La politique étrangère contemporaine du Viêt Nam Le

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La politique étrangère contemporaine du Viêt Nam Le
Asia Centre Conference series
étude
La politique étrangère
contemporaine
du Viêt Nam
Le pragmatisme
économique :
entre anciennes
tensions et nouvelles
affinités
Hien Do Benoit
Pour Asia Centre à Sciences Po
Septembre 2009
Le pragmatisme économique comme clé de voûte
de la politique étrangère
« We have no eternal allies and no perpetual enemies. Our
interests are eternal and perpetual, and those interests it is
our duty to follow » (Lord Palmerston – 1848)
La politique étrangère d’un pays vise, conventionnellement,
à promouvoir les intérêts nationaux de ce pays ou plus
exactement la perception qu’en a le gouvernement en
place. Ces intérêts peuvent donc évoluer ou demeurer
stables à long terme.
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Pour « continue » qu’elle soit, l’histoire du Viêt Nam a
été dominée par une série de ruptures fondamentales.
Si la politique du đoi moi – « renouveau » –, entérinée
en 1986 lors du VIe congrès du Parti communiste, faisait
figure de tournant et de pari pour l’avenir, elle représentait
aussi la solution de la continuité pour le régime en place.
En matière de politique étrangère, l’objectif du đoi moi était
de « créer un environnement international le plus favorable
à l’œuvre de construction et de défense de la Patrie »1,
c’est-à-dire améliorer l’image ternie du pays dans le
monde au lendemain de l’affaire cambodgienne, mais plus
profondément redéfinir l’identité nationale collective. Le
Viêt Nam a ainsi opté pour une politique étrangère axée sur la
1 Comme l’a exprimé en 2005 l’ancien vice-Premier ministre Vũ
Khoan.
recherche de soutiens financiers étrangers, indispensables
à sa sécurité, et sur l’intégration volontariste de l’économie
internationale par la diversification et la multilatéralisation
des relations extérieures. Soucieuse d’améliorer la marge
de manœuvre nationale, cette politique est menée dans un
espace international complexifié.
L’analyse de la politique étrangère vietnamienne
contemporaine exige donc de placer les paramètres
nationaux dans l’évolution de la situation internationale.
C’est au-delà des idéaux - comme la promotion du
socialisme de marché – et des objectifs ponctuels – tels
que l’exploitation de nouveaux espaces de solidarité, la
dynamisation de la coopération régionale, une meilleure
maîtrise des systèmes d’organisations internationales – que
sont mises en place les méthodes d’action vietnamienne.
Dès lors, quelle est la politique étrangère du Viêt Nam depuis
le đoi moi ? Comment doit-on comprendre la politique
vietnamienne de « diversification et de multilatéralisation des
relations internationales » au tournant des années 1990 ?
Cette étude analysera dans une première partie la
refondation de la politique extérieure vietnamienne et
le rôle joué par l’ASEAN dans ce repositionnement.
Puis l’on cherchera à définir les motivations et enjeux
des relations tissées entre le Viêt Nam et ses voisins
asiatiques d’une part, avec le reste du monde d’autre part.
Dans un contexte de crise économique et de
recompositions, les grandes orientations décidées à la fin
des années 1980 semblent être brouillées, entre anciennes
tensions et nouvelles affinités. Le pragmatisme économique
peine d’ailleurs à atteindre ses objectifs et à suivre une
logique d’équilibre diplomatico-politique déjà fragile.
I. Les faux-semblants d’une ASEAN comme espace
d’intégration direct ?
Le « congrès du renouveau » s’est tenu en 1986 au
moment où une détente graduelle entre les couples de
grands acteurs s’opérait : Etats-Unis-URSS, Etats-UnisChine, et URSS-Chine. Cette détente allait inscrire la
politique étrangère vietnamienne dans le sens d’un profond
réajustement. Le rapprochement et l’intégration dans
l’espace sud-est asiatique, s’imposa alors comme le meilleur
moyen pour ramener le Viêt Nam sur la scène internationale,
mais a rapidement laissé place à une évolution mitigée.
A. Le repositionnement du Viêt Nam dans le monde
nouveau via l’ASEAN
L’entrée dans la modernité. La crise de la fin des années
1980 a montré aux dirigeants vietnamiens que les critères
d’éligibilité pour accéder à l’espace mondial, avaient changé.
Le 20 mai 1988, le bureau politique du VIe congrès adopte
la résolution 13 « Maintien de la paix et développement
économique »2, qui portait les signes d’une vision nouvelle
des relations internationales et de la manière dont le
Viêt Nam devait s’y inscrire. Cette vision est officialisée plus
tard (1991) avec la politique de « multilatéralisation et de
diversification » des relations extérieures. A propos de cette
résolution, Nguyen Co Thach, alors membre du Bureau
politique et ministre des Affaires étrangères, précisa que
l’interdépendance économique mondiale ayant réduit les
risques de guerre, une « économie forte », une « capacité
de défense appropriée » et une « coopération internationale
élargie » étaient désormais garantes de la sécurité du pays 3.
Cette vision des relations internationales a, en quelque
sorte, brisé la distinction faite jusque-là entre « amis » et
« ennemis », entre « indépendance » et « interdépendance ». La
politique étrangère vietnamienne entrait dans la modernité.
Un nouveau vocabulaire révélateur. L’usage d’un nouveau
vocabulaire politique illustrait la prise de conscience du
décalage du discours antérieur avec l’évolution nationale
et internationale. Il n’est théoriquement plus question de
désigner l’« ennemi » direct du peuple vietnamien, ni d’être
guidé par la question « qui gagne contre qui ». Par principe,
les relations internationales doivent être libérées de tout
« déterminisme ». Et si le marxisme-léninisme est toujours
invoqué en politique intérieure, il disparaît du vocabulaire
diplomatique. La politique étrangère vietnamienne va tenter
de réconcilier les deux options : communisme et modernité
; la nouvelle conjoncture internationale étant même
parfois présentée comme « favorable à la construction
du socialisme », pour laquelle le Viêt Nam avait préconisé,
en 1991, une « coopération sur un pied d’égalité » avec
« tous les pays, quel que soit leur régime politique,
sur la base des principes de coexistence pacifique ».
2 Giữ vững hoà bình, phát triển kinh tế.
3 Nguyễn Cơ Thạch, « Những chuyển biến trên thế giới và tư duy
mới của chúng ta » [Les changements dans le monde et notre nouvelle pensée], Quan hệ quốc tế [Relations internationales], janvier
1990, p. 6-7.
L’indissolubilité du lien politique étrangère / développement
économique / sécurité est clairement établi au forum de
Davos de février 1990 par Võ Văn Khoan, alors Premier
ministre. A cette période, le pays présente de plus en plus
fréquemment sa politique de priorité au développement
économique comme la meilleure preuve de son
attachement à la paix et à la stabilité. Cette stratégie est
bien comprise par ses partenaires : ses voisins s’accordent
volontiers à penser qu’un Viêt Nam économiquement
intégré serait plus en mesure de bénéficier de la sécurité
collective et contribuerait mieux à la stabilité de l’espace
commun qu’un Viêt Nam isolé sur la scène internationale.
Ces options diplomatiques restent valides aujourd’hui.
Bilan : Choisir l’intégration au sein de ASEAN
constituait pour le Viêt Nam l’option la plus accessible,
sinon la meilleure. Pour un temps, l’ASEAN est
devenu, par défaut, l’axe structurant de la diplomatie
vietnamienne : en effet, la disparition de l’URSS ne
clarifiait nullement l’environnement international et
complexifiait inutilement les choix diplomatiques du pays.
