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LE MONDE ÉTRANGE HUGUES FACORAT EDITION Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur. Toute reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par le code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d’auteur. © 2016, Hugues Facorat Edition 24 avenue Charles Rouxel 77340 Pontault-Combault ISBN : 979-10-93198-42-2 MICHELINE PARRINELLO HAINQUE LE MONDE ÉTRANGE LIVRE 1 LE RETOUR DE CARRIE JACOTTE Hugues Facorat Édition A partir de 10-11ans Mystère, Humour et Amitié A ma famille d’hier et d’aujourd’hui. Remerciements à Hugues Facorat qui a permis à Carrie Jacotte d'exister. « Plus de 20% de la population française possède une langue réduite dans ses ambitions : 600 à 800 mots, quand il nous en faut en moyenne 5 000 à 6 000. Une langue pauvre en vocabulaire est une cause d’échec et d’exclusion ». Maurice COLLIN, pédiatre et humanitaire. En adultes responsables, donnons à nos enfants le goût de la lecture. 9 TABLE DES MATIERES : 1 : VENT DE FOLIE AU COLLEGE 2 : UNE DROLE DE FILLE 3 : PAUVRE MADAME GRISOU ! 4 : SORTIE DE CLASSE 5 : UNE SACREE FAMILLE 6 : FRERE ET SOEUR 7 : LA REPETITION 8 : LES COPAINS 9 : LES COURS DU SAMEDI 10 : UN DIMANCHE PROMETTEUR 11 : TIMOTHEE THOT 12 : AGITATION ET CONFUSION 13 : LE RETOUR DE CARRIE JACOTTE 14 : CARRIE ET LAURA 15 : DE SURPRISE EN SURPRISE 16 : JEU DE PISTE 17 : DU MYSTERE DANS L’AIR… 10 1 VENT DE FOLIE AU COLLEGE Soudain, le son strident de la cloche du collège retentit dans la cour de récréation. Oui, tu as raison, Lecteur, ça fait un bruit d’enfer ! Tous les volumes, ici, sont bien plus forts que chez nous. Au fait, « bonjour » ! Je suis bien contente de te rencontrer dans ce livre ! Il y fait très beau, en ce moment, tu sens cette douce chaleur ? Le soleil est radieux, en ce début du mois de septembre. L’atmosphère ambiante est… particulière… différente… on se croirait presque sur une autre planète ! Tu as remarqué l’intensité des couleurs ? Et les parfums, si enveloppants, si envoûtants, une pure merveille ! Là-bas, Lauraline s’est laissé surprendre par la cloche. On le serait à moins ! Dans un geste d’étonnement et de stupeur, elle a enfoui son visage dans ses mains. A présent, elle attend, tremblante. On entend son cœur battre fort dans sa poitrine. Elle est assise près d’un massif de roses, à peine à l’écart des vaet-vient incessants des autres élèves. Quelle cohue ! Tout le monde court, s’affole, se bouscule… un spectacle saisissant pour les yeux, un véritable étourdissement 11 pour la tête. Attention ! Tu vas tomber ! Oh là là ! Il s’en est fallu de peu ! Ça va ? Tu finiras par t’habituer à ce remue-ménage bouillonnant, mais pour l'heure, pas d’imprudence. Choisis un bon siège pour naviguer dans cet univers en effervescence, un fauteuil de préférence, sinon, installe-toi confortablement dans ton lit, mais surtout, ne reste pas debout ! Ah… on dirait que Lauraline a recouvré son calme, sauf qu’elle se retrouve seule, à présent. La cour, autour d’elle, est devenue déserte en un clin d’œil. Il ne reste plus que nous. Seulement nous sommes transparents à ses yeux. C’est normal, nous observons son monde à distance. Bon, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle vient de se lever d’un bond et s’éloigne, d’un pas décidé, vers le sombre préau où deux pigeons argentés s’attardent encore. On la suit ? Carrie Jacotte entre dans la classe, suivie de près par Lauraline Piccolo. Un brouhaha assourdissant accueille les jeunes filles. Tout le monde parle en même temps. Le professeur d’histoire est en retard. Sans plus attendre toutefois, les collégiennes rejoignent chacune leur place au troisième rang, l’une à l’autre bout de la salle, près d’une fenêtre, l’autre juste ici, face à la porte. A cet instant précis, essoufflé d’avoir autant couru, apparaît