les collectivités et l`aménagement numérique du territoire

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les collectivités et l`aménagement numérique du territoire
A N A LY S E
Par Sophie Garnier, avocat, Selarl d’avocats Sphère publique, et Christophe Michelet, directeur général de Partenaires finances locales
LES COLLECTIVITÉS
ET L’AMÉNAGEMENT
NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE
A
L’ESSENTIEL
◗ La compétence légale
dont disposent les collectivités pour créer des réseaux d’initiative publique
et les exploiter s’exerce
sans restriction sur la totalité de leur territoire. Seule
la fourniture directe des
services de communications électroniques auprès
des utilisateurs finals
est soumise au constat
préalable de l’insuffisance
de l’initiative privée.
◗ Des contraintes juridiques nationales et européennes liées au droit
de la concurrence perturbent le déploiement et
le financement public
des réseaux haut et très
haut débit. Elles limitent
la prise en compte de l’intervention des collectivités
territoriales dans le cadre
du programme national
très haut débit (THD).
◗ La couverture du territoire par des réseaux
« fibres à l’abonné » représente un investissement
total de 25 à 30 milliards
d’euros pour une couverture quasi totale du territoire, à répartir à parité
entre opérateurs privés
et interventions publiques,
qui seraient principalement portées par les collectivités locales. Dans
ce contexte, certaines
d’entre elles demandent
la reconnaissance d’un
statut « d’opérateur d’opérateurs », le droit à la réalisation de projets intégrés
et la mise en place
de financements pérennes
dès 2012.
u moment où le gouvernement ouvre le volet du
programme national très haut débit consacré aux
projets des collectivités territoriales, il paraît utile
de faire le point sur le champ d’intervention des collectivités en matière de politique d’aménagement numérique de leur territoire et sur les moyens dont elles disposent à cet effet. L’objectif de couverture en très haut
débit est de 70 % de la population en 2020 et de 100 %
en 2025.
I. Le cadre d’intervention
des collectivités territoriales
1. Le champ légal de compétences
La compétence des collectivités territoriales et de leurs
groupements dans le domaine des réseaux est définie
par la loi. L’article L.1425-1, inséré dans le CGCT par
la loi pour la confiance dans l’économie numérique du
21 juin 2004, habilite les collectivités territoriales et
leurs groupements à établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques et à les mettre à disposition d’opérateurs ou d’utilisateurs de réseaux indépendants.
Cet article crée un service public local relatif aux réseaux et services locaux de communications électroniques. Il permet aux collectivités locales de devenir
opérateurs de réseaux dotés des mêmes droits et obligations que tout opérateur. La compétence légale dont
disposent les collectivités pour créer des réseaux d’initiative publique et les exploiter s’exerce sans restriction sur la totalité de leur territoire. Seule la fourniture
directe des services de communications électroniques
auprès des utilisateurs finals est soumise au constat
préalable de l’insuffisance de l’initiative privée.
A noter
La loi permet aux collectivités d’établir aussi bien des infrastructures passives que des réseaux, c’est-à-dire incluant
des équipements actifs. L’objectif de la mise en place
de ces infrastructures et réseaux est de garantir efficacement leur utilisation partagée dans les meilleures
conditions de neutralité et d’accessibilité aux opérateurs.
Dans son rapport présenté en décembre 2008 au Parlement et au gouvernement, l’Autorité de régulation des
communications électroniques et des postes (ARCEP)
XIV
a établi un bilan très positif de l’intervention des collectivités. Celle-ci favorise la couverture du territoire en
services haut et très haut débit. Son impact est significatif sur le développement de la concurrence, contribuant
à la baisse des prix.
Une nouvelle étape s’est ouverte depuis pour les collectivités à travers la nécessité d’assurer un développement
optimal du très haut débit sur l’ensemble du territoire.
2. Un rôle déterminant dans le déploiement
du très haut débit
Les réseaux très haut débit sont définis par la Commission européenne comme étant « des réseaux d’accès câblés qui sont, en tout ou partie, en fibres optiques et qui
sont capables d’offrir des services d’accès au haut débit
améliorés par rapport aux réseaux cuivre existants (notamment grâce à des débits supérieurs) ».
La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008
a dans un premier temps institué une série de mesures
en faveur du déploiement de la fibre optique jusqu’à
l’utilisateur final (FTTH ou fibre optique jusqu’au logement) et sa mutualisation entre les opérateurs, dont
bénéficient les réseaux d’initiative publique.
