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LE MONDE ÉTRANGE
HUGUES FACORAT EDITION
Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le
présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur. Toute reproduction
ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une
contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par le code
français de la propriété intellectuelle et les conventions
internationales en vigueur sur la protection des droits d’auteur.
© 2016, Hugues Facorat Edition
24 avenue Charles Rouxel
77340 Pontault-Combault
ISBN : 979-10-93198-42-2
MICHELINE PARRINELLO HAINQUE
LE MONDE ÉTRANGE
LIVRE 1
LE RETOUR DE CARRIE JACOTTE
Hugues Facorat Édition
A partir de 10-11ans
Mystère, Humour et Amitié
A ma famille d’hier et d’aujourd’hui.
Remerciements à Hugues Facorat qui a permis à Carrie
Jacotte d'exister.
« Plus de 20% de la population française possède une
langue réduite dans ses ambitions : 600 à 800 mots,
quand il nous en faut en moyenne 5 000 à 6 000. Une
langue pauvre en vocabulaire est une cause d’échec et
d’exclusion ».
Maurice COLLIN, pédiatre et humanitaire.
En adultes responsables,
donnons à nos enfants le goût de la lecture.
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TABLE DES MATIERES :
1 : VENT DE FOLIE AU COLLEGE
2 : UNE DROLE DE FILLE
3 : PAUVRE MADAME GRISOU !
4 : SORTIE DE CLASSE
5 : UNE SACREE FAMILLE
6 : FRERE ET SOEUR
7 : LA REPETITION
8 : LES COPAINS
9 : LES COURS DU SAMEDI
10 : UN DIMANCHE PROMETTEUR
11 : TIMOTHEE THOT
12 : AGITATION ET CONFUSION
13 : LE RETOUR DE CARRIE JACOTTE
14 : CARRIE ET LAURA
15 : DE SURPRISE EN SURPRISE
16 : JEU DE PISTE
17 : DU MYSTERE DANS L’AIR…
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1
VENT DE FOLIE AU COLLEGE
Soudain, le son strident de la cloche du collège retentit
dans la cour de récréation. Oui, tu as raison, Lecteur, ça
fait un bruit d’enfer ! Tous les volumes, ici, sont bien
plus forts que chez nous. Au fait, « bonjour » !
Je suis bien contente de te rencontrer dans ce livre ! Il y
fait très beau, en ce moment, tu sens cette douce
chaleur ? Le soleil est radieux, en ce début du mois de
septembre. L’atmosphère ambiante est… particulière…
différente… on se croirait presque sur une autre
planète ! Tu as remarqué l’intensité des couleurs ? Et les
parfums, si enveloppants, si envoûtants, une pure
merveille ! Là-bas, Lauraline s’est laissé surprendre par
la cloche. On le serait à moins ! Dans un geste
d’étonnement et de stupeur, elle a enfoui son visage
dans ses mains. A présent, elle attend, tremblante. On
entend son cœur battre fort dans sa poitrine. Elle est
assise près d’un massif de roses, à peine à l’écart des vaet-vient incessants des autres élèves. Quelle cohue ! Tout
le monde court, s’affole, se bouscule… un spectacle
saisissant pour les yeux, un véritable étourdissement
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pour la tête. Attention ! Tu vas tomber ! Oh là là ! Il s’en
est fallu de peu ! Ça va ? Tu finiras par t’habituer à ce
remue-ménage bouillonnant, mais pour l'heure, pas
d’imprudence. Choisis un bon siège pour naviguer dans
cet univers en effervescence, un fauteuil de préférence,
sinon, installe-toi confortablement dans ton lit, mais
surtout, ne reste pas debout ! Ah… on dirait que
Lauraline a recouvré son calme, sauf qu’elle se retrouve
seule, à présent. La cour, autour d’elle, est devenue
déserte en un clin d’œil. Il ne reste plus que nous.
Seulement nous sommes transparents à ses yeux. C’est
normal, nous observons son monde à distance. Bon,
qu’est-ce qu’elle fait ? Elle vient de se lever d’un bond et
s’éloigne, d’un pas décidé, vers le sombre préau où deux
pigeons argentés s’attardent encore. On la suit ?
Carrie Jacotte entre dans la classe, suivie de près par
Lauraline Piccolo. Un brouhaha assourdissant accueille
les jeunes filles. Tout le monde parle en même temps. Le
professeur d’histoire est en retard. Sans plus attendre
toutefois, les collégiennes rejoignent chacune leur place
au troisième rang, l’une à l’autre bout de la salle, près
d’une fenêtre, l’autre juste ici, face à la porte. A cet
instant précis, essoufflé d’avoir autant couru, apparaît
Napoléon, le visage rougi et bouffi. Il annonce aux
autres l’arrivée imminente de « la bête noire », et, à son
tour, gagne sa table. Dans sa précipitation, il bouscule
Domino et trébuche sur ses lacets. La directrice fait son
entrée, l’œil sévère et morose, un carton rempli de livrets
jaunes dans les bras. Le silence tombe d’un seul coup.
- Zavan ! hurle Mme Roux. Mais que faites-vous là,
affalé sur le plancher ?
Les garçons commencent à ricaner tandis que les filles
chuchotent d'un air joyeux. Seules, imperturbables,
Carrie Jacotte et Lauraline Piccolo attendent, l'une
comme l'autre profondément absorbées par de
mystérieuses pensées…
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- Taisez-vous ! ordonne « la bête noire ». Zavan,
asseyez-vous ! Et ailleurs que sur les pieds de votre
camarade !
Napoléon obéit aussitôt.
Il se relève avec lourdeur
et bredouille quelques
vagues mots d'excuse. La
directrice s'apprête à
ajouter quelque chose,
quand Melle Dombale
arrive enfin. Elégamment
vêtue,
copieusement
parfumée, le visage fardé :
le style pimpant et
exubérant du professeur
d’histoire contraste avec
celui,
monastique
et
réservé, de la directrice du
collège «Les Quatre Vents ».
- Ah, mademoiselle Dombale, vous voilà ! Comment
allez-vous ? Voici les nouveaux carnets de
correspondance à distribuer.
- Parfait ! Je vous remercie, madame Roux.
Le professeur saisit le carton et le pose machinalement
sur son bureau. Elle hésite, pointe l’index en avant, et
prévient, la voix grave et distinguée :
- Il y a beaucoup d’agitation, aujourd’hui, dans
l'établissement, et...
- ... vous n'êtes donc pas au courant ?
- Au courant de quoi, madame Roux ?
- Mais... Léonard a disparu !
- Léonard ?
- Oui, et au grand désespoir des professeurs de
sciences !
- Madame Roux... pardonnez-moi, mais ... qui est
Léonard ?
- Un gros tas d'os ! braille Domino, du fond de son
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siège, plongeant aussitôt tous ses copains, sauf deux,
dans une hilarité incontrôlable.
- Silence ! crie la bête noire. Desmoulins ! Je ne vous
permets pas d'intervenir de la sorte et…
- … Dominique, coupe Melle Dombale avec calme, la
dernière leçon à copier cinquante fois pour la semaine
prochaine.
- Mais, mademoiselle...
- …un seul mot de plus et ce sera cinquante fois de
plus.
Domino pousse un long soupir et fixe son stylo encre,
mécontent. Pendant ce temps, Napoléon est secoué d’un
fou rire silencieux. Melle Dombale se tourne vers la
directrice :
- Qui est Léonard, madame Roux ? insiste-t-elle,
intriguée.
- Eh bien ! Mais Léonard est le squelette du collège,
voyez-vous !
- Ah... ce Léonard là…
- Ouiiiii !
- Que s'est-il passé ?
- Envolé ! Kidnappé !
- On va sûrement le retrouver assassiné dans un
placard au milieu des éprouvettes ! affirme Domino, à
nouveau très en forme.
Un rire sonore parcourt les rangs. Napoléon manque
de s'étrangler avec sa gomme.
- Mais enfin ! proteste Mme Roux, hébétée.
- Très amusant, Dominique, constate le professeur
d'histoire, vraiment très drôle.
- Je n’ai pas pu résister !
- Peut-on mourir plusieurs fois ? pense tout haut
Christine, l’air évasif.
- Ah, mais sûrement ! entérine Domino, surexcité.
Même que mon grand oncle...
- … dehors ! interrompt Melle Dombale.
- Mais je voulais juste…
- … obéissez tout de suite ! Sortez de cette salle
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immédiatement ! La plaisanterie a assez duré !
- Ce qui est surtout ennuyeux dans cette affaire,
souligne la directrice, indifférente au départ forcé de
Domino, c’est ce grand mystère autour de cette
disparition.
Un gloussement à peine audible se fait entendre au
troisième rang. Tous les regards pivotent vers Carrie
Jacotte. Affalée sur sa chaise, la jambe droite repliée sur
la cuisse gauche, la jeune fille griffonne quelque chose
dans son cahier de texte ouvert, un large sourire
narquois suspendu aux lèvres, quelque chose qui
ressemble vaguement à d’horribles têtes de morts
grimaçantes. A côté d’elle, Isabelle frissonne et plonge
bien vite le nez dans sa trousse de crayons de couleur. Se
sentant à présent observée, Carrie Jacotte balaye
lentement la classe de ses grands yeux bleus étrangement
lumineux. Au passage, elle s’arrête un instant sur
Lauraline Piccolo, dont l’esprit, visiblement, est toujours
ailleurs.
- Bon, je vous laisse travailler, à présent, déclare la
directrice. A plus tard.
Mme Roux tourne les talons. On l’entend s’étonner de
découvrir Domino dans le couloir. Melle Dombale
fronce les sourcils.
- On rigole bien, ce matin ! commente François, ravi.
- Ouvrez vos livres à la page 10, exige le professeur
d’un ton sec. Reprenons notre étude sur le Moyen Age.
Si vous souhaitez vous mettre dans l’ambiance de cette
époque-là, afin de mieux comprendre le cours, je vous
conseille d’aller voir ce film, « L’Ordre des Seigneurs »,
au cinéma. Il montre de larges plans sur ce qu’était un
village et … mademoiselle Piccolo ?
Lauraline bouge légèrement. L’enseignante s’approche,
soupçonneuse. L’œil aux aguets, Carrie Jacotte éternue et
fouille dans la poche de son pantalon.
- Madame ! s’écrie-t-elle, un mouchoir à la main. Il y a
des dinosaures à la page 6 !
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- Je n’ai pas dit page 6 ! J’ai dit page 10 !
- Vraiment ?
Le professeur toise Lauraline avec sévérité, change de
direction et retourne près du tableau noir. Carrie Jacotte
sourit, malicieuse.
- Tu as eu beaucoup de chance, très chère, flaire
Napoléon, soulagé. Lauraline, tu n’as même pas sorti ton
livre. Incontestablement, cette jeune fille vient de te
sauver la vie. - N’exagère pas, Napoléon, chuchote Christine, agacée.
- Je n’exagère nullement ! Mademoiselle Dombale a la
réputation de couper les cheveux de ses élèves lorsque
ceux-ci ne se montrent guère à la hauteur de ses
exigences !
J’admire la façon pompeuse de parler de ce CHER
Napoléon. Tu as sûrement deviné, Lecteur : c’est l’intello
de la classe. Certains se moquent de lui, mais dans
l’ensemble, on l’aime bien. D’ailleurs, à présent, Véra le
regarde avec tendresse, un brin taquin.
- Lauraline ? Les cheveux coupés ? C’eut été dommage
pour les superbes boucles blondes ! atteste-t-elle sur le
même ton précieux que celui de son camarade.
Ce matin, Carrie Jacotte semble être la seule à
comprendre la leçon d’histoire. Elle répond à toutes les
questions du professeur avec une facilité déconcertante.
L’évolution de la France féodale au temps des Capétiens
n’a pas de secrets pour elle. Mais, soudain, on la voit se
raidir sur sa chaise et s’appesantir avec tristesse sur
Isabelle. Alors, au grand effroi presque général de la
classe, Melle Dombale pousse un hurlement déchirant, se
dirige, menaçante, vers ladite Isabelle, sort de sa poche
une paire de gros ciseaux dorés qu’elle caresse de ses
longs doigts fins recouverts de bagues, et d’un
mouvement brutal et rapide, coupe cinq centimètres de
tresse rousse sur la tête de la pauvre fille dont le visage,
horrifié, devient dangereusement livide. Après quoi, l’air
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hautement satisfait, le professeur gagne son estrade et
jette la touffe de cheveux dans la corbeille à papier.
Lauraline Piccolo écarquille les yeux.
- Qu’est-ce qu’elle a fait, Isabelle ? balbutie Christine,
abasourdie.
- Je ne sais pas, s’émeut Véra, contrariée.
- Je… croyais… que cette… histoire de… coupe de
cheveux n’était… qu’une rumeur… ânonne Sylvie,
bouleversée.
- Cette femme est détraquée ! s’emporte Pascale,
choquée. On devrait porter plainte contre son
attitude… débile, odieuse et humiliante !
- Penses-tu ! Personne ne fera cela. C’est une des
meilleures profs du collège. On ne fait pas le poids, face
à elle. Et les garçons l’adorent. Regardez-les ! Ils ont
trouvé leur héroïne ! Tous subjugués, surtout les deux,
là-bas, Gustave et Christian.
- C’est effrayant, murmure Nathalie, consternée.
- Qu’est-ce qu’on va devenir ? se lamente Liliane,
désolée.
- Pauvre Isabelle ! Je ne voudrais pas être à sa place…
- Moi non plus.
- Je me sens mal … susurre Chantal, écœurée.
- Moi aussi, avoue Pauline, démoralisée.
On a tous eu des enseignants à enfermer, mais celle-ci
mériterait de l’être à double tour. Tu en penses quoi,
Lecteur ? Il y a des « mademoiselle Dombale », dans ton
école ?
Lorsque la cloche sonne, tout le monde se lève dans la
même précipitation bruyante, avec une envie évidente
de fuir.
- Et tâchez d’apprendre votre leçon pour lundi
prochain, conseille le professeur d’histoire en claquant
ses livres, sinon, je vous scalpe !
Domino, dubitatif, regarde ses camarades passer très
vite devant lui sans le voir, et, sans savoir pourquoi, il
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court derrière eux, oubliant son cartable et son blouson
noir, quelque part dans la classe.
Mme Roux, hébétée : subitement privée d’intelligence.
Christine, l’air évasif : l’air vague.
Domino entérine : approuve.
Un sourire narquois : malicieux et moqueur.
Christine balbutie : bredouille.
Christine, abasourdie : très surprise.
Sylvie ânonne : parle d’une manière pénible et hésitante.
Tous subjugués : fascinés.
Chantal susurre : murmure doucement.
Domino, dubitatif : qui doute.
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2
UNE DROLE DE FILLE
Les trois jeunes filles sont adossées à un énorme tronc
d’arbre, dans la cour de récréation. Le soleil brille de
tout son éclat, un léger vent chaud venu du sud fouette
délicieusement l’air, et l’on entend gazouiller les oiseaux
dans les branchages.
Lecteur, si tu ajoutes à cela, l’intensité des couleurs et les
parfums envoûtants…
D’ailleurs, fascinée, presque étonnée, Lauraline tourne
la tête de tous les côtés avec curiosité.
- Tiens ! Christine ! Ton beau brun aux yeux ravageurs
vient d’apparaître ! annonce Véra, exaltée.
- Où ça ? Quelle merveille, ce garçon !
- De qui parlez-vous ? demande Lauraline, troublée.
- Je crois qu’il s’appelle Ludovic, lui confie Christine,
enfiévrée. On s’approche ?
Lauraline, soudain statufiée, laisse ses deux copines
s’éloigner en direction du terrain de basket, près des
pelouses, là où aiment se rassembler les plus grands.
Il est entouré de ses copains... il rit avec eux à gorge
déployée…
- Bonjour, dit Carrie Jacotte, une carotte à la main.
Lauraline sursaute.
- Bonjour, répond-elle, surprise, se détournant de
Ludovic.
- C’est vrai qu’il est mignon.
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- Qui ça ?
- Le garçon, là-bas, celui que tu admirais.
Lauraline se sent rougir. Elle d’ordinaire si discrète,
comment a-t-elle pu se trahir aussi facilement ?
- Ne t’en fais pas, je sais que tu es amoureuse, poursuit
Carrie Jacotte d’un ton léger. Quoi de plus normal quand
on a douze ans ?
Elle croque dans sa carotte avec avidité.
- Je trouve que tu parles de choses qui ne te
concernent pas, lui rétorque Lauraline avec froideur.
- C’est pourtant bien à moi que tu confieras, bientôt,
toutes tes joies et toutes tes peines ?
- Mais… qu’est-ce que tu racontes ? Ma parole, je rêve,
ce matin ! D’abord cette prof excentrique et malade…
- … ensuite moi, Carrie Jacotte. Ravie de te retrouver,
Laura ! Cela faisait si longtemps…
- Laura ? Tu m’as appelée Laura ? Mais… comment
sais-tu que c’est mon surnom ?
Carrie Jacotte éclate de rire.
- Quelqu’un a dû t’appeler… et puis, c’est une
évidence… de toute façon, comment aurais-je pu
l’oublier ?
Décontenancée, Lauraline détaille cette Carrie Jacotte
avec méfiance. Assez grande, musclée, les cheveux
courts, souples et lisses, couleur de l’ébène, toute de
rouge et de noir vêtue de la tête jusqu’aux pieds, elle est
plutôt jolie, mais son sourire permanent a quelque chose
d’insolite et d’inquiétant...
- J’ai croisé Maguitte, au premier étage…
- Mais… tu… tu ne peux… pas connaître ma gr…
hésite Lauraline, stupéfaite.
- … ta grand-mère ? Evidemment que je connais ta
grand-mère ! Même si elle n’a pas eu l’air de s’en
rappeler... Alors vraiment Laura, tu ne te souviens de
rien ?
- Laura ? Tu m’as encore appelée Laura ? Personne au
collège ne m’appelle ainsi, à part…
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- … ta grand-mère, bien sûr, ta sœur Katia, et
l’irrésistible Ludovic, achève Carrie Jacotte, tranquille.
Mais moi aussi tu me vois ailleurs qu’au bahut. Nous
sommes deux amies inséparables. Au fond, ce n’est pas
très gentil de l’avoir oublié...
- Je ne te vois nulle part, Carrie Cracotte !
- N… non, Jacotte, s’il te plait… - Si tu veux ! Et je ne suis surtout pas ton amie !
riposte Lauraline, perturbée et en colère.
Alors, tremblotante, la collégienne s’écarte de l’intruse
à reculons et se dirige vers les salles de classe en
titubant. Le son puissant de la cloche retentit, annonçant
la fin de la récréation.
Aïe ! Cette fois, ça m’a transpercé le tympan ! Tu vas
bien, Lecteur ? Tu es si pâle, tout à coup... On va devoir
se munir de bouchons d’oreilles, tu ne crois pas ?
A son tour effrayée, Lauraline bondit sur place.
- Sauvée par le gong, murmure Carrie Jacotte, amusée.
Laura, je te fiche la paix… enfin… pour le moment.
Quelle drôle de fille, cette Carrie Jacotte ! On dirait une
apparition ! Elle irradie ! Elle ne semble pas être à sa
place, dans cette école. Regarde-la, Lecteur ! Ses yeux
foudroient comme des éclairs, son allure décoiffe
comme un vent de tempête... Et sa voix astrale, si
particulière, si mature, ne ressemble pas à celle d’une
adolescente de son âge...
Carrie Jacotte s’incline et rejoint la file des autres
élèves, derrière Lauraline. Il s’en suit une belle
bousculade dans les couloirs, à laquelle deux femmes en
habit de service essaient de mettre fin. Sûre d’elle, Carrie
Jacotte double Lauraline Piccolo et passe, la tête haute,
devant Maguitte, la plus âgée des deux dames. Celle-ci
arrête un instant son travail pour suivre Carrie Jacotte
du regard, la mine perplexe.
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- Bonjour Mamie.
- Ah, ma petite Laura ! s’exclame Maguitte,
déconcentrée. Tout va bien ? Comment se déroule cette
rentrée ?
- De façon peu ordinaire, à vrai dire.
- Qu’est-ce que tu dis ? Je n’entends rien avec ce
vacarme !
- Je dis que ma rentrée se passe de façon peu
ordinaire ! répète Lauraline, de mauvaise humeur.
- Ah ! Alors, tant mieux !
- Tant mieux ? Oui, enfin ça dépend de quoi on parle,
Mamie !
- Dis-moi, cette jolie brune, c’est une amie à toi ? Elle
ne me semble pas étrangère ?
- Ah non ! Cette fille-là, en fait, c’est Carrie Jacotte,
une folle qui se croit célèbre !
- Qu’est-ce qu’il te prend de parler ainsi de ta
camarade, Laura ? Vous vous êtes disputées ?
- Mamie ! Je ne la connais pas, moi, à la fin, cette
Carrie Jacotte ! fulmine Lauraline, exaspérée.
- Ah bon ? Tu en es sûre ? Ah bon...
- A propos, tu n’aurais pas vu Léonard, par hasard ?
- Pourquoi ? Tu es à sa recherche, toi aussi ?
- Non, pas vraiment… mais tu sais quelque chose à
son sujet ?
- Non, je ne sais rien du tout. En même temps,
Léonard habite dans les bâtiments d’en face, à l’autre
bout de la cour. Quoi qu’il lui soit arrivé, il n’a rien à
faire par ici.
- Oh, oh…
Face à cette hostilité évidente, Lauraline préfère
oublier le squelette.
- Tiens mais… tu as changé de lunettes ?
- Pardon ?
Instinctivement, Maguitte se tapote le visage et
réfléchit un instant.
- Si tu parles de l’année dernière, alors oui, j’ai changé
de lunettes.
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- Non mais… je ne te parle pas des temps
préhistoriques, Mamie ! Je te parle de maintenant ! Tu
n’avais pas cette énorme monture en écailles, au petit
déjeuner, ce matin ? D’où ça sort ?
Lauraline et sa grand-mère s’observent un moment
sans comprendre.
- Je ne sais pas de quoi tu parles, mon petit, reconnaît
finalement Maguitte dans un soupir.
Lauraline hausse doucement les épaules et s’attarde
sur les murs.
- Quand est-ce qu’ils ont repeint le hall ? Cette nuit ?
Maguitte lève les bras au ciel, effarée.
- Tu ne devrais pas te coucher aussi tard, mon enfant !
gronde-t-elle. Apparemment, ta mémoire te joue de
mauvais tours ! C’est fort ennuyeux, un tel état de
fatigue, fort ennuyeux !
Lauraline se renfrogne, vaguement vexée.
- Ecoute, on se voit plus tard, conclut-elle, rapide.
Papa nous attendra à la sortie du collège. Nous rentrons
en voiture.
- Qu’est-ce que tu dis ? Je n’entends rien.
- Je dis que nous rentrons en voiture !
- Nous rentrons en voiture ?
- Oui !
- Ah ! Ton père vient nous chercher ?
- C’est ça … A tout à l’heure, Mamie...
- Comment ?
- A TOUT A L’HEURE, MAMIE ! s’époumone
Lauraline, excédée.
- Mais… ne crie pas si fort, mon petit. Je ne suis pas
sourde !
Tant bien que mal, Lauraline se fraye un passage au
milieu de la foule. Quelques mètres plus loin, elle stoppe
net, surprise, incapable de retrouver sa classe. Pourtant,
elle devrait être là ? Oui, elle devrait être là, face au buste
de Ramsès II, sur ce pan de mur, contre cette haute
fenêtre étroite au cadre en bois tout effrité. Lauraline ne
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peut pas se tromper ? Depuis l’an passé, aucune
transformation n’a été faite au collège. C’est, en tous cas,
ce qu’elle a constaté dès le premier jour de la rentrée.
Elle se souvient des moindres coins et recoins de
l’établissement avec précision et sans la moindre
hésitation, même s’ils sont nombreux et souvent assez
mal indiqués. Alors, comment se fait-il que les portes
soient différentes, depuis hier ? Et où sont passés tous
ses camarades, d’ailleurs ? Il n’y en a pas un seul dans les
parages ! Lauraline cherche autour d’elle, embarrassée.
Elle ouvre son cartable, vérifie son emploi du temps,
fait demi-tour, parcourt les étages, furète, fouille…
La classe de latin est petite et vieillotte, coincée entre
la bibliothèque et le local à cartes de géographie.
- Depuis quand ? s’interroge la jeune fille,
désarçonnée.
Carrie Jacotte est
assise au centre de la
salle, bien droite sur
son banc, les mains
posées à plat sur la
table. Elle espionne les
autres élèves et jubile,
exhibant une dentition
d’une
blancheur
étincelante. Lauraline
est sur le point de
rejoindre Christine et
Véra, installées face au
bureau du professeur.
Impressionnée,
elle
accélère le pas. En passant devant Pauline et Bruno, elle
entend quelques brides de leur conversation :
- Elle m’a dit, l’autre jour, de me méfier des
escaliers… et le pire, c’est que j’ai bien failli me casser le
nez, tout de suite, chuchote Pauline, très émue.
- Qu’est-ce que tu vas t’imaginer…
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- Elle avait raison !
- Et alors ? Tout ça n’est que pur hasard.
- Ecoute, je crois que j’aurais dégringolé les soixantedix-huit marches du deuxième étage si je n’avais pas
pensé à elle au moment où je me suis sentie partir dans
le décor.
- C’est justement parce qu’elle t’a dit que tu allais
tomber que ça a failli t’arriver. Carrie Jacotte porte
malheur ! Brrr… oh, la vilaine sorcière !
Il rit.
- Et ça t’amuse ? s’énerve Pauline, offusquée. Tu sais
ce qu’elle m’a soufflé, ensuite ? « Ça va, Pauline ?
Contente que tu n’aies pas fini à l’hôpital avec les deux
jambes cassées, comme la dernière fois » !
- Quelle dernière fois ?
Pauline reste muette, incapable de répondre. Lauraline
s’immobilise, envahie par une peur soudaine. Qu’est-ce
que tout ceci signifie ? Mais… qui est cette Carrie
Jacotte, à la fin ? D’où vient-elle ? Que veut-elle ?
Lauraline s’efforce de ne pas baisser les yeux devant le
regard inquisiteur de la drôle de fille, quand elle se voit
contrainte de passer devant elle pour gagner sa propre
chaise.
Véra, exaltée : passionnée.
Avec avidité : avec appétit.
Lauraline, décontenancée : désorientée.
Le bahut : le collège.
Elle irradie : rayonne.
En titubant : en marchant d’un pas mal assuré.
Lauraline fulmine, exaspérée : s’énerve, hors d’elle.
Lauraline s’époumone, excédée : crie très fort, hors d’elle.
Elle jubile : se réjouit vivement.
Le regard inquisiteur : qui interroge indiscrètement.
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