Napoléon, le visage rougi et bouffi. Il annonce aux autres l’arrivée imminente de « la bête noire », et, à son tour, gagne sa table. Dans sa précipitation, il bouscule Domino et trébuche sur ses lacets. La directrice fait son entrée, l’œil sévère et morose, un carton rempli de livrets jaunes dans les bras. Le silence tombe d’un seul coup. - Zavan ! hurle Mme Roux. Mais que faites-vous là, affalé sur le plancher ? Les garçons commencent à ricaner tandis que les filles chuchotent d'un air joyeux. Seules, imperturbables, Carrie Jacotte et Lauraline Piccolo attendent, l'une comme l'autre profondément absorbées par de mystérieuses pensées… 12 - Taisez-vous ! ordonne « la bête noire ». Zavan, asseyez-vous ! Et ailleurs que sur les pieds de votre camarade ! Napoléon obéit aussitôt. Il se relève avec lourdeur et bredouille quelques vagues mots d'excuse. La directrice s'apprête à ajouter quelque chose, quand Melle Dombale arrive enfin. Elégamment vêtue, copieusement parfumée, le visage fardé : le style pimpant et exubérant du professeur d’histoire contraste avec celui, monastique et réservé, de la directrice du collège «Les Quatre Vents ». - Ah, mademoiselle Dombale, vous voilà ! Comment allez-vous ? Voici les nouveaux carnets de correspondance à distribuer. - Parfait ! Je vous remercie, madame Roux. Le professeur saisit le carton et le pose machinalement sur son bureau. Elle hésite, pointe l’index en avant, et prévient, la voix grave et distinguée : - Il y a beaucoup d’agitation, aujourd’hui, dans l'établissement, et... - ... vous n'êtes donc pas au courant ? - Au courant de quoi, madame Roux ? - Mais... Léonard a disparu ! - Léonard ? - Oui, et au grand désespoir des professeurs de sciences ! - Madame Roux... pardonnez-moi, mais ... qui est Léonard ? - Un gros tas d'os ! braille Domino, du fond de son 13 siège, plongeant aussitôt tous ses copains, sauf deux, dans une hilarité incontrôlable. - Silence ! crie la bête noire. Desmoulins ! Je ne vous permets pas d'intervenir de la sorte et… - … Dominique, coupe Melle Dombale avec calme, la dernière leçon à copier cinquante fois pour la semaine prochaine. - Mais, mademoiselle... - …un seul mot de plus et ce sera cinquante fois de plus. Domino pousse un long soupir et fixe son stylo encre, mécontent. Pendant ce temps, Napoléon est secoué d’un fou rire silencieux. Melle Dombale se tourne vers la directrice : - Qui est Léonard, madame Roux ? insiste-t-elle, intriguée. - Eh bien ! Mais Léonard est le squelette du collège, voyez-vous ! - Ah... ce Léonard là… - Ouiiiii ! - Que s'est-il passé ? - Envolé ! Kidnappé ! - On va sûrement le retrouver assassiné dans un placard au milieu des éprouvettes ! affirme Domino, à nouveau très en forme. Un rire sonore parcourt les rangs. Napoléon manque de s'étrangler avec sa gomme. - Mais enfin ! proteste Mme Roux, hébétée. - Très amusant, Dominique, constate le professeur d'histoire, vraiment très drôle. - Je n’ai pas pu résister ! - Peut-on mourir plusieurs fois ? pense tout haut Christine, l’air évasif. - Ah, mais sûrement ! entérine Domino, surexcité. Même que mon grand oncle... - … dehors ! interrompt Melle Dombale. - Mais je voulais juste… - … obéissez tout de suite ! Sortez de cette salle 14 immédiatement ! La plaisanterie a assez duré ! - Ce qui est surtout ennuyeux dans cette affaire, souligne la directrice, indifférente au départ forcé de Domino, c’est ce grand mystère autour de cette disparition. Un gloussement à peine audible se fait entendre au troisième rang. Tous les regards pivotent vers Carrie Jacotte. Affalée sur sa chaise, la jambe droite repliée sur la cuisse gauche, la jeune fille griffonne quelque chose dans son cahier de texte ouvert, un large sourire narquois suspendu aux lèvres, quelque chose qui ressemble vaguement à d’horribles têtes de morts grimaçantes. A côté d’elle, Isabelle