Ainsi, en dépit de sa position peu confortable sur les
dossiers de la normalisation de ses relations avec la Chine
et les Etats-Unis, le Viêt Nam a su bénéficier des retombées
de l’évolution des rapports de force entre ces deux pays.
Chemin faisant, le Viêt Nam considérait de plus en plus
le rapprochement avec l’ASEAN comme une « tendance
naturelle » à renforcer. « Nos rapports avec […] les
pays de l’ASEAN se sont transformés, la défiance et
l’hostilité cédant la place aux relations normales d’amitié
et de coopération qu’entretiennent ordinairement
tous les pays avec leurs voisins » estimait Vu Khoan,
alors vice ministre des Affaires étrangères (1992).
B. Des embarras dans la définition d’une stratégie
d’intégration au sein de l’ASEAN…
Le 28 juillet 1995, la République socialiste du Viêt Nam
est devenue le septième membre de l’ASEAN. Cette
intégration d’un pays important (près de 70 millions
d’habitants) illustre la volonté de l’Association de s’ancrer
dans la partie continentale de l’Asie du Sud-Est pour former,
enfin, la « famille réunie » ; côté vietnamien, elle traduit
la volonté de privilégier les critères de développement
économique en s’arrimant à une zone « triomphante ».
Se trouvant désormais face à la situation concrète des
règles du jeu internes à l’ASEAN, ainsi que dans l’attente
des résultats générés, le Viêt Nam comme chaque
membre du groupe, poursuit ses objectifs, propose
des solutions. Le Viêt Nam s’adapte à la tendance de
l’ASEAN de « thinking multilaterally but acting bilaterally »4.
Un certain embarras, voire une déception apparaît
quant à la gestion des dossiers concrets touchant aux
intérêts souverains du pays. Car même si le statut de
membre de l’ASEAN rapporte au Viêt Nam des bénéfices
politiques relatifs à sa réinsertion dans la communauté
internationale, comme en témoignent les résultats de
nos entretiens dans le pays, et même si le pays n’attend
peut-être que peu de son intégration régionale au début
des années 1990, la crise économique et financière de
1997 a profondément modifié la situation et la perception
du triomphe des membres fondateurs de l’ASEAN.
4 Comme le remarque Amitav Acharya
2
Sur le plan économique, le premier aperçu dégagé est celui
d’une intégration plutôt décevante dans l’espace dit « de
prospérité et de coopération ». Au-delà de la fragmentation
économique qui est loin de favoriser la convergence des
économies nationales, leurs éléments de ressemblance
ne sauraient qu’accentuer le conflit d’intérêt réel ou latent
entre elles. La part du commerce vietnamien avec l’ASEAN
se stabilise entre 21 et 22 % jusqu’en 1999 et commence
sa descente à partir de 2000 (avec une moyenne de
16 % pour la période 2001-2008) ; en outre, l’ASEAN
ne représente que 22,3 % du montant des capitaux
investis au Viêt Nam pour la période de 1988 à 2005.
Dans le domaine politico-sécuritaire, le constat est
aussi instructif (et décevant) : derrière une perception
certainement réaliste de la coopération régionale, se
faufilent d’ambitieuses réflexions. Un mois après son
adhésion, l’élite politique vietnamienne ne manquait pas
d’exposer sa vision générale vis-à-vis de sa nouvelle
famille régionale et l’impact de son statut sur ses relations
extérieures, notamment celles nouées avec son grand
voisin chinois, toujours marquées par une méfiance
instinctive5. Le colonel Vũ Xuân Vinh, alors directeur
général des Relations extérieures au ministère de la
Défense, résumait l’ambiguïté de la position vietnamienne
au sein de l’ASEAN : « Dans l’ASEAN, nous efforçant de
mettre au profit de la construction nationale les avancées
scientifiques, techniques et économiques [régionales]
et toute occasion de coopération, nous rencontrons
toutefois des difficultés quant à l’inégalité du niveau [de
développement] et la différence du système idéologique ;
il nous est difficile de nous y intégrer complètement. »,
tout en continuant ainsi : « il est nécessaire de construire
avec nos partenaires un mécanisme de coopération visant
l’exploitation et le maintien de la sécurité régionale ainsi
que la protection de l’environnement écologique. Il est utile
d’étudier des mécanismes de visite mutuelle des forces,
des bâtiments de la marine puis graduellement jusqu’aux
mécanismes d’entraînement commun [des troupes],
d’échange d’information, de dialogue bilatéral et multilatéral,
de participation aux forums de sécurité régionaux, y
compris d’échange de ‘livre blanc’ quand l’occasion
se présente […]. Après notre entrée dans l’ASEAN et la
normalisation de nos relations avec les Etats-Unis, il nous
faut, en paroles et en actions, faire comprendre à la Chine
que tout cela ne vise en aucun cas à la contrer. […] Nous
n’avons pas d’illusions [dans notre capacité] de changer sa
ligne politique, mais [espérons] à tout le moins profiter de
l’opinion publique pour rendre son attitude moins brutale,
moins crue et limiter en partie les aspects négatifs »6.
Le facteur chinois tend à être davantage exacerbé, en
raison des liens d’interdépendance de ce monde globalisé,
dans les grands projets d’intérêt national du Viêt Nam, qu’il
s’agisse de sécurité, d’économie, voire de culture. Cette
méfiance est aussi renforcée par les faits et justifie une
5 Voir l’article de Zachary Abuza, « The lessons of Le Kha Phieu :
changing rules in Vietnamese politics », Contemporary Southeast
Asia, vol. 24, n°1, avril 2002, Singapour, p. 121-146.
6 Vũ Xuân Vinh, « Kết hợp đấu tranh ngoại giao với đấu tranh
quân sự trong thời kỳ đổi mới » [La combinaison du combat diplomatique et du combat militaire à l’époque du renouveau], in Actes
de colloque, 50 năm ngoại giao Việt Nam dưới sự lãnh đạo của
Đảng Cộng sản Việt Nam [Cinquante ans de la diplomatie vietnamienne sous la direction du Parti communiste du Viêt Nam], Institut des relations internationales, le 22 août 1995, p. 44-47.
« obsession à faire contrepoids à la puissance chinoise »7. Le
Viêt Nam partage désormais avec certains Etats membres
de l’ASEAN une crainte commune de la politique chinoise
en mer de Chine méridionale, officialisée par la loi maritime
adoptée le 25 février 1992 par le parlement chinois. Mais
de nombreux paradoxes semblent empêcher l’ASEAN
d’être un véritable mur de protection, comme l’espérait
l’élite dirigeante du pays. Effectivement, la politique d’une
Chine « en transition » depuis la mort de Deng Xiaoping8 ne
manque pas d’inquiéter, non seulement parce qu’elle est
accompagnée d’une intense modernisation de ses forces
armées depuis le milieu des années 19809, mais aussi
parce qu’elle est entreprise par une diplomatie ambiguë
– à côté de ses déclarations sur le règlement pacifique
des différends et la coopération avec ses voisins pour la
stabilité et la sécurité régionale, la Chine montre une attitude
intransigeante quant à ses revendications de souveraineté
et met plus d’une fois les différentes parties devant le fait
accompli ; la loi de février 1992 en est un exemple probant.
Une coopération limitée et difficile à établir. Concrètement,
dans le dossier concernant la souveraineté territoriale,
l’ASEAN et son Forum de sécurité (ARF) n’ont pas permis
de régler directement les contentieux frontaliers bilatéraux
entre ses membres, ni les conflits en mer de Chine du
Sud, zone maritime particulièrement importante dans la
politique de défense et de sécurité globale à long terme
du Viêt Nam. Les résultats de son mécanisme de dialogue
restent au niveau des déclarations de bonnes intentions
qui ont peu de valeur juridique, et aucune contrainte légale.
