La déclaration d`amour
Transcription
La déclaration d`amour
A cura di · Algirdas Julien Greimas Analyse sémiotique d’un discours juridique · Jacques Derrida Ulysse gramophone: le oui-dire de Joyce · Erving Goffman Replies and Responses Guaraldi · Franҫoise Bastide Exploration du ‘croire’ dans le domaine scientifique i · Michel de Certeau L’operazione storica ld · Jean Baudrillard Le trompe-l’oeil Biagioli-Bilous Kerbrat-Orecchioni Iglesias Recuero Gelas ra · Jean-Franҫois Lyotard La peinture comme dispositif libidinal ua · Boris A. Uspensky Study of Point of View: Spatial and Temporal Form G · Jurij Michajlovič Lotman La cultura come mente collettiva e i problemi dell’intelligenza artificaile Il Centro internazionale di Scienze Semotiche pubblica in questa collana i Documenti di Lavoro più significativi dell’attività scientifica del Centro Internazionale di Semiotica e Linguistica di Urbino. L’attualità tecnologica permette oggi un accesso vastisimo ed immediato all’informazione. Offre i vantaggi dell’abbondanza senza accompagnarli però con garanzie di senso e di valore. è divenuta quindi indispensabile la selezione competente dei criteri di rilevanza e di pertinenza che permettono una comunicazione qualificata ed efficace. La direzione della collana In hoc Signo si impegna alla scelta multilingue di pubblicare i testi originali dei Working papers e Documents de travail: scelti tra quelli più salienti per i loro autori e i più pregnanti per i contenuti. Il prezioso archivio urbinate sulla teoria dei segni e dei linguaggi diventa così, per il suo nuovo formato, maneggevole e disponibile per la futura memoria della ricerca semiotica. la déclaration d’amour La collana “InhocSigno”: Paolo Fabbri InhocSigno · Louis Marin Masque et portrait · AA. VV. La déclaration d’amour ISBN 978-88-6927-134-2 6,00 € Guaraldi · Dell Hymes Breakthrough into Performance la dÉclaration d’amour Quattro ricercatrici definiscono la formula della dichiarazione d’amore come atto semiotico. Il dire è un fare. Attraverso la parola o altri segni – come il linguaggio dei fiori – la dichiarazione amorosa, iscritta in una narrazione, trasforma irreversibilmente il sapere e gli affetti degli interlocutori. Un esempio eloquente: le strategie retoriche di Don Giovanni. InhocSigno ld i Documenti di lavoro e pre-pubblicazioni G ua ra A cura di Paolo Fabbri ld i ra InhocSigno ua collanna realizzata in collabrazione con G Centro Internazionale di Scienze Semiotiche Scansioni di Piero De Marchi [email protected] © 2015 by Guaraldi s.r.l. Sede legale e redazione: via Novella 15, 47922 Rimini Tel. 0541.742974/742497 - Fax 0541.742305 www.guaraldi.it - www.guaraldilab.com [email protected] - [email protected] Isbn | carta 978 -88-6927-134-2 | pdf 978-88-6927-135-9 Catherine Kerbrat-Orecchioni, Nicole Biagioli-Bilous, Nadine Gelas, Silvia Iglesias Recuero G ua ra ld i La déclaration d’amour Guaraldi ld i ra ua G Les quatre textes ici réunis ont été lus dans le cadre du colloque «La déclaration d’amour», organisé par le Centre International de Sémiotique et de Linguistique et coordonné par Catherine Kerbrat-Orecchioni et Nadine Gelas (Urbino, 15-17 juillet 1996). La déclaration d’amour comme acte de langage DÉCLARER. 1° Faire connaître (un sentiment, une volonté, une vérité) d’une façon expresse, manifeste. ld i (Petit Robert 1991) G ua ra Ainsi l’acte de «déclaration» de ce sentiment particulier qu’est l’«amour», pour être conforme à sa définition, doit-il se réaliser de façon «manifeste» c’est-à-dire de préférence, au moyen de la formule «je t’/vous aime» (dorénavant «je t’aime»); formule qui constitue la réalisation par-excellence de cet acte de langage, et à laquelle nous allons donc d’abord nous intéresser, pour envisager ensuite d’autre réalisations moins «pures» de ce même acte. 1. La formule «je t’aime» est-elle ou non performative? 