La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre
la fracture numérique, à l’initiative du sénateur Pintat,
président de la FNCCR, a pour objet de faciliter le déploiement des réseaux très haut débit de manière homogène sur l’ensemble du territoire et conforte à cet
effet le rôle des collectivités en tant qu’aménageur de
leurs territoires.
La loi crée les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique (SDTAN), qui doivent recenser les
infrastructures et réseaux de communications électroniques existants et présenter une stratégie de développement de ces réseaux à très haut débit fixe et mobile,
y compris satellitaire, permettant d’assurer la couverture du territoire. Ces schémas visent à favoriser la cohérence des initiatives publiques et leur bonne articulation avec l’investissement privé. La maille minimale
du schéma directeur est le territoire d’un département.
Le fonds d’aménagement numérique des territoires
(FANT) est également instauré. Il a pour objet de contribuer au financement des travaux de réalisation des infrastructures et réseaux envisagés par les SDTAN, afin
de favoriser l’accès de l’ensemble de la population aux
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communications électroniques à très haut débit à un
coût raisonnable, sans être contraints par un zonage défini ex ante.
A noter
Les aides du fonds ne pourront être attribuées qu’à
la réalisation d’infrastructures et de réseaux accessibles
et ouverts, dans des conditions précisées par L’ARCEP.
La loi ne précise pas cependant selon quelles modalités
ce fonds sera alimenté.
II. Les règles internes et
communautaires de financement
public des réseaux d’initiative
publique
L’Europe considère que les objectifs ambitieux de la
stratégie numérique ne pourront être atteints sans une
utilisation intelligente des fonds publics.
1. Les conditions de validité
du financement public
● Le
cadre législatif national
Compte tenu des objectifs d’aménagement du territoire,
la collectivité peut prendre à sa charge, tout ou partie,
du financement des ouvrages constitutifs d’un réseau
d’initiative publique. Ainsi, le IV de l’article L.14251 du CGCT dispose que, quand les conditions économiques ne permettent pas la rentabilité de l’établissement de réseaux de communications électroniques, les
collectivités territoriales peuvent mettre leurs infrastructures ou réseaux à disposition des opérateurs à un
prix inférieur au coût de revient, selon des modalités
transparentes et non discriminatoires, ou compenser
des obligations de service public par des subventions
accordées dans le cadre d’une délégation de service
public.
Cette disposition ne prévoit aucune limitation du territoire d’intervention de la collectivité.
● Le
droit communautaire
Les règles ont été fixées par la jurisprudence de la Cour
de justice des communautés européennes et rappelées
par les lignes directrices communautaires sur les aides
d’Etat relatives au financement public des réseaux haut
et très haut débit publiées en septembre 2009.
Pour définir les zones pouvant faire l’objet d’une aide
d’Etat, les lignes directrices font la distinction entre les
zones « blanches », « grises » et « noires », selon la présence ou non d’infrastructures privées adéquates déjà
en place.
Toutefois, la Commission européenne a rappelé, dans
ses lignes directrices, que n’entrent pas dans le champ
d’application des règles en matière d’aides d’Etat, le financement public destiné à l’introduction du haut ou
du très haut débit effectué dans les conditions du marché (en investisseur avisé) ou la fourniture d’un réseau
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très haut débit constituant un service d’intérêt économique général (SIEG).
A noter
La Commission valide les projets globaux d’initiative
publique déployés dans les zones rentables et les zones non
rentables dans le cadre d’un service d’intérêt économique
général (SIEG), à la condition que la compensation octroyée
vise à compenser uniquement les coûts qui résulteraient du
déploiement d’un tel réseau dans des zones non rentables.
