à 2003, plus d’Européens boivent, mais quand ils boivent ils boivent un peu moins. La
consommation quotidienne (13 %) ou quasi quotidienne
(8 %) d’alcool est un mode de boire minoritaire. La France
s’approche de ces chiffres avec 18 % de buveurs quotidiens et 5 % de buveurs quasi quotidiens, loin derrière
l’Italie (25 % et 8 %) et le Portugal (47 % et 8 %).
Les quantités d’alcool bu les jours de consommation
opposent Irlandais, Finlandais, Anglais et Danois, tous
gros buveurs, et Bulgares, Allemands, citoyens des pays
baltes, Chypriotes et Italiens, la France occupant làencore une position intermédiaire. La consommation de
plus de 5 verres plusieurs fois par semaine (13 %) ou
une fois par semaine (15 %) concerne un peu plus les
15-24 ans, tandis que, dans la comparaison entre pays,
Espagnols, Irlandais et Autrichiens se singularisent
11
dans l’excès, la France se situant pour cet indicateur du
côté des plus austères (39 % jamais vs 31 % en
moyenne).
Ces informations élargissent notre regard, nous situent
en cœur de peloton, mais manquent de précision pour
comparer les profils nationaux.
L’individu et l’État
Les questions sur les attitudes sont plus intéressantes car
elles renvoient à des cultures politiques très hétérogènes.
Environ la moitié des Européens (52 %) se déclarent plus
proches de l’assertion “les individus sont responsables”
que du libellé “les autorités publiques doivent intervenir”,
choisi par 44 % des répondants. Les gros buveurs sont
plus individualistes – ou plus réalistes – que les abstinents ou petits buveurs : au-delà de 5 verres d’alcool par
occasion de boire, 65 % se déclarent plus favorables au
contrôle individuel qu’à celui de l’État (31 %).
Avec les Finlandais, les Néerlandais et les Suédois, les
Français se situent juste dans la moyenne européenne,
alors que certains pays récemment passés à des régimes
démocratiques (Slovaquie, République tchèque, Croatie)
se montrent farouchement individualistes, s’opposant
sur ce sujet aux Italiens, Hongrois et Autrichiens, plus
interventionnistes.
Les Européens se montrent assez sceptiques sur l’influence des hausses de prix sur les achats d’alcool : 33 %
disent qu’ils diminueraient leurs achats si l’alcool subissait une hausse de 25 %, 30 % pensent que les hausses
de prix diminueraient la consommation des jeunes et des
gros buveurs, 15 % seulement admettent qu’ils augmenteraient leurs achats avec une baisse symétrique des prix
de 25 %.
77 % sont favorables à la présence sur les étiquettes de
messages alertant sur les dangers de l’alcool pour les
femmes enceintes et les conducteurs, 73 % sont favorables à un abaissement du seuil d’alcoolémie à 0,2 g/L
pour les jeunes conducteurs, 80 % sont favorables aux
contrôles aléatoires d’alcoolémie sur les routes, 76% sont
opposés à la publicité pour l’alcool en direction des publics
jeunes, 87% à la vente d’alcool aux moins de 18 ans.
Autrement dit, si les mesures économiques sont jugées
peu efficaces, l’intervention étatique surtout envers les
jeunes a une grande proportion de supporters, y compris
chez les individualistes.
Les jeunes en ligne de mire
Et les jeunes ? Ils semblent pour leur part nettement
moins enthousiastes sur des mesures qui les placent en
ligne de mire, même de manière bien intentionnée. Moins
riches, ils se montrent beaucoup plus sensibles aux
mesures sur les prix : ils achèteraient moins d’alcool s’il
était plus cher (36 % vs 30 %), diminueraient leurs
achats si le prix augmentait de 25 % (44 % vs 33 %), et
les augmenteraient en cas de baisse (26 % vs 15 %).
S’ils ne se distinguent pas de leurs aînés pour l’approbation d’un étiquetage préventif des bouteilles d’alcool,
28 % contre 22 % au total sont opposés à un abaissement du seuil légal d’alcoolémie au volant pour les
jeunes conducteurs, et 37 % vs 22 % désapprouvent
l’idée d’interdire la publicité ; enfin, 24 % contre 12 %
s’opposent à l’interdiction de la vente d’alcool aux
mineurs de 18 ans.
Ce point de vue de la “jeune génération” est à prendre au
sérieux. La prévention les cible en tout premier lieu – ce
qui est normal car un comportement installé est plus difficile à bien contrôler –, mais cette débauche d’interdictions souhaitées par ceux qui ne sont pas concernés (les
abstinents) ou qui sont installés dans une consommation
régulière et vécue comme sans risque (les vieux buveurs
quotidiens), et qui entraîne même les individualistes à
choisir la loi, ne passe pas auprès d’eux. Peut-être est-il
temps aussi d’associer les jeunes à la conception des
politiques qui les concernent ?
FRANCE LERT
12
PRISE EN CHARGE
et
SDF
dépendances
À l’initiative des Enfants de Don Quichotte, les sans-domicile-fixe (SDF) ont fait plusieurs fois la “une” des
médias début 2007, un problème reste peu abordé, celui des dépendances des sans-logis – notamment à
l’alcool. Swaps a cherché à connaître l’ampleur du phénomène.
Difficile d’évaluer exactement les problèmes de dépendance des SDF. Peu de recherches statistiques ont été
menées sur ce thème. Une récente étude de l’Insee (lire
encadré), qui dresse un bilan assez surprenant de la
question de d’alcool chez les sans-logis, apporte
quelques éléments de réponse. Selon cette enquête
menée par questionnaires et titrée “Remise en cause
d’un stéréotype”, 50 % des SDF interrogés se déclarent
consommateurs d’alcool et 50 % abstinents. Seulement
16 % souffriraient d’une dépendance. Des chiffres loin,
effectivement, de l’image que l’on peut avoir de la rue.
La réalité est certainement un peu moins rose. En effet,
l’enquête inclut également des personnes hébergées ou
en foyer, qui, d’après les statistiques, sont moins exposées aux problèmes de dépendance alcoolique. Les sansabri qui vivent dans la rue sont, eux, plus exposés.
Des profils variés
C’est d’ailleurs ce que souligne le Dr Etienne Grosdidier,
alcoologue et médecin référent des lits “halte soins
santé” (ex “lits infirmiers”) du Samu social. Selon lui,
“80 % des sans-logis ont une dépendance à l’alcool ou à
la cigarette, et dans la majorité des cas il s’agit d’une
codépendance. En ce qui concerne les toxicomanies aux
autres drogues, les circuits de prise en charge ne sont
souvent pas les mêmes, et nous ne les voyons pas au service médical du Samu social”. Certes, le constat aux lits
infirmiers du Samu social est certainement quelque peu
biaisé, puisque seuls les SDF du Samu social ayant de
réels problèmes de santé y accèdent.
Tous les sans-abri ne sont pas logés à la même enseigne.
Certains groupes vont ainsi être plus exposés aux problèmes d’alcool que les autres. Comme le confirme l’enquête de l’Insee, l’alcool est essentiellement un problème
masculin, et concerne particulièrement la tranche des
44-45 ans. La dépendance alcoolique semble par ailleurs
relativement épargner les populations immigrées.
C’est le même constat que fait le Dr Grosdidier sur le terrain : “Les vieux SDF très désocialisés, qui connaissent la
rue depuis des dizaines d’années, ont généralement une
consommation problématique d’alcool et souvent de
tabac aussi. Les nouvelles populations qui viennent
d’Europe de l’Est, elles, ont une problématique différente :
l’alcool est associé à des problèmes comportementaux, à
de la violence, qu’il s’agisse d’auto-agression ou d’hétéro-agression. Les populations immigrées récentes, du
Maghreb ou d’Afrique noire, se retrouvent moins dans
cette problématique de la dépendance.”
