Les Rencontres de Shanghai ma haie

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Les Rencontres de Shanghai ma haie
Les Rencontres de Shanghai, « un séminaire en marchant »
Juillet 2014
Bulletin d’impressions / « ma haie » :
« Quand j’allume mon ordinateur pour me promener dans ma haie, je ne
suis pas dans une logique de « livre à la française », où les choses se
suivent et s’enchaînent pour former un tout. (…) C’est une organisation de
type « haie », en mouvement comme le « jardin » du même nom de Gilles
Clément, avec ses trous, ses changements de vitesse, ses inévitables
répétitions. »
(Ma Haie, Emmanuel Hocquard ed. P.O.L. 2001 )
Un voyage, non pas touristique, mais pour comprendre « comment va le monde ? ».
L’éloignement améliore la perspective, le changement de point de vue brise les lieux communs et
les idées toutes faites.
La découverte de l’œuvre de Wang Shu, architecte Chinois et Pritzker Price, a été déterminante
dans ma décision de participer à ce voyage. Que la belle Shanghaï ne s’en offense pas ! Elle reste
une des villes orientales aussi exceptionnelle que peuvent l’être New York ou bien Venise en
occident.
La vue sur le quartier du Pudong au bord du fleuve Huangpu est époustouflante. C’est notre
première soirée en Chine : restaurant en balcon au-dessus de l’eau, plateaux tournants et
baguettes ; il fait très chaud !
Pudong vu depuis l’autre rive
La Chine : surpopulation. Comment faire pour affronter l’augmentation de la population sur
terre ? Ici la question est cruciale. Exode rural en plein boum. C’est le XIXème siècle européen.
L’expansion des villes court à toute vitesse.
Au bord des routes des immeubles de béton hauts de trente étages et tous identiques s’alignent
à perte de vue. Ils semblent vides : aucune trace de vie, aucune lumière aux fenêtres, ils
attendent les dernières finitions pour accueillir les habitants. Mais comment ceux-ci vont-ils vivre
dans cet univers, par dizaine, par centaines, superposés.
l’urbanisation
La Chine : un état socialiste de dictature démocratique et une économie devenue libérale. Je ne
comprends pas l’alignement de ces mots et leur sens juxtaposé: socialiste, dictature, démocratie.
L’urbanisation à grande échelle et à grandes mailles fait apparaître le manque de lien dans le
nouveau tissu créé. La trame d’aménagement est trop lâche et l’emprise au sol des bâtiments
trop faible. Les aménagements urbains ne sont pas qualitatifs. C’est toute la réflexion
actuellement en cours dans la redéfinition de l’espace public à l’œuvre en Europe qui manque
cruellement ici. Toutes les erreurs de la reconstruction d’après guerre dont nous gardons les
traces en France sont reproduites à grande échelle. Question de temps : ils n’ont pas le temps !
Je n’ai pas encore bien compris d’où vient l’urgence contemporaine. Un ami Malien m’a raconté
un jour que lors de son premier voyage à Paris il s’était mis à courir dans le métro, croyant qu’il y
avait le feu, ou bien un danger quelconque. Comment, à cette vitesse là, « laisser pousser l’herbe
entre les pavés » ? (« Dialogues » G.Deleuze, Claire Parnet, ed. Champs/ Flammarion)
Chantier : nous visitons une réalisation d’immeubles de bureaux dans le quartier de la gare sud.
Et justement : l’herbe entre les pavés ! Des ouvrières chinoises, enveloppées dans des sacs
plastiques pour se protéger de la pluie, finalisent les aménagements paysagers autour des
constructions dans la terre boueuse. Nous apprenons qu’elles sont originaires des campagnes
reculées, qu’elles sont payées quelques yuans par jour, et que leurs enfants sont laissés aux bons
soins des grands parents dans les villages.
ouvrières sous sacs plastiques
Comme de bons petits soldats les bâtiments regardent tous dans le même sens. Mais pourquoi
toutes les constructions sont-elles orientées nord/sud ? Cette obligation d’orientation empêche
toute création de places et de quartiers constitutifs des villes. Comment faire sans composition
urbaine préalable à tout projet d’aménagement ?
Les « villages » (c’est bien le mot utilisé ici pour nommer la prolifération des maisons chinoises au
bord des immenses autoroutes urbaines) sont en fait un alignement de maisons orientées N/S.
Les maisons occupent la presque totalité de la parcelle : seul un retrait réglementaire de 3m est
imposé en limite de propriété. Elles sont toutes composées d’un rez de chaussée et de deux
niveaux, dont souvent le deuxième étage est vide. Cette disposition est issue du contexte
particulier qui autorise le gouvernement à exproprier les nouveaux propriétaires en cas de projet
de construction publique (route, pont, nouveaux tracés, chemins de fer, grand équipement…).