frissonne et plonge bien vite le nez dans sa trousse de crayons de couleur. Se sentant à présent observée, Carrie Jacotte balaye lentement la classe de ses grands yeux bleus étrangement lumineux. Au passage, elle s’arrête un instant sur Lauraline Piccolo, dont l’esprit, visiblement, est toujours ailleurs. - Bon, je vous laisse travailler, à présent, déclare la directrice. A plus tard. Mme Roux tourne les talons. On l’entend s’étonner de découvrir Domino dans le couloir. Melle Dombale fronce les sourcils. - On rigole bien, ce matin ! commente François, ravi. - Ouvrez vos livres à la page 10, exige le professeur d’un ton sec. Reprenons notre étude sur le Moyen Age. Si vous souhaitez vous mettre dans l’ambiance de cette époque-là, afin de mieux comprendre le cours, je vous conseille d’aller voir ce film, « L’Ordre des Seigneurs », au cinéma. Il montre de larges plans sur ce qu’était un village et … mademoiselle Piccolo ? Lauraline bouge légèrement. L’enseignante s’approche, soupçonneuse. L’œil aux aguets, Carrie Jacotte éternue et fouille dans la poche de son pantalon. - Madame ! s’écrie-t-elle, un mouchoir à la main. Il y a des dinosaures à la page 6 ! 15 - Je n’ai pas dit page 6 ! J’ai dit page 10 ! - Vraiment ? Le professeur toise Lauraline avec sévérité, change de direction et retourne près du tableau noir. Carrie Jacotte sourit, malicieuse. - Tu as eu beaucoup de chance, très chère, flaire Napoléon, soulagé. Lauraline, tu n’as même pas sorti ton livre. Incontestablement, cette jeune fille vient de te sauver la vie. - N’exagère pas, Napoléon, chuchote Christine, agacée. - Je n’exagère nullement ! Mademoiselle Dombale a la réputation de couper les cheveux de ses élèves lorsque ceux-ci ne se montrent guère à la hauteur de ses exigences ! J’admire la façon pompeuse de parler de ce CHER Napoléon. Tu as sûrement deviné, Lecteur : c’est l’intello de la classe. Certains se moquent de lui, mais dans l’ensemble, on l’aime bien. D’ailleurs, à présent, Véra le regarde avec tendresse, un brin taquin. - Lauraline ? Les cheveux coupés ? C’eut été dommage pour les superbes boucles blondes ! atteste-t-elle sur le même ton précieux que celui de son camarade. Ce matin, Carrie Jacotte semble être la seule à comprendre la leçon d’histoire. Elle répond à toutes les questions du professeur avec une facilité déconcertante. L’évolution de la France féodale au temps des Capétiens n’a pas de secrets pour elle. Mais, soudain, on la voit se raidir sur sa chaise et s’appesantir avec tristesse sur Isabelle. Alors, au grand effroi presque général de la classe, Melle Dombale pousse un hurlement déchirant, se dirige, menaçante, vers ladite Isabelle, sort de sa poche une paire de gros ciseaux dorés qu’elle caresse de ses longs doigts fins recouverts de bagues, et d’un mouvement brutal et rapide, coupe cinq centimètres de tresse rousse sur la tête de la pauvre fille dont le visage, horrifié, devient dangereusement livide. Après quoi, l’air 16 hautement satisfait, le professeur gagne son estrade et jette la touffe de cheveux dans la corbeille à papier. Lauraline Piccolo écarquille les yeux. - Qu’est-ce qu’elle a fait, Isabelle ? balbutie Christine, abasourdie. - Je ne sais pas, s’émeut Véra, contrariée. - Je… croyais… que cette… histoire de… coupe de cheveux n’était… qu’une rumeur… ânonne Sylvie, bouleversée. - Cette femme est détraquée ! s’emporte Pascale, choquée. On devrait porter plainte contre son attitude… débile, odieuse et humiliante ! - Penses-tu ! Personne ne fera cela. C’est une des meilleures profs du collège. On ne fait pas le poids, face à elle. Et les garçons l’adorent. Regardez-les ! Ils ont trouvé leur héroïne ! Tous subjugués, surtout les deux, là-bas, Gustave et Christian. - C’est effrayant, murmure Nathalie, consternée. - Qu’est-ce qu’on va devenir ? se lamente Liliane, désolée. - Pauvre