Causes et conséquences
Devant l’importance des consommations d’alcool chez les
sans-domicile, une question se pose : Est-ce la consommation d’alcool qui a entraîné une désociabilisation progressive et l’arrivée dans la rue, ou est-ce la rue qui a
provoqué l’apparition de la dépendance ? Bien sûr, les
termes ne sont pas aussi simples, et le parcours qui
amène à la rue est lié à de nombreux facteurs. Pour le
Dr Grosdidier ; “il faut remettre les choses dans leur
contexte : la population de la rue est déjà extrêmement
différente de la population générale : beaucoup de pathologies psychiatriques, de problèmes familiaux… Autant
de troubles que la rue vient aggraver”. Bien sûr, une forte
dépendance alcoolique est très désocialisant, et peut
favoriser l’arrivée dans la rue. Mais c’est aussi une population qui cumule de nombreux autres problèmes augmentant la vulnérabilité à l’alcool. “Survivre à la rue sans
prendre de substances est quasiment impossible, souligne le Dr Grosdidier. Elle vous aspire, elle va catalyser
tous les aspects négatifs. Je vois des gens qui arrivent
dans la rue sans dépendance. Au bout de quatre à cinq
ans, cela a bien changé.”
Les auteurs de l’Insee font un constat similaire, osant
même une comparaison avec l’héroïne : “Ce rôle joué par
l’alcool, qu’on pourrait presque qualifier d’antalgique,
13
apparaît assez proche de celui parfois tenu par les opiacés (en particulier l’héroïne). Ceux-ci permettent de soulager les douleurs liées à la rudesse et l’inconfort de la
vie dans la rue lorsque les individus n’ont pas les moyens
financiers de s’en procurer.”
Espérance de vie, 43 ans
Bien sûr, l’alcool et le tabac, associés aux conditions très
dures, ont un impact direct sur la santé et l’espérance de
vie des sans-domicile-fixe. Une enquête de Médecins du
monde menée en décembre 2006 évalue ainsi l’espérance
de vie d’un SDF à 43 ans.
Le Dr Grosdidier le confirme : “C’est vrai qu’on voit en lits
infirmiers des gens très dénutris et abîmés par l’alcool.
Le tabac joue aussi un rôle important. Mais il ne faut pas
oublier la violence ou même le suicide. Ces derniers sont
extrêmement nombreux chez les sans-logis, même si on
n’en parle pas dans les journaux.”
Au Samu social, on rencontre aussi de plus en plus de
troubles cognitifs chez les gros consommateurs d’alcool.
Cela peut se traduire par des légers déficits ou aller jusqu’à la véritable démence alcoolique. On retrouve aussi
des problèmes neurologiques spécifiques de l’alcool, tels
que le syndrome de Korsakoff (amnésies ponctuelles, sur
la mémoire immédiate souvent). Et les problèmes neurologiques sont loin d’être rares. “Ces troubles, pratiquement toujours liés à la prise d’alcool, apparaissent de
plus en plus tôt, souligne le Dr Grosdidier. On a des gens
qui arrivent avec des prises quotidiennes clairement neurotoxiques, des cas qu’on ne rencontre pas en consultation d’alcoologie de ville. Par exemple, j’ai reçu un sanslogis dont la consommation quotidienne atteignait les
300 à 400 g d’alcool (environ deux bouteilles de vin plus
deux cannettes de 50 cl de bière à 8°). Et il consommait
cela depuis dix ans… Une autre fois, j’ai rencontré un
jeune de 22 ans qui avait déjà un trouble cognitif
majeur.”
Sortir de la rue
pour sortir de l’alcool
Autre interrogation : faut-il aider les SDF à sortir de l’alcool avant d’essayer de les sortir de la rue, ou faire la
démarche inverse ? Vu du terrain, la question ne se pose
pas : “Il est pratiquement impossible de sortir quelqu’un
de l’alcool sans le sortir d’abord de la rue. C’est comme
n’importe quel sevrage : il faut changer de mode de vie,
sortir de l’environnement délétère si on veut que cela
réussisse. Si on met quelqu’un en sevrage et qu’on le
remet dans la rue, combien de temps croyez-vous qu’il va
tenir avant de replonger ?”
On revient donc au problème initial d’aider les sans-logis
à être resocialisés. Mais en la matière, le Dr Grosdidier
est plutôt sceptique sur les mesures gouvernementales
promises aux Enfants de Don Quichotte : “Le problème
avec les personnes très désocialisées, c’est qu’on ne les
sort pas du jour au lendemain de la rue. Cela demande
beaucoup de temps. Quelqu’un qui est dans la rue depuis
deux ans, il faudra au moins deux ans pour l’en sortir.”
C’est alors seulement qu’il sera possible d’envisager une
prise en charge du problème de dépendance : “Une fois
qu’on a commencé à leur trouver un logement et assuré
la transition, je les envoie dans le circuit “classique”, les
structures de consultation en alcoologie, avec les cures.”
Au même titre qu’une spirale descendante peut amener
dans la rue et entraîner des problèmes de dépendance, il
semble donc qu’avec du temps, on puisse créer un cercle
vertueux, pour en sortir étape par étape. Mais c’est loin
d’être gagné : il y aurait en France entre 200 000 et
400 000 personnes sans domicile fixe.
ALAIN SOUSA
Au-delà des stéréotypes
L’“Enquête auprès des personnes fréquentant les services d’hébergement ou les distributions de repas chauds”, dite Sans-domicile
2001 et réalisée en France par l’Insee auprès d’un échantillon de 4 084 utilisateurs francophones dans les agglomérations de plus de
20 000 habitants, comportait 4 questions relatives à la consommation d’alcool.
À partir de ces questions, les auteurs de l’article de Économie et Statistique 1 mettent en évidence la diversité des pratiques au sein de
cette population, ainsi que des “distinctions nettes” suivant le type d’hébergement et de ressources, mais aussi suivant l’âge, le sexe et
la nationalité des répondants.
“Les personnes de nationalité française apparaissent ainsi plus souvent consommatrices, tandis que les usages les plus importants
s’avèrent liés aux situations de précarité les plus marquées”, écrivent-ils, avant de se livrer à une comparaison – qu’ils reconnaissent
“fragile sur le plan méthodologique” – avec la population générale. Cette comparaison montre, selon eux, que “l’alcool n’est pas tou1 “L’alcoolisation des personnes sans jours aussi présent dans les parcours des personnes sans domicile que dans l’imaginaire collectif”.
domicile : remise en cause d’un stéréotype” L’article se clôt sur un examen des signes d’usages problématiques d’alcool qui vient nuancer ce constat généFrançois Beck, Stéphane Legleye et
Stanislas Spilka, de l’Observatoire français ral, la proportion de personnes “semblant présenter d’importants risques d’usage nocif ou de dépendance à l’aldes drogues et des toxicomanies. cool” apparaissant nettement plus élevée chez les sans-domicile, et surtout parmi ceux dont les situations
Économie et Statistique, 2006,
n 391-392, p. 131-149 sociales sont les plus difficiles.
o
14
35
heures sans
c!
taba
SANTÉ PUBLIQUE
Depuis le 1er février, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Principaux concernés : les travailleurs.
Pas facile de gérer ce passage pour satisfaire à la fois fumeurs et non-fumeurs. Mais certaines entreprises
ont su préparer la transition, proposant notamment des aides au sevrage. Deux exemples : la GMF et le
musée du Louvre.
“Il y a eu quelques récalcitrants, des fumeurs qui trouvaient que l’on empiétait sur leur espace de liberté. Mais,
globalement, tout le monde était satisfait.” C’est le
résumé que fait Florence Barraud, responsable développement des ressources humaines de la GMF lorsqu’on
aborde la fin du tabac dans l’entreprise. Le constat est le
même dans un tout autre type d’établissement : le musée
du Louvre. “Les gens sont favorables à la loi, et l’interdiction de fumer est respectée”, souligne le Dr Françoise
Moreau, qui dirige le service médical du musée.