Nuln’ignoreleseffortsdéployéspouraboutiràunedéclaration
commune en juillet 1992 entre les parties de l’ASEAN, dont
chacune a ses propres intérêts et sa vision de la sécurité,
puis à une déclaration de bonne conduite des parties en
mer de Chine méridionale en novembre 2002, cette fois
incluant également la Chine. Avec un statu quo souhaité
par la majorité des parties concernées10, mais difficilement
7 Benoît de Tréglodé, « Le Viêt Nam et les dilemmes d’une
‘ouverture raisonnée’ », in François Godement (ed.), Asie : Chine,
Indonésie, Japon, Malaisie, Pakistan, Viêt-Nam…, Les études de la
Documentation française, Paris 2004, p. 61-82.
8 Voir Jean-Luc Domenach, « La Chine peut-elle encore s’effondrer ? », Pouvoirs, n°81, avril 1997, p. 7-20.
9 Malgré sa restructuration et sa modernisation, l’armée chinoise
reste la plus grande armée du monde avec son effectif de 2,5 millions de personnes. Le budget de la défense a doublé entre 1990 et
2000. Les dépenses officielles en matière de défense sont de plus
de 20 milliards de dollars en 2002 ; elles sont officieusement estimées entre 35 et 65 milliards (Damon Bristow, « China’s PLA
Modernisation and Regional Concerns », Asian Defence Journal,
Malaisie, juillet-août 2002, p. 5-7). En 2007, les chiffres officiels
ont doublé pour atteindre 44,94 millards de dollars, principalement
utilisés pour l’augmentation salariale des militaires et la mise à niveau de l’armement. L’intérêt de la Chine pour la mer est porté par
l’extraordinaire développement économique de ses régions côtières
dans les années 1980, à la suite de la politique de modernisation
préconisée en 1979 par Deng Xiaoping. Aujourd’hui, le rythme de
la croissance économique nationale, tous les besoins qu’il exige et
le florissant commerce extérieur avec l’Amérique et l’Europe, clé
de son développement, font de l’ouverture vers la mer une nécessité
stratégique.
10 A ce sujet, le premier ministre Phan Văn Khải a exprimé clairement le point de vue vietnamien lors de l’ouverture du VIe sommet de l’ASEAN à Ha Noi : « Etant un pays riverain de la mer de
l’Est, nous y souhaitons profondément la stabilité sur la base de la
volonté commune de toutes les parties concernées de procéder aux
négociations aboutissant à une solution fondamentale et durable
pour les contentieux concernant la souveraineté sur les archipels,
conformément à la loi internationale, notamment à la Convention
3
maintenu sur un fond de déclarations peu contraignantes,
les tensions dans cette zone multiplient les incertitudes.
La situation régionale est d’autant plus délicate qu’en
aucun cas, la coopération en matière de sécurité au sein
de l’ASEAN ne doit provoquer d’inquiétudes et attiser la
méfiance de la part de ses voisins, la Chine en particulier,
vis-à-vis d’un éventuel « bloc » contre eux. La coopération
est dans ce sens cernée par des contours flous quant à la
définition des objets de discussion aux forums de sécurité.
Il semble que cette question de « champ d’application »
a partiellement réduit le niveau d’engagement des
parties en 2002 en une simple déclaration, au lieu d’un
code structuré de règles et principes plus stricts11.
Cette coopération se révèle également limitée dans les
actions face à la Chine et à d’autres acteurs mondiaux.
Il semble en tout cas difficile d’envisager une coopération
poussée en matière diplomatique et en matière de
défense en particulier alors que les crises internes se
multiplient (Thaïlande, Malaisie…), que les écarts de
développement économique s’amplifient, et surtout
que les perceptions divergent sur l’utilité de cette
diplomatie régionale. Pour le seul Viêt Nam, les points
de vue sont encore partagés au sommet même de l’Etat
quant à la montée en puissance de la Chine, (menaces
ou opportunité pour le Viêt Nam ?), et au rôle des
puissances extérieures en matière de défense régionale.
Bilan : Opposant les intérêts de la Chine et de plusieurs
Etats en Asie du Sud-Est (Brunei, Malaisie, Philippines,
Viêt Nam, mais aussi Taiwan), la question de la mer de
Chine du Sud constitue un conflit d’intérêt principalement
entre la Chine et le Viêt Nam. Cela justifie en partie les efforts
particuliers de Hanoï en faveur du processus de règlement
pacifique des problèmes dans cette zone maritime. Ainsi,
malgré plusieurs complications récentes12 et une ASEAN
assez silencieuse, le Viêt Nam est satisfait de l’absence
de risques d’affrontements armés majeurs et de cet
état « d’entente cordiale ». Les déclarations de bonne
conduite obtenues avec la Chine au sein de l’Association
des Nations Unies sur le droit maritime de 1982, et à la déclaration
de l’ASEAN sur la mer de l’Est de 1992. En attente d’une telle
solution, [il nous appartient de] maintenir provisoirement le statu
quo, de ne pas compliquer davantage la situation, d’éviter d’utiliser
et de menacer d’utiliser la force, d’établir la coopération sous les
formes appropriées convenue par toutes les parties concernées. ».
Extrait du discours du premier ministre vietnamien à l’ouverture du
VIe sommet de l’ASEAN, Ha Noi 15 décembre 1998.
11 La Chine a rejeté le projet de code de bonne conduite conjointement préparé par le Viêt Nam et les Philippines pour une réunion de
l’ASEAN en novembre 1999, d’une part parce qu’elle considérait
que ce code tendait à cristalliser le statu quo, or la Chine revendiquait sa souveraineté sur l’ensemble des îles Spratly, et d’autre
part, parce qu’elle refusait de voir le code appliqué à d’autres zones
que l’archipel Spratly, or le Viêt Nam souhaitait y impliquer le problème des Paracels. La Chine était contre toute internationalisation
d’une question sur laquelle elle a longtemps refusé de négocier en
face-à-face avec l’ASEAN en tant qu’unité. Entretiens à Ha Noi les
9, 14 et 18 avril 2003.
12 La décision chinoise (non confirmée de source gouvernementale) en décembre 2007 de créer une unité administrative dénommée Sansha en mer de Chine méridionale a été à l’origine de manifestations inédites, à forte participation étudiante, qui se tenaient
devant les représentations diplomatiques chinoises à Ha Noi et Ho
Chi Minh Ville. Des pétitions ont également circulées au sein de
la communauté des Vietnamiens à l’étranger. A cet égard, Pékin
n’a pas manqué de manifester son mécontentement auprès des dirigeants de Ha Noi.
sont à ce titre d’une grande importance pour le pays.
C. … à l’adoption d’une approche souple et flexible
Avec l’ASEAN et ses règles spécifiques, le pragmatisme
politique vietnamien impose désormais une approche souple
et flexible de la question sécuritaire dans la construction d’une
« diplomatie préventive ». Parallèlement, le pays se lance à la
recherche d’alternatives susceptibles d’optimiser les gains
obtenus du processus multilatéral au sein de l’ASEAN, en
multipliant démarches et initiatives d’interaction. D’où la
perception d’une diplomatie agitée qui fait feu de tout bois.
Une diplomatie au croisement des méthodes. Le Viêt Nam
s’emploie à valoriser les avantages d’une interaction entre
son bilatéralisme diversifié et le multilatéralisme souple. Le
bilatéralisme vietnamien ne se limite pas aux frontières de
l’ASEAN ; visant l’équilibre dans les relations extérieures, il
s’active également auprès des grands acteurs mondiaux.
