Un dimanche à Bouvines

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Un dimanche à Bouvines
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Visite guidée
Dimanche 27 juillet 1214. En ce jour sacré de repos dominical, Bouvines entre dans notre histoire. La quiétude de ce hameau situé à
l’est de Lille est troublée par le passage des troupes. Une coalition anglo-germano-flamande est lancée aux trousses de l’armée du roi
de France, Philippe Auguste. En ce début du XIIIe siècle, les conflits pour la conquête de territoires sont monnaie courante. Celui qui
oppose les Capétiens aux Plantagenêts et qui prend fin à Bouvines scelle tout de même le destin de nombreux Etats européens.
Un dimanche à Bouvines
En parcourant la carte en quête d’un lieu de
promenade dominicale, le doigt s’est arrêté sur
Bouvines. A la lecture du nom de ce village, une date
a surgi du fin fond de la mémoire : 1214. Immédiatement après, est venu le mot “bataille”. Un vieux livre
tiré de la bibliothèque, pour ne pas dire de son
sommeil, a ravivé les souvenirs scolaires. Il rappelle
l’organisation féodale qui prévaut au XIIIe siècle.
L’Europe n’est alors qu’une succession de fiefs
dominés par des dynasties de seigneurs. Vassaux
pour la plupart, ceux-ci sont avides de conquêtes et
de pouvoir, le tout sur fond de piété. Particulièrement
influents, les Plantagenêts, du royaume d’Angleterre,
s’inquiètent de la puissance montante des Capétiens.
Philippe Auguste (1180 – 1223) n’a de cesse d’agrandir
son territoire (lire page suivante). Après avoir obtenu
les faveurs de l’Eglise, le roi de France parachève son
entreprise par les armes. Bouvines en est le point
d’orgue et marque une étape dans la formation de la
nation française.
Amis des vitraux
Ce voyage dans le temps se poursuit dans l’église
de Bouvines. Classés aux Monuments historiques,
les 21 vitraux de cet édifice construit à la fin du XIXe
siècle retracent les principales scènes de la bataille.
“Chacun des vitraux mesure huit mètres de haut
sur trois mètres de large. Quelques-uns ont figuré à
l’exposition universelle de Paris de 1889,” commente
Lucienne Reviron, la présidente des Amis de
Bouvines. Immanquablement, la question du lieu
précis de la bataille est posée. “Elle a eu lieu sur le
plateau calcaire situé entre Cysoing, Gruson et
Baisieux. C’est à quelques kilomètres d’ici,” répond
Lucienne Reviron.
Bouvines, à l’époque, est un hameau situé dans
une zone marécageuse. Il est traversé, du nord au
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dénommer ainsi cet épisode. Quel nom donner,
en effet, à ce plateau soumis aux quatre vents, à la
frontière de plusieurs communes ?
Lieu d’interprétation
L’un des vitraux retraçant l’histoire de Bouvines
sud, par la rivière de la Marque, et, d’est en ouest, par
la voie romaine qui va de Tournai à Arras. Son pont
est donc stratégique, mais le site ne se prête pas
aux combats. En réalité, la bataille est engagée sur
un terrain propice aux manœuvres des cavaliers et
fantassins, sur le plateau calcaire au nord-est. Les
historiens parlent de “Bataille de Bouvines” parce
que la commune est citée par les chroniqueurs de
l’époque. Philippe Auguste se trouvait au niveau du
pont qui enjambait la Marque lorsqu’il apprit que
son arrière-garde avait été rattrapée par les coalisés.
Avant les hostilités, il aurait également prié à la
petite chapelle du hameau située en lieu et place de
l’église actuelle. Et puis, il était plus simple de
© Jean Lemahieu
Rien ou presque n’évoque la fameuse bataille sur ce
site qui est pourtant connu de millions de téléspectateurs. Chaque année au mois d’avril, il est survolé
par les caméras de télévision à l’occasion du ParisRoubaix. Le parcours de la Reine des classiques
traverse l’ancien champ de bataille. Dans le célèbre
café de l’Arbre, une table d’orientation rappelle les
faits. C’est là que nous avons rencontré Alain Streck
(lire ci-dessous). Ce Lillois passionné d’histoire et
d’écriture défend une autre théorie sur le déroulement précis des combats : “Le repli de Philippe Auguste
n’est pas une fuite, mais il le fait croire. C’est un plan de
rechange qu’il met en œuvre après que sa première
stratégie a été déjouée.” Au départ, en effet, le roi de
France prévoyait de surprendre les coalisés d’Otton à
Mortagne. Son armée étant inférieure en nombre, il
voulait jouer de l’effet de surprise. Il trouve près de
Bouvines le terrain propice à sa nouvelle stratégie.
