PAUL - CHATOU -3ème Rencontre Madame Claude Voirin, bibliste
Transcription
PAUL - CHATOU -3ème Rencontre Madame Claude Voirin, bibliste
PAUL - CHATOU -3ème Rencontre Madame Claude Voirin, bibliste Saint Paul, responsable de la déchirure Juifs - Chrétiens ? Nous nous sommes penchés, lors de notre dernière rencontre, sur cette réputation qu’avait Paul d’être mysogine. Je crois vous avoir aidé à dépasser cette réputation largement injuste et encore à découvrir que dans la grande famille de Paul, ses collaborateurs étaient des hommes et des femmes. Les femmes ont peiné avec Paul pour l’annonce de la B.N, et cela dans la durée. Cette fidélité ne se comprendrait pas si Paul était mysogine ! Pour lui, le message de Jésus bouleverse les relations entre hommes et femmes. Désormais, c’est dans le Christ que ces relations doivent être vécues : «Il n’y a ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme. Car vous ne faites qu’un en Christ Jésus» (Ga 3,28) Aujourd’hui, nous allons aborder un autre thème de critiques : Paul est-il le grand responsable de la déchirure Juif-Chrétien et, par là même, de tout ce que les chrétiens ont fait subir aux juifs au cours de l’histoire ? Pour comprendre les affrontements entre Paul et les juifs, il est utile de préciser le sens de certains mots, et de resituer Paul dans son temps. Au temps de Paul, le judaïsme n’est pas encore ce qu’il sera à la fin du premier siècle. A l’intérieur du judaïsme, il y a différents courants. Sur un fond commun, des groupes se querellent sur la place du Temple, sur l’importance de la Loi, sur l’identité du Messie, sur les délais avant les derniers temps, etc... Cela permet de comprendre la violence verbale, et quelques fois physique des conflits internes au judaïsme. Qu’on ait en tête les violentes invectives des prophètes contre les écarts de leurs frères. «mon peuple, un ramassis de traïtres!» (Jr 9,1). Et Paul est, à n’en pas douter, héritier de ces hommes que leur zèle pour Dieu emporte. Au moment où Paul commence sa mission, ce sont presque exclusivement des juifs qui s’opposent entre eux : nazoréens (disciples de Jésus), pharisiens, zélotes, sadducéens. Chez Paul comme chez Jean, et même quelques fois chez Matthieu, l’usage du mot «juif» est complexe. Qu’est-ce qu’un juif ? un judéen ? un membre de la communauté d’Israël ? un croyant attaché à Moïse ? Il semble bien qu’à cette époque, le mot tende à dire une appartenance religieuse. En effet, même si, au début, les chrétiens sont ethniquement juifs, on voit avec l’arrivée des païens, que le terme prend un sens religieux. Le risque d’une confusion peut se comprendre au temps où l’Eglise n’a pas encore totalement coupé ses liens avec la foi juive. Nous pouvons aussi préciser qu’il manque au conflit entre disciples de Jésus et disciples de Moïse la version (absente) des Juifs. Ainsi, quand Paul écrit dans 1Th 2,14-15, versets les plus violemment anti-juif de tout le N.T. : «En effet frères, vous avez vous-mêmes imités les Eglises de Dieu en Jésus-Christ qui sont en Judée : vous avez souffert de la part de vos propres compatriotes ce qu’elles ont souffert de la part des Juifs. Ce sont eux qui ont tués le Seigneur Jésus et les prophètes, ce sont eux qui nous ont persécutés ; ils ne plaisent pas à Dieu et sont ennemis de tous les hommes, ils nous empêchent de parler aux non-juifs pour qu’ils soient sauvés», il faut imaginer un mouvement d’humeur provoqué par les attaques qu’il a subies et que les Thessaloniciens rencontrent à leur tour de la part de certains groupes religieux juifs. Il ne s’agit évidemment pas de tout le peuple juif, mais des responsables religieux qui avaient le pouvoir de déférer Jésus devant les autorités romaines. Nous sommes dans la controverse. Précisons aussi que Paul reste un homme sujet à la colère et capable d’emportement ! C’est l’usage qui en a été fait plus tard qui pose question, non la situation historique de Paul face aux Juifs. Et nous allons lire Rm 9-11 !! Erreur ! Argument de commutateur inconnu. Daniel Boyarin, un juif aqméricain, écrit dans un livre consacré à Paul (1994) : Paul «est la source de l’universalisme occidentale. Dans son authentique passion pour assurer une place aux païens dans la structure posée par la Torah .., il a, presque, contre sa volonté, semé les graines d’un discours chrétien qui allait totalement priver la spécificité ethnique et culturelle du judaïsme de toute valeur positive, et se muer en une «malédiction» aux yeux des chrétiens païens.» Que dans l’histoire un tel discours se soit levé, nul ne peut le nier. Que la doctrine paulinienne de la justification hors la Loi ait fonctionné comme une arme idéologique anti-juive, c’est certain. Mais il faut se poser la question : Paul soutient-il ce discours ? Après la Shoah, cette interrogation est devenue très aigüe ; les chrétiens sont obligés de s’interroger non seulement sur les dérives antisémites du christianisme, mais plus gravement sur l’éventuel antijudaïsme du Nouveau Testament. Se pourrait-il que le mépris du judaïsme ait imprégné jusqu’aux textes fondateurs de la foi chrétienne ? Un agressivité que Paul ne partage pas. Le processus de séparation entre juifs et chrétiens a duré plus d’un demi-siècle. Il fut lent, progressif, cahoteux, inégal suivant les régions, plus avancé en Italie qu’en Syrie par exemple. Ce divorce est le fruit d’une lente détérioration des liens aux causes multiples. Le traumatisme de 70 a accéléré la séparation puisque cette catastrophe a obligé le judaïsme a se reconstruire sans le Temple. Le judaïsme a été recimenté autour d’un axe : la Torah. Et ce sont les pharisiens qui reprirent en mains la destinée religieuse d’Israël. Les autres courants n’étaient plus crédibles. Cette recomposition a fait émerger une orthodoxie juive, phénomène inconnu jusque là, qui excluait les marginaux parmi lesquels se trouvaient les disciples