fondations privées versus musée d`art contemporain

Transcription

fondations privées versus musée d`art contemporain
ANALYSE
2014
FONDATIONS PRIVÉES
VERSUS MUSÉE D’ART
CONTEMPORAIN
© Planétaire, Mark di Suvero lithographie,120x78cm, 1987
Image du Centre de la Gravure et de l’Image imprimée
Par Muriel de Crayencour
Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles asbl
Avec le soutien du service de
l’Éducation permanente de la
Fédération Wallonie-Bruxelles
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FONDATIONS PRIVÉES VERSUS MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN
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En Belgique, les initiatives privées prennent le pas sur les initiatives publiques pour
donner à voir l’art contemporain. Fondations et centres d’art remplissent le vide dû
à l’absence de musée d’art contemporain à Bruxelles. Ils se mettent même à se fédérer pour organiser des expos de niveau muséal, en s’échangeant des œuvres. Une
fameuse claque aux musées fédéraux !
Une analyse de Muriel de Crayencour
N
ul n’ignore que le musée d’art moderne de Bruxelles, intégré aux
Musées Royaux des Beaux-Arts (MRBA), a été fermé en 2011
sans concertation citoyenne ni décision politique, pour y installer
à la place le musée Fin-de-Siècle.
De plus, la capitale ne possède pas de musée d’art contemporain ni, au niveau des musées fédéraux, d’une politique culturelle pour cette période (achat
d’œuvres d’artistes actuels, inventaire, études,…) La première et principale
excuse invoquée à ceci est l’absence de budget. Or, aux MRBAB, on a trouvé
400.000 € pour installer de manière permanente dans l’escalier royal du musée rue de la Régence une fresque au Bic de Jan Fabre, « Le regard en dedans
(l’heure bleue) ». L’argent est donc là, mais qui décide ce qui doit être acheté ?
Avec de telles sommes, n’aurait-on pas pu envisager d’investir dans 40 œuvres
d’artistes émergents ? Pour cela, il faudrait, avant tout, une volonté politique
ou de la direction des musées, ainsi que la constitution d’un comité d’experts
et de conservateurs. L’autre excuse invoquée est le prix astronomique des
œuvres des artistes internationaux qui sont sur le marché. Cette raison est
absurde, ce n’est bien évidemment pas eux qu’il faut acheter.
Cette absence de politique d’achat n’est pas neuve, ce qui fait que les collections des musées fédéraux bruxellois ont un trou remarqué d’œuvres des
années 1970 à aujourd’hui (soit plus de 40 ans).
Ces quatre points : absence de musée d’art moderne, de musée d’art contemporain, de politique d’achat d’œuvres actuelles et le trou énorme dans les
collections sont tragiques à la fois pour les artistes au travail, pour le public et
pour le tissu social qui se crée par et avec la culture.
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UN MUSÉE, POURQUOI, OÙ ET QUAND ?
On parle beaucoup, ces derniers mois, de l’éventualité d’installer un musée
d’art contemporain dans le bâtiment Citroën de la place de l’Yser, à Bruxelles.
Malheureusement, si on lit entre les lignes ce que disent les représentants des
cabinets ministériels en charge (Politique scientifique et culture) qui ont participé au débat organisé par les BAD ( Brussels Art Days) mi-septembre 2014,
on se rend compte qu’il n’y a rien de précis ni de concret tant au niveau d’un
accord formel qu’au niveau d’un budget.
On oublie que « un musée c’est bien plus qu’un bâtiment », comme le disait
très justement Anton Herbert en juillet 2014, dans La Libre.
Les exemples du S.M.A.K. avec Jan Hoet ou de l’IKOB avec Francis Feidler illustrent parfaitement ce fait.
Gand, c’est en 1975 que fut créé le Museum voor Hedendaagse Kunst, jeune
musée qui, à l’époque, ne disposait pas d’un bâtiment propre, mais pour lequel
le Museum voor Schone Kunsten avait mis quelques salles et bureaux à disposition. Avant que le S.M.A.K., tel que nous le connaissons aujourd’hui ne soit
érigé en 1999, il a parcouru un long chemin et connu une croissance exponentielle. Quand le musée en tant que bâtiment est devenu une réalité, l’objectif
de Jan Hoet (fondateur et directeur du S.M.A.K. jusqu’en 2003), – permettre
au plus grand nombre de personnes de se familiariser avec l’art contemporain
– n’a pas changé d’un iota.
À
Eupen, loin, si loin de la capitale, un seul homme, Francis Feidler, sans bâtiment, fit naître l’IKOB (Musée d’Art Contemporain), qui aujourd’hui fait partie
du parcours des aficionados de l’art actuel.