Une loi indispensable
Pourquoi cette interdiction totale était-elle nécessaire
dans les entreprises ? “Ce que l’on oublie peut-être, c’est
que le risque lié au tabagisme passif est beaucoup plus
important au travail qu’au domicile, explique le Dr Patrick
Dupont, tabacologue et directeur scientifique de l’Office
français de prévention du tabagisme (OFT) 1. On passe
plus de temps éveillé au travail qu’à la maison. Il est
ainsi plus néfaste d’avoir un collègue fumeur qu’un
conjoint fumeur.”
Outre la lutte contre le tabagisme passif, le but de cette
loi est bien sûr d’amener les fumeurs à arrêter. Car le fait
d’interdire le tabac dans tous les lieux publics permet
une prise de conscience de sa dangerosité. De manière
générale, l’interdiction va freiner la consommation et
faciliter le sevrage. Et cela semble fonctionner, comme le
souligne le Dr Dupont : “Depuis que la loi a été mise en
place, il y a une hausse des demandes de consultations
en tabacologie. Et il y a également une aug1 Pour en savoir plus sur les programmes mentation des appels sur Tabac Info Service”
d’aide au sevrage proposés par l’Office
français de prévention du tabagisme : (lire encadré).
OFT, 66 boulevard Saint-Michel, 75006 Paris, Si l’interdiction de fumer peut faire réfléchir les
tél. 01 43 25 19 65, fax 01 43 25 18 27.
www.oft-asso.fr fumeurs, voire leur faire réduire la consomma-
tion, il faut en plus un petit coup de pouce pour franchir
le pas vers le sevrage total. C’est l’une des raisons pour
lesquelles le dispositif est complété par une aide pour le
sevrage : le remboursement de 50 euros des substituts
nicotiniques si ceux-ci ont été prescrits par un médecin.
Certes, la somme reste assez modeste (moins d’un mois
de traitement) en regard du coût des substituts. Mais,
concrètement, comment les salariés fumeurs ont-ils vécu
le passage à l’entreprise sans tabac ?
Accompagner l’interdiction
Certaines entreprises ont en tout cas décidé de jouer le
jeu et d’aider les fumeurs à arrêter. Les exemples de la
GMF et du Louvre sont deux modèles du genre.
Ainsi, la GMF, qui compte plus de 4 200 salariés, avait
anticipé la loi, avec une interdiction totale du tabac dès
le 1er décembre 2006 sur ses sites centraux parisiens.
Mais pas question de se lancer sans préparer le terrain,
et assurer ses arrières : la société a lancé un programme
qui a démarré dès avril 2006. Le principe était de proposer une aide au sevrage pour tous les fumeurs, avec
l’aide de l’OFT. Mais avant de mettre en place cet accompagnement, il était important de poser les bases de la
démarche. “Nous avons beaucoup dialogué avec les instances représentatives du personnel, les CHSCT en tête,
souligne Florence Barraud. Nous avons d’abord proposé
un accompagnement pour l’aide au sevrage tabagique
qui a emporté l’adhésion de tous. Cela a commencé par
un affichage, une exposition puis des réunions d’information animées par un tabacologue pour répondre aux questions.”
Une fois les salariés informés, un entretien privé avec le
tabacologue dans le but de mettre en place un accompagnement personnalisé était proposé aux volontaires. Ce
15
dispositif débutait par six entretiens répartis sur quatre
mois. Puis un entretien téléphonique était réalisé deux
mois après. Enfin, un dernier rendez-vous était prévu six
mois plus tard. Mais l’accompagnement ne s’arrêtait pas à
ce “coaching”. Une aide financière était proposée pour
l’achat de substituts nicotiniques (pour un montant total
de 200 euros par personne). Coût de l’opération: 500 euros
par salarié (substituts plus accompagnement individuel).
Devoir d’exemplarité
Le Louvre aussi, a joué la carte de l’accompagnement en
amont de l’interdiction totale. Au musée, un projet social
négocié avec les partenaires sociaux prévoyait dès 2003,
entre autres, des actions concernant la cigarette et l’alcool. “Ce sont des programmes de prévention qui associent la direction et les organismes syndicaux. Nous
avons alors fait appel à l’OFT, avec qui nous avons mis en
place le programme l’année dernière”, précise le
Dr Moreau. Le dispositif mis en place est proche de celui
de la GMF. Il prévoit ainsi une rencontre préalable avec un
tabacologue, puis des entretiens réguliers sur une durée
de quatre mois. Le tout est accompagné d’une prise en
charge des substituts nicotiniques et autres aides au
sevrage, pour une durée de deux mois maximum (auxquels vient donc s’ajouter un mois supplémentaire pris
en charge par la sécurité sociale). Un affichage, des
annonces dans le journal interne et des réunions avec les
personnels ont permis de faire connaître le dispositif.
Il faut dire que le musée avait toutes les raisons d’aider
ses employés à passer le cap fatidique du 1er février.
D’abord, comme tous les établissements publics, il
connaît une contrainte supplémentaire en matière d’interdiction du tabac : une circulaire de Christian Jacob, le
ministre de la fonction publique, a institué le “devoir
d’exemplarité” dans les administrations. Il est impossible, notamment, de créer des espaces fumeurs comme
le prévoit pourtant la loi. De plus, l’accueil du public au
musée impose aussi quelques aménagements. Ainsi, les
salariés n’ont pas le droit de sortir fumer dans la cour aux
abords de la pyramide : pas question de voir les agents en
costume fumer autour de cette “vitrine” du musée.
D’autant plus que le Louvre est aussi un modèle pour
tous les autres musées de la capitale. Aussi se devait-il
de mettre en place des initiatives exemplaires.
Postes différents, sevrages
différents
Pour en rester à l’exemple du Louvre, passer à un établissement totalement non-fumeur était au départ une
gageure. Les profils des fumeurs varient énormément,
comme l’explique le Dr Moreau : “Sur les 2 000 employés,
Ce que dit la loi
À compter du 1er février 2007, il est donc interdit de fumer
dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du
public ou qui constituent des lieux de travail. Attention,
les lieux qui ne recouvrent pas les deux conditions (couverts et fermés) situés dans l’enceinte de l’établissement
peuvent aussi être déclarés non-fumeurs si l’employeur le
décide.
La loi prévoit toutefois la possibilité de créer, dans les
lieux fermés et couverts, la création d’emplacements
réservés aux fumeurs, après avis du comité d’hygiène et
de sécurité. Néanmoins, cette mise en place est très
contraignante : ces emplacements devront être clos,
équipés de dispositifs de ventilation indépendants,
aucune prestation ne pourra y être délivrée…
Pour connaître précisément les modalités d’application
de la loi, consultez le site www.tabac.gouv.fr.
la moitié des salariés travaillent dans les bureaux, et
peuvent fumer assez facilement. Mais l’autre moitié est
constituée d’agents postés, à l’accueil ou pour la surveillance. Ces agents connaissent une proportion importante de fumeurs et surtout beaucoup de très gros
fumeurs. Non seulement ils sont continuellement sous
l’œil du public, mais ils ont des horaires de pause très
encadrés : en fonction de là où est posté l’agent, il lui est
mathématiquement impossible d’aller à l’extérieur du
musée pour fumer, et revenir reprendre son poste.” Autre
exemple de difficulté spécifique : les agents qui travaillent toute la nuit dans le poste de contrôle. Ceux-ci se
trouvent dans une pièce fermée et observent les écrans
de contrôle ou font des rondes dans le musée. Difficile
pour un fumeur de rester toute une nuit dans cette salle
sans allumer une seule cigarette… Prévoyant des difficultés, le Louvre avait rendu cette salle non-fumeurs un
an avant l’entrée en vigueur de l’interdiction. Et cela a
été semble-t-il bien respecté.
Face à ces spécificités, le Louvre a donc décidé d’adapter
les objectifs de son programme d’accompagnement.
Ainsi, le but du suivi par un tabacologue était bien sûr
principalement le sevrage total, mais aussi, dans la
mesure du possible, une diminution de la consommation.
Une approche peut-être critiquable d’un point de vue
médical, mais plus réaliste pour certains agents postés
très gros fumeurs… et un pas vers un sevrage total.