Isabelle ! Je ne voudrais pas être à sa place… - Moi non plus. - Je me sens mal … susurre Chantal, écœurée. - Moi aussi, avoue Pauline, démoralisée. On a tous eu des enseignants à enfermer, mais celle-ci mériterait de l’être à double tour. Tu en penses quoi, Lecteur ? Il y a des « mademoiselle Dombale », dans ton école ? Lorsque la cloche sonne, tout le monde se lève dans la même précipitation bruyante, avec une envie évidente de fuir. - Et tâchez d’apprendre votre leçon pour lundi prochain, conseille le professeur d’histoire en claquant ses livres, sinon, je vous scalpe ! Domino, dubitatif, regarde ses camarades passer très vite devant lui sans le voir, et, sans savoir pourquoi, il 17 court derrière eux, oubliant son cartable et son blouson noir, quelque part dans la classe. Mme Roux, hébétée : subitement privée d’intelligence. Christine, l’air évasif : l’air vague. Domino entérine : approuve. Un sourire narquois : malicieux et moqueur. Christine balbutie : bredouille. Christine, abasourdie : très surprise. Sylvie ânonne : parle d’une manière pénible et hésitante. Tous subjugués : fascinés. Chantal susurre : murmure doucement. Domino, dubitatif : qui doute. 18 2 UNE DROLE DE FILLE Les trois jeunes filles sont adossées à un énorme tronc d’arbre, dans la cour de récréation. Le soleil brille de tout son éclat, un léger vent chaud venu du sud fouette délicieusement l’air, et l’on entend gazouiller les oiseaux dans les branchages. Lecteur, si tu ajoutes à cela, l’intensité des couleurs et les parfums envoûtants… D’ailleurs, fascinée, presque étonnée, Lauraline tourne la tête de tous les côtés avec curiosité. - Tiens ! Christine ! Ton beau brun aux yeux ravageurs vient d’apparaître ! annonce Véra, exaltée. - Où ça ? Quelle merveille, ce garçon ! - De qui parlez-vous ? demande Lauraline, troublée. - Je crois qu’il s’appelle Ludovic, lui confie Christine, enfiévrée. On s’approche ? Lauraline, soudain statufiée, laisse ses deux copines s’éloigner en direction du terrain de basket, près des pelouses, là où aiment se rassembler les plus grands. Il est entouré de ses copains... il rit avec eux à gorge déployée… - Bonjour, dit Carrie Jacotte, une carotte à la main. Lauraline sursaute. - Bonjour, répond-elle, surprise, se détournant de Ludovic. - C’est vrai qu’il est mignon. 19 - Qui ça ? - Le garçon, là-bas, celui que tu admirais. Lauraline se sent rougir. Elle d’ordinaire si discrète, comment a-t-elle pu se trahir aussi facilement ? - Ne t’en fais pas, je sais que tu es amoureuse, poursuit Carrie Jacotte d’un ton léger. Quoi de plus normal quand on a douze ans ? Elle croque dans sa carotte avec avidité. - Je trouve que tu parles de choses qui ne te concernent pas, lui rétorque Lauraline avec froideur. - C’est pourtant bien à moi que tu confieras, bientôt, toutes tes joies et toutes tes peines ? - Mais… qu’est-ce que tu racontes ? Ma parole, je rêve, ce matin ! D’abord cette prof excentrique et malade… - … ensuite moi, Carrie Jacotte. Ravie de te retrouver, Laura ! Cela faisait si longtemps… - Laura ? Tu m’as appelée Laura ? Mais… comment sais-tu que c’est mon surnom ? Carrie Jacotte éclate de rire. - Quelqu’un a dû t’appeler… et puis, c’est une évidence… de toute façon, comment aurais-je pu l’oublier ? Décontenancée, Lauraline détaille cette Carrie Jacotte avec méfiance. Assez grande, musclée, les cheveux courts, souples et lisses, couleur de l’ébène, toute de rouge et de noir vêtue de la tête jusqu’aux pieds, elle est plutôt jolie, mais son sourire permanent a quelque chose d’insolite et d’inquiétant... - J’ai croisé Maguitte, au premier étage… - Mais… tu… tu ne peux… pas connaître ma gr… hésite Lauraline, stupéfaite. - … ta grand-mère ? Evidemment que je connais ta grand-mère ! Même si elle n’a pas eu l’air de s’en rappeler... Alors vraiment Laura, tu ne te souviens