À
« La
situation des musées et des institutions publiques belges est catastrophique », nous expliquait Anton Herbert, collectionneur et créateur avec son épouse
de la Herbert Foundation à Gand, il y a quelques mois. « Les musées et même
l’idée de musée sont poussiéreux. L’absence de musée d’art contemporain à
Bruxelles est dramatique. Tout est politique. Savez-vous que le docteur Herman Daled, radiologue à Cavell et grand collectionneur, a vendu la plus grande
partie de sa collection au MoMa en 2011 ? Ici, personne n’en voulait. Plus de
80 Broodthaers sont partis aux Etats Unis ! C’est tragique. Ici, à Gand, on va
essayer de collaborer avec la ville et le S.M.A.K, mais c’est très difficile de faire
le joint entre initiatives publiques et privées. Les musées doivent sortir de leur
torpeur et de leur peur du privé. Nous, de notre côté, on fait ce qu’on peut
mais il est hors de question de perdre notre liberté, notre subjectivité ! Pour
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Annick et moi, c’est essentiel de rester provocant. Pas pour le plaisir, mais
par nécessité. Nous avons une ligne de conduite. Il faut prendre position, être
subjectif, direct ! Quand vous avez quelqu’un qui vient de l’institutionnel dans
votre conseil d’administration, vous ne pouvez plus rien faire. Tout devient
politique. Et moi, ma politique, c’est l’art. Nous ne voulons pas du carcan du
public.»
EMERGENCE DES FONDATIONS ET INITIATIVES PRIVÉES
On constate ces cinq dernières années que de très nombreuses initiatives privées ont vu le jour. Pointons la Maison Particulière ouverte par un couple de
Français à Bruxelles près de la place du Châtelain, la collection Vanmoerkerke
près d’Ostende, la fondation Herbert à Gand, la collection Vanhaerents près
du canal, l’espace C.A.B. ouvert par Hubert Bonnet près de la place Flagey à
Bruxelles mais aussi celle de Galila Hollander, dont une partie importante fut
exposée de mars à septembre 2014 à la Villa Empain, etc.
Quelles sont les raisons qui animent les créateurs de ces lieux ? D’abord, la volonté de pérenniser et de fixer une collection, mais aussi celle de la présenter
au public et de partager une passion. Ensuite, des raisons fiscales ou égotiques
peuvent éventuellement influencer leur choix.
Quelles que soient ces raisons, le résultat est là : ces initiatives prennent la
place laissée vacante par les institutions quant au recueillement et à l’exposition d’art actuel.
QUELLE MISSION ?
Bien sûr ces initiatives privées n’ont pas la même mission qu’un musée : achat,
stockage, récolement, restauration, analyse et étude des œuvres de leur collection. Dans les faits, nombre d’entre elles s’en chargent. De cette manière et
uniquement via des fonds privés, l’art en train de se créer est acheté, rassemblé, recueilli, pérennisé et donné à voir. Ce rôle est essentiel à la fois pour les
artistes actuels, mais aussi pour le public, et pour un éventuel futur musée qui
pourrait envisager des collaborations avec ces initiatives privées.
A ce sujet, l’exposition « Use Me », de qualité muséale, à voir depuis juillet 2014,
à la Herbert Foundation de Gand est intéressante : on y trouve des œuvres de
très grand format d’artistes majeurs de notre temps, dont une grande partie
d’entre-elles sont empruntées à d’autres fondation,par exemple, les collections
Vanmoerkerke, Vanhaerents. Ceci illustre bien que ces collectionneurs privés
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font un travail qui devraient être fait de manière institutionnelle : montrer
(c’est à dire, assurer, transporter, installer, donner à voir dans un espace accessible au public) des œuvres d’art actuel. Sans compter le stockage de celles-ci,
ni les publications qui accompagnent l’exposition.
Se fédérant ainsi entre elles, elles créent un réseau d’exposition de l’art. En
unissant leurs collections, (l’accrochage à Gand en est un exemple), en prêtant
des pièces pour des expositions internationales, en soutenant des centres d’art
comme le Wiels, et bien sûr, en achetant des œuvres aux artistes vivants, ils
jouent pleinement leur rôle de mécènes et de passeport pour les artistes. Ainsi
ils remplacent un maillon décidément très faible au niveau institutionnel.
Pour comprendre l’ampleur du phénomène et la « capacité » à collectionner
des privés en Belgique, on note l’exposition qui s’ouvre en octobre 2014 au
Tri Postal à Lille, construite à partir de la collection de 18 collectionneurs de
la région de Courtrai. Ceux-ci comptabilisent ensemble près de 4000 œuvres,
la plupart de grand format.
CONCLUSION
L’écart se creuse chaque jour dangereusement entre le privé et le public. On
pourra critiquer ces collectionneurs et leurs moyens financiers qui semblent
infinis le jour où les institutions joueront enfin leur rôle vis-à-vis des artistes et
de l’art actuel. Les aspects financiers sont les fausses excuses des institutions. Il
est possible d’acheter à des artistes émergents, pour des sommes très raisonnables. Pour cela, il est urgent que les politiques et les responsables des musées
montrent une volonté précise, définissent des objectifs stricts, bien pensés,
budgétisés et mettent en place des partenariats public-privé pour qu’un musée ou une partie de musée d’art contemporain voie le jour à Bruxelles. C’est
un travail de longue haleine, dont le premier pas n’a pas encore été esquissé,
mettant à mal l’avenir professionnel de nombreux artistes, sur au moins deux
générations, dont la majeure partie travaille dans des conditions financières
dignes du 19ème s.
Par Muriel de Crayencour
Journaliste , Créatrice du webmagazine Mu-inthecity
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