1
16
Un pari gagnant
Pour des établissements comme le Louvre et la GMF, l’accompagnement au sevrage, avec l’aide des tabacologues, a réellement aidé les salariés à passer le cap de
l’entreprise sans tabac, comme l’explique Florence
Barraud : “L’opération a connu un franc succès, nous
avons été très sollicités. Certes, nous n’avons pas encore
les évaluations précises, mais dans l’ensemble les salariés qui ont bénéficié de l’accompagnement ont été très
satisfaits. Seuls quelques-uns ont abandonné en cours
de route.”
Au Louvre également, l’action a porté ses fruits. “Sur les
quatre premiers groupes, qui comptaient au total une
cinquantaine de personnes, nous avons eu 4 ou 5 abandons. Le bouche à oreille et l’émulation fonctionnent très
bien. Lorsque les salariés voient un gros fumeur réussir à
arrêter de fumer, ils sont très intéressés par le pro-
Un tout premier bilan
Selon le tableau de bord mensuel réalisé par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)
à la demande de la Mildt, les ventes de cigarettes, qui
avaient enregistré une légère augmentation en 2006
(+1,8%), ont diminué de 1,2 % en février 2007 par rapport à février 2006.
Les ventes de substituts nicotiniques ont enregistré en
février, mois de l’entrée en vigueur de l’interdiction de
fumer dans les lieux publics, une hausse de 126,8 % par
rapport à février 2006. Les timbres (patchs) arrivent en
tête, avec une hausse de 140,7 % ; les formes orales sont
en hausse de 76 %. Les ventes du Zyban, antidépresseur
utilisé pour diminuer les symptômes de sevrage tabagique, en baisse de près de 5 % sur l’année 2006, ont
progressé en février 2007 de 19,3 % par rapport à février
2006.
Les consultations de tabacologie enregistrent également
une hausse du nombre de nouveaux patients (+23,7%
par rapport à février 2006), dont plus de la moitié
(50,4 %) sont adressés par un professionnel de santé. Le
délai moyen d’attente d’un premier rendez-vous est
estimé à 15 jours. Enfin, le nombre d’appels traités par
Tabac Info Service a augmenté de 68,7 % sur la même
période.
Les données complètes sont disponibles sur www.ofdt.fr.
gramme…” souligne le Dr Moreau. Et le Louvre peut ainsi
s’enorgueillir d’un respect total de l’interdiction de fumer,
malgré des craintes, au départ, de débordements.
Des problèmes subsistent…
Certes, toutes les entreprises n’ont pas proposé un
accompagnement aussi poussé, et la transition a été
beaucoup plus abrupte. Mais il faut noter que même à la
GMF, et malgré les campagnes d’information, il y a eu
quelques difficultés, comme le rapporte Florence Barraud :
“Nous avons beaucoup communiqué quand nous avons
lancé le projet, il y a eu quelques récalcitrants, qui considéraient qu’on empiétait sur leur espace de liberté.
Compte tenu des contraintes imposées nous n’avons pas
souhaité mettre en place des espaces fumeurs. Il a fallu
faire accepter l’idée. Depuis la mise en œuvre de la loi en
février, nous avons supprimé sur nos sites provinciaux les
salles réservées auparavant aux fumeurs.”
En ce qui concerne la tolérance entre fumeurs et nonfumeurs, la GMF ou le Louvre n’ont pas rencontré de problèmes particuliers depuis la mise en place de la loi. Mais
cela n’a pas été forcément le cas partout, comme l’explique le Dr Patrick Dupont, de l’OFT : “Il y a quelques
abus, comme des non-fumeurs qui se vengent de ce qu’ils
ont vécu en stigmatisant les fumeurs, ce qui amène à des
dégradations des ambiances de travail dans certains cas,
et attise les tensions entre fumeurs et non-fumeurs. Il faut
plus de tolérance… de chaque côté!”
Malgré ces légers accros, force est de reconnaître que l’interdiction de fumer a bien fonctionné dans les entreprises
partout en France. Un bon présage pour l’élargissement de
cette mesure en 2008 aux bars et aux restaurants ?
ALAIN SOUSA
17
PRISE EN CHARGE
Un centre spécialisé
pour les usagers de
crack
Le 26 février, après de longs mois de gestation, le Centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) de
l’association Espoir Goutte d’Or (EGO), premier CSST dédié aux usagers de crack, a enfin ouvert ses portes
au public.
Le choix de la proximité
CSST EGO
13, rue Saint-Luc
75018 Paris
Tél. 01 53 09 99 49
[email protected]
L’association a fait “le choix de la proximité” en implantant le CSST dans ses anciens locaux entièrement rénovés, situés dans une zone très concernée par la consommation et le trafic de drogues, dans le but de “faciliter
l’accès aux soins d’un public très éloigné des dispositifs
spécialisés et souvent réfractaire aux traitements”.
Comme l’explique Ramon Neira, son directeur, l’objectif
général est de proposer aux usagers de crack et polytoxicomanes des soins médicaux et sociaux adaptés à leur
situation, le traitement de la dépendance et le renforcement des liens sociaux.
L’équipe médico-sociale est constituée d’un psychiatre,
d’une infirmière, de deux médecins généralistes, de deux
psychologues, d’une assistante sociale, d’un éducateur
spécialisé et d’une animatrice de santé.
Elle reçoit tous les matins sur rendez-vous les usagers
prêts à s’engager dans un parcours de soins. Des soins
de premier niveau sont proposés sans rendez-vous
l’après-midi.
Concernant la prise en charge de l’hépatite, outre un
dépistage décentralisé et une aide à l’accès aux soins,
une consultation au sein du CSST avec un hépatologue va
être mise en place une fois par mois, précise Ramon Neira.
Un réseau de prise en charge
“Grâce au groupe de travail “prise en charge socio-sanitaire” du Plan crack, nous avons eu l’opportunité d’établir un travail en commun avec les différentes structures
impliquées : hôpitaux, Ecimud, autres CSST du nord-est
de Paris, etc., explique Ramon Neira. Des contacts étroits
ont été liés avec l’Ecimud de l’Hôpital Bichat, le Pr Lépine
à l’Hôpital Fernand-Widal ou l’Hôpital Paul Brousse à
Villejuif par exemple.”
Des contacts ont aussi été établis avec les centres de
soins des prisons de la région parisienne, le taux de per1 “craving” : désir irrépressible sonnes incarcérées consommatrices de
de consommer un produit. crack étant en forte augmentation.
L’articulation avec la RdR
Le partage des locaux avec la boutique d’accueil “bas
seuil” du Caarud déjà géré par EGO permet de créer un
lien et facilite l’orientation des usagers du Caarud désireux de s’inscrire dans une démarche de soins. L’équipe
de STEP, l’antenne de prévention et de réduction des
risques d’EGO située dans le même quartier, a aussi pour
vocation d’orienter vers le CSST les usagers en demande
de soins et/ou d’un accompagnement social.
Sur le plan du traitement des addictions, après une première évaluation de la situation du patient, un parcours
thérapeutique est proposé, qui peut éventuellement comprendre la prescription de traitements de substitution aux
opiacés, la mise en place d’un projet de sevrage et le cas
échéant une orientation vers des centres de traitement
résidentiels.
Le traitement de la dépendance
au crack
Un protocole de traitement de la dépendance au crack a
été établi. Il parie sur une prise en charge intensive en
ambulatoire constituée de rendez-vous quotidiens avec
l’équipe du CSST, éventuellement accompagnés de prescription en lien avec l’hôpital d’un traitement visant à
atténuer le “craving” 1. L’idée, comme l’explique Ramon
Neira, est “de s’appuyer sur une prise en charge psychothérapeutique encore peu utilisée en France, axée sur une
approche motivationnelle et cognitivo-comportementale,
plutôt que sur l’éloignement”.
Cette offre de soins expérimentale va se structurer progressivement au cours de l’année 2007. Sur une file
active pour le CSST estimée aux alentours de 500 personnes, Ramon Neira évalue entre 30 et 50 le nombre de
protocoles intensifs qui seront proposés cette année.
NESTOR HERVÉ
18
INTERNATIONAL
Le sens
d’un programme de RdR
à Kaboul
Au-delà des objectifs propres à un programme classique de RdR (PES, travail de rue, boutique, etc.), la
mission de Médecins du monde à Kaboul a pour enjeu de faire la preuve locale, par l’action, de la signification des principes fondateurs de la RdR afin d’éviter une technicisation qui la réduirait à une seule
approche sanitaire sur fond de rédemption, comme l’explique ici son responsable Olivier Maguet.
Ces dernières années, la réduction des risques (RdR) liés
aux usages de drogues est devenue une évidence à
l’échelle planétaire, de la France, qui a consacré la RdR
dans sa loi en 2004, au Vietnam, qui a autorisé les traitements de substitution en juin 2006, en passant par les
États de l’ex-URSS qui tolèrent des programmes de RdR.
Cette évidence, dont l’efficacité avait été démontrée par
de nombreuses études, s’impose aux décideurs, quels
que soient les régimes politiques, les niveaux de développement économique, les traditions historiques ainsi que
l’héritage social et culturel. L’Afghanistan n’échappe pas
à ce que les Anglo-Saxons appelleraient un “mainstream”, c’est-à-dire un courant de fond qui structure les
politiques publiques, de la même façon que les profonds
courants sous-marins circulent d’un océan à un autre
pour réguler la planète.
Ce constat – positif – posé n’élude pas pour autant une
difficulté majeure : l’absence d’une compréhension partagée sur le sens de la RdR. Cette absence conduit à décliner localement des actions dites de RdR qui en pervertis1 C’est la période de la fameuse affiche de sent l’objectif et les contenus. Pointe alors, en
MDM : “Quand un pays ne soigne pas les germe, le risque de voir la RdR devenir une
femmes, c’est le pays qu’il faut soigner”.
“fausse bonne idée” dans les années à venir.
2 Pour donner une idée de l’ampleur de ces
mouvements, rappelons que 2,8 millions de L’Afghanistan cristallise particulièrement cet
réfugiés Afghans sont rentrés des camps du écueil, que la mission de RdR de Médecins de
Pakistan depuis 2002, et qu’il en reste
toujours 2,4 millions… monde (MDM) à Kaboul s’attache à surmonter.
Plusieurs millions de réfugiés
MDM est présente sans discontinuité en Afghanistan
depuis 1982. La tragique histoire du pays, de l’invasion
soviétique de 1979 à la chute du régime des talibans en
novembre 2001, a amené Médecins de monde à réorienter
constamment ses champs d’implication au plus près des
besoins : médecine urgentiste pendant les périodes de
conflit, médecine humanitaire dans les camps de réfugiés, médecine en direction des femmes quand ces dernières étaient exclues de la société – et donc de l’accès
aux soins – par les talibans 1…
À partir de 2002 commencent à revenir au pays des millions de personnes qui l’avaient quitté à l’un ou l’autre
moment de ces années de troubles 2. Beaucoup ont vécu
de longues années dans des camps de réfugiés en Iran et
au Pakistan. À ces mouvements de population s’ajoutent
les personnes déplacées à l’intérieur du pays, au gré des
zones de conflit. Pour une grande partie, ces retours se
concentrent sur Kaboul, qui a vu sa population plus que
doubler jusqu’à aujourd’hui (environ 5 millions d’habitants, sur une population totale de moins de 30 millions).
Des jeunes adolescents ayant grandi dans les camps aux
anciens combattants paumés parce que la guerre s’arrête, l’éventail des profils et des trajectoires est large.
Cela ne saurait cacher des tendances récurrentes : importance des troubles mentaux et des problèmes psychiques
19
liés aux années de violence et de guerre ; désoeuvrement
économique et social au retour, dans un des pays les plus
pauvres du monde ; sentiment d’abandon qui croît au
rythme de celui de l’aide internationale – et de ses
détournements – dont la plus grande partie de la population ne voit pas le premier afghani 3…
D’une consommation traditionnelle
à un usage de crise
La RdR comme approche
politiquement correcte
Une phase exploratoire conduite en juin 2005 a clairement fait apparaître que le “mainstream” dont il était
question plus haut était arrivé en Afghanistan. En effet,
le pays travaille sur une stratégie nationale de lutte
contre le VIH ainsi qu’un plan national de lutte contre les
drogues (ce dernier étant essentiellement axé sur l’éradication de l’offre – nous y reviendrons – mais comportant
aussi un volet réduction de la demande). Et là, alors que
l’Afghanistan n’a aucune culture en matière de RdR, le
sabir international est directement importé, en anglais,
sans traduction ni appropriation des termes : “outreach”,
“community involvement”, “harm réduction”, etc.
Les décideurs politiques et les opérateurs locaux ont bien
compris l’enjeu de présenter des programmes et des stratégies d’action puisant dans ce vocabulaire d’une évidence qui n’est plus à démontrer, pour faciliter leur accès
à des fonds internationaux 4. Conséquence : notre exploration de terrain fait apparaître que le “community
outreach” dont il est question peut se traduire, par
exemple, par un programme de rue où le message accompagnant la distribution de trois seringues est : “Au bout
de la troisième injection, tu arrêtes”…
1
La conjonction de ces phénomènes, parmi bien d’autres,
conduit de plus en plus de personnes, particulièrement à
Kaboul, à chercher refuge dans les substances psychotropes. D’une consommation traditionnelle d’opium, rythmée par des us et coutumes, le pays bascule rapidement
dans un usage de crise : augmentation du nombre de
consommateurs, élargissement de la palette des produits, diversification des modes de consommation (dont
l’introduction de l’injection). Une série d’enquêtes,
menées par l’Office des Nations Unies contre la drogue et
le crime (UNODC), fait état de plus d’un million de
consommateurs de substances variées dans le pays ; et
c’est certainement la pointe émergée de l’iceberg. Les
témoignages remontés du terrain confirment l’émergence
de ce qui devient un véritable problème de santé
3 La monnaie locale. publique.
Dans la même période, il n’existe à Kaboul que
4 L’Union européenne, par exemple, a ainsi
donné plus de un milliard d’euros sur deux centres spécialisés locaux (créés à l’aube
la période 2002-2006 et prévoit des années 2000), et qui ne proposent qu’une
une enveloppe supplémentaire de
600 millions d’euros pour 2007-2010. approche de sevrage. C’est alors que MDM
décide de s’investir sur le terrain des consommateurs de
drogues, avec le souci de promouvoir une approche en
termes de RdR.
Une production d’opium toujours à la hausse
“Les estimations effectuées cet hiver montrent que la culture de l’opium en Afghanistan en 2007 ne sera pas inférieure au record de
165 000 hectares cultivés en 2006”, indique un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) rendu public
début mars. La culture de l’opium avait déjà augmenté dans ce pays de 59 % en 2006 par rapport à l’année précédente.
L’ONUDC prévoit une progression de la culture de l’opium dans 15 provinces sur 34, notamment celles d’Helmand et de Kandahar. Ces
régions méridionales, où se concentre l’insurrection des talibans, ont été responsables en 2006 d’environ la moitié de la production
d’opium du pays. Environ 80 % des paysans du sud du pays cultivent le pavot, alors que la moyenne nationale est de 13 %, selon l’étude
de l’ONUDC conduite en décembre et janvier.
Alors que les programmes de destruction des champs de pavots montrent leurs limites, des propositions alternatives voient le jour. Ainsi le
Conseil de Senlis, un groupe international d’experts, s’est prononcé dans un rapport publié mercredi 14 février à Londres pour l’arrêt de la
destruction des champs de pavots. Elle “renforce la pauvreté et nourrit la rancœur envers le gouvernement et la communauté internationale,
en même temps qu’elle fournit à la rébellion une facile base de recrutement”, soutient le rapport. Les paysans afghans devraient au
contraire obtenir l’autorisation de produire de l’opium destiné à l’usage médical dans les pays riches, ce qui assurerait leur subsistance.