La Commission expose le principe en ces termes : « Pour
se conformer à sa mission de couverture universelle,
un fournisseur de SIEG aura peut-être à déployer une
infrastructure de réseau non seulement dans les zones
non rentables mais également dans les zones rentables,
c’est-à-dire les zones dans lesquelles d’autres opérateurs
ont peut-être déjà déployé leur propre infrastructure de
réseau ou envisagent de le faire dans un proche avenir. Toutefois, vu les spécificités du secteur de la large
bande, dans un tel cas une compensation éventuelle ne
devrait couvrir que les coûts de déploiement d’une infrastructure dans les zones non rentables. »
Elle précise quelle méthodologie lui apparaît appropriée pour faire en sorte que la compensation octroyée
ne couvre que les coûts de fourniture du SIEG dans les
zones non rentables au sein d’un même projet couvrant
un périmètre plus large : « Ainsi, la compensation octroyée pourrait être fondée sur une comparaison entre
les recettes générées par l’exploitation commerciale de
l’infrastructure dans les zones rentables et les recettes
générées par l’exploitation commerciale dans les zones
non rentables. Les bénéfices excédentaires, c’est-à-dire
les bénéfices excédant le rendement sectoriel moyen
des capitaux engagés pour le déploiement d’une infrastructure à large bande, pourraient être affectés au
financement du SIEG dans les zones non rentables,
le solde faisant l’objet de la compensation financière
à octroyer. »
Dans trois décisions, concernant des mesures prises par
des collectivités territoriales françaises dans le cadre de
délégation de service public en matière de haut et très
haut débit, la Commission a conclu que les subventions
allouées étaient conformes aux quatre conditions définies dans l’arrêt Altmark, et n’étaient donc pas soumises
aux règles régissant les aides d’Etat.
A noter
Ces dispositions de droit interne et communautaire qui
règlent les conditions de validité de financement public
d’un réseau d’initiative publique ne doivent pas être
confondues avec les conditions d’éligibilité d’une opération
à des subventions provenant d’autres entités publiques,
tels le FEDER ou le programme national très haut débit.
2. Les conditions d’éligibilité
au programme
national très haut débit
Le Premier ministre a présenté, le 14 juin 2010, un
programme national de déploiement du très (…)
RÉFÉRENCES
● Loi
n° 2004-575 du 21 juin
2004 pour la confiance
dans l’économie numérique
(JO du 22 juin 2004, p. 11168)
● Loi n° 2008-776 du 4 août 2008
de modernisation de l’économie
(JO du 5 août 2008, p. 12471)
● Loi n° 2009-1572
du 17 décembre 2009 relative
à la lutte contre la fracture
numérique (JO du 18 décembre
2009, p. 21825)
SUR LE WEB
Le programme national
de déploiement du très
haut débit :
http://territoires.gouv.fr/
programme-national-treshaut-debit-0
L’Autorité de régulation
des communications
électroniques et
des postes (Arcep) :
www.arcep.fr
L’Association des villes
et collectivités pour
les communications
électroniques et
l’audiovisuel (Avicca)
www.avicca.org
XV
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LES COLLECTIVITÉS
ET L’AMÉNAGEMENT
NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE
(…) haut débit mobilisant des investissements d’ave-
nir au travers du fonds national pour la société numérique (FSN).
Ce programme concerne les déploiements de réseaux
très haut débit, hors des 148 communes situées dans les
zones très denses définies par l’ARCEP. Des orientations
complémentaires ont été rendues publiques le 27 avril
2011.
Dans ce cadre, le gouvernement a ouvert le 27 juillet
2011 l’appel à projets, doté de 900 millions d’euros,
pour cofinancer les réseaux des collectivités territoriales. Un cahier des charges fixe les conditions d’éligibilité des projets, dont le respect des zones respectives
d’intervention de la collectivité territoriale et des opérateurs. Le programme national invite les collectivités
à identifier ces zones dans le cadre d’une concertation préalable, puis d’une consultation formelle des
opérateurs.
● Le
cahier des charges du programme national THD
Selon le programme national très haut débit (THD) :
« – la collectivité territoriale pourra solliciter le soutien
de l’Etat pour son projet situé hors des zones que les
opérateurs se seraient engagés à couvrir ;
– les zones sur lesquelles un opérateur s’engage à commencer le déploiement d’un réseau à un horizon compris entre 3 et 5 ans et où la concertation entre les opérateurs et la collectivité territoriale n’a pu aboutir à
un accord entre les parties feront l’objet d’un examen
au cas par cas ;
– les projets publics comprenant une zone où le déploiement à l’initiative des opérateurs privés serait initié dans les 3 ans à venir et achevé au plus tard 5 ans
après le début des travaux ne pourront bénéficier d’aucun soutien de l’Etat ».
A noter
Ce choix de ne pas faire bénéficier du soutien de l’Etat
les projets des collectivités territoriales comprenant, au sein
d’un territoire plus large, une zone très dense ou une zone
où le déploiement des opérateurs privés serait initié dans
les 3 ans, n’est pas imposé par les règles communautaires
susvisées.