Cette démarche s’effectue non seulement au niveau
national, mais aussi à travers les dialogues « ASEAN + 1 »
que l’Association mène avec ses partenaires extérieurs.
Une amélioration sensible de la fluidité du processus
de règlement des conflits bilatéraux depuis l’intégration
dans l’ASEAN peut être remarquée, en observant les
questions frontalières. Au début des années 2000, le
comité des frontières du gouvernement – créé aussitôt
après la réunification du pays13 – a été transféré sous la
tutelle du ministère des Affaires étrangères. Ce transfert
illustre l’évolution de la perception nationale de la
sécurité. Ce comité reste un acteur clé de la diplomatie
bilatérale aux côtés du département de l’ASEAN.
Les échanges multipliés dans le cadre de l’ASEAN ont donné
au Viêt Nam de nombreuses occasions de dialoguer avec
ses partenaires dans un même esprit d’accommodation –
notamment ceux avec lesquels le pays a des contentieux
à résoudre, comme le Laos, le Cambodge, la Malaisie,
la Thaïlande, les Philippines, l’Indonésie -, et avec la
Chine. Ce bilatéralisme facilite dans une certaine mesure
l’aboutissement des négociations comme l’accord entre le
Viêt Nam, les Philippines et la Chine signé le 14 mars 2005 à
Manille portant sur la prospection conjointe des ressources
pétrolières dans la zone agréée en mer de Chine du Sud.
Les enjeux maritimes sont devenus stratégiques pour
Hanoï14, et pas seulement parce que les quatre cinquièmes
de son commerce extérieur empruntent la voie maritime.
13 Le comité des frontières du conseil des ministres a été fondé
par l’arrêté 188/CP le 6 octobre 1975, quelques mois après la réunification du pays.
14 Avec son rapprochement et son intégration en Asie du Sud-Est,
le Viêt Nam met l’accent sur l’importance des mers et régions côtières. A son VIIIe congrès en 1996, le PCVN résume dans sa résolution : « La zone maritime et côtière constitue l’espace stratégique
pour l’économie, la sécurité et la défense ». La directive 20-CT/TW
du 22 septembre 1997 le confirme en prolongeant : « La zone maritime, archipélagique et côtière constitue l’espace stratégique ayant
un rôle décisif pour le développement de notre pays, étant une potentialité et un atout important pour la cause d’industrialisation et
de modernisation ». En effet, dès 1993, un document important du
Bureau politique a mis l’accent sur l’objectif stratégique dans l’œuvre d’édification et de défense nationale visant à faire du pays un
Etat maritime fort (voir la résolution du Bureau politique 03-NQ/
TW en date du 6 mai 1993 portant sur « les missions de développement de l’économie maritime dans les années à venir »).
4
L’intégration à l’ASEAN garante de l’unité nationale et
de l’assainissement interne. Utilisant toujours davantage
le registre du langage de l’ASEAN, la première étape
pour Hanoï a consisté à défendre l’esprit et le code de
bonne conduite régionale ; c’est dans ce sens qu’il faut
comprendre le soutien actif du Viêt Nam aux différents
dossiers sensibles de l’Association, comme son
engagement dans la rédaction de la Charte de l’ASEAN
(2007). Simultanément, le Viêt Nam cherche à renforcer
la stabilité politique et l’unité nationale, considérées
comme les meilleurs atouts d’une stratégie globale pour
la sécurité du pays. Il semble que la confiance du peuple
est remise à l’honneur dans le processus de défense
nationale et de défense du régime. Ce qui peut briser la
confiance du peuple et nuire à l’unité nationale pourrait
même venir de l’intérieur du Parti, censé être leur « seul
garant ». Le général Lê Kha Phiêu, nommé en décembre
1997 au poste de secrétaire général du Parti et connu
également comme « Monsieur Anti-corruption », mit en
garde contre une crise de confiance du peuple, estimant
que « la démocratie au sein du Parti n’étant pas fortement
mise en valeur, le développement de la démocratie dans
la société est impossible ». Il dénonce l’individualisme,
la corruption, la bureaucratie comme étant les pires
maladies susceptibles de paralyser le Parti communiste.
Cet « assainissement interne » n’est pas dénué d’arrièrepensées. Les problèmes internes risquent de miner les
« forces internes », mais aussi les « forces externes ».
Face aux diverses affaires impliquant des membres haut
placés du Parti et de l’Etat, les réactions des investisseurs
étrangers et des pourvoyeurs de fonds ont été vives et
appellent des réponses concrètes. La détermination du
Parti et le culte de l’amour-propre sont plus que jamais
sollicités pour effacer cette « humiliation nationale »15. Ce
qui explique que le Xe congrès en avril 2006 ait abouti à
un remaniement dans l’organisation et le fonctionnement
du Parti.
Un Viêt Nam intégré pour assurer la sécurité du pays.
Géographiquement et humainement, le Viêt Nam est
un Etat sans homogénéité que son étirement nord-sud
rend très vulnérable. Nul n’ignore que la sécurité globale
du pays ne s’envisage qu’en considération de celle de
ses voisins sud-est asiatiques, et surtout de celle de ses
voisins immédiats que sont le Laos et le Cambodge. Sa
fragilité et ses problèmes de sécurité sont aussi issus de
sa réunification récente, de son isolement et de l’enjeu
qu’il a représenté durant la guerre froide tant entre les
blocs qu’entre les deux puissances communistes. C’est
désormais au sein de l’ASEAN que le Viêt Nam doit
anticiper et prendre les initiatives lui permettant d’assurer
au mieux sa sécurité nationale dans sa dimension globale.
Le Viêt Nam comme moteur et pacificateur de la région.
Dans la partie continentale de l’ASEAN et au sein de la sousrégion du Mékong, le Viêt Nam est sans conteste l’un des
pivots géographiques, économiques et démographiques.
La stabilité politique dont il bénéficie jusqu’à présent pourrait
également constituer un atout indéniable dans une région
animée, par des instabilités socio-politiques majeures.
C’est dans le cadre de projets aséaniens et de nouveaux
15 A ce sujet, voir l’article de la vice-présidente de la commission
des Relations extérieures de l’Assemblée nationale, Tôn Nữ Thị
Ninh, « Mối quan hệ giữa tham nhũng với dân chủ và dân tộc » [Le
lien entre la corruption, la démocratie et le peuple], Tạp chí Cộng
sản [Revue Communiste], n°109, 2006.
espaces de solidarité sous-régionaux en suivant l’exemple
de la Thaïlande16 que le Viêt Nam pourrait réactiver
ses affinités avec le Cambodge, le Laos mais aussi le
Myanmar, ceux qui forment le groupe des nouveaux
entrants sur la scène régionale. Dans cette perspective,
le Viêt Nam retrouve son rôle de grand frère, d’initiateur.
Viêt Nam, Cambodge, Laos, Myanmar, Thaïlande : de
nouveaux espaces de solidarité et de croissance. Au
début des années 1990, avec la marche des trois pays
vers l’intégration régionale, la solidarité entre le Cambodge,
le Laos et le Viêt Nam s’est inscrite dans un nouveau
cadre. Encore grandement entretenue par les liens étroits
entre les personnalités au sommet de l’appareil politique17
cette solidarité s’est vue renforcée à travers des projets de
coopération ASEAN.