Un point de vue partagé par trois groupes parlementaires de la gauche italienne, qui ont proposé début mars que l’Italie achète légalement de l’opium produit en Afghanistan pour le transformer en médicaments anti-douleur afin de “couper l’herbe sous le pied” aux talibans et aux trafiquants, mais qui se heurte à deux écueils : l’écart entre l’offre et la demande et le prix de vente, comme l’expliquait il y
a quelques mois Alain Labrousse dans un entretien à Swaps sur la culture de l’opium en Afghanistan (no 43, p. 13-15). En outre, la stratégie du Conseil de Senlis pour mener son lobbying sur l’usage médical de l’opium peut se révéler contre-productive : elle ne prend en
compte ni le rythme ni les programmes des partenaires présents en Afghanistan (décideurs politiques et opérateurs locaux, institutions
internationales et ONG étrangères).
20
Établir une réelle proximité
avec les groupes d’usagers
Il n’est pas question ici de remettre en cause une réelle
perception, par les acteurs locaux, des enjeux de santé
liés à la consommation de drogues, ni de douter de leur
volonté d’agir en la matière. Mais force est de constater
que l’absence de déclinaison locale du concept de RdR,
avec du temps pour la digérer et comprendre son état
d’esprit, peut conduire à rendre contre-productives des
mesures qui paraissent “valables” sur le papier. Ainsi,
les deux structures kaboulies survalorisent la présence de
travailleurs sociaux ou de spécialistes du conselling
divers et variés, ainsi que celle d’ex-usagers témoignant
des malheurs causés par la drogue…
Un des principes fondamentaux de la RdR n’est pas au
rendez-vous : celui qui consiste à établir une réelle proximité avec les groupes d’usagers visés par l’action et à les
impliquer. Recruter, au sein d’une équipe « outreach »,
des usagers actifs, en raison même de leurs connaissances et expertise en matière de produits, de modes de
consommation – et donc des risques associés – et, surtout, d’accès aux lieux et groupes les plus à risque, est
une idée qui apparaît, au mieux farfelue, au pire dangereuse.
La question de l’injection est très significative : décliner
le kit international de RdR n’a pas de sens ; en effet, à
Kaboul, l’héroïne n’est pas chauffée et dissoute directement dans le piston avec un anti-histaminique (pratique
qui nécessite des aiguilles à gros diamètre). L’eau distillée et la seringue 1 ou 2 cc ne sont pas adaptées dans ce
contexte, car un véritable travail sur les pratiques n’est
pas mené. Dans ce cas d’espèce, l’injection comme pratique à risque a bien été traduite, mais pas documentée
ni commentée…
Faire comprendre
les principes de la RdR
Dans ce contexte, la mission de MDM, au-delà des objectifs propres à un programme classique de RdR, ici ou làbas (PES, travail de rue, boutique, etc.), a bien pour enjeu
de faire la preuve locale, par l’action, de la signification
des principes fondateurs de la RdR, et d’accompagner
ainsi l’environnement afghan vers une compréhension de
ces principes. À défaut, les programmes de RdR risqueraient de n’être perçus, par les usagers, que comme une
modalité supplémentaire issue du champ sanitaire et
social, dans laquelle ils ne sont pas impliqués.
5 Pour n’en citer qu’un seul, voir le texte
de F.-X. Dudouet, “De la régulation C’est pourquoi MDM a décidé, pour répondre à
à la répression des drogues”, paru ce défi, de mener une phase d’implantation de
dans les Cahiers de la sécurité intérieure
(n 52, deuxième trimestre 2003). neuf mois en 2006. Concrètement, nous
o
sommes partis du terrain des usages et des usagers, en
menant, en avril et mai 2006, une enquête de type “boule
de neige”, qui avait aussi pour vocation d’identifier,
parmi les usagers rencontrés, ceux qui présentaient des
aptitudes à devenir de futurs intervenants de RdR.
Un premier vivier de personnes-ressources a ainsi été
constitué et a bénéficié d’une formation à visée de recrutement en juillet 2006. Ceux qui présentaient le plus
d’atouts en matière d’expertise des drogues d’une part,
de capacité à retransmettre une information au-delà de
leur histoire personnelle d’autre part, ont ainsi été intégrés à une équipe plus large (dans laquelle il y a des
intervenants non-consommateurs et un infirmier). Enfin,
jusqu’à la fin de l’année 2006, cette équipe a travaillé,
sous la responsabilité d’un coordinateur expatrié, à l’acquisition et à l’appropriation de la philosophie et des
techniques de la RdR.
Nous avions la volonté que cette équipe réinvente finalement elle-même, avec ses mots, la RdR, à partir des
expériences, représentations et connaissances de ses
membres. C’était la condition pour ne pas tomber dans
les risques du “copier-coller” dénoncé plus haut… Ce
travail de longue haleine, qui rappelle qu’une démarche
communautaire nécessite du temps, reste d’actualité. Le
programme a ainsi l’ambition, à terme, de construire un
corpus idéologique et pratique de la RdR propre à
l’Afghanistan. Cet enjeu revêt une importance encore
plus grande dans le pays des champs de pavots…
Le pays de la guerre à la drogue
Plusieurs travaux ont montré que la “guerre à la drogue”
conduit inéluctablement à une “guerre aux drogués” 5.
Quel pays mieux que l’Afghanistan cristallise-t-il avec
autant d’éclat cette guerre à la drogue ? Avec 92 % de la
production mondiale d’héroïne en 2006, la lutte contre les
rebelles talibans ne justifie pas à elle seule l’attention de
la communauté internationale. Les 35 000 soldats de
l’ISAF (Force internationale de sécurité en Afghanistan)
ne font pas que traquer du rebelle dans les montages ou
protéger la capitale d’incursions terroristes ; ils soutiennent aussi l’effort d’éradication des champs de pavot à
opium. Les Nations Unies ont créé un fonds dédié au
financement de la stratégie nationale afghane contre les
drogues (le Counter Narcotic Trust Fund), abondé à hauteur de 75 millions de dollars sur sa première tranche
(dont 40 millions provenant du gouvernement britannique et 15 millions de l’Union européenne). Seulement
un peu moins de 2 millions seront affectés au volet
Dans un appartement à Kaboul, novembre 2006. © Jacky Naegelin/Reuters
“réduction de la demande” – et encore, essentiellement
sur des programmes visant au sevrage et à l’abstinence…
L’enjeu d’une démarche véritablement comprise de RdR
prend, dans un tel contexte, encore plus de sens. Car il
s’agit bien ici de ne pas la confier aux seuls professionnels du champ social et sanitaire local, encadrés par des
conseillers occidentaux qui sont les mêmes que ceux de
la lutte anti-drogue… La réelle participation des usagers et la définition d’une culture locale de RdR constituent le seul rempart à une technicisation de la RdR, qui
la réduirait à une seule approche sanitaire sur fond de
rédemption. Elle est en outre la condition indispensable
à l’émergence d’une parole collective des usagers, en
préfiguration de la “guerre aux drogués” à venir
(l’UNODC finance ainsi un programme de construction
de prisons…).
Laissons, pour finir, la parole au responsable de l’administration pénitentiaire afghane, qui, en juin 2005, déclarait en substance : “Vous avez quelques années devant
vous car, de toute façon, nous n’avons pas les moyens et
les infrastructures pour enfermer les drogués”… Eh bien,
utilisons ces quelques années pour donner un sens à la
RdR dans son pays !
OLIVIER MAGUET,
responsable de la mission RdR de MDM à Kaboul
VIH/sida et hépatite C
En l’absence d’un système de surveillance épidémiologique, les données les plus significatives proviennent du
centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) de
Kaboul, qui a ouvert ses portes en septembre 2005. De
cette date à octobre 2006, le CDAG déclare avoir testé
464 usagers de drogues, avec 102 résultats positifs pour
l’hépatite C et 14 pour le VIH.
[Communication orale, novembre 2006]
22
PUBLICATIONS / NOUVELLES PARUTIONS
envisagé dans le long terme.
– ceux pour qui la
buprénorphine fonctionne
comme une drogue légale,
consommée pour la recherche
d’effets et de défonce.
– ceux pour lesquels elle est
un produit piège, dont l’usage
aboutit à des dommages
aggravés.
Les auteurs soulignent le rôle
des situations sociales des
usagers et de leurs conditions
de vie dans l’appropriation
de la buprénorphine, le poids
persistant de l’image péjorative
du toxicomane comme obstacle
à devenir une personne traitée.
La lutte contre le tabagisme
Patrick Peretti-Watel
Problèmes politiques et sociaux,
no 932
La Documentation française,
janvier 2007, 112 p.
La revue Problèmes politiques
et sociaux consacre un numéro
thématique à “la lutte contre le
tabagisme ”. Selon le principe
habituel à cette revue, le
sociologue Patrick Peretti-Watel
introduit une sélection de textes
significatifs pour apporter
différents niveaux d’éclairages
et de compréhension sur cette
question d’actualité. Ils retracent
les actions, les acquis et les
écueils de des trente années
de lutte contre le tabagisme.
La première partie propose
un bilan de la lutte contre
le tabagisme en France
en s’attachant à l’impact de
quelques mesures (la hausse
des taxes, la législation
antitabac, le rôle des
professionnels de santé).
La deuxième partie permet
d’appréhender les usages
individuels de tabac et leurs
motivations, la notion de risque
pour les fumeurs, l’évolution
des approches préventives.
La dernière partie est consacrée
à la “guerre” que se livrent
– sur le plan de la communication et de la prévention –
les industriels du tabac et
les autorités de santé publique.
L’ouvrage est complété d’une
chronologie de la lutte contre
le tabagisme en France (19762006).
Premières rencontres
nationales de la réduction des
risques liés à l’usage de
drogue
AFR, mars 2007, 90 p.
Commande gratuite sur le site
de l’AFR : www.a-f-r.org
Les 12 et 13 octobre 2006,
l’Association française de
réduction des risques (AFR)
et ses partenaires organisaient
deux journées d’échanges et
Abonnement
Je m’abonne
쑗 1 an = 8 €
de réflexions pour faire un bilan
des acquis de la politique de
réduction des risques (RdR)
et réfléchir à l’évolution des
dispositifs, des actions et des
méthodes d’intervention
(lire Swaps no 45). Ces actes
reprennent les interventions
en plénières et les prises
de paroles lors des forums
et des ateliers thématiques.
Elles concernent le concept
de RdR, ses réussites et
ses difficultés, ses acteurs,
sa place dans les stratégies
et les politiques des drogues
au niveau national ou européen,
les enjeux récents de l’évolution
des dispositifs de soins,
de RdR et de première ligne,
les réponses aux nouveaux
usages et usagers, la question
de l’accès aux traitements,
des salles de consommation,
des hépatites virales…
Au final, des constats et des
besoins, des recommandations
et des pistes pour agir,
des volontés d’innover
et de travailler ensemble.
CLAUDINE VALLAURI

Rapports des usagers
au Subutex® : de la reconquête
de l’autonomie à la spirale
de l’échec
Anne Guichard, France Lert,
Jean-Marc Brodeur,
Lucie Richard
Sciences sociales et santé,
décembre 2006, vol. 24, no 4,
pp. 5-43
Une enquête qualitative menée
auprès d’usagers de drogues
sous traitement par la
buprénorphine permet de mieux
comprendre le rapport des
usagers au produit de
substitution. Des entretiens
successifs avaient pour objectif
d’explorer les modes
d’appropriation et les usages
de la buprénorphine, le vécu de
la toxicomanie, les modes de
vie et situations sociales,
l’image de soi. De leur analyse
croisée, les auteurs dégagent
quatre profils d’usagers :
– ceux pour lesquels la
buprénorphine agit comme une
ressource pour s’en sortir : pour
eux, le Subutex® est un
médicament, ressource
transitoire pour sortir de la
toxicomanie.
– ceux pour lesquels la
buprénorphine constitue un
traitement de maintenance :
c’est-à-dire un soutien
chimique pour la vie
quotidienne dont l’usage est
쑗 2 ans = 15 €
Chèque à l’ordre de Pistes, à retourner Tour Maine-Montparnasse BP 54 75755 Paris cedex 15
Nom.......................................................................Prénom................................................
Profession........................................................Organisme................................................
Adresse.............................................................................................................................
.........................................................................................................................................
Code postal.....................................Ville...........................................................................
Tél............................................................Fax.............................................................
23
Brèves...
Distribution d’héroïne :
la Belgique suit l’Allemagne
Les sept villes allemandes qui
distribuent de l’héroïne à des
toxicomanes très dépendants
vont pouvoir poursuivre ce
programme, a indiqué fin janvier
le chef du groupe parlementaire
conservateur en Allemagne (CDU
et CSU), qui s’opposait jusqu’ici
à toute prolongation. Il a
cependant rejeté toute extension
de ce projet pilote à d’autres
villes. Les sept municipalités
(Francfort, Hambourg, Bonn,
Hanovre, Karlsruhe, Cologne et
Munich) avaient demandé avec
insistance que la distribution
d’héroïne de synthèse
(diamorphine) sous surveillance
médicale se poursuive, arguant
que ce traitement avait fait ses
preuves sur les toxicomanes très
dépendants, pour lesquels toutes
les thérapies de désintoxication
et de substitution avaient échoué.
C’est dans cette optique que
les ministres belges de la santé
et de la justice ont donné courant
mars leur aval à un projet pilote
de traitement avec
diacétylmorphine qui devrait
débuter cette année à Liège.
La cocaïne se banalise en Italie
Selon l’institut de recherche
Eurispes, 7 % des Italiens de 14
à 54 ans, soit 2130000 personnes,
déclarent avoir consommé de
la cocaïne au moins une fois dans
leur vie, et 286 000 en ont pris
durant le seul mois de décembre
2006. Le ministre de l’Intérieur a
saisi l’occasion d’un déplacement
à Naples, début février, pour tirer
la sonnette d’alarme: “la consommation de cocaïne est gigantesque,
la demande est effrayante”,
a-t-il déclaré. On ne peut pas
demander aux forces de l’ordre
de combattre seules le trafic
“si une telle demande vient
des familles, des adultes et
des jeunes adultes”, a-t-il averti.
Dans la seule région de Naples,
une tonne de cocaïne a été saisie
en 2006. À Milan, un habitant
sur dix aurait pris de la cocaïne,
selon les services sanitaires
locaux. 25 000 déclarent
en prendre au moins une fois
par mois, et 15 000 seraient
dépendants. (AFP)
Le maire d’Epinal veut expérimenter
les salles de consommation
“Il faut expérimenter les salles
de consommation afin d’accueillir
des personnes qui se droguent
de manière très régulière, de
faire en sorte qu’elles le fassent
dans de bonnes conditions
sanitaires, pour les emmener
vers des produits de substitution
et ensuite vers le sevrage,
affirme le député-maire d’Epinal
Michel Heinrich (UMP). Bien sûr,
je ne dis pas que c’est un
dispositif à généraliser. Ce n’est
pas la panacée, mais quelque
chose qu’il faudrait essayer, dans
un cadre bien précis, avec un
encadrement très expérimenté.”
Pharmacien de profession,
Michel Heinrich est rapporteur
de la mission santé publique pour
la loi de financement de 2007.
Il a consacré une partie de son
rapport à “l’enfer des paradis
artificiels : comment renforcer
l’efficacité de l’action publique
en matière de lutte contre
les drogues illicites”. (AFP)
Tests de dépistage de la drogue
au volant
La gendarmerie expérimente
plusieurs tests de dépistage
instantané de consommation
de drogue au volant, basés sur
la salive, pour une mise en
service prévue courant 2008.