1.1. Le terme apparaît en effet souvent dans la littérature sur la question, qui répète à l’envi, à la 5 Catherine Kerbrat-Orecchioni suite de Roland Barthes (chapitre «Je t’aime» des Fragments d’un discours amoureux), que l’aveu amoureux est «le plus performant des performatifs», dont il possède «jusqu’au paroxysme, toutes les propriétés». G ua ra ld i Or n’en déplaise à Barthes: non, la formule «je t’aime» n’est pas stricto sensu performative. Ce n’est pas, bien qu’elle en ait extérieurement l’allure (je + tu + présent de l’indicatif) un «performatif explicite» au même titre que «je te promets», «je te remercie», ou «je te déclare la guerre», toutes expressions qui ont pour caractéristique d’accomplir, du seul fait de leur énonciation, l’acte qu’elles dénomment: en énonçant «je te remercie», j’accomplis ipso facto un acte de remerciement. On ne peut évidemment pas appliquer à l’énoncé «je t’aime» cette définition, pas plus que les différents critères qui ont été proposés pour permettre l’identification des performatifs, par exemple: - le critère de la paraphrase narrative (O. Ducrot): •«Il m’a dit: je te remercie» peut être paraphrasé en «Il m’a remercié», alors que •«Il m’a dit: je t’aime» ne peut pas être paraphrasé en «Il m’a aimé; 6 La déclaration d’amour comme acte de langage - le critère du caractère non falsifiable, donc non réfutable, de la formule: • à «Je te remercie» on ne peut en principe pas rétorquer «Non tu ne me remercies pas» (on peut mettre en doute la sincérité de l’énoncé, mais non point sa vérité, c’est-à-dire le fait que l’acte soit bel et bien advenu); ra ld i • l’énoncé «Je t’aime» peut au contraire voir sa vérité contestée («Mais non tu ne m’aimes pas»), au même titre exactement que n’importe quelle assertion descriptive. G ua Il n’existe donc pas en français pour la déclaration d’amour de formule véritablement performative comme il en existe pour la déclaration de guerre, et la «performativité» du «je t’aime» est une performativité illusoire. 1.2. Sur quoi repose donc une illusion aussi communément et obstinément partagée? Sur le fait que la formule «je t’aime» possède en effet un certain nombre de propriétés qui sont généralement associées à l’idée de performativité, la principale étant le caractère puissamment transformateur de la formule. 1.2.1. «Je t’aime» comme opérateur d’une transformation décisive de la relation interpersonnelle 7 Catherine Kerbrat-Orecchioni ra ld i (dans sa première occurrence du moins). La chose a été dite et répétée: renonciation du «je t’aime», le passage du non-dit au dit, entraîne nécessairement, pour le meilleur et pour le pire, une mutation radicale de la relation interpersonnelle – après, ce ne sera plus jamais comme avant. Et si la formule est tellement «difficile à dire» (car c’est la sans doute sa caractéristique la plus remarquable), c’est d’abord parce qu’elle a quelque chose d’irréversible, et d’irréparable. Dans l’ouvrage qu’elles consacrent à cet acte de langage, Grellet et Kruse disent fort bien de la «déclaration» qu’elle est ua «ce seuil à partir de quoi tout bascule, à partir de quoi, éprouvé ou non avant, ressenti ou non après, l’amour «prend», existe» (1990: 16), G - quand dire, c’est faire être –, cet autre passage montrant clairement la corrélation établie par ces auteurs entre la force agissante du «je t’aime», et son caractère performatif: «Prononcés par la personne autorisée, à la date et au lieu prévus, les mots d’amour ont une action immédiate. D’où leur force et leur gravité. Avec les engagements publics ou privés, les ordres, les insultes, les malédictions ou autres jurons, ils s’inscrivent dans la série des «performatifs», «mots-actes» qui 8 La déclaration d’amour comme acte de langage portent en eux-mêmes leur propre accomplissement.» (ibid.: 43) ld i Si l’on peut contester ce que nous dit sur sa fin cette citation (surtout lorsqu’un peu plus loin elle reprend les termes de Barthes selon lesquels la déclaration d’amour n’aurait «d’autre réfèrent que sa profération»), incontestable est le fait que renonciation du «je t’aime» opère une transformation – mais sur qui, et sur quoi? ua ra (1) D’abord, l’aveu agit