Dans ce cas le dédommagement est calculé en fonction de la surface habitable de la maison :
c’est pourquoi il faut utiliser au maximum le droit à construire dans l’éventualité d’une possible
expropriation.
les villages
Il n’y a pas de réelle qualité constructive dans la mise en œuvre des bâtiments (tout va toujours
trop vite), pas d’isolation thermique, pas de double vitrage, pas de prise en compte du
développement durable et des économies d’énergie. Cependant le Gouvernement Central de
Pékin a créé un Ministère de l’Environnement chargé de faire respecter les lois pour la protection
de l’environnement. Ces mesures sont difficiles à faire appliquer dans les provinces du fait d’une
trop grande imbrication des intérêts privés et politiques.
Je réalise à quel point la mixité est une composante indispensable à la création des villes. Ici les
« macro-lots » sont à mono-destination : zone d’habitation, zone industrielle, zone d’activités. La
mixité verticale et horizontale, où les usages et les fonctions sont partagés sur un même site, est
le lien nécessaire à la notion du « vivre ensemble » qui permet de porter une attention extrême à
toutes les questions sociales y compris celle de la survie de toutes les espèces et de la planète.
Pour aller à Ningbo on emprunte un pont de 36 kms de long depuis Shanghaï qui permet d’éviter
de faire le tour de la baie de Hangzhu. C’est le deuxième plus grand pont du monde après celui
du lac de Pontchartrain en Louisiane. J’essaye d’imaginer : c’est la moitié de la distance entre
Nantes et Saint Nazaire !
Au XIVème siècle, Ningbo comptait déjà 1,3 millions d’habitants ! A la même époque la
population de Paris était de 100 000 habitants ! Un siècle avant, Marco-Polo (1254 – 1324) avait
décrit cette fabuleuse civilisation. Entre Orient et Occident il a fallu attendre le XXème siècle et
l’avènement du communisme pour que la conscience occidentale prenne en considération cet
immense continent.
Je visite le Musée de Ningbo et observe une photo de la ville au début du XXème siècle. Je
mesure à quel point le monde moderne a permis de relier tous les points sur la carte. Je découvre
ainsi l’amnésie dans laquelle j’ai pu être plongée durant cinq siècles !
Le musée de Ningbo 2008
Nous y voilà ! Je ne connaissais ce projet que grâce aux publications dont il a fait l’objet.
L’émotion est toujours au rendez-vous des découvertes architecturales. Ce qui frappe avant tout
le visiteur éclairé c’est l’équilibre entre modernité et tradition dans le choix des formes et
l’utilisation des matériaux. Sur une structure primaire en béton, Wang Shu utilise la technique
traditionnelle du wa pan qui est l’empilement de tuiles et de briques récupérées des ruines. C’est
une méthode de construction traditionnelle des régions qui subissent les typhons. S’offre ainsi à
mes yeux une richesse de couleurs et de matières dont chaque mur est constitué. Le regard
fouille ainsi les surfaces qui se présentent comme des tableaux. J’essaye d’imaginer les ouvriers à
l’œuvre disposant les différents matériaux : tuiles, briques, morceaux de pierres sculptées. Je me
demande si Wang Shu a réellement fait des plans de détail de chaque mur ou bien si il a laissé
chacun libre de sa composition.
les murs du Musée de Ningbo
Les collines de Hangzhou, la brume sur le lac : quel spectacle féerique depuis le haut du temple
de Lingyin! Je regrette de ne rester ici que deux jours qui ne m’ont pas permis de visiter vraiment
la ville et ses environs. J’ai acheté des galettes de thé Longjing. Hangzhou est le cœur du terroir
du thé vert le plus réputé de Chine. Le thé Longjing fait l’objet d’un véritable culte pour les
Chinois : il serait idéal dégusté avec l’eau de source des Tigres Bondissants. Je n’ai pas eu la
chance d’aller voir cette source, ni de me faire raconter l’histoire de cette légende du IXème
siècle qui remonte à la dynastie des Tang : des paysans auraient imploré les dieux pour avoir des
pluies plus fréquentes, un bonze vit apparaître deux tigres bondissant de la forêt voisine et se
faire les griffes dans le jardin du temple. Aussitôt une eau pure sortit des traces de griffes…
les collines de Hangzhou
Hangzhou c’est aussi le lieu de la magnifique université construite par Wang Shu. Partout la
nature accompagne l’architecture dans un onirisme qui contraste avec tout ce que j’ai pu voir
jusqu’ici. La déambulation dans les différents bâtiments s’apparente à une promenade dans un
paysage escarpé : les façades s’escaladent le long des escaliers, les toitures sont des surprises de
placettes, petites rivières et enchevêtrements de charpentes bois, les murs en pisé côtoient la
structure béton et les linteaux de métal. Les courbes des longs pans de toit me rappellent que je
suis en Chine.
université de Huangzhu
EXIT/EXIT : difficile de trouver son chemin, de se faire une idée exacte de ce pays en pleine
mutation, de la nature des relations humaines et de la qualité de vie de ses habitants en si peu de
temps. Mais l’expérience d’un tel dépaysement, les rencontres organisées par la Cité de la Chine
avec les représentants de la ville de Shanghaï, les échanges qui s’en suivirent et la découverte de
l’œuvre de Wang Shu ont été une occasion exceptionnelle d’aborder cette géopolitique
complexe.
sol du Musée de Ningbo

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