de Jean-Baptiste et les chrétiens. De ce rejet, parfois violent, le christianisme a du se remettre ; le phénomène d’expulsion a rabattu l’Eglise vers les non-juifs et durcit son antagonisme envers la Synagogue. Il ne faut donc pas s’étonner si les évangiles - sauf Marc, écrit avant 70 - présentent les juifs, surtout les pharisiens, sous un mauvais jour. Les textes de Mt et Jn sont tout imbibés de la tragédie qui était en train de se produire : le schisme entre la foi au Dieu d’Abraham et la croyance au messie Jésus. Après la prise de Jérusalem, le christianisme perdit pour une part ses racines juives Mais attention, tous ces événements sont postérieurs à Paul. L’Apôtre écrit vingt ans auparavant, et sous sa plume, on ne lit rien qui ressemble à une telle évolution. On ne trouve ni image négative d’Israël, ni agressivité anti-juive (sauf, nous l’avons signalé, en 1Th 2,14-16). On peut chercher en vain l’image du «juif déicide» qui a écrasé ce peuple au cours des siècles. Dans les années 50, lorsque Paul écrit, les Eglises qu’il a fondées comprennent des chrétiens d’origine juive et païenne. Paul parle des juifs comme «des frères», «de sa race». Paul est venu avant que tout ait changé. Donc Paul n’est pas cause de la rupture même s’il la pressent. Mais ce qu’il a fait, c’est d’expliquer la spécificité chrétienne face au judaïsme. Et au moment de la rupture, les chrétiens se serviront de son argumentation pour se protéger, puis pour attaquer le judaïsme. Mais revenons à Paul et à «ses frères juifs» et voyons quelle est son espérance pour ses compatriotes. Pour Paul, fils de pharisien, défenseur de la Loi, la question du statut d’Israël ne va pas sans implications affectives profondes et c’est dans la lettre aux Romains qu’il va parler de l’élection d’Israël et de l’égalité de tous, juifs et païens, devant Dieu. Un mot sur l’Eglise de Rome à qui il écrit et dans laquelle se trouvent les chapitres dans lesquels Paul parle du destin d’Israël. Erreur ! Argument de commutateur inconnu. Nous ne savons rien du premier christianisme romain, sinon que la première Eglise n’a pas été fondée directement par un apôtre. Paul ne mentionne pas Pierre dans Rm. Une chose est certaine : le nom du Christ a été proclamé dans la capitale. La communauté a du être fondée par un réseau de juifs devenus chrétiens (Priscille et Aquila). Mais nous pouvons penser qu’il y a à Rome, vers l’an 50, bon nombre de judeo-chrétiens de tendances diverses : les uns voient dans le christianisme la suite du judaïsme, d’autres ne veulent garder qu’un minimum de pratiques. d’autres pensent que la Torah est complétement abolie. Il y a aussi des chrétiens d’origine païenne, essentiellement d’anciens «craignants-Dieu» et qui deviennent de plus en plus nombreux (1,16) A partir des années 50-55, les rapports entre les nouveaux chrétiens de Rome, judeo-chrétiens d’une part, pagano-chrétiens d’autre part, ont du commencer à se tendre et à devenir difficile. Des conflits portent sur des lois alimentaires, où les clivages dépendent probablement de l’attitude envers la Loi de Moïse (14,1-15,13). La lettre de Paul répond d’abord à cette tension de rapports entre ceux qu’il appelle «des juifs» et «des grecs» ou «nations».(attention au deux sens que peuvent prendre les mots «juif» et «païen») Dès le début, Paul met en perspective : «le juif d’abord, le grec ensuite» (1,16-17), et il se présente au début comme à la fin, comme l’apôtre des «nations» : «Dieu, par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat en vue de l’obéissance de la foi chez tous les païens en faveur de son nom» (1,5-6) ; «pour que je sois serviteurs du culte du Christ-Jésus pour les païens» (15,16). Ceci peut laisser supposer que les pagano-chrétiens sont supérieurs en nombre aux judeo-chrétiens. Mais Paul va aussi montrer que si les juifs ne sont pas supérieurs aux païens (2,17-24), les païens ne sauraient mépriser les juifs et oublier leur antériorité dans l’annonce de la promesse (11,13-15 . 1820). C’est une lettre de communion ecclésiale (C.Perrot) Paul veut affirmer l’égalité de tous, Juifs et non-juifs. Tous bénéficient solidairement de la grâce de Dieu dont ils ont semblablement besoin. Tout cela amène Paul à approfondir le coeur de son message, surtout ce qu’il a déjà débattu dans la lettre aux Galates. Bien des thèses de la lettre aux Galates seront reprises de façon plus nuancée et plus sereine. On peut dire que cette Lettre à toutes les époques reste une pierre de touche pour la pensée chrétienne.et rappelons-nous que l’Epître aux Romains est le dernier écrit de Paul et, même si elle vise la situation particulière de cette Eglise, on y trouve l’exposé le plus complet et le plus systématique d’un enseignement parvenu à pleine maturité, exposé le plus systématique de la substance de l’Evangile dans le Nouveau Testament. La puissance de l’Evangile pour libérer, clé de compréhension vraie des quatre évangiles eux-mêmes, se trouve dans cette lettre qu’il faut aimer même si sa lecture est un peu difficile. Cet Evangile n’est pas du lait, mais une nourriture solide pour une humanité adulte, phrase de l’introduction dans la Bible de Segond, rappelant ce que Paul écrit aux Corinthiens. Peut-être avez-vous lu les chapitres 9 à 11 de la lettre aux Romains. Paul, dans ces trois chapitres, applique à Israël les conclusions des développements des premiers chapitres de la lettre. Il aimerait convaincre ses frères. Paul va montrer qu’il n’est pas sacrilège d’affirmer que la Loi ne sauve pas, et qu’il a de bonnes raisons de soutenir ce point de vue. Ses meilleurs raisons, il va les prendre à la source. et quelle est la source de la foi d’Israël , Abraham. Non pas Moïse, mais Abraham, car tout Israëlite est fils d’Abraham et voit en lui le départ de la promesse, qui est comme l’acte de naissance du peuple. «Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai ... Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai qui te bafouera ; en toi seront bénies toutes les familles de la terre» (Gn 12,2-3) Erreur ! Argument de commutateur inconnu. L’intention de Paul est claire : remonter au patriarche, c’est remonter à l’origine où Dieu se révèle. Or que dit-on à l’origine ? «Abraham eut foi en Dieu, et cela lui fut compté comme justice» (Gn 15,6) Abraham a été reconnu comme juste non pas sur la base de son obéissance, mais sur la bae de sa foi, de sa confiance en Dieu. Conséquence : Dieu impute la justice indépendamment des oeuvres (Rm 4,48) Et cette promesse est-elle réservée aux circoncis, c’est à dire Israël seul, ou concerne-t-elle toute l’humanité ? La promesse a été faite à Abraham avant la circoncision (Gn 17). Abraham était donc un juste alors qu’il était incirconcis; conséquence pour Paul : le salut accordé à la foi vaut pour tous les incirconcis (Rm 4,9-12). Ainsi Abraham est à la fois le père des circoncis et le pére des incirconcis, dans la mesure où tous, juifs et païens, marchent sur les traces de la foi de notre père Abraham avant sa circoncision (Rm4,13-16) Dès lors le chrétien venu des Nations posséde aussi un père, un peuple et une histoire. Pour en comprendre la portée, il faut avoir à l’esprit que, dans le courant pharisien et toute une part de la tradition juive, Abraham est considéré comme une figure exemplaire de par son obéissance, l’acte majeur par lequel il obéit étant qu’il accepta le sacrifice d’Isaac, l’enfant de la promesse. l’événement est rapporté au chap 22 de la Gn : la «ligature d’Isaac». La pensée juive tirait peu de parti d’un autre épisode de l’histoire d’Abraham rapporté au chap 15, le moment où Dieu lui promet qu’il aura un fils de ses entrailles : «contemple donc le ciel, compte les étoiles si tu le peux ... Telle sera ta descendance3 Et le texte ajoute «Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compter comme justice» (Gn 15,5-6). Paul n’exploite absolument pas l’obéissance d’Abraham. Mais le salut des Israëlites ne peut se faire en dehors du Christ (Rm 9,3). Si le juif comme le païen peuvent être sauvés, alors pourquoi ses frères de sang se laissent-ils mettre à l’écart du Salut ? Pour Paul, fils d’Israël, pharisien, chantre de la Loi, la question du statut d’Israël ne va pas sans implications affectives profondes. Il en est profondément blessé dans ses solidarités avec son peuple. Paul se dit atteint au plus profond de lui-même : «dans son coeur» (9,2), affecté d’un tourment qui ne le quitte pas, à propos de ses frères israëlites : ils ont tant reçu - «l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la Loi, le culte, les promesses (9,4) , ils descendent des patriarches «les pères» et ils ont donné origine au «Christ selon la chair» (9,5). Ils étaient les mieux placés pour recevoir l’Evangile, ils en étaient les premiers destinataires et, dans leur grande majorité, ils ne le reçoivent pas. Penser qu’Israël, héririer des promesses faites à Abraham, semble être en marge de la voie du salut a pour lui, tant dans son coeur que dans sa compréhension du dessein divin, quelque chose d’insupportable. Comment supporter un pareil échec ? Paul préfèrerait être «anathème» (pas seulement exclu de la communauté, mais maudit), «séparé du Christ» (9,3), si cela était pensable et profitable à ses frères israëlites, ceux de sa famille, de sa tribu, de son peuple (ceux de ma race selon la chair). Voilà ce qu’écrivait Théodoret de Cyr au 5ème siècle au sujet de ces mots : «c’est presque comme si Paul disait : moi que ni la vie, ni la mort, ni les réalités présentes, ni les réalités futures, ni aucune autre créature ne pourra séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ (cf Rm 8,38-39), je serais très volontiers séparé de lui pour le salut des juifs. Il est clair qu’il n’a pas dit cela parce qu’il les préfère au Sauveur, mais pour montrer l’amour qu’il a pour eux et son ardent désir de les voir tous se rendre et accueillir avec joie la proclamation du Salut» Pour une bonne interprétation de ce texte difficile, le frère Nicolas-Jean Sed, dominicain et directeur général aux éditions du Cerf, nous signale ceci : - «Séparé du Christ». Paul envisage d’être séparé du Christ pour ses frères, mais pas de ses frères pour le Christ. Ce qui montre combien son identité est profondément juive et que cette Erreur ! Argument de commutateur inconnu. controverse est totalement interne au judaïsme. Nous lisons ces lignes après la séparation entre juifs et chrétiens, ce qui n’est pas encore réalisé lorsque Paul écrit et n’a donc jamais envisagé une telle hypothèse. Paul veut seulement dépasser les questions de simples observances pour aborder la question du salut. Rappelons encore la place que la Loi occupait au 1er siècle dans le judaïsme. La centralité de la Loi : en fréquentant les textes du judaïsme contemporain des écrits de Paul, on voit que la Loi est au coeur de la réflexion théologique et de la piété. La Loi est un don fait par Dieu à son peuple élu. L’Alliance de grâce offerte par Dieu a été scellée par le don de la Loi et suscite, en réponse, l’obéissance du peuple. La Loi, signe de l’identité juive : La Loi, en particulier à travers les prescriptions fondamentales que sont la circoncision et le Sabbat ainsi que les règles de pureté rituelles et alimentaires, contribue à définir l’identité juive. Elle rend particuliers ceux qui les appliquent, soit d’une façon sectaire comme à Qumram, soit de façon «intégrative», comme pour les prosélytes, païens qui veulent appartenir pleinement au peuple juif. La Loi, source et garantie de la liberté humaine : Dieu garde dans son Alliance celui qui porte en lui les marques d’appartenance à son peuple et obéit à ses préceptes. Ainsi la Loi rend libre. L’enjeu pour Paul n’est pas seulement le sort d’ Israël, c’est aussi la crédibilié de la Parole de Dieu qui est nécessairement engagée par cet échec ou ce salut. Et si elle n’a pas été fiable par rapport à Israël, l’est-elle encore pour les croyants de Jésus Christ ? La Parole de Dieu tient-elle encore après cet échec ? Paul cherche la lumière dans la théologie, en interrogeant le visage que Dieu a lui-même révélé dans l’histoire de son peuple. Paul va s’affronter aux grandes questions de l’appel de Dieu, de ses choix, de sa liberté, de sa justice, de sa miséricorde, de sa sagesse. Le Dieu de l’Evangile ne peut être un autre Dieu que le Dieu d’Israël : le tout c’est d’arriver à le reconnaître dans une situation aussi déroutante. Paul est ici le Job du nouveau Testament (Paul Bonny). Paul cite Job 15,8 en Rm 11,34 et Jb 41,3 en Rm 11,35 Comme nous l’avons déjà dit, Paul, en Rm 9,1-5, ecrit dans la douleur et la tristesse puisque ses frères de sang se laissent mettre à l’écart du Salut. Rm 9,6-13 : Dieu n’est pas cependant mis en échec par l’incrédulité de la plus grande partie d’Israël. «Non pourtant, qu’ait échoué la parole de Dieu» (9,6a). L’échec de la parole de Dieu est impossible, ou alors, Dieu n’est plus Dieu. Et Paul va montrer que ce qui arrive à Israël n’est pas un échec de la parole de Dieu, mais bien plutôt sa confirmation. Il va argumenter en s’appuyant essentiellement sur l’Ecriture. Et dans un premier temps, Paul se tourne vers l’histoire des origines de son peuple. «Car tous ceux qui sont nés d’Israël ne sont pas tous Israël» (9,6b) Ce n’est pas tous ceux qui sont de la postérité d’Israël qui sont Israël et ce n’est pas parce qu’ils sont de la descendance d’Abraham qu’ils sont ses enfants (9,6).). En effet, être de la descendance d’Israël n’est pas une question ethnique, c’est d’avoir confiance en une promesse. On retrouve ici l’Evangile de Paul (la Bonne Nouvelle qu’il annonce), qu’il prend soin d’établir dans la tradition juive. Il la fonde d’une part dans l’histoire d’Abraham et de la promesse d’une descendance «non charnelle» (9,8 : Paul veut montrer que, parmi les enfants d’Abraham, seuls sont sa descendance «sperma» - authentique ceux qui, à sa suite, croyant comme lui à la Parole, deviennent le peuple de la promesse, les enfants de Dieu). Abraham eut deux fils, Isaac et Ismaël ; or c’est le seul Isaac qui hérita de la promesse (9,7-10) Erreur ! Argument de commutateur inconnu. (9,10-13). D’autre part, dans l’histoire de Jacob et d’Esaü, Paul évoque le choix «gratuit» de Dieu qui, à l’encontre de la logique des hommes, a fait passer le second avant le premier. Fils d’Isaac l’un et l’autre, on aurait pu penser qu’ils étaient tous deux au même titre, enfants de la promesse au sens des vv 7 et 8. Pourtant, avant la naissance même des deux jumeaux, Dieu décide que seuls les enfants de Jacob seront les enfants de la promesse, précision d’autant plus inattendue que, dans ce cas présent, c’est le cadet qui est préféré à l’ainé. Déjà, Dieu annonçait l’Evangile de la Grâce, par delà le bien et le mal, par delà les oeuvres. Paul montre que ni les oeuvres, ni l’origine éthnique, ni le clan, ni le sang ne valent. Seul compte l’appel de Dieu Le choix divin n’est pas décidé en fonction des droits ou des mérites humains, mais uniquement en fonction du souci de mettre en relief la pure gratuité de l’élection divine. Il importe que la réalisation du salut apparaisse comme pure grâce de Dieu. C’est en cela que consiste la vérité de la Parole de Dieu. Dieu est libre, l’homme est son oeuvre, l’appel est entièrement gracieux, nul ne peut reprocher à Dieu de ne pas avoir été choisi pour une mission particulière. «J’ai aimé Jacob et haï Esaü» : sémitisme pour : «j’ai préféré Jacob à Esaü» (cf Gn 29,31) Rm 9,14-18 Cette «gratuité souveraine» de Dieu ne dit-elle pas son injustice ? Non, elle est la marque de sa miséricorde : Dieu n’évalue pas l’être humain à ses qualités innées (le droit d’aînesse) ou à sa puissance (comme le pharaon). v16 : «Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court (traduction littérale), mais de la miséricorde de Dieu». Paul veut affirmer que les efforts humains sont impuissants à faire accéder à la justification. Mais il dit bien, ailleurs, que l’homme, justifié par la grâce de Dieu, ne saurait se dispenser de la lutte et de l’effort (Rm 6,13-19 ; 12,11 ; 1 Co9, 24-27 ; Ph 3,12-14) Le seul dessein de Dieu est que son Nom soit proclamé sur toute la terre. v 17 : Paul n’envisage ni la culpabilité personnelle de Pharaon, ni sa réprobation éternelle. Il affirme que l’attitude du persécuteur faisait partie d’un plan supérieur de Dieu : sans le savoir, le Pharaon, par son obstination, concourait à la réalisation de la Promesse. Rien n’échappe à Dieu, il n’est pas pris de court par la résistance humaine. Il l’a intégrée d’avance à la réalisation de son dessein, et, s’il en est ainsi, si même l’endurcissement relève de sa mystérieuse sagesse, c’est qu’il doit y servir une fin positive, dont pourra être bébéficiaire même celui qui a été endurci. Comment pourrait-on avoir confiance à l’efficacité de la parole de Dieu, si Israël était définitivement perdu? Le même cas ne pourrait-il pas arriver à l’Eglise ? Y a-t-il une solution à ce dilemne ? L’Apôtre la cherche dans une redéfinition d’Israël qui ne s’appuie plus sur la descendance naturelle, mais sur la Promesse, sur un dessein qui procède par libre choix (cf Rm 9,8-12). «Israël» est celui qui est voulu et promis par Dieu (cf Rm 13-18). Rm 9,19-29 Mais alors de quoi se plaint Paul ? Qui peut discuter avec la volonté de Dieu ? Comment l’homme avec son étroitesse d’esprit ( et sa logique des oeuvres) peut-il discuter avec Dieu et sa volonté universelle de salut ? Paul rappelle celui qui objecte au sens de ses limites : «ô homme !» qui es-tu pour contester avec Dieu ? Que peux-tu dire de la sagesse de Dieu ? Dieu n’est pas injuste, mais il agit comme le potier qui fabrique de la même pâte un vase de luxe et un vase ordinaire (9,14-23). Et on ne peut demander compte à Dieu de ses choix. Paul a cependant laissé entrevoir que ces choix ne relèvent pas de l’arbitraire pur, ils ont une finalité de révélation universelle : «je t’ai suscité pour que ma gloire soit annoncée à toute la terre» a-t-il dit à Paharaon. On entrevoit déjà, bien que cela ne soit pas encore dit, que l’endurcissement provisoire d’Israël sert un dessein qui le dépasse et qui pourra lui revenir de manière bénéfique. D’ailleurs ce Dieu-là n’a pas oublié son peuple : il a gardé un reste ... composé de juifs et aussi de païens dont il a fait «son» peuple en toute souveraineté et gratuité. Une citation d’Osée : dans cet oracle, Osée annonce le retour en grâce d’Israël coupable. Rejeté un temps par Dieu à cause de ses fautes, le peuple élu redeviendra, au jour de la conversion et du pardon, Erreur ! Argument de commutateur inconnu. le peuple de Dieu, son peuple. Paul applique ce texte aux païens : eux qui n’étaient «son peuple» , le peuple de Dieu, deviennent, en Jésus Christ, «son peuple». Paul prend soin d’employer le mot «ioudaios» (juifs) au v 24, car il veut désigner des individus et des groupes de juifs qui ont accepté l’Evangile du Christ. Ils forment avec les païens qui n’étaient pas le peuple de Dieu mais le sont devenus, ce que Paul appelle «les vases de miséricorde» (9,23). Ces vases de miséricorde ont été façonnés par Dieu pour la gloire. Quant à Israël, il est exclu dans sa majorité, mais le Reste constitué très probablement par les Juifs du v 24 sera sauvé. C’est le thème principal de la prédication prophétique. Les prophètes n’ont cessé d’annoncer que seule une petite minorité du peuple d’Israël, le «reste», comprendrait le sens des épreuves, se convertirait, et recevrait les biens messianiques (Am 3,12 ; 5,15 ; Is 4,3 ; 6,1»' ; ... Mi 4,6-7 ; ... ; Jr 23,3 ; ... ; Za 8,6-11 ... ). Romains 9,30-33 «Que dirons-nous donc ? Que des païens qui ne poursuivaient pas la justice ont reçu la justice, la justice de par la foi, mais Israël, poursuivant une loi de justice,à la loi ne parvint pas» (9,30-31) Cette troisième interpellation approfondit le constat : les païens qui ne chercahaient pas le salut sont sauvés par la foi, alors qu’en sa majeur partie, Israël a buté sur le Christ, sa pierre d’achoppement comme le dit Is 28,16. Paul souligne l’impasse dans laquelle s’est mis Israël. Il s’est enfermé dans la recherche de «sa propre justice». L’Israël historique, dépositaire de la Loi, ne comprit pas que la Loi elle-même lui proposait d’obtenir la justice par la foi. Il s’accrocha à une logique des oeuvres et à la recherche de sa propre justice, ce qui lui fit manquer la justice de Dieu, l’objectif même auquel la Loi aurait du le conduire. Mais les Juifs sont en quelque sorte trop près de cette grâce pour l’apercevoir (comme le fils ainé de la parabole). Israël a donc «raté» la loi (9,31), car la justice vient de la foi et non des oeuvres. Israël n’est pas parvenu au but auquel devait conduire la Loi, d’une part parce qu’il ne l’a pas observée (Mt 23,3 ; Ac 15,10 ; Rm 2,21-23) et d’autre part parce qu’il n’en a pas compris la finalité. Ce n’est pas en continuant à appliquer les prescriptions de la Torah et les traditions interprétatives qu’Israël garde son identité, mais en s’appropriant la promesse originelle de la justice (cf Rm 4 et la foi d’Abraham). S’ils croient, ils ne seront pas confondus : pour eux aussi la foi est le seul chemin. Paul dit que ceux qui recherchent la justice, non par les oeuvres (ou qualités acquises, reçues ou innées) mais par la foi , même s’ils sont païens, la reçoivent. En bref, la séparation entre frères comme le retournement de situation en faveur des Nations ont parfaitement été prévus par Dieu, libre, bon, et toujours juste. Dans ces conditions pourtant, est-il encore possible de parler d’un salut du peuple d’Israël, du moins considéré dans son entier ? Que vat-il advenir de cet Israël dans sa majorité encore non convaincu ? Romains 10,1-21 Paul souhaite que ses frères de race parviennent au salut (10,1). «Ils ont du zèle pour Dieu» (comme celui de Paul avant le chemin de Damas) : je l’atteste, mais c’est un zèle mal éclairé (10,1-2). Paul met le doigt sur l’aveuglement qui amène Israël à ignorer la manifestation véritable et définitive de la justice de Dieu (la justification de tous par la foi) pour s’attacher à une «justice» spécifique (celle de la loi) puisque, malheureusement, ils passent à côté de la seule connaissance qui sauve : non pas celle de la Loi, mais celle de la foi au Christ Jésus, fin de la Loi. «La fin de la Loi c’est le Christ, pour que soit donné la justice à toute personne qui croit» (10,4) Fin : telos, ce terme grec peut exprimer à la fois l’idée de but, de terme et d’accomplissement, mais aussi d’abolition. Rm 10,5 : en régime de Loi, on a pu être justifié par l’observance de la loi. Mais la justice qui vient de la foi est plus proche. Elle est relié à Jésus Christ qui est lui-même plus proche et que le croyant Erreur ! Argument de commutateur inconnu. peut rencontrer sans avoir à descendre aux abimes : «Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur» (10,6-8 citant Dt 30,14). Paul souligne la futilité de vouloir être juste devant Dieu sur la base des oeuvres, alors que «si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton coeur croit que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé» (10,9) En Christ, justice et salut n’ont plus de rapport avec la loi ; la confession de foi sincère est le moyen privilégié pour les recevoir «Si tu professes dans ta bouche que Jésus est Seigneur, et si tu crois dans ton coeur que Dieu le ressuscita des morts, tu seras sauvé» (10,9) La phrase reprend certainement des confessions de foi traditionnelles dont il est lui-même l’héritier, à savoir «Jésus est Seigneur». Paul construit à partir d’elles cet énoncé, admirable dans sa concision, qui proclame le salut du croyant indépendamment de toute bonne oeuvre et de tout rite. A nouveau, Paul rappelle que cette justice qui vient de la foi abolit les différences entre Juifs et Grecs : tous ont le même Seigneur (10,10-12). La foi est l’acte par lequel l’homme s’en remet à Dieu, seul auteur du salut en Jésus Christ. Cette application à Jésus du titre de «Seigneur», que l’A.T. réservait à Dieu, indique que dans la pensée des premiers chrétiens, l’oeuvre du Christ était bien l’oeuvre de Dieu. Cette continuité de vocabulaire montrait bien la continuité de l’Alliance. Et tout cela accomplit Jl 3,5 (2,32) : «Tous ceux qui invoqueront le nom de Yahvé seront sauvés» Donc pour les Juifs comme pour les Grecs, sans nulle distinction entre eux, la justice du salut, c’est à dire l’authentique voie d’accès à Dieu, ne peut désormais venir que de la foi au Christ. La foi sauve et non plus la Loi. (On retrouve toute l’argumentation de Rm 3,21-30). Mais pour invoquer il faut croire, pour croire, il faut avoir entendu le message, pour entendre, il faut qu’il y ait eu proclamation, et de fait, des messagers ont été envoyés par toute la terre. La parole du Christ est la seule et unique chose qui vaille d’être annoncée à tout homme (10,17). Tous les préalables à la foi et à l’invocation ont bien été posés ; Israël n’aurait-il pas entendu le message apostolique ? Si ! Alors, est-ce qu’il n’aurait pas compris ? Non. La communication s’est faite, mais elle s’est heurtée à un refus. C’est bien là le paradoxe ; Israël a été devancé par une nation sans intelligence, et Dieu a été trouvé par des gens qui ne le cherchaient pas. De quoi rendre Israël jaloux (10,14-21). Alors, en est-ce fini avec Israël ? (Romain 11) Texte de Paul de Tarse de Marguerat P 71 La racine qui te porte Si Paul fait d’Abraham l’ancêtre des juifs et des païens, à quoi bon Israël ? A quoi bon son long cheminement avec Dieu ? Et si la justification n’est jamais donnée qu’en vertu de la foi, quel salut attend ceux qui nient cette priorité de la foi sur la Loi ? Paul traite la question dans l’épître aux Romains avec une grande rigueur dans les chapitres 9 à 11. Paul est traversé de sentiments contradictoires face à la brillance d’une tradition à laquelle Dieu s’est si intimement lié (Rm 9,3-5). Paul hésite entre deux arguments qu’il entrelace jusqu’à la fin. Le premier consiste à dire qu’au fond il n’y a pas d’échec. Les vrais enfants d’Abraham sont les enfants de la promesse, donc les chrétiens. L’histoire du peuple élu a toujours fonctionné ainsi, la majorité du peuple n’écoutait pas la voix des prophètes, elle demeurait endurcie. Mais il y avait un reste, un reste sauvé selon le libre choix de la grâce (Rm 11,5) Le deuxième argument est bien diférent : oui Israël s’est trompé en rejetant le Messie, car ils ont un zèle pour Dieu, mais c’est un zèle qui n’éclaire pas la conscience (Rm 10,2) Mais ce n’est pas pour toujours qu’ils ont trébuché, car leur faute à eu cet effet bénéfique de faire accéder les païens au salut en vue d’exciter la jalousie d’Israël (Rm 11,11). Et Paul rappelle que les païens sont les bénéficiaires de seconde main, greffés sur les branches restantes de l’olivier. Israël est donc la racine qui te porte (Rm 11,18) car c’est à lui qu’ont été décernées les promesses. P 73 Erreur ! Argument de commutateur inconnu. Il reste un mystère On perçoit bien la tension entre les deux arguments. Paul sort de cette impasse par un coup de théâtre qu’on appelle en théologie : un mystère. Le mystère désigne une vérité non prévisible et non déductible. Je ne veux pas frères que vous ignoriez ce mystère, de peur que vous ne vous preniez pour des sages : l’endurcissement d’une partie d’Israël durera jusqu’à ce que soit entré l’ensemble des païens ; ainsi tout Israël sera sauvé (Rm 11,25-26) On voit les convictions de Paul. - son absolu respect de la liberté de Dieu qui sauve qui il veut sans que l’homme toujours comprenne. - à ses yeux, les dons et les appels de Dieu sont irrévocables (Rm11,29) : ce que Dieu a promis autrefois à Israël il ne le retirera jamais. Sa tendresse est inviolable. - S’il est vrai que Dieu sauve par grâce, et non en comptabilisant l’obéissance, alors Israël aussi bénéficiera du prodigieux cadeau. La théologie paulinienne de la grâce trouve son aboutissement ultime à confesser que nul n’est propriétaire de Dieu, ni Israël, ni l’Eglise. Si l’histoire de la grâce se tisse maintenant avec les chrétiens, ce n’est pas pour autant que le lien que Dieu a avec Israël se vide de sa miséricorde. Non parce que Israël est méritant, mais parce que Dieu est Dieu. Rm 11,1 «Dieu aurait-il rejeté son peuple ?». Dans une réponse négative indignée à cette question qu’il a posée de manière réthorique, Paul parle en Israëlite, descendant d’Abraham, de la tribu de Benjamin, choisi par grâce et il est devenu croyant du Christ Jésus. Et il n’est pas seul. Il cite des exemples de l’histoire d’Israël où la majorité a failli, mais Dieu a conservé un reste (11,2-10). Comme au temps du prophète Elie, Dieu s’est réservé un reste fidèle, en pure grâce souveraine de Dieu. Et ce reste a permis de redémarrer. Paul construit un parallèle entre ce «reste» de l’époque prophétique et les juifs du 1er siècle qui ont adhéré au Christ, ceux qu’il appelle dans l’épître «l’élection» (11,7) et «l’Israël de Dieu» dans la lettre aux Galates. Un reste judeo-chrétien, auquel Paul appartient, est bel et bien sauvé, l’élection a abouti. Ceux des Juifs qui ne croient pas en Jésus sont appelés «les autres» (11,7), et Paul se contente de constater leur endurcissement. Rm 11,11-32 En fait Paul entrevoit une issue positive (11,11-32). Le faux pas d’Israël et son partiel endurcisement du coeur ont été providentiels en procurant le salut aux «Gentils». En effet une seconde question arrive : «Je dis donc : est-ce qu’ils trébuchèrent afin de tomber ? Absolument pas !» (11,11). Paul oppose le verber «trébucher» (paraptoma : désigne un manque ou chute) au verbe «tomber», le second ayant un sens d’une chute plus définitive. L’endurcissement d’Israël n’est pas définitif, non pas selon la logique des oeuvres, mais selon la logique de la gräce de Dieu. Si la chute des juifs a permis le salut des païens, leur participation au salut sera encore plus profitable à tous (11,12-15). Paul dit que Dieu a pris le détour de la conversion des païens pour atteindre son peuple par ricochet. Il parle de son «ministère d’apôtre des nations», en espérant par là faire jouer une émulation spirituelle et sauver des membres de son peuple. (11,11-13). Espérance d’autant plus fondée que la racine est sainte (les Patriarches), donc aussi les rameaux, que les prémices sont saintes (les premiers judeo-chrétiens), donc aussi toute la pâte (11,15-16). En effet, leur mise à l’écart, leur endurcissement ont providentiellement libéré une place que les païens ont prise. Alors, les chrétiens d’origine païenne en viendraient-ils à s’en glorifier, voire à mépriser les Juifs, chrétiens ou non ? Ils n’ont pas à pavoiser. Ils tomberaient dans la même logique que les juifs, oubliant qu’ils sont sauvés au bénéfice de la grâce de Dieu et se croyant propriétaire du salut. Ce serait totalement injustifié dit Paul car ils se trouvent greffés sur l’arbre porteur de l’alliance, ils n’y occupent qu’une place seconde, la première place restant celle des branches naturellement reliées au tronc. Nous avons alors une superbe allégorie connue sous le nom «des deux oliviers» qui explique les choses en langage imagé (11,13-24) . Paul s’adresse aux chrétiens d’origine païenne qui seraient tentés de se croire les seuls ou les meilleurs héritiers de la Promesse. Erreur ! Argument de commutateur inconnu. Quatre tableaux s’y succèdent, formant une véritable bande dessinée. (d’après Michel Quesnel) Premier tableau : Deux oliviers se trouvent l’un à côté de l’autre. le premier, l’olivier franc (l’Israël historique), est un bel arbre porteur de plusieurs belles branches. le second, l’olivier sauvage (les peuples païens), n’appartient pas à la lignée de la promesse et de l’Alliance. Telle est la situation du monde avant l’événement de salut réalisé en Jésus Christ. Deuxième tableau : la majorité de ses branches sont retirées à l’olivier franc ; privées de sève, elles gisent en tas inerte sur le sol (ce sont les «autres», ceux des juifs qui n’ont pas cru en Jésus Christ). Là où les branches ont été ôtées, l’arbre porte une immense cicatrice. Il ne lui reste plus qu’une seule branche attachée au tronc(«l’élection», ceux des juifs qui sont devenus chrétiens, encore appelés «l’Israël de Dieu»). A côté, l’olivier sauvage (les païens) continuent d’exister, loin de l’olivier franc. Telle est la situation du christianisme des toutes premières heures. Tous les chrétiens sont alors Juifs, mais la majeur partie du peuple juif n’est pas devenue chrétienne. Quant aux nations païennes, elles restent encore à l’écart de la lignée de l’alliance. Troisième tableau : les branches de l’olivier sauvage ont été rattachées à l’olivier franc à l’endroit même de la cicatrice laissée par les branches sectionnées, et elles profitent de la sève (ce sont les chrétiens d’origine païenne). L’olivier franc est désormais composé de deux bois de nature différente rattachés au même tronc, à savoir l’Israël de Dieu qui, lui, a toujours appartenu au tronc, et en outre, les branches provenant de l’olivier sauvage. Quant aux branches de l’olivier franc qui ont été retranchées dans le tableau précédent, elles gisent toujours sur le sol, triste tas de bois privé de sève (les Juifs non chrétiens). Telle est la situation du monde au temps de Paul. Le fait que des branches de l’olivier franc en ont été détachés, a permis à des branches de l’olivier sauvage de venir occuper leur place. Dans son discours, l’Apôtre apostrophe les branches de l’olivier sauvage qui ont été rattachées à l’olivier franc et profitent de sa sève. Il les met en garde contre leur suffisance. Elles auraient tort de se croire en sécurité, alors qu’elles ne sont que des pièces rapportées. Dieu qui a pu retrancher des branches appartenant par nature à l’olivier franc pourrait plus facilement encore retrancher les branches artificiellement greffées sur le tronc qui les porte (11,17-21) Quatrième tableau : les branches retranchées de l’olivier franc lui sont maintenant rattachées à nouveau. Le tronc de la promesse et de l’alliance porte trois sortes de branches : la petite branche des Juifs qui sont devenus chrétiens dès la première heure (l’Israël de Dieu), les branches provenant de l’olivier sauvage (les païens devenus chrétiens), et les branches jadis retranchées de l’olivier franc parce qu’elles n’avaient pas reconnu le Christ (la part d’Israël non chrétienne du temps de Paul). En sorte que tout l’Israël historique est désormais rattachée au tronc d’origine en plus des branches de l’olivier sauvage. Cela, c’est pour un futur que Paul envisage sans en préciser la date. on peut penser qu’il s’agit des derniers temps du monde. Bien que ce soit une étrange horticulture, l’allégorie est bien parlante. Elle permet en particulier de comprendre la section 11,25-36 : «Tout Israël sera sauvé» qui développe le dernier tableau de l’allégorie: «Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas pour vous mêmes de sages : l’endurcissement d’une partie d’Israël durera jusqu’à ce que soit entré la plénitude des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé, comme il a été écrit : viendra de Sion le libérateur, il écartera les impiétés de Jacob ; et voici pour eux l’alliance d’auprés de moi, lorsque j’enléverai leurs péchés» (11,25-27). Paul ne démontre pas cette proposition. Il la présente comme la révélation d’un mystère, c’est à dire un dessein caché en Dieu depuis les origines et maintenant révélé. L’Apôtre devient prophète, au sens de celui qui apporte le réconfort de Dieu dans les situations de détresse et qui ouvre un avenir quand on pense que l’horizon est complétement fermé. Erreur ! Argument de commutateur inconnu. L’endurcissement d’Israël lui est venu de manière provisoire, jusqu’à ce que la plénitude des nations soit entrée - et c’est ainsi, c’est à dire en vertu de cette interdépendance que Paul a déjà mentionnée et qu’il va encore expliquer, - c’est ainsi que tout Israël sera sauvé! Tout Israël. Quand tous les païens seront parvenus à la foi, alors tout Israël sera sauvé ... par grâce et non par les oeuvres; car l’amour de Dieu les précède, il précède leurs oeuvres. A présent les juifs sont dans la désobéissance et le rejet (comme l’étaient les païens) : et bien, à leur tour, il leur sera fait miséricorde. Cet événement décisif sera en quelque sorte comparable à ce qui est arrivé à Paul lui- même. Jésus se révèle à ceux qui lui résistent pour les transformer en hommes nouveaux, pardonnés. Il s’agit donc toujours de l’Evangile de la gräce, accompli à la fin des temps par le Christ Il n’y a donc plus de différence entre Juifs et païens : tous sont dans la désobéissance, pour être tous conduits vers la miséricorde de Dieu. «Tout Israël sera sauvé», d’après l’allégorie des deux oliviers, semble désigner l’Israêl historique qui, selon Paul, s’était divisé en deux parties, d’une part «l’élection» (les juifs devenus chrétiens), d’autre part «les autres» (les juifs non chrétiens). Toute interprétation qui conduirait à compter les non-juifs dans le «tout Israël» ne respecterait pas les formulations pauliniennes courantes (M. Quesnel). Paul envisage donc la réunion de l’ensemble d’Israël sur le tronc porteur de l’alliance, tronc qu’aura alors rejoint la plénitude des païens. En Grec, les termes «tout» (pas) et «plénitude» (pleroma) sont qualitatifs et non quantitatifs. Paul pense par grands ensembles. C’est Israël globalement considéré qui est concerné, non chaque Israëlite pris un par un ; et la même remarque vaut pour les païens; «plénitude» ne veut pas dire totalité numérique. L’Apôtre appuie son espérance sur des textes prophétiques d’Isaïe (Is 59,20-21) et de Jérémie (31,3334) : ils annoncent la venue du Libérateur depuis Sion, ils promettent le pardon en vertu de l’alliance. Paul n’en dit pas plus sur les modalités, pratiquement rien. Mais il est vain de chercher pour Israël une autre voie que celle de la foi au Christ Jésus. Ne pas oublier ce qu’il vient de dire en 11,23 : «s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité», ni sa démontration sur la seule voie de la justification en 10,513 : la confession de Jésus Seigneur, la foi au Christ mort et ressuscité. Mais cette foi n’était-elle pas présente dans l’espérance d’Israël avant la venue du Christ ? Il s’agira d’une manifestation finale, qui sera encore une grâce de pardon et d’alliance, comme tout au long de son histoire. La visée de cette «révélation» n’est pas de donner des explications, mais de rendre les croyants des nations attentifs à l’intérêt que Dieu continue de porter à Israël, son peuple, pour son salut final. Puis Paul esquisse une réflexion théologique (11,28-32). Il prend acte de l’amour de Dieu pour les fils d’Israël : un amour qui s’enracine dans le passé de l’élection («à cause des Pères», les Patriarches). De cet amour qui élit, ils sont encore l’objet dans le présent : tout «ennemis» qu’ils soient à cause de l’Evangile, ils sont toujours ses «bien aimés». «Les dons de Dieu sont sans repentance». La situation présente n’est pas le point final. La miséricorde accordée aux nations a provoqué la désobéissance d’Israël (Israël a désobéi car il n’a pas accepté une proposition de l’Evangile aux Nations qui les dispensait de soumission à la Loi), mais c’est pour qu’à leur tour, tous les fils d’Israël soient objet de miséricorde. Ainsi Dieu «a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour que tous soient objet de miséricorde» (11,32). On retrouve le même principe qu’au début : pas de discrimination, toute l’humanité est à la même enseigne devant un salut qui ne peut être que grâce; Israël en aura été le premier et le dernier bénéficiaire. Tout s’achève dans un hymne d’adoration devant la sagesse insondable de Dieu (11,33-36), comme à la fin du Livre de Job. A la fin du chapitre 11, on peut dire que, pour Paul, si la Loi de Moïse n’a plus de fonction comme instrument de justice et de salut, le peuple d’Israël n’a pas pour autant perdu son identité et son rôle; L’Israël de Dieu, la partie du peuple juif qui n’a jamais quitté l’arbre de l’alliance, en est, et de loin, la Erreur ! Argument de commutateur inconnu. branche la plus fermement attachée au tronc. Si des païens ont rejoint ce même tronc plus vite que les Israëlites qui n’ont pas reconnu en Jésus leur Messie, ils restent cependant des branches de second rang dont l’attache reste plus fragile; et tout l’Israël historique, à savoir le peuple juif dans son ensemble, est appelé à rejoindre la lignée de l’alliance avant la fin des temps. En 1947, à SEELISBERG, ont été posés les premiers éléments d’un dialogue renouvelé entre le judaïsme et le christianisme. (Jules ISAAC) Nostra Aetate (28 Octobre 1965) : relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes. Repentance de l’Eglise de france en 1997, déclaration de Drancy du 30 Septembre prière du Vendredi Saint : Prions pour les juifs à qui Dieu a parlé en premier ; qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité à son Alliance. Dieu éternel et tout puissant, toi qui as choisi Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis à la plénitude de la redemption le premier peuple de l’Alliance comme ton Eglise t’en supplie.... Erreur ! Argument de commutateur inconnu.