2. Octave devient Auguste (Dion Cassius)

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2. Octave devient Auguste (Dion Cassius)
1. Les manipulations institutionnelles du début du principat (Suétone)
Il reçut des magistratures et des honneurs avant le temps légal, et certains d'un genre
nouveau et à perpétuité. Le consulat, il s'en empara durant sa vingtième année, en faisant
avancer vers la Ville ses légions menaçantes, et en envoyant des messagers pour le réclamer
au nom de l'armée... Pendant dix ans, il fit partie du triumvirat chargé de réorganiser l'État. Il
reçut une puissance (potestas) tribunicienne perpétuelle, et à deux reprises, pour deux lustres
différents, il s'adjoignit un collègue. Il reçut aussi le contrôle des moeurs et des lois,
également de manière perpétuelle, et à ce titre, bien qu'il n'eût pas reçu l'honneur de la
censure, il assura néanmoins à trois reprises le cens du peuple, la première et la troisième
fois avec un collègue (Agrippa), la deuxième fois seul. (Suétone, Auguste,26-28)
2. Octave devient Auguste (Dion Cassius)
Voilà quels furent, à peu de chose près, les règlements qui furent alors sanctionnés. Car en
fait César (Octave), puisqu'il était maître des finances (en apparence, le trésor public était
distinct du sien, mais en réalité les dépenses se faisaient suivant ses désirs), et puisqu'il avait
l'autorité militaire, devait exercer en tout et toujours un pouvoir souverain... Le nom d'Auguste
lui fut donné par le Sénat et par le peuple. Car, comme il avait été déci­dé de lui donner un
titre en quelque manière spécial, et que les uns proposaient et approuvaient une résolution,
les autres une autre, César désirait vivement être appelé Romulus ; mais, s'étant aperçu qu'il
se ferait soupçonner d'aspirer à la royauté, il y renonça et se fit appeler Auguste, ce qui
signifiait qu'il avait quelque chose de plus que les hommes... Ce fut ainsi que la puissance du
peuple et du Sénat passa tout entière à Auguste, et qu'à partir de cette époque fut établie une
monarchie pure. (Dion Cassius, LIII, 15-17)
3. Octave devient Auguste (Aurelius Victor, IVe siècle)
Durant la sept cent vingt-deuxième année depuis la fondation de la Ville, la coutume s'établit
à Rome de n'obéir qu'à un seul homme. En effet, Octavien, fils d'Octavius, devenu César à la
suite de son adoption par son grand-oncle, fut bientôt appe­lé du cognomen d'Auguste, en
vertu d'un décret (senatus consulte) des grands, parce qu'il avait exploité avec douceur la
victoire de son parti. Les soldats ayant été séduits par ses largesses (dona), et la foule par le
soin qu'il prenait de l'annone, il soumit sans difficulté tous les autres Romains. (Aurelius
Victor, I)
4. Auguste définit son pouvoir (Res Gestae)
La dictature, que le peuple et le Sénat m'avaient conférée, en mon absence et en ma
présence, sous le consulat de Marcus Marcellus et de Lucius Arruntiu (-22), je l'ai refusée...
Les responsabilités que le Sénat a voulu me confier, je m'en suis acquitté au moyen de la
puissance tribunicienne... Au cours de mon sixième et de mon septième consulat (-28, -27),
après l'extinction des guerres civiles, alors que je m'étais emparé de tout le pouvoir en
recourant à un accord universel, j'ai transféré l'État de mon autorité(potestas) au bon vouloir
du Sénat et du peuple romain. Pour ce mérite qui me revenait, je fus appelé Auguste par un
sénatus-consulte... A partir de ce moment, je l'ai emporté sur tous en auctoritas, mais je n'ai
eu rien de plus en potestas que tous les autres qui avaient été mes collègues comme
magistrats. (Res Gestae diui Augusti, 5, 1 ; 6, 2 ; 34, 1 et 3, d’après la table d’Ancyre)
5. Le partage des provinces (Dion Cassius)
Voulant néanmoins paraître populaire, il se chargea de la surveillance et de la direction de
toutes les affaires publiques, parce qu'elles réclamaient des soins. Mais il déclara qu'il ne
gouvernerait pas seul toutes les provinces, et qu'il ne garderait pas tout le temps celles dont il
aurait la charge. Il remit au Sénat les plus faibles, parce qu'elles étaient pacifiées et n'étaient
pas menacées par la guerre. Quant aux plus fortes, il les garda pour lui, parce qu'elles étaient
exposées aux périls et aux dangers, soit en raison de leur proximité avec des ennemis, soit
en raison des grands désordres qu'elles étaient encore capables de provoquer. Il agissait
ainsi en apparence pour que le Sénat pût jouir sans crainte des plus belles, tandis que lui
aurait les fatigues et les dangers. En réalité, sous ce prétexte, il faisait en sorte que les autres
se trouvent sans armes et sans forces, alors que lui aurait des armées à sa disposition et
entretiendrait des soldats. Pour cette raison, on décida qu'appartiendraient au Sénat et au
peuple l'Afrique et la Numidie, l'Asie et la Grèce avec l'Epire, la Dalmatie, la Macédoine, la