Le projet du Viêt Nam, pays hôte du VIe sommet de l’ASEAN
(décembre 1998), de développer les régions pauvres
situées au long du couloir Est-Ouest de la sous-région du
Mékong, traversant non seulement le Viêt Nam mais aussi
le Cambodge, le Laos, le Myanmar et la Thaïlande, a été
introduite dans le programme d’action de l’Association
à l’issue de cette rencontre. Cette initiative, soutenant
logiquement la politique sociale vietnamienne de réduction
de la pauvreté et de développement du transport, du
tourisme et du commerce dans les provinces du centre du
Viêt Nam, est d’autant plus logique que les contestations
et troubles ruraux sur le sol vietnamien pourraient aussi
affecter d’autres régions frontalières du Cambodge et du
Laos. Une solidarité trilatérale renforcée par des projets
dans le cadre de l’ASEAN pour le développement est
donc désirée et souhaitable.
Le Viêt Nam voit dans la formation de nouveaux espaces de
solidarité sous-régionaux des avantages certains, même s’il
semble que le pays les saisit avec beaucoup de prudence.
Au Viêt Nam, la distribution des IDE rigidement bipolarisée,
au Nord et grandement au Sud, marginalisant le Centre,
est d’ailleurs révélatrice du déséquilibre du développement
économique qui constitue l’enjeu fondamental de la politique
d’aménagement du territoire du pays. Devant garder un œil
vigilant sur une graduelle « sudisation »18 économique du
Nord, Hanoi tient à saisir, non sans certaines contraintes
et contradictions19, les possibilités de développement
que pourraient lui offrir ces espaces de coopération sousrégionaux au sein de l’ASEAN.
Bilan : Ainsi, parallèlement à la promotion des relations
bilatérales avec le Laos et le Cambodge, qui sont
actuellement les deux premières destinations des IDE
vietnamiens en ASEAN, au travers d’actions dans les
domaines de l’éducation, de l’agriculture, de l’industrie,
de l’énergie, des télécommunications et des transports, le
Viêt Nam vise à approfondir ses liens avec ces deux pays
grâce à différents réseaux auxquels ils font partie comme
16 La Thaïlande est en 2005 le premier investisseur étranger au
Laos (30 % du total des IDE), le quatrième au Myanmar (6 %), le
huitième au Cambodge (5 %) et le neuvième au Viêt Nam (2,7 %).
17 Qu’il s’agisse de Kaysone Phomvihane, de Khamtay Siphandone, de Choummaly Sayasone ou de Somsavat Lengsavat au Laos,
de Hun Sen au Cambodge, et de Lê Đức Anh, Đỗ Mười, Võ Văn
Kiệt, Phạm Thế Duyệt, Nông Đức Mạnh au Viêt Nam.
18 Andrew J. Pierre.
19 Voir l’article de Andrew J. Pierre, « Vietnam’s Contradictions »,
Foreign Affairs, vol. 79, n°6, novembre-décembre 2000, p. 69-86..
5
l’ACMECS20, la MRC21 ou la GMS22. Placé sous le signe
du pragmatisme économique, un triangle de croissance
est apparu en novembre 2004, en marge du sommet de
l’ASEAN à Vientiane.
II. Une diplomatie régionale équidistante : entre
maintien des relations et création de nouvelles
alliances.
L’ASEAN ne semble pas être la réponse immédiate et
complète à tout besoin, même si, sans elle, le Viêt Nam
n’obtiendrait certainement pas les crédits politiques dont
il avait besoin. Chacun des gestes du Viêt Nam dans le
réseau mondial a vocation, selon les dirigeants vietnamiens,
à renforcer son indépendance et son autonomie.
Dans quelle mesure une ASEAN solidaire et cohérente
pourrait-elle devenir un outil complémentaire pour chacun
de ses membres pour envisager son développement
au meilleur prix et dans de meilleures conditions ?
Dans sa réinsertion internationale, le parcours de la nation
vietnamienne n’est pas exempt de difficultés, malgré sa
position stratégique en Asie Pacifique. Parmi les pays du
Sud-Est asiatique riverains de cette artère maritime, le
Viêt Nam reste le pays dont la géographie permet d’exercer
un large contrôle sur la mer de Chine du Sud. Le pays a,
de surcroît, une frontière commune avec la Chine et, par
son histoire, des expériences comportementales inégalées
avec l’empire du Milieu. Même si la place du Viêt Nam dans
la politique chinoise vers le sud se voit relativisée, dans le
contexte actuel, par le renforcement des relations de la
Chine avec d’autres pays de l’Asie du Sud-Est comme le
Myanmar, et l’Indonésie, le pays pourrait avoir des cartes
à jouer sur la scène régionale où ni les Etats-Unis, ni le
Japon, ni l’Inde ne veulent voir s’imposer une Chine trop
puissante.
A. La complexité des relations croisées des puissances
mondiales en Asie du Sud-Est
La diversification des relations avec l’extérieur s’inscrit
dans un contexte de conflits d’influence non seulement
entre les puissances régionales, mais aussi mondiales.
L’ouverture est donc dictée par un double souci de
maintenir une relation équidistante avec ses partenaires et
de nouer de nouvelles alliances, permettant d’augmenter
sa marge de manœuvre sur la scène internationale.
Concurrence pour le leadership régional. Dans
l’environnement direct de l’ASEAN, la Chine ne manque
pas d’inquiéter les acteurs régionaux non seulement
par l’évolution de sa situation nationale mais aussi par la
complexité et l’instabilité des relations qu’elle entretient
avec les puissances extérieures. La Chine, un marché
émergent, est aussi la plus grande usine du monde. Elle
a attiré en 2005 (hors Hong Kong) plus de 60 milliards de
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Ayeyawady-Chao Phraya-Mekong Economic Cooperation
Strategy. L’organisation de la stratégie de coopération économique
Ayeyawady-Chao Phraya-Mékong regroupe le Cambodge, le Laos,
le Myanmar, la Thaïlande et le Viêt Nam.
21 Mekong River Commission. La commission du Mékong est
fondée le 5 avril 1995 entre le Laos, le Cambodge, la Thaïlande et
le Viêt Nam, sur la base des expériences de coopération régionale
depuis 1957 au sein du Comité du Mékong des Nations Unies.
22 Greater Mekong Subregion. La sous-région du Mékong élargie
comprend le Cambodge, la Chine (province de Yunnan), le Laos, le
Myanmar, la Thaïlande et le Viêt Nam.
dollars d’IDE, contre moins de 25 milliards pour l’ASEAN23.
Le « défi économique » chinois est à ce titre réel pour
l’Association en perte de ses avantages comparatifs et pour
les principaux acteurs régionaux comme le Japon avec
lequel la Chine entretient une relation fluctuante de rivalité
pour le leadership régional24. Les paramètres de ce duel sont
également conditionnés par les relations qu’entretiennent
la Chine et le Japon avec les puissances extérieures. Ainsi,
le renforcement du traité de sécurité nippo-américain
en avril 1996, lors de la visite de Bill Clinton à Tokyo, n’a
fait que renforcer la vision chinoise d’un containment
dressé contre elle et a été suivi par la signature sinorusse d’un « partenariat stratégique pour le XXIe siècle »25.
Le Japon a toute raison de rester prudent. D’autant que
la Corée est loin de devenir un acteur de poids. L’Inde,
grande démocratie et « géant du high tech », s’apprête à
déployer et renforcer tous les dispositifs qu’elle possède
pour tenter de devenir la porte d’entrée d’une Asie
montante et faire entendre sa voix dans la gouvernance
mondiale26. Les liens spéciaux qu’elle noue avec les EtatsUnis dans les opérations de maintien de la paix27 et la lutte
anti-terroriste l’ont rapprochée de l’Asie de l’Est et du SudEst28, sans pour autant stabiliser ses relations avec la Chine.
Les Etats-Unis s’intéressent à la configuration des forces
dans les relations régionales. La montée en puissance de
la Chine fait l’objet d’interprétations divergentes. Les uns
considèrent sa puissance potentielle comme un des défis
les plus importants de la politique sécuritaire américaine.