de rien ? - Laura ? Tu m’as encore appelée Laura ? Personne au collège ne m’appelle ainsi, à part… 20 - … ta grand-mère, bien sûr, ta sœur Katia, et l’irrésistible Ludovic, achève Carrie Jacotte, tranquille. Mais moi aussi tu me vois ailleurs qu’au bahut. Nous sommes deux amies inséparables. Au fond, ce n’est pas très gentil de l’avoir oublié... - Je ne te vois nulle part, Carrie Cracotte ! - N… non, Jacotte, s’il te plait… - Si tu veux ! Et je ne suis surtout pas ton amie ! riposte Lauraline, perturbée et en colère. Alors, tremblotante, la collégienne s’écarte de l’intruse à reculons et se dirige vers les salles de classe en titubant. Le son puissant de la cloche retentit, annonçant la fin de la récréation. Aïe ! Cette fois, ça m’a transpercé le tympan ! Tu vas bien, Lecteur ? Tu es si pâle, tout à coup... On va devoir se munir de bouchons d’oreilles, tu ne crois pas ? A son tour effrayée, Lauraline bondit sur place. - Sauvée par le gong, murmure Carrie Jacotte, amusée. Laura, je te fiche la paix… enfin… pour le moment. Quelle drôle de fille, cette Carrie Jacotte ! On dirait une apparition ! Elle irradie ! Elle ne semble pas être à sa place, dans cette école. Regarde-la, Lecteur ! Ses yeux foudroient comme des éclairs, son allure décoiffe comme un vent de tempête... Et sa voix astrale, si particulière, si mature, ne ressemble pas à celle d’une adolescente de son âge... Carrie Jacotte s’incline et rejoint la file des autres élèves, derrière Lauraline. Il s’en suit une belle bousculade dans les couloirs, à laquelle deux femmes en habit de service essaient de mettre fin. Sûre d’elle, Carrie Jacotte double Lauraline Piccolo et passe, la tête haute, devant Maguitte, la plus âgée des deux dames. Celle-ci arrête un instant son travail pour suivre Carrie Jacotte du regard, la mine perplexe. 21 - Bonjour Mamie. - Ah, ma petite Laura ! s’exclame Maguitte, déconcentrée. Tout va bien ? Comment se déroule cette rentrée ? - De façon peu ordinaire, à vrai dire. - Qu’est-ce que tu dis ? Je n’entends rien avec ce vacarme ! - Je dis que ma rentrée se passe de façon peu ordinaire ! répète Lauraline, de mauvaise humeur. - Ah ! Alors, tant mieux ! - Tant mieux ? Oui, enfin ça dépend de quoi on parle, Mamie ! - Dis-moi, cette jolie brune, c’est une amie à toi ? Elle ne me semble pas étrangère ? - Ah non ! Cette fille-là, en fait, c’est Carrie Jacotte, une folle qui se croit célèbre ! - Qu’est-ce qu’il te prend de parler ainsi de ta camarade, Laura ? Vous vous êtes disputées ? - Mamie ! Je ne la connais pas, moi, à la fin, cette Carrie Jacotte ! fulmine Lauraline, exaspérée. - Ah bon ? Tu en es sûre ? Ah bon... - A propos, tu n’aurais pas vu Léonard, par hasard ? - Pourquoi ? Tu es à sa recherche, toi aussi ? - Non, pas vraiment… mais tu sais quelque chose à son sujet ? - Non, je ne sais rien du tout. En même temps, Léonard habite dans les bâtiments d’en face, à l’autre bout de la cour. Quoi qu’il lui soit arrivé, il n’a rien à faire par ici. - Oh, oh… Face à cette hostilité évidente, Lauraline préfère oublier le squelette. - Tiens mais… tu as changé de lunettes ? - Pardon ? Instinctivement, Maguitte se tapote le visage et réfléchit un instant. - Si tu parles de l’année dernière, alors oui, j’ai changé de lunettes. 22 - Non mais… je ne te parle pas des temps préhistoriques, Mamie ! Je te parle de maintenant ! Tu n’avais pas cette énorme monture en écailles, au petit déjeuner, ce matin ? D’où ça sort ? Lauraline et sa grand-mère s’observent un moment sans comprendre. - Je ne sais pas de quoi tu parles, mon petit, reconnaît finalement Maguitte dans un soupir. Lauraline hausse doucement les épaules et s’attarde sur les murs. - Quand est-ce qu’ils ont repeint le hall ? Cette nuit ? Maguitte lève les bras au ciel, effarée. - Tu ne devrais pas te coucher aussi tard, mon enfant ! gronde-t-elle. Apparemment, ta