sur le déclarateur lui-même, pour qui un sentiment encore trouble, confus, indécis, ne prend véritablement forme et consistance qu’à partir du moment où il est mis en mots. Admettons que le sentiment généralement préexiste d’une manière ou d’une autre à cette mise en mots – cela pour simplifier; en effet: G «Il est déjà difficile de reconstruire gestes et sentiments d’un personnage qui certainement brûle d’amour véritable, mais on ne sait jamais s’il exprime ce qu’il sent ou ce que les règles du sentiment amoureux lui prescrivent – or, par ailleurs, qu’en savons nous de la différence entre passion sentie et passion exprimée, et laquelle est antérieure?» (U. Eco, L’île du jour d’avant, Paris, Grasset, 1996: 13; soulignement ajouté par nous), 9 Catherine Kerbrat-Orecchioni toujours est-il que l’acte de nomination favorise la cristallisation du sentiment amoureux, et sa prise de conscience par celui-là même qui en est affecté, car «les mots ont une grande puissance»: ra ld i «Les mots ont une grande puissance. Mme d’Orgel s’était crue libre d’attribuer à sa prédilection pour François le sens qu’elle voulait. Ainsi avait-elle moins combattu un sentiment que la crainte de lui donner son véritable nom. [...] Aujourd’hui ce sentiment, couvé, nourri, grandi dans l’ombre, venait de se faire reconnaître. Mahaut dut s’avouer qu’elle aimait François.» (R. Radiguet, Le bal du comte d’Orgel, Paris, Le Livre de Poche, 1969: 148-9) G ua Mais la plus belle et constante illustration de ce mécanisme, c’est sans doute dans l’oeuvre théâtrale de Marivaux qu’on la trouve: généralement il ne s’y raconte rien d’autre que la découverte progressive, par X, de l’amour qu’il/elle éprouve pour Y, et qui ne devient vraiment tel qu’une fois qu’il est nommé, les étapes de la progression dramatique coïncidant avec celles de cet acte de nomination: «J’ai le dessein de la faire parler. Je veux qu’elle sache qu’elle aime; son amour en ira mieux, quand elle se l’avouera.» (Colombine de sa maîtresse la Comtesse, in La surprise de l’amour, III-I). 10 La déclaration d’amour comme acte de langage La grande affaire pour les personnages de Marivaux, c’est de voir clair dans leur coeur (Silvia, Le jeu de l’amour et du hasard, II-XII, à part. «Ah! je vois clair dans mon coeur!»), et voir clair, c’est se parler clair. ld i Parfois les choses en restent là – pas chez Marivaux bien sûr, puisque nous sommes au théâtre, et qu’au théâtre, il faut bien parler; mais chez Proust par exemple: G ua ra «Je savais maintenant que j’aimais Albertine; mais hélas! je ne me souciais pas de le lui apprendre. [...] D’une part l’aveu, la déclaration de ma tendresse à celle que j’aimais ne me semblait plus une des scènes capitales et nécessaires de l’amour; ni celui-ci, une réalité extérieure mais seulement un plaisir subjectif. Et ce plaisir je sentais qu’Albertine ferait d’autant plus ce qu’il fallait pour l’entretenir qu’elle ignorait que je l’éprouvais.» (A l’ombre des jeunes filles en fleurs, folio 1993: 486) (2) Le plus souvent toutefois, il ne s’agit pas tant de s’avouer à soi-même qu’on aime, que de l’avouer à l’intéressé(e): «déclarer» son amour, c’est le «faire connaître» à autrui. Mais dès lors qu’il est rendu «manifeste», l’aveu amoureux va nécessairement entraîner une autre transformation: celle de son 11 Catherine Kerbrat-Orecchioni destinataire; transformation la plus littérale qui soit parfois: «Belle (sanglotant). – Ma bête! Ma bête!... Pardonne-moi!... Je serai ta femme. Je suis ta femme. Je t’aime!... A la place de la bête apparaît Avenant, Prince de conte de fées.» (Jean Cocteau, La Belle et la Bête, in l’Avant-Scène cinéma 138-9, 1973) ra ld i La formule est ici, mieux encore que performative, carrément magique; en dehors de l’univers du conte, elle se contente généralement d’être «décisive», voire «fatale» – mais elle est en tout cas toujours lourde de conséquences: G ua «Il devenait fou; il lui sembla qu’en se penchant ils se donnaient des baisers, là, sous ses yeux. «Cela est impossible