Les autres estiment que l’influence géopolitique de la
Chine n’est pas nécessairement incompatible avec
les intérêts stratégiques de Washington, que les
Etats-Unis et la Chine ont besoin l’une de l’autre dans
leur stratégie pour le développement et la sécurité.
Ainsi, les relations américaines avec les puissances
régionales sont plutôt fluctuantes et ne s’inscrivent
pas dans une logique stratégique nettement définie.
Consolidation par les pays Océaniques et par la Russie
de leur présence dans la région. Alors que les Etats-Unis
sont appelés à définir leur nouveau rôle en Asie, les grands
acteurs venant d’Océanie – l’Australie et la NouvelleZélande – continuent à consolider leur place dans les
relations régionales, non seulement au travers d’échanges
commerciaux et d’investissements avec la région, mais
aussi par la gestion et le règlement des conflits régionaux.
Dans le contexte du déplacement des conflits d’influence
vers l’Asie Pacifique, la Russie accorde, elle aussi, une
importance particulière à la place qu’elle peut dans la
région. Sa stratégie asiatique semble prendre la forme,
depuis les visites de son président dans la région29, d’un
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38 milliards d’après le Joint Media Statement of the Ninth
ASEAN Investment Area (AIA) Council Meeting.
24 Jean-Marie Bouissou, « Le Japon et la Chine : amour, haine et
géostratégie », Politique étrangère, n°2, 1996, p. 315-326.
25 Idem.
26 Christophe Jaffrelot, « Inde : la puissance, pour quoi faire ? »,
Politique internationale, n°113, automne 2006, p. 233-248.
27 au travers d’un accord de partenariat global signé le 18 juillet
2005.
��������������������������������������������������������������
Arabinda Acharya, « India and Southeast Asia in the age of
terror : building partnerships for peace », Contemporary Southeast
Asia, 28/2, août 2006, p. 297-321.
29 En septembre 2000 au Japon ; au début de 2001 au Viêt Nam
et en Inde pour conclure un partenariat stratégique ; en décembre
2002 en Chine puis en Inde ; en août 2003 en Malaisie ; en novembre 2006 au Viêt Nam en marge du sommet de l’APEC.
6
co-développement à nouer avec les acteurs régionaux. La
Chine comme le Japon ne voient pas d’inconvénient à la
participation russe aux processus régionaux mais semblent
pourtant privilégier le bilatéralisme dans leurs relations
avec la Russie : Moscou peut ainsi se trouver impliqué
dans le règlement des conflits de puissance régionaux.
L’activisme de l’ASEAN dans ses coopérations bilatérales
tente de préserver la fragile balance des forces. Garder
l’équilibre semble être non seulement le maître-mot
de l’ASEAN mais aussi la condition de la réussite de la
réinsertion vietnamienne. Cette politique se concrétise au
travers d’un mécanisme de dialogue bilatéral établi avec les
acteurs extérieurs et par la diversification des interactions de
l’Association au sein des nouveaux espaces interrégionaux.
Les dialogues séparés avec chacun de ses partenaires
extérieurs permettent à l’ASEAN de mieux identifier
les dossiers de coopération prioritaires, de ne pas être
trop exposée aux différends et surtout d’optimiser les
avantages qu’elle est en mesure de tirer d’une relation
avec chacun d’eux. Sur le plan politique et sécuritaire,
plusieurs de ses partenaires de dialogue ont adopté les
principes du Traité de Bali dans leurs relations avec l’Asie
du Sud-Est ; la participation de la Chine et de l’Inde
en octobre 2003, du Japon en juillet puis de la Corée
et de la Russie en novembre 2004, de l’Australie en
décembre 2005, mais aussi de la France, premier pays
de l’UE à le faire, en janvier 2007, est une étape régionale
importante en faveur de la paix et de la sécurité. Sur le plan
économique, pour « séparés » qu’ils soient, les dialogues
interagissent également au niveau de leur avancement.
Les Etats-Unis ne se laissent pas dépasser par cet
activisme. Après avoir nommé un ambassadeur auprès
de l’ASEAN pour renforcer les liens bilatéraux, les
Etats-Unis ont signé le 25 août 2006 à Kuala Lumpur
avec l’ASEAN l’accord cadre pour le commerce et
l’investissement. Cette coopération devrait également
permettre à terme d’accélérer le processus APEC auquel
une bonne partie de pays de l’Asie du Sud-Est participent.
Bilan : Au sein des projets de coopération interrégionaux
(ASEAN+3, ASEM, Sommet de l’Asie de l’Est), l’ASEAN
espère agrandir son marché, utiliser le cadre extérieur
pour impulser la compétitivité interne et renforcer la
cohésion de l’ensemble des activités régionales. « Nous
devons avoir une maison plus grande pour nous
assurer que l’ASEAN restera au cœur des choses »,
justifie le porte-parole de la diplomatie indonésienne,
Marty Natalegawa, quant à l’ouverture de l’Association.
B. La stratégie vietnamienne : la combinaison
bilatéraliste-multilatéraliste
Face à tous ces mouvements d’extension des
interdépendances de l’ASEAN, Hanoi cherche à optimiser
les avantages d’une approche multiple (bi- et multi-latérale).
Avec, pour objectif, de renforcer son positionnement dans
la région et dans l’espace mondial.
Relations bilatérales : les avantages comparatifs du Viêt
Nam
Partant des relations qu’a nouées et qu’entretient le
Viêt Nam avec certains acteurs de la scène internationale,
nombre d’observateurs considèrent qu’on pourrait les
analyser comme des « avantages comparatifs » du
Viêt Nam, par rapport à d’autres membres de l’ASEAN,
permettant au pays de faire entendre sa voix et de
consolider sa position dans les affaires régionales. Dans
cette perspective, l’accent est mis sur les relations entre le
Viêt Nam et la Chine, d’une part, et celles entre le Viêt Nam
et l’Europe de l’Est, notamment la Russie, d’autre part.
Le Viêt Nam est le seul pays de l’Association, de par
son histoire ancienne et contemporaine, à avoir des liens
particuliers avec ces deux grands acteurs de la scène
internationale. L’« ancienneté » dans ces relations pourrait
augmenter la capacité vietnamienne d’anticipation des
comportements d’acteurs, et pourrait profiter à l’ASEAN,
augmentant ainsi le degré d’influence du Viêt Nam sur
l’Association.
Chine : une exclusivité vietnamienne ? Les échanges
multiples entre les membres de l’Association et la
Chine, relativisant « l’exclusivité vietnamienne »30, ne
donneraient certainement pas du jour au lendemain
à ces Etats sud-est asiatiques une connaissance
approfondie de l’Empire du Milieu. En outre, cette
relation particulière, amicale ou conflictuelle, avec son
voisin chinois est entretenue dans les négociations sur
les contentieux qui restent encore à régler. A ce titre,
« l’achèvement du bornage des frontières en février
2009 est un événement historique important dans
les relations entre le Vietnam et la Chine», a affirmé
le vice-ministre des Affaires étrangères Vu Dung. En
outre, la continuité et l’intensité des échanges entre
les Partis communistes vietnamien et chinois jouent,
dans une certaine mesure, un rôle structurant et
stabilisant dans les relations entre les deux Etats : les
visites de hauts dignitaires ne faiblissent d’ailleurs pas.
Europe de l’est et Russie. Même constat, moins émotionnel,
avec l’Europe de l’Est que l’ASEAN commence à mieux
connaître grâce au processus ASEM. Ici aussi, le Viêt Nam,
ancien membre du bloc socialiste, a déjà acquis un certain
savoir-faire. La Russie qui, elle seule, ne saurait prendre le
relais de l’URSS dans tous les domaines de coopération
avec le Viêt Nam, définit pourtant un cadre relationnel
global, en concluant avec cet Etat du Sud-Est asiatique
un partenariat stratégique en 2001. Les avantages de ces
relations bilatérales pourraient mettre en valeur la position
vietnamienne dans l’ouverture de l’ASEAN vers l’extérieur.
Diversification et multilatéralisation de la diplomatie
vietnamienne
Parallèlement, le Viêt Nam essaye de trouver dans la
diversification et la multilatéralisation de ses relations
extérieures un moyen de rééquilibrer ses rapports avec
l’ASEAN, dont chaque membre a ses propres préférences
d’ordre de politique étrangère, et d’augmenter sa marge
lorsqu’un conflit d’intérêt risque de s’ouvrir entre l’Association
et l’extérieur. L’ambition de Hanoi est d’apparaître
comme un élément médiateur et régulateur reconnu.
Les relations avec les Etats-Unis tiennent un rôle important
dans la politique étrangère vietnamienne : l’objectif est
l’apaisement « constructif » après le traumatisme de la
guerre. La poursuite de la « normalisation » des relations
avec cette puissance s’est concrétisée au tournant
des années 2000, non seulement par l’affichage de la
volonté du régime vietnamien de promouvoir l’Etat de
30 Entretiens à Singapour en septembre 2003.
7
droit et d’apaiser les tensions bilatérales sur les questions
sensibles comme les droits de l’homme et la démocratie,
mais aussi par l’intensification des rencontres de haut rang.
En 2009, les Etats-Unis sont un partenaire commercial de
premier plan pour le Viêt Nam : 20 % de leur production
y sont exportés et jusqu’à 60 % de la production textile
(2008). Les relations militaires bilatérales ont réellement
décollé en novembre 2003 avec la visite du ministre de la
défense Phom Văn Trà. Quelques mois plus tard, en 2005,
le premier ministre Phan Văn Khoi était en visite aux EtatsUnis. Fin 2006, en marge du sommet de l’APEC à Hanoi,
George W. Bush, accompagné d’un millier d’hommes
d’affaires et politiques, était en visite d’Etat au Viêt Nam,
inaugurant une vague d’investissements américains
massifs. Le projet d’investissement de Intel d’un montant
d’un milliard de dollars allait accompagner le Viêt Nam
dans ses premiers jours au sein de l’OMC, dont le pays
obtenait officiellement le statut de membre en janvier 2007.
Dans ses relations avec le Japon, principal allié des EtatsUnis dans la région, le Viêt Nam obtient des résultats
également intéressants. En octobre 2006, le jeune Premier
ministre Nguyen Tan Dũng était en visite au Japon,
devenant ainsi le premier hôte étranger de son homologue
Shinzo Abe. Il a également rencontré l’empereur japonais
et est intervenu devant les deux chambres du parlement
japonais, un honneur réservé seulement une fois par an à
un chef d’Etat étranger. C’est une chose rare, car en ce qui
concerne les pays asiatiques du Sud-Est, seule la présidente
des Philippines Gloria Arroyo a jusqu’alors eu cet honneur.
Le resserrement des liens avec l’Inde s’opère intensément
au début des années 2000. La coopération se renforce
notamment dans le domaine scientifique et technologique.
Bilan : La perception différente des membres de l’ASEAN
des enjeux internationaux aboutit à une configuration.
Cette complexité pourrait affecter la conduite de la politique
étrangère du Viêt Nam à plusieurs égards. Les relations que
nouent les pays du sud-est asiatiques avec les Etats-Unis
dans le combat anti-terroriste et une préférence affichée
par des membres à la présence américaine sur le théâtre
asiatique pour faire contrepoids à la Chine, compliquent
la tâche du Viêt Nam dans ses relations avec la Chine.
L’équilibre délicat dans les relations avec les Etats-Unis
d’une part et avec la Chine d’autre part, risque à tout
moment d’être brisé. Quant à la Chine, elle ne manquerait
pas de moyens pour rappeler son voisin vietnamien « à
l’ordre » : la coupure de l’aide financière chinoise annoncée
à la suite de l’accueil de Taiwan au sommet de l’APEC,
organisé à Ha Noi en fin 2006, en est un exemple probant.
C. Le bilan mitigé d’une politique menée dans un
contexte d’incertitude
Des partenaires internationaux à rassurer face aux
problèmes internes. Après sept années de « décollage »
spectaculaire de l’économie vietnamienne, l’année 2008 a
été plus difficile : on a observé un brusque assombrissement
de la situation économique du pays dû au mouvement
haussier des prix du pétrole conjugué à l’incontrôlable crise
alimentaire mondiale, entrainant une inflation à deux chiffres.
Le montant record des IDE enregistrés en 2008 (plus de
60 milliards de dollars pour l’Asean, dont 8 milliards pour le
Vietnam 31) n’a donc rien résolu en soi. Le gouvernement
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selon les Statistiques ASEAN « Foreign direct investments net
inflow, intra- and extra-ASEAN » http://www.aseansec.org/Stat/
nouvellement restructuré (depuis l’été 2007) n’a guère vu
sa tâche facilitée puisqu’il est non seulement en proie à
une série de défis socio-économiques tels la lutte contre
l’inflation mais doit aussi faire face à des catastrophes
et épidémies en tout genre ainsi que des problèmes
environnementaux. Le Premier ministre Nguyen Tan Dũng
a délivré devant l’Assemblée nationale, au mois de mai
2008, un discours de politique économique ; il en faudrait
néanmoins plus pour ramener la confiance. En effet, terre
d’accueil d’investissements internationaux connue pour sa
stabilité politique, le pays n’en cesse pas pour autant d’être
mis en garde, tant par les faiblesses de son administration
que par les dysfonctionnements de son mode de gestion.
La confiance est également à gagner du côté de la société
vietnamienne. A partir des premiers mois de l’année, des
grèves importantes, qui ont parfois revêtu un caractère
violent assez inhabituel, se sont multipliées dans les
zones industrielles, impliquant jusqu’à plusieurs dizaines
de milliers de travailleurs qui, en raison de l’inflation,
réclamaient des augmentations salariales. Parallèlement,
les revendications de nature foncière, même si elles ont été
moins commentées dans la presse, n’en sont pas moins
importantes en ampleur. A ce titre, les manifestations
de catholiques initiées en décembre 2007 ont attiré
le plus l’attention de la communauté internationale.
La société vietnamienne est donc à la recherche de points
de repère et de stabilité. Les Hanoïens n’oublieront sans
doute pas de sitôt le mois d’août 2008, marqué non
seulement par un remaniement majeur du personnel au
commandement de la zone militaire de la capitale32 mais
aussi par l’élargissement officiel de Hanoi. La capitale du
pays, dont la superficie se voit ainsi quasiment quadruplée
avec l’inclusion de Ha Tay (Vinh Phuc) et de quatre autres
communes, fait désormais partie des 20 plus grandes
capitales du monde ; cet élargissement n’est pas sans
poser aux autorités de véritables questions de gestion.
Une situation interne qui rend les relations diplomatiques
plus délicates. C’est dans ce cadre de configurations
nationales délicates que les dirigeants vietnamiens
doivent veiller à ce que leurs positions dans les différents
dossiers internationaux et leurs relations avec l’extérieur,
notamment avec les grands partenaires ne compliquent
pas davantage les perspectives de développement et
de sécurité nationales. Dans cet esprit, on observera
que les visites officielles se sont multipliées en 2008 vers
les grandes capitales d’Asie, d’Europe et d’Amérique.
