Vendredi Saint 2015

Transcription

Vendredi Saint 2015
1
Vendredi Saint 2015
Chaque année, la grande prière universelle du Vendredi Saint désigne la dimension de
l’événement que nous célébrons : sur la Croix, Jésus Christ meurt pour tous les hommes, il
obtient le salut pour l’humanité entière.
Lors de cette liturgie si particulière, c’est une vieille tradition de prier pour le peuple d’Israël.
A la suite du concile Vatican II, la réforme liturgique a modifié la formulation de certaines de
ces prières, en particulier celle pour les Juifs ; la formulation ancienne qualifiait les Juifs de
perfides, autrement dit incroyants ou infidèles.
Depuis lors, et on l’entendra tout à l’heure, nous prions pour ceux « à qui Dieu a parlé en
premier », demandant « qu’ils progressent dans l’amour de son nom et la fidélité à son
alliance ».
Ces paroles sont avant tout en fidélité aux propos de saint Paul dans la lettre aux Romains où
il rappelle que Dieu est fidèle, il est donc naturellement fidèle à sa promesse, celle qu’il fit à
Abraham et à Moïse, Israël reste le peuple de la promesse.
Pourtant, pendant des siècles, les chrétiens ont regardé Israël comme « peuple déicide »,
opérant de ce fait un raccourci par rapport à l’histoire, à la théologie, tout simplement par
rapport aux Evangiles.
Bien entendu, lors du procès et de la mort de Jésus, des Juifs prennent une part active, le
récit de la Passion nomme plusieurs d’entre eux, des chefs en particulier.
Mais ne risquons pas d’oublier la responsabilité du pouvoir romain, celle de Judas, et même
de certains des disciples, sans doute déçus parce que Jésus ne répondait pas à leur attente.
La théologie dira que c’est finalement toute l’humanité qui est responsable de cette mort, y
compris chacun d’entre nous.
Dans son Mystère de Jésus, Blaise Pascal écrit que chacune des gouttes de sang du Seigneur
est versée pour chacune et chacun de nous.
D’autre part, et c’est encore plus important, sur la croix, Jésus ne condamne pas, il pardonne.
Lui être fidèle, c’est donc toujours chercher le chemin du pardon et de la réconciliation plutôt
que de dénoncer les coupables, surtout lorsque ce sont ceux d’hier.
N’oublions pas non plus les paroles des prophètes qui dénoncent ceux qui veulent faire
porter la faute des pères par les fils. C'est Ezéchiel qui réfute le proverbe : « les pères ont
mangé des raisins verts et les dents des fils ont été agacées » (Ez 18, 2).
Pourtant, même si la liturgie catholique a changé la formulation de la prière du Vendredi
Saint, la mentalité qui était exprimée par l’ancienne formulation peut demeurer.
Les jugements non réfléchis au sujet des Juifs peuvent encore exister dans notre pays ; à Dieu
ne plaise qu’ils ne soient jamais le fait de chrétiens.
Pour les Juifs, les choses devraient être naturelles sans qu’il soit nécessaire de l’exprimer :
comme chrétiens, nous ne pouvons vivre et nous comprendre sans Israël ; comme Français,
notre pays ne peut continuer son chemin sans les Juifs qui en constituent un élément
fondateur.
Cependant, à la suite des attentats, et il n’y a pas que celui de janvier dernier, il existe une
véritable inquiétude des Juifs de France. L’ancien président du CRIF, Richard Pasquier, tenait il
2
y a peu ces propos : « Il n’y a pas une famille juive dans laquelle la question de quitter la
France pour Israël ne se pose pas. »
Il convient donc que les Juifs n’aient aucune hésitation quant à ce que pensent les
catholiques à leur sujet tant face aux attentats, qu’aux propos qui les visent.
Autre chose est le jugement que l’on peut porter sur la politique d’un Etat, celui d’Israël,
autre chose ce que l’on pense et dit d’un peuple dont sans doute une majorité vit en dehors
d’Israël, à New York bien sûr, mais aussi en France.
C’est donc une nécessité de foi, pour les chrétiens, de connaître leurs sources juives, l’Ancien
Testament bien entendu, où le même Dieu parle autant et de la même manière dont il parle
dans le Nouveau Testament, mais aussi la manière dont les Juifs reçoivent et commentent la
Bible.
Les Pères de l’Eglise, les premiers auteurs chrétiens furent nourris de cela ; mais surtout,
mais d’abord, le Seigneur lui-même et ses apôtres.
Pour autant, notre prière doit aussi être habitée par le désir que les Juifs découvrent Jésus, le
découvrent comme étant le Messie, le Sauveur.
Respecter le judaïsme et les autres religions n’est en rien oublier que nous recevons la
mission d’être les témoins de Jésus Christ et de son salut offert à tous.
La prière universelle de ce jour comme celle de chaque dimanche nous tourne vers des
hommes et des femmes qui, s’ils ne connaissent ni ne croient en Jésus Christ, sont des frères
et des sœurs, sont nos frères et nos sœurs, et sont des enfants du même Dieu, le Père de
Jésus Christ.
C’est pour cela, qu’après la prière, je dirai cette oraison : « conduis à la plénitude de la
rédemption le premier peuple de l’alliance ».
Ce n’est en rien tenir pour rien la promesse faire par Dieu à Israël, ni ce que vivent les Juifs
hier comme aujourd’hui, mais ces mots expriment notre désir, qui est celui de Dieu, de
conduire les siens jusqu’à son Fils.
Et nous les chrétiens, nous sommes aussi devenus, par la grâce du baptême, membres de
l’unique peuple de Dieu, ce peuple auquel appartiennent de plein droit nos frères aînés dans
la foi, le premier peuple de la promesse, les Juifs.
La seule attitude juste qui tienne est la fidélité ; c’est avant tout celle de Dieu envers ceux
qu’il appelle, et c’est aussi la fidélité de ceux qui sont appelés.
Telle est notre prière, en ce soir où nous sommes appelés à la fidélité alors que notre
espérance meurt sur la croix, nous prions Dieu de garder fidèles tant les fils d’Israël que les
fils du baptême, sachant que des deux il fait un seul peuple.
Mgr Pascal Wintzer
vendredi 3 avril 2015 – Vendredi saint
en la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Poitiers