Sicile, la Crète avec la Libye de Cyrène, la Bithynie avec le Pont, qui est son voisin, la
Sardaigne et la Bétique. César aurait le reste de l'Espagne, c'est-à-dire la Tarraconaise et la
Lusitanie, ainsi que toutes les Gaules, la Narbonnaise, la Lyonnaise, l'Aquitaine et la
Celtique(Belgique), avec leurs colonies. Quelques Celtes, en effet, que nous appelons
Germains, occupent toute la Celtique qui est voisine du Rhin; ils ont ainsi fait donner le nom
de Germanie tant à la partie supérieure, celle qui commence aux sources du fleuve, qu'à la
partie inférieure, celle qui s'étend jusqu'à l'Océan qui baigne la Bretagne. Ces provinces donc,
ainsi que la Coelé-Syrie, la Phénicie, Chypre et l'Égypte, constituèrent alors le lot de César;
dans la suite, il rendit au peuple Chypre et la Gaule Narbonnaise, et prit en échange la
Dalmatie. Un changement analogue eut également lieu plus tard pour plusieurs autres
provinces. (Dion Cassius, LIII)
6. Provinces sénatoriales et
impériales au Ier siècle
7. L’embellissement de Rome (Suétone, Vie des douze Césars, 2 : Auguste, 28-29)
La beauté de Rome ne répondait point à la majesté de l'empire : elle était exposée aux
inondations et aux incendies. Il l'embellit tellement, qu'il se vanta avec raison d'avoir trouvé
une ville de briques et d'en avoir laissé une de marbre. Il pourvut également à sa sûreté pour
l'avenir, d'après tous les calculs de la prudence humaine.
Il fit exécuter un grand nombre de travaux publics. Voici les principaux : le Forum et le temple
de mars Vengeur, le temple d'Apollon sur le mont Palatin, le temple de Jupiter Tonnant au
Capitole. Les deux places publiques où l'on rendait la justice ne pouvant plus suffire à la foule
des plaideurs, il en fit faire une troisième. Telle fut l'origine du Forum. Avant que le temple de
Mars fût achevé, il se hâta de publier et d'ordonner que ce lieu serait destiné au jugement des
affaires criminelles, et à la désignation des juges par la voie du sort. Il avait fait vœu de
construire le temple de Mars pendant la guerre de Macédoine qu'il avait entreprise pour
venger la mort de son père. Il ordonna que ce serait dans ce temple que le Sénat délibèrerait
sur les guerres et les triomphes ; que ceux qui se rendraient dans les provinces avec un
commandement partiraient de cet édifice ; et que ceux qui reviendraient vainqueurs y
porteraient leurs trophées. Il éleva le temple d'Apollon dans l'endroit de sa maison du mont
Palatin qui avait été frappé de la foudre, et où les augures avaient déclaré qu'Apollon désirait
une demeure. Il y ajouta un portique et une bibliothèque grecque et latine. C'est là que, sur
ses vieux jours, il assemblait souvent le Sénat. Dans son expédition chez les Cantabres,
pendant une marche de nuit, la foudre, en effleurant sa litière, avait écrasé l'esclave qui le
précédait pour l'éclairer. Échappé à ce danger, il consacra un temple à Jupiter Tonnant. On lui
doit encore d'autres édifices qui ne portent point son nom, mais celui de ses neveux, de sa
soeur ou de sa femme, comme le portique et la basilique de Lucius et de Caius, les portiques
de Livie et d'Octavie, et le théâtre de Marcellus. Souvent il engageait les principaux citoyens à
décorer Rome, chacun selon ses facultés, ou par de nouveaux bâtiments, ou par des
réparations.
8. Le culte impérial selon l’autel de Narbonne (document de + 11)
Sous le consulat de T. Statilius Taurus et de L. Cassius Longinus, le X des calendes
d’octobre, vœu consacré au numen d’Auguste assumé à perpétuité par la plèbe de
Narbonne. Que soient bons, prospères et heureux l’empereur César Auguste, fils du Divus,
Père de la Patrie, grand pontife, revêtu de sa XXXIVe puissance tribunicienne, son épouse,
ses enfants et sa famille, le Sénat et le peuple romain, les colons de la colonie Julia Paterna
Narbo Martius, qui se sont engagés à rendre un culte perpétuel à son numen. La plèbe de
Narbonne a élevé sur le forum à Narbonne un autel auprès duquel, chaque année, le IX des
calendes d’octobre, jour où le bonheur du siècle a fait naître [ce prince] pour gouverner le
monde, trois chevaliers recommandés par la plèbe et trois affranchis immoleront chacun une
victime et fourniront à leurs frais aux colons et aux domiciliés, l’encens et le vin pour adresser
des prières à son numen. Le VIII des calendes d’octobre, ils fourniront également l’encens et
le vin aux colons et aux domiciliés. Aux calendes de janvier, ils fourniront aussi l’encens et le
vin aux colons et aux domiciliés. Et de même, le VII des ides de janvier, jour où pour la
première fois il a inauguré son imperium sur le monde, ils adresseront des prières par
l’encens et le vin, immoleront chacun une victime et fourniront l’encens et le vin aux colons et
aux domiciliés. Et la veille des calendes de juin, parce qu’en ce jour, sous le consulat de T.
Statilius Taurus et de M. Aemilius Lepidus, il adjoignit des juges plébéiens aux décurions, ils
immoleront chacun une victime et fourniront aux colons et aux domiciliés l’encens et le vin
pour adresser des prières à son numen.
9 Les réformes militaires (Suétone)
Dans le domaine militaire, il introduisit une foule de réformes et d'innovations et même, sur
quelques points, rétablit les usages d'autrefois. Il maintint rigoureusement la discipline. Un
chevalier romain ayant coupé les pouces de ses deux jeunes fils pour les dérober au service,
il le fit vendre aux enchères avec tous ses biens. La Xe légion obéissant avec un air de
révolte, il la licencia toute entière avec ignominie, et de même, comme d'autres réclamaient
leur congé avec une insistance excessive, il les libéra sans leur donner les récompenses
dues à leurs services.
Jamais après les guerres civiles, soit dans une harangue, soit dans une proclamation, il ne
traitait ses hommes de "compagnons d'armes", mais toujours de "soldats". Si l'on excepte les
cas d'incendie à Rome et ceux où la cherté du blé faisait craindre les troubles, il n'enrôla que
deux fois des affranchis comme soldats : la première, pour protéger les colonies voisines de
l'Illyricum, la seconde, pour garder la rive du Rhin ; c'étaient des esclaves que durent fournir
des personnes riches des deux sexes, mais il les fit affranchir sur-le-champ et les plaça en
première ligne, sans les mêler aux soldats de naissance libre ni leur donner les mêmes
armes. En fait de récompenses militaires, Auguste décernait beaucoup plus facilement les
décorations, les colliers et tous les autres insignes d'or ou d'argent, que les couronnes
obsidionales ou murales, dont la valeur était purement honorifique. […] Par ailleurs, d'après
lui, rien ne convenait moins au général parfait que la hâte et la témérité. Aussi répétait-il
fréquemment ces maximes : "Hâte-toi lentement, chez un chef, prudence vaut mieux que
hardiesse", et encore : "On fait toujours assez vite ce que l'on fait assez bien." Il déclarait qu'il
ne fallait absolument pas engager une bataille ni une guerre, si le profit qu'on pouvait en
attendre ne l'emportait pas visiblement sur les pertes qu'on avait à craindre.
SUÉTONE, La Vie des Douze Césars, 2 : Auguste, 24-25.
10. La question de la succession d’Auguste (document de 115-117)
Auguste, pour donner des appuis à sa domination, éleva aux dignités d'édile curule et de
pontife Claudius Marcellus, fils de sa sœur, à peine entré dans l'adolescence, et honora de
deux consulats consécutifs M. Agrippa, d'une naissance obscure, mais grand homme de
guerre et compagnon de sa victoire ; il le prit même pour gendre, après la mort de Marcellus,
et il décora du titre d'Imperator les deux fils de sa femme, Tiberius Nero et Claudius Drusus,
quoique sa propre maison fût encore florissante […] Mais Agrippa cessa de vivre […] il ne
restait à Auguste d'autre beau-fils que Tibère. Alors celui-ci fut le centre où tout vint aboutir ; il
est adopté, associé à l'autorité suprême et à la puissance tribunicienne, montré avec
affectation à toutes les armées. Ce n'était plus par d'obscures intrigues, mais par de
publiques sollicitations, que sa mère allait à son but. Elle avait tellement subjugué la vieillesse
d'Auguste, qu'il jeta sans pitié dans l'île de Planasie son unique petit-fils, Agrippa Postumus,
jeune homme, il est vrai, d'une ignorance grossière et stupidement orgueilleux de la force de
son corps, mais qui n'était convaincu d'aucune action condamnable. Toutefois il mit
Germanicus, fils de Drusus, à la tête de huit légions sur le Rhin, et obligea Tibère de l'adopter,
quoique celui-ci eût un fils déjà sorti de l'adolescence ; mais Auguste voulait multiplier les
soutiens de sa maison. Il ne restait alors aucune guerre, si ce n'est celle contre les
Germains ; et l'on combattait plutôt pour effacer la honte du désastre de Varus que pour
l'agrandissement de l'empire ou les fruits de la victoire. Au-dedans tout était calme ; rien de
changé dans le nom des magistratures ; tout ce qu'il y avait de jeune était né depuis la
bataille d'Actium, la plupart des vieillards au milieu des guerres civiles : combien restait-il de
Romains qui eussent vu la République ?
La révolution était donc achevée ; un nouvel esprit avait partout remplacé l'ancien ; et chacun,
renonçant à l'égalité, les yeux fixés sur le prince, attendait ses ordres.
Tacite, Annales, 1, 3-4.