Une stratégie diplomatique de maintien des relations à
égale distance avec les grandes puissances est donc
suivie avec beaucoup de soin. Elle présente l’avantage
de ménager les susceptibilités des partenaires : le facteur
idéologie est minoré au profit des considérations réalistes
du développement. Ainsi, entre tensions d’ordre politique
et potentialités économique, les relations extérieures sont
délicates à conduire pour les élites vietnamiennes. Qu’il
s’agisse des nouvelles affinités tissées avec Washington à
l’occasion de la visite du Premier ministre vietnamien aux
Table25.pdf
32 Le 28 juillet 2008, le premier ministre Nguyễn Tấn Dũng a signé six décisions portant sur le remaniement du personnel au commandement de la zone militaire de la capitale. Evénement sans précédent, ce changement concerne simultanément les cinq généraux
aux plus hauts postes de cet important commandement de l’Armée
populaire vietnamienne.
8
Etats-Unis, impulsant également un renforcement de la
coopération en matière de défense et de sécurité, que du
rapprochement ostensible avec la nouvelle Administration
de Barack Obama33 ou des liens entre Hanoi et son voisin
chinois, toute opportunité est exploitée. En l’absence
d’une stratégie globale à long terme, toute action menée
ne reste qu’un simple produit du consensus trouvé entre
différentes tendances à un moment précis. On peut
remarquer l’existence d’orientations contradictoires en
matière de politique étrangère du pays. La prudence
des autorités de Hanoi est manifeste. Elle peut s’illustrer
par les positions prises par la diplomatie vietnamienne
dans différents dossiers internationaux. Ainsi, la noningérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain
constituait l’aiguillon essentiel des autorités vietnamiennes
durant leur présidence tournante au Conseil de
sécurité des Nations Unies au mois de juillet 2008.
Resserrement des relations avec la Chine : quelle
indépendance ?
Face à l’omniprésent facteur chinois dans les
différentes configurations relationnelles avec l’extérieur,
les autres contacts noués par le Viêt Nam peuvent
apparaître comme des « coups d’épée dans l’eau »34.
Coopération militaire. Qu’il s’agisse de l’acquisition
d’armement35, de la modernisation de la marine, de
l’accueil en visite des bâtiments de la marine étrangère,
des déclarations de coopération en matière de défense
et de sécurité, ou encore des partenariats, l’impact de
toutes ces manifestations semble nettement amoindri
face à l’important resserrement des liens entre les deux
armées chinoise et vietnamienne (échange de visites
de bâtiments de la marine novembre 2008-juin 2009
conjugué avec des patrouilles communes en mer).
Un renforcement des relations bilatérales avec la Chine
au détriment des liens avec les autres partenaires. La
coopération sino-vietnamienne, réaffirmée à plusieurs
reprises, notamment lors de la visite en octobre 2008
du Premier ministre vietnamien à Pékin, est d’autant plus
évidente que le Viêt Nam rencontre de multiples difficultés
dans ses relations avec d’autres partenaires de taille, que ce
soit le Japon, les Etats-Unis ou l’Union européenne pour les
dossiers économique et/ou relatifs aux droits de l’homme.
L’étroite marge de manœuvre vietnamienne et le rôle de
l’histoire. Sur un fond de tensions quasi-permanentes
en mer de Chine du Sud, le dossier chinois n’est pas
pour autant aisé à gérer. Le houleux débat qui dure
publiquement depuis quelques mois à l’Assemblée
nationale vietnamienne sur les projets de prospection,
33 Les échanges de visites à plusieurs niveaux sont denses en
2009. Lors de son séjour à Ha Noi en avril peu après l’accrochage
au large de Hainan entre les bateaux chinois et l’américain USNS
Impeccable, le sénateur John McCain n’a pas hésité à rappeler
l’importance des relations de défense et de sécurité entre les deux
pays et aussi dans le cadre du partenariat stratégique qu’ont tissé
les Etats-Unis avec d’autres Etats d’Asie du Sud-Est. Au moment
où le procès en faveur des victimes d’agent orange vietnamiens bat
son plein, la toute fraîche décision début juin du président Barack
Obama de doubler le montant de l’aide américaine (six millions de
dollars) destinée à réparer les dégâts de l’agent orange au Viêt Nam
constitue un geste bien significatif.
34 Comme l’a confié au début de cette année un ancien conseiller
de Nguyễn Văn Linh, défunt secrétaire général du Parti.
35 Radars Kolchuga d’Ukraine, avions Su-30 de Russie, équipements d’EADS franco-espagnols, etc
d’extraction et de transformation de bauxite sur deux
sites dans les Hauts Plateaux témoigne de l’extrême
étroitesse de la marge de manœuvre que possède le
gouvernement de ce pays, plus que jamais tiraillé entre
intérêts économico-sécuritaires et protocoles politiques
dans ses relations avec la Chine. Composées d’une maind’œuvre vietnamienne mais aussi chinoise, ces deux
chantiers attirent, chose inédite, l’attention même des
généraux de l’Armée populaire. Pour l’incontournable Võ
Nguyên Giáp, ces projets auront « un grand impact sur
l’environnement écologique, économique, culturel, social,
sécuritaire et de défense, ainsi que sur le développement
stable et durable du pays »36, tandis que Đông Sĩ Nguyên,
le célèbre commandant de la piste Ho Chi Minh, ne
voulait voir en aucun cas « ce point essentiel de la
défense nationale » ouvert aux éléments étrangers.
L’histoire joue, somme toute, un rôle bien plus important
qu’on ne le croit dans tous ces processus vietnamiens
d’ouverture sur l’extérieur. C’est donc avec prudence
qu’il est nécessaire d’observer les nouveaux signaux.
En guise de conclusion
L’analyse de la politique étrangère contemporaine du
Viêt Nam permet de rendre compte d’une particularité :
elle est principalement conçue désormais autour d’un
mécanisme de captation de capitaux. La politique étrangère
se réduisant, dans une certaine mesure, à une politique
de coopération, reste révélatrice de la place considérable
occupée par des influences et configurations externes.
Tout en poursuivant ses engagements régionaux et
internationaux, que ce soit dans le cadre de l’ASEAN,
évolutive37, plus institutionnalisée38, et dont le Viêt Nam
assurera la présidence tournante en 2010, ou dans la
perspective post-OMC, le gouvernement vietnamien
devrait encore renforcer l’environnement propice
aux investissements en mettant l’accent tant sur les
infrastructures, la formation, la qualification, que sur les
réformes institutionnelles, la transparence et la lutte contre
la corruption. Les défis posés par le développement
durable, la pauvreté, les inégalités grandissantes entre
les riches et les pauvres, l’écart de développement
entre les régions du pays et le changement climatique
constituent des enjeux socio-économiques non moins
pressants pour le pays qui devrait entrer, d’ici 2011, dans
la catégorie des pays à revenu intermédiaire, et quitter
celle des pays à faible revenu (classification Banque
mondiale). Les logiques socio-économique et polmitique
sont étroitement liées, car les réformes nécessitent
d’être menées de façon synchronisée et cohérente.
Régulièrement présenté comme l’étoile montante de
l’Asie ou comme un tigre prêt à se parer des atours d’un
dragon, le Viêt Nam s’est engagé dans une dynamique
d’opportunité. Sa politique étrangère, bien qu’ayant
une marge de manœuvre nécessairement réduite,
témoigne d’une volonté véritable de « renouveau».
36 Troisième lettre adressée le 20 mai 2009 au Bureau politique.
37 Au regard de la décision lors de la conférence ministérielle
de l’Association à Phuket en juillet 2009 de créer une commission
régionale (davantage pour la promotion que pour la protection) des
droits de l’Homme.
38 Depuis l’adoption de la Charte en novembre 2007.
9

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