Ce mécanisme ne prend pas en compte le pouvoir des
collectivités d’intervenir sur l’intégralité de leur territoire dès lors qu’elles sont en mesure de démontrer que
la participation publique, au sein de projets intégrés,
porte sur les seules zones non rentables.
Il ne permet pas non plus la péréquation entre les zones
rentables et les zones non rentables de leurs territoires,
selon la méthodologie préconisée par la Commission
européenne dans ses lignes directrices.
XVI
● Mobilisation
des collectivités
L’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (AVICCA)
a ainsi regretté que ses demandes pour organiser une
véritable péréquation nationale n’aient pas été entendues. Elle rappelle que seule l’alimentation pérenne
du FANT donnera des gages aux collectivités que ce
chantier sera mené jusqu’au bout et avec une véritable
solidarité nationale.
Lors de Ruraltic à Aurillac, le 31 août 2011, sept collectivités et groupements de collectivités, parmi les plus
impliqués dans l’aménagement numérique de leur territoire, ont lancé un appel visant à replacer les collectivités au cœur de l’aménagement numérique, sur la base
de douze propositions dont, en particulier, la reconnaissance d’un statut d’opérateur d’opérateurs, le droit
à la réalisation de projets intégrés et la mise en place de
sources d’alimentation du FANT dès 2012.
Le rapport d’information « Aménagement numérique
des territoires : passer des paroles aux actes », présenté par le sénateur Hervé Maurey et adopté le 6 juillet
2011 par la commission de l’économie du Sénat, avait
également souligné les limites imposées, au nom d’une
interprétation stricte des règles de la concurrence, à la
prise en compte de l’intervention des collectivités territoriales dans le cadre du programme national THD.
Aussi, cette commission a décidé de consulter l’Autorité de la concurrence afin « de disposer d’une analyse indépendante et plus précise de la réalité des contraintes
juridiques nationales et européennes que le droit de la
concurrence exerce sur le déploiement et sur le financement public des réseaux haut et très haut débit ».
A noter
Les sénateurs Hervé Maurey et Philippe Leroy déposeront
prochainement une proposition de loi sur ces sujets.
III. Un enjeu financier considérable
pour les collectivités
Sur le plan financier, la couverture du territoire par
des réseaux « fibres à l’abonné » représente un enjeu financier considérable : les études réalisées sur le sujet
convergent vers un investissement total de 25 à 30 milliards d’euros pour une couverture quasi totale du territoire, à répartir à parité entre opérateurs privés et interventions publiques, qui seraient principalement portées
par les collectivités locales. Cet investissement serait
cependant lissé sur une période de 15 à 20 ans.
Le passage au très haut débit impliquerait donc un
changement d’échelle financière, par rapport aux réseaux haut débit dans lesquels l’investissement des collectivités est estimé à 2,9 milliards d’euros en plus de
10 ans. D’autant que deux paramètres sont susceptibles
d’évoluer :
– il n’est pas improbable, au regard des annonces actuelles des opérateurs privés, que la part publique soit
plus importante que prévue ;
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– il n’est pas certain qu’un déploiement en 15 ou 20 ans
soit accepté par les habitants et les élus des territoires
ruraux, qui ont récemment manifesté leur impatience
pour accélérer leur accès au très haut débit.
Dans ces conditions, les investissements publics à réaliser au cours des prochaines années seraient sensiblement plus importants qu’envisagés, posant la question
de leur financement dans un contexte de raréfaction des
ressources publiques.
Deux sources de financement public spécifiques sont
aujourd’hui envisageables :
– un financement national : d’abord avec le programme
national « très haut débit » (900 M€ en direction des collectivités locales), dans le cadre du fonds national pour
la société numérique (FSN), puis avec le fonds d’aménagement numérique du territoire (FANT), qui devrait
prendre le relais, mais dont on a vu que le financement
n’est pas assuré ;
– un financement européen, principalement à travers
le FEDER. Celui-ci a déjà dans de nombreuses régions
financé des projets « haut débit » et il est probable que le
très haut débit pourra également bénéficier de ces financements. Pour autant, la programmation actuelle (20072013) approche de son terme et les fonds restant disponibles sont souvent insuffisants au regard des projets
envisagés. Quant à la prochaine programmation, elle est
loin d’être arrêtée et les financements qui seront prévus
pour le très haut débit ne sont pas encore connus.