Selon le colonel de gendarmerie
Jean-Robert Bauquis, ces tests
sont “compliqués” à mettre
en œuvre car il s’agit de détecter
quatre familles de produits
stupéfiants : cannabis,
amphétamines, cocaïne et
opiacés. Le test qui sera utilisé
“devra être le plus fiable possible
avec un seuil de sensibilité le plus
élevé possible”, et “plusieurs
entreprises ont été mises en
concurrence dans le cadre d’une
procédure de “dialogue
compétitif ””, explique le colonel
Bauquis. Une première campagne
d’expérimentions vient de se
dérouler dans la région Centre.
Une seconde se tiendra cet été
dans trois autres régions
auprès de plusieurs centaines
d’automobilistes. (AFP)
Le nombre de plantations
de cannabis a triplé à Londres
Le nombre de plantations de
cannabis découvertes par la
police en Grande-Bretagne a
triplé depuis deux ans, avec une
moyenne de trois plantations
saisies chaque jour ces derniers
mois, a affirmé mardi 13 mars
l’organisation d’information sur
les drogues DrugScope. 1 500
plantations ont été découvertes
à Londres au cours des deux
dernières années, contre 500
les deux années précédentes,
selon le rapport de DrugScope.
Aujourd’hui, plus de 60 %
du cannabis vendu en GrandeBretagne sont cultivés dans
le pays, contre seulement 11 %
il y a dix ans. Ces plantations
se trouvent généralement
dans des résidences privées
(souvent vides) ou des propriétés
commerciales, estime DrugScope.
Travail communautaire
pour “mammy cannabis”
Une grand-mère anglaise
récidiviste, qui cuisinait avec
du cannabis pour lutter contre
la dépression, a été condamnée
début mars à 250 heures
de travaux d’intérêt général.
Le jury n’a mis que 15 minutes
pour juger coupable, à l’unanimité,
Patricia Tabram, 68 ans, qui
cultivait quatre pieds de cannabis
dans une armoire à son domicile,
en violation d’une condamnation
à six mois de prison avec sursis.
“Je vais continuer à me soigner
avec du cannabis. Ce tribunal
n’est pas compétent et je vais faire
appel et déposer plainte car je
n’ai pas eu droit à un avocat”,
a déclaré Mme Tabram après
sa condamnation, disant qu’elle
n’avait pas peur d’aller en prison.
La police était intervenue chez
elle sur dénonciation et avait
trouvé, outre les plants, un bocal
de poudre de cannabis près de
la cuisinière. Auteur du livre
Mamie mange du cannabis et
deux fois grand-mère, Mme Tabram
avait indiqué à la police que son
congélateur était rempli de plats
cuisinés et de glaces contenant
du cannabis, qui n’ont pas été
confisqués pour ne pas la priver
de nourriture. Elle a expliqué au
tribunal qu’elle utilisait le cannabis
pour lutter contre la dépression
dont elle souffre depuis 1975,
lorsqu’elle avait découvert
son fils de 14 ans mort dans
son lit, et soulager des douleurs
persistantes dues à deux
accidents de voiture. (AFP)
Les Américains se droguent
moins mais boivent plus
L’usage de drogues illégales
aux États-Unis a légèrement
baissé en 2004-2005 mais
la consommation d’alcool est
en hausse, selon un rapport
de l’Administration des services
de santé mentale publié fin février.
Un peu plus d’un Américain sur
deux, soit 51,1 %, consommait
de l’alcool en 2004-2005 contre
50,2 % en 2003-2004 et près
d’un sur quatre (22,7 %) s’adonne
à des soûleries (“binge drinking”),
définies par l’enquête comme le
fait de boire au moins cinq verres
en l’espace de quelques heures.
La consommation de drogues
illégales est en légère baisse
à 8 % contre 8,1 % en 2003-2004.
La marijuana est la drogue la plus
utilisée : 6 % de la population en
fume. Après l’alcool, le tabac est
la substance la plus consommée :
29,3 % des Américains sont
fumeurs. La cocaïne est utilisée
par 2,3 % de la population.
C’est dans la capitale fédérale,
Washington DC, que l’usage
de cocaïne est le plus répandu
(3,4 %). Il a même augmenté
parmi les jeunes adultes de
18 à 25 ans pour atteindre 5,8 %
en 2004-2005 contre 4,1 %,
la période précédente. (AFP)
Tabac : les avertissements
les plus gros sont les plus
remarqués
Les avertissements sur les dangers
du tabac figurant sur les paquets
de cigarettes ont davantage
d’impact sur les fumeurs lorsqu’ils
sont présentés de façon explicite,
voire crue, et régulièrement
renouvelés, selon des chercheurs
de l’Université de Washington.
Ceux-ci ont mené une étude
comparative sur l’efficacité
de ces messages au Canada,
en Grande-Bretagne, en Australie
et aux États-Unis. Entre 2002
et 2005, ils ont interrogé par
téléphone quelque 15 000 fumeurs
de ces pays, leur demandant s’ils
avaient remarqué ces messages.
Selon les résultats de l’étude,
publiée début février par
l’American Journal of Preventive
Medicine, les mises en garde
les plus efficaces figurent sur
les paquets de cigarettes
canadiens qui comportent
des photos de taille importante
montrant par exemple une
bouche aux gencives noircies
et abîmées sous l’effet du tabac.
60 % des fumeurs canadiens
interrogés ont déclaré remarquer
l’avertissement. (AFP)
...
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Rédaction
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Anne-Sophie Woreth
Réalisation graphique
Céline Debrenne
d’après une conception de
Sylvain Enguehard
Impression : Stipa / 4M
Dépôt légal : à parution
ISSN : 1277-7870
Commission paritaire : en cours
SWAPS
Tour Maine-Montparnasse
BP 54
75755 Paris cedex 15
Téléphone : 01 56 80 33 51
Fax : 01 56 80 33 55
[email protected]
www.pistes.fr/swaps
Édité par l’association Pistes
(Promotion de l’information
scientifique, thérapeutique,
épidémiologique sur le sida)
Avec la participation des
Centres régionaux
d’information et de prévention
du sida :
Île-de-France
Provence - Alpes - Côte d’Azur
Avec le soutien
du laboratoire
et de la Mission
Interministérielle de Lutte
contre la Drogue et la
Toxicomanie.
N° 46 / 1er trimestre 2007
Édito
Cette nouvelle livraison de Swaps est, à l’instar de l’année 2007, placée sous le signe
des élections. Et donc forcément politique, comme l’est si souvent l’approche sanitaire
des usagers de drogues et la question de la réduction des risques (RdR).
Dire que la RdR est un thème “porteur” de la campagne 2007 serait mentir. Comme en
2002, nous avons néanmoins souhaité recueillir les positions et propositions des
principaux candidats qui visent à atteindre la plus haute marche de l’État.
Même s’il n’est pas dans la mission de Swaps de veiller au niveau de véracité des
promesses des candidats en campagne, nous rendons compte ici des réponses à des
questions qui engagent le politique :
Comment envisagez-vous de vous impliquer dans le débat de l’usage des drogues et
d’autres substances psychoactives en France ?
Quelles thématiques souhaiteriez-vous voir aborder lors d’un éventuel débat parlementaire
sur l’usage des drogues ?
Est-il temps de réformer la loi de 1970 concernant la politique française en matière de
drogues ?
Et, ultime question : Croyez-vous à une société sans drogue ?
Comme en 2002, il y a ceux qui ont répondu, ceux qui n’ont pas pu répondre ou qui n’ont
tout simplement pas voulu répondre. Pour autant, cela n’a pas forcément valeur de
désengagement sur cette thématique : Swaps n’est pas Le Monde ou Libération…
Nous avons fait le choix de livrer ces réponses en “brut”, sans analyse critique,
laissant, dans cette période intense de doute électoral, à chacun la liberté de se faire
une opinion sur la/les position(s) du candidat – ou de la candidate – dans la champ de
la toxicomanie et de la réduction des risques.
Et nous avons repris, à titre d’effet mémoire, certaines des réponses du “candidat
Chirac” en 2002 à l’heure d’une intense production biographique, autobiographique et
commémorative de l’encore actuel président de la République.
GILLES PIALOUX
& ANTONIO UGIDOS