mémoire te joue de mauvais tours ! C’est fort ennuyeux, un tel état de fatigue, fort ennuyeux ! Lauraline se renfrogne, vaguement vexée. - Ecoute, on se voit plus tard, conclut-elle, rapide. Papa nous attendra à la sortie du collège. Nous rentrons en voiture. - Qu’est-ce que tu dis ? Je n’entends rien. - Je dis que nous rentrons en voiture ! - Nous rentrons en voiture ? - Oui ! - Ah ! Ton père vient nous chercher ? - C’est ça … A tout à l’heure, Mamie... - Comment ? - A TOUT A L’HEURE, MAMIE ! s’époumone Lauraline, excédée. - Mais… ne crie pas si fort, mon petit. Je ne suis pas sourde ! Tant bien que mal, Lauraline se fraye un passage au milieu de la foule. Quelques mètres plus loin, elle stoppe net, surprise, incapable de retrouver sa classe. Pourtant, elle devrait être là ? Oui, elle devrait être là, face au buste de Ramsès II, sur ce pan de mur, contre cette haute fenêtre étroite au cadre en bois tout effrité. Lauraline ne 23 peut pas se tromper ? Depuis l’an passé, aucune transformation n’a été faite au collège. C’est, en tous cas, ce qu’elle a constaté dès le premier jour de la rentrée. Elle se souvient des moindres coins et recoins de l’établissement avec précision et sans la moindre hésitation, même s’ils sont nombreux et souvent assez mal indiqués. Alors, comment se fait-il que les portes soient différentes, depuis hier ? Et où sont passés tous ses camarades, d’ailleurs ? Il n’y en a pas un seul dans les parages ! Lauraline cherche autour d’elle, embarrassée. Elle ouvre son cartable, vérifie son emploi du temps, fait demi-tour, parcourt les étages, furète, fouille… La classe de latin est petite et vieillotte, coincée entre la bibliothèque et le local à cartes de géographie. - Depuis quand ? s’interroge la jeune fille, désarçonnée. Carrie Jacotte est assise au centre de la salle, bien droite sur son banc, les mains posées à plat sur la table. Elle espionne les autres élèves et jubile, exhibant une dentition d’une blancheur étincelante. Lauraline est sur le point de rejoindre Christine et Véra, installées face au bureau du professeur. Impressionnée, elle accélère le pas. En passant devant Pauline et Bruno, elle entend quelques brides de leur conversation : - Elle m’a dit, l’autre jour, de me méfier des escaliers… et le pire, c’est que j’ai bien failli me casser le nez, tout de suite, chuchote Pauline, très émue. - Qu’est-ce que tu vas t’imaginer… 24 - Elle avait raison ! - Et alors ? Tout ça n’est que pur hasard. - Ecoute, je crois que j’aurais dégringolé les soixantedix-huit marches du deuxième étage si je n’avais pas pensé à elle au moment où je me suis sentie partir dans le décor. - C’est justement parce qu’elle t’a dit que tu allais tomber que ça a failli t’arriver. Carrie Jacotte porte malheur ! Brrr… oh, la vilaine sorcière ! Il rit. - Et ça t’amuse ? s’énerve Pauline, offusquée. Tu sais ce qu’elle m’a soufflé, ensuite ? « Ça va, Pauline ? Contente que tu n’aies pas fini à l’hôpital avec les deux jambes cassées, comme la dernière fois » ! - Quelle dernière fois ? Pauline reste muette, incapable de répondre. Lauraline s’immobilise, envahie par une peur soudaine. Qu’est-ce que tout ceci signifie ? Mais… qui est cette Carrie Jacotte, à la fin ? D’où vient-elle ? Que veut-elle ? Lauraline s’efforce de ne pas baisser les yeux devant le regard inquisiteur de la drôle de fille, quand elle se voit contrainte de passer devant elle pour gagner sa propre chaise. Véra, exaltée : passionnée. Avec avidité : avec appétit. Lauraline, décontenancée : désorientée. Le bahut : le collège. Elle irradie : rayonne. En titubant : en marchant d’un pas mal assuré. Lauraline fulmine, exaspérée : s’énerve, hors d’elle. Lauraline s’époumone, excédée : crie très fort, hors d’elle. Elle jubile : se réjouit vivement. Le regard inquisiteur : qui interroge indiscrètement. 25