« en tÉlÉ, c`Était le client idÉal »

Transcription

« en tÉlÉ, c`Était le client idÉal »
Comprendre François Hollande
le journaliste
« En télé,
c’était
le client
idéal »
Charles
Franz-Olivier Giesbert est un expert
ès présidents de la République. Le directeur
du Point a successivement fréquenté, puis
écrit des livres sur François Mitterrand,
Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Il donne ici
son avis sur François Hollande, et le tiers de
son quinquennat... déjà.
tirades sociales, politiques ou économiques. Rien à voir
avec l’éloquence pauvre et technocratique des Fabius,
Aubry ou Strauss-Kahn, trois bonnets de nuit. En télé,
c’était le « client » idéal, jamais en panne de formules,
rebondissant sur tous les sujets. J’ai toujours été étonné
que les petites coteries médiatiques, tellement moutonnières, ne l’aient pas vu arriver.
Hollande a plein de qualités. Il est très intelligent, très
lucide, très vif, très compétent, mais il a tendance à tout
voir à travers le prisme des rapports de forces politiques
et, surtout, c’est son plus gros défaut, il déteste trancher.
La preuve : quand il est avec un interlocuteur, il l’écoute et
le contredit rarement, lui donnant souvent le sentiment
qu’il est d’accord. D’où les malentendus. Sur ce plan, il
ressemble beaucoup à Mitterrand dont un de ses vieux
amis, François de Grossouvre, m’avait dit un jour : « Quand
il dit oui, ça veut dire non. » Avec Hollande, c’est la même
chose. Il n’aime pas dire non lui-même. Il fait dire non par
ses hommes de confiance. Comme Mitterrand aussi, il
préfère décider quand il est obligé et qu’il a le dos au mur.
C’est ce que j’appelle « la gestion paroxystique des crises. »
Trop d’intelligence nuit. Elle bride l’esprit de décision en
coupant les cheveux en quatre. Or, en politique, comme
dit Rocard, « il est essentiel de décider, que ce soit une bonne
ou une mauvaise décision. » Hollande réfléchit-il trop ? En
tout cas, il n’a pas su profiter des « cent jours » pour lancer
les réformes les plus difficiles. Il a trop attendu. Il a cru
à sa bonne étoile. Après l’état de grâce, c’est désormais
la tyrannie du statu quo qui, hélas, a repris le dessus. S’il
avait baissé sensiblement les dépenses publiques dès son
arrivée au pouvoir, il aurait été très impopulaire dans un
premier temps avant de récolter, ensuite, les fruits de sa
politique. Là, il est impopulaire et les fruits ne viendront
pas parce qu’il n’a pas semé grand-chose…
Hollande a-t-il une vision ? Oui, mais il ne la donne pas
pour ménager sa gauche. S’il a un objectif, il compte y
parvenir par des chemins détournés, sans jamais annoncer
la couleur, afin de garder, si j’ose dire, sa majorité. Avec son
amour des civilisations, Chirac pensait en millénaires.
Avec sa passion de l’Histoire, Mitterrand raisonnait en
siècles. Sarkozy, tout le monde l’a compris, en secondes.
Hollande, lui, c’est en jours ou en semaines. —
J
propos recueillis par Pierre-Simon Gutman
portrait Arnaud Meyer
e me souviens d’un type dont tout le
monde ou presque disait du mal, à la
direction du PS. Un homme sous-estimé,
parfois même méprisé par la seigneurie du
parti. On se rappelle la formule de Laurent
Fabius à son sujet : « Fraise des bois » ou
« Monsieur Petites Blagues. » Il y en a eu des
tas d’autres de ce genre, notamment de Martine Aubry
avec laquelle les relations ont toujours été compliquées,
François Hollande ayant été précédemment un lieutenant de son père, Jacques Delors. Il traitait tout ça avec
hauteur, voire mépris.
C’est peut-être ce qui, à l’époque, m’a le plus frappé chez
Hollande : cette distance et même cette indifférence
rigolarde par rapport à la détestation qu’il suscitait. Au
Point, on y a cru assez vite : en 2004, on en a fait « L’Homme
de l’année » avec couverture à la clé. Je ne vous dis pas les
ricanements que nous avons essuyés après. Que lui reprochaient les autres ? Surtout, de n’avoir aucune prise sur
lui. Il était déjà cette savonnette sur laquelle tout glisse,
les quolibets, les attaques et le reste. Les cadors du parti
avaient beau essayer d’infléchir sa ligne, il restait insaisissable et n’en faisait finalement qu’à sa tête, laissant
son homme-lige, Stéphane Le Foll régler les conflits à sa
place.
Je crois que les barons du PS lui reprochaient aussi son
insolente facilité. En meeting, c’était un orateur bien
supérieur à tous les autres. Comme Mitterrand, il savait
faire alterner les effets tragiques ou comiques, entre deux
115