1. Les limites apportées à l’intervention publique
● Articulation
entre projets publics et privés
Encore des incertitudes donc, mais aussi beaucoup
de contraintes, car ces financements seront accordés
à des conditions contraignantes. Parmi celles-ci figure
en premier lieu l’articulation entre les projets de déploiements d’initiative publique et ceux des opérateurs
privés.
Sur ce point, la Commission européenne et le gouvernement ont une approche commune que l’on pourrait
résumer de la manière suivante : l’argent public ne doit
pas se substituer à l’argent privé.
En l’espèce, les fonds publics n’ont pas à financer des
déploiements qui pourraient être financés par les opérateurs privés.
En première analyse, cette approche semble frappée au
coin du bon sens et garante du bon usage des fonds
publics.
Le problème est l’articulation, sur le plan financier,
entre les zones de déploiement privé et public, sur le
territoire de chaque collectivité, alors que les objectifs
d’un opérateur privé et d’une collectivité ne sont pas
les mêmes :
– pour un opérateur privé, guidé par des objectifs de
rentabilité, l’enjeu est de ne se positionner que sur les
zones les moins coûteuses à couvrir et/ou les plus faciles à commercialiser, qui seront très souvent les zones
les plus urbanisées ;
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– à l’inverse, pour une collectivité, d’abord guidée par
des objectifs d’aménagement de son territoire, un déploiement homogène est en général privilégié.
● La
rentabilité inégale
L’équilibre financier d’un réseau de communications
électroniques, quelle que soit sa nature, résulte d’une
équation entre les investissements initiaux, les revenus
et les charges résultant de l’exploitation, qui est matérialisée financièrement par le taux de rentabilité interne (TRI) du projet et le besoin éventuel de financement public qui en découle.
Au sein d’un même territoire, cet équilibre n’est pas atteint de manière homogène : les zones les moins denses
et les plus éloignées sont a priori moins « rentables » que
des zones denses, avec un effet de ciseau entre le coût
de déploiement et les revenus attendus.
En réservant les zones les plus rentables aux opérateurs
privés et en laissant les moins rentables aux collectivités
locales, celles-ci se privent d’une possibilité de péréquation entre zones rentables et moins rentables, pour ne
conserver que les dernières.
C’est précisément la logique retenue dans le cadre du
programme national très haut débit, qui s’appuie sur
les annonces des opérateurs privés, officialisées dans
le cadre des déjà fameux AMII (appel à manifestations
d’intentions d’investissement).
La conséquence est simple : pour bénéficier du financement du FSN, les collectivités doivent exclure ces
zones « AMII » de leurs projets ou plutôt ne les intégrer
qu’à titre conditionnel, c’est-à-dire ne les traiter que si
in fine les opérateurs privés ne se conforment pas à leurs
annonces.
À LIRE
Le rapport d’information
« Aménagement numérique
des territoires : passer
des paroles aux actes »,
présenté par le sénateur Hervé Maurey et adopté
le 6 juillet 2011 par la commission de l’économie,
du développement durable
et de l’aménagement du territoire du Sénat (www.senat.fr
(rubrique « rapports »).
● Deux
zonages se superposent
Sur ce plan, la vision européenne diffère. La délimitation des zones pouvant être financées par des fonds
publics repose sur une logique de couverture existante
et de rentabilité. Le financement public est réservé aux
zones qui ne sont pas rentables, au sens où l’équilibre
financier entre investissements et revenus générés par
le réseau ne se réalise pas.
Même si on peut supposer que les opérateurs privés
vont d’abord viser les zones les plus rentables, donc
celles également visées par la réglementation européenne, les deux zonages ne se superposeront pas nécessairement. Ainsi, les annonces des opérateurs privés
portent sur des communes ou des EPCI entiers, alors
qu’au sein de ces « mailles » coexistent des zones rentables et moins rentables.
Une collectivité qui envisage de se lancer dans un projet de réseau très haut débit et souhaite mobiliser ces financements spécifiques, risque donc de se trouver face
à un choix cornélien :
– concevoir un projet qui couvre l’ensemble de son territoire, pour bénéficier des effets de péréquation entre
zones rentables et moins rentables, mais en courant le
risque d’être privé du financement du FSN ;
(…)
XVII
A N A LY S E
LES COLLECTIVITÉS
ET L’AMÉNAGEMENT
NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE
(…) – restreindre son projet aux seules zones non envisagées par les opérateurs privés et/ou les moins rentables (souvent les mêmes) en espérant maximiser les financements FSN et FEDER.
A noter
Dans ce second cas, un risque ne doit pas être négligé :
celui de devoir intervenir de manière « conditionnelle »
sur les zones de déploiement annoncées par les opérateurs
privés mais qu’in fine ils ne couvriraient pas ou ne couvriraient que partiellement. Dans cette hypothèse, il est probable que les zones à compléter par l’initiative publique
seront les plus coûteuses et/ou celles qui présentent
des difficultés techniques, induisant un réinvestissement
considérable, sans garantie de pouvoir bénéficier de financements complémentaires, du programme national très
haut débit comme du FEDER.
2. Un financement sous conditions
Au regard de cette analyse, il est clair que la définition
du projet et la recherche de financements nécessiteront
une ingénierie financière complexe, prenant en compte
l’ensemble de ces contraintes.
D’autant que pour bénéficier du FSN, mais aussi
du FEDER dans une certaine mesure, les projets publics
devront s’inscrire dans un « modèle » bien particulier,
qui induit de nombreuses contraintes, qu’il faut anticiper. Elles portent principalement sur deux aspects :
– la nature des investissements pris en compte ;
– les perspectives de revenus à attendre des réseaux très
haut débit.
● Nature
des investissements
Pour la nature des investissements se pose la question
de la prise en compte des différents « segments » du
réseau : collecte, desserte et enfin raccordement chez
le client. Chacun de ces segments, définis par le programme national très haut débit, représente une part
de l’investissement total. La manière de les traiter sera
donc déterminante dans le calcul du financement recherché. Si le segment de desserte ne posera a priori pas
de difficulté d’interprétation, il n’en est pas de même
des coûts des raccordements et de la collecte. Pour les
premiers, il est prévu que seule la part non prise en
charge par l’opérateur commercial (celui qui fournira le
service) ou le client final sera éligible au financement.
Pour le second, ne sera considérée que la part « nécessaire du fait de l’absence de solution de collecte existante et utilisable… ».
En d’autres termes, il sera nécessaire de détailler et de
justifier l’éligibilité de chaque segment du réseau, afin
d’identifier la part éligible au FSN.
XVIII
● Perspectives
de revenus
Pour les revenus, les modalités d’obtention du FSN
imposent un montant forfaitaire de revenus nets des
charges d’exploitation (totalement exclues par le FSN)
qui sont supposés être générés par chaque liaison fibre
à l’abonné, à déduire des coûts de réalisation du réseau.
Or, le marché du très haut débit est encore en gestation
et la réalité de son évolution dépendra de l’appétence
des clients, induisant des incertitudes sur le niveau de
ces revenus et l’horizon de leur perception. Le tout étant
encadré par des plafonds de subventions en pourcentage (de 33 % à 45,8 %) et en valeur unitaire par liaison
fibre.
A noter
Si nous résumons, les investissements nécessaires
à la réalisation d’un réseau fibre à l’abonné ne seront
pas tous éligibles au FSN, tandis que les revenus
à prendre en compte sont eux maximisés, ce qui conduit
mécaniquement à un besoin de financement public faible.
Dans ces conditions, pour obtenir un financement significatif du FSN, deux options pourraient se présenter :
soit optimiser la répartition des coûts entre les différents segments du réseau, soit afficher des coûts de déploiements unitaires suffisamment élevés afin de faire
apparaître un besoin de financement public important.
Or, en retenant cette dernière option, on entre en contradiction avec une approche rationnelle et prudente qui
devrait consister à réduire les coûts que l’on est sûr de
supporter rapidement (la construction du réseau) plutôt
que d’anticiper sur des recettes par nature aléatoires et
plus tardives (les revenus générés).
Finalement, la course au FSN qui se profile ne doit pas
faire oublier que celui-ci n’apporte que 33 % à 45,8 %
du financement public, le solde étant à la charge de la
collectivité. Et qu’à choisir entre un réseau « cher » pour
optimiser le niveau des subventions FSN et un réseau
au meilleur prix, pour minimiser le coût final pour la
collectivité, la seconde option pourra se révéler pertinente. ■
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