Tout juste a-t-il été surpris par la date. Mais les coalisés
ayant enfreint la “paix de dieu”, cela a ajouté à son
avantage.
Cette théorie trouvera peut-être un écho favorable
dans le centre d’interprétation que souhaitent les Amis
de Bouvines. “Il s’agit d’un centre culturel et touristique
qui, selon un concept anglo-saxon, ferait revivre
l’époque de la bataille,” explique Lucienne Reviron. Le
projet est ancien et ambitieux. Il est notamment porté
par la commune de Cysoing qui aurait trouvé des
terrains pour l’implantation de ce centre historique
médiéval, digne de celui d’Azincourt. En attendant sa
construction, le site de la bataille et l’église de Bouvines
sont un très bon début.
REPÈRES
1180 Avènement de Philippe Auguste.
Le roi capétien a le souci d’agrandir son
royaume qui se résume à l’Ile-de-France,
l’Orléanais et le Berry.
1203-1213 Philippe Auguste conquiert par
les armes les territoires que détient
Jean sans Terre. Le roi d’Angleterre et dernier
représentant des Plantagenêts attise la
rancœur des autres seigneurs. Il forme une
alliance avec l’empereur Othon IV de
Brunswick, à laquelle se rallient, entre autres,
les comtes de Flandre, dont Ferrand de
Portugal, l’époux de Jeanne de Flandre.
16 février 1214 Des troupes de la coalition
anglo-flamande débarquent à la Rochelle.
D’autres sont stationnées au nord-est, près
de Bruxelles. Les Capétiens sont pris en
tenaille et leur royaume est menacé. Philippe
Auguste laisse son fils Louis VIII s’occuper de
l’ouest, tandis qu’il prend la direction de
Tournai. Au passage, des milices des
communes et abbayes se joignent à ses
troupes.
Les Amis de Bouvines.
Visites guidées pour groupes, sur rendez-vous.
Tél : 03 20 41 04 96
À LIRE
Si la bataille de Bouvines est évoquée dans tous
les livres scolaires, il n’existe que peu d’ouvrages
consacrés exclusivement à cet événement majeur
de l’histoire de France. Outre Le dimanche de
Bouvines, de l’historien Georges Duby, nous vous
conseillons la lecture de J’étais à Bouvines. Il s’agit
d’un roman qui est l’œuvre d’un Lillois, Alain Streck.
Ce cadre d’une banque régionale a consacré plus
de quatre années de son temps de loisirs à la
préparation de cet ouvrage. Celui-ci plonge le
lecteur au cœur de la bataille comme si il y était,
d’où le titre. Il reste très fidèle à l’authenticité des faits, ce qui lui a valu d’être primé à deux reprises.
“Je ne voulais pas écrire un livre technique”, explique Alain Streck.
J’étais à Bouvines, Alain Streck. 176 pages. 1998. Éditions l’Harmattan. 15 €.
© O. Busine
Au cœur de la bataille
27 juillet 1214 Arrivé la veille à Tournai,
Philippe Auguste se dirige vers Lille en
empruntant l’ancienne voie romaine qui va
de Tournai à Seclin via Bouvines. Les coalisés
pensent à une retraite et foncent à sa
poursuite. L’arrière-garde du roi capétien est
rattrapée. La bataille s’engage vers 14 h sur le
plateau près de Cysoing (lire ci-contre). Elle
prendra le nom de Bouvines, car Philippe
Auguste s’était arrêté à la chapelle SaintPierre un peu avant. Vers 20 h, les coalisés
sont défaits. La victoire de Philippe Auguste
sonne le glas des dynastie féodales. C’est le
début de l’histoire de France…