en ma présence, se dit-il; ma raison s’égare. Il faut se calmer; si j’ai des manières rudes, la duchesse est capable, par simple pique de vanité, de le suivre à Belgrade; et là, ou pendant le voyage, le hasard peut amener un mot qui donnera un nom à ce qu’ils sentent l’un pour l’autre; et après, en un instant, toutes les conséquences.»» (Stendhal, La Chartreuse de Parme, Paris, Le Livre de Poche, 1972: 151) Ainsi la déclaration fonctionne-t-elle comme une opérateur de transformation de soi, de l’autre, et 12 La déclaration d’amour comme acte de langage de la relation entre soi et l’autre. A contrario, la non-déclaration bloque toute possibilité transformatrice de cette relation, comme le déplore ce petit poème estudiantin: «J’ai tellement pleuré, quand tu t’es envolé, J’ai tellement regretté d’t’avoir jamais parlé [...]», ra ld i et c’est d’ailleurs là une sorte de leitmotiv dans cette littérature adolescente ou post-adolescente1: faute d’avoir osé dire, rien n’a pu advenir, et maintenant «c’est trop tard» – quand ne pas dire, c’est ne pas faire... ua 1.2.2. Autre propriété que la formule partage avec les expressions performatives: le caractère «formulaire», ou tout du moins «semi-formulaire» du «jet-aime». G Cet énoncé constitue en effet d’après Barthes un «bloc», une sorte d’«holophrase», qui «ne s’offre à aucune transformation structurale» (Fragments...: 175). L’affirmation est sans doute excessive, mais il est de fait que la formule répugne aux modifications formelles, et par exemple, que l’adjonction d’un ad1. D’après du moins un corpus de poèmes d’amour rédigés par des étudiants en DEUG de psychologie à l’Université Lyon 2. 13 Catherine Kerbrat-Orecchioni verbe intensif peut avoir pour effet de saper sa valeur pragmatique au lieu de la conforter – la chose est évidente pour «je t’aime bien», mais vaut aussi dans une certaine mesure pour «je t’aime beaucoup / énormément». D’autres expansions adverbiales sont en revanche bien tolérées (ainsi que le prénom, qui toujours fait bon ménage avec «je t’aime»): ra ld i «Et c’est là, contre le velours brûlant de sa peau, que j’ai laissé aller dans l’oreille de Julie la plus jolie déclaration d’amour qui soit. J’ai dit: – Julie... Julie, je t’aime exactement...» (D.Pennac, La petite marchande de prose, folio 1992: 402; soulignement d’origine) ua cette déclaration susurrée faisant écho au monologue précédent de Julie: G «La question de savoir pourquoi on lui avait tué Benjamin l’amenait à égrener le chapelet des questions délicieusement inutiles qu’elle n’avait cessé de se poser pendant ses deux mois de Vercors: «pourquoi est-ce que je tiens tant à ce type?» «Ne mâchons pas nos mots, pourquoi est-ce que je Yaime tant?»» (ibid.: 186). Autrement dit: le sentiment amoureux souffre mal que l’on tourne autour du mot, et que l’on ne dise pas les choses «tout comme elles sont», c’est-à-dire 14 La déclaration d’amour comme acte de langage sous la forme «je t’aime», car pour exprimer ce sentiment, on n’a jusqu’à nouvel ordre rien inventé de mieux: ra ld i «J’ai beau être habile La rime est difficile Avec quoi faire rimer Ce dont je veux parler? Comment te faire comprendre Que je suis fou de toi? Comment te faire entendre Que pour toi mon coeur bat? Je ne sais pas comment Alors tout simplement: Je t’aime.» (nouvel extrait du corpus de poèmes mentionné note 1), G ua l’exactitude en la matière concernant d’ailleurs non seulement la forme lexico-syntaxique de l’énoncé, mais aussi son accompagnement mimo-gestuel, si l’on en croit ce dialogue extrait d’un film de Gérard Blain, Jusqu’au bout de la nuit: Elle - Embrasse-moi. Je t’aime. Lui - Moi aussi. Elle - Dis-le moi. Lui - C’est pas la peine tu le sais. Elle - J’veux te l’entendre dire. Lui - J’I’ai jamais dit à personne. Elle - Ben raison de plus, dis-le moi! Allez François sois gentil dis-le moi. 15 Catherine Kerbrat-Orecchioni Lui - Je t’aime je t’aime. Elle - Non pas comme ça! Lui - Marianne, j’peux pas l’dire. Elle - Tu vois t’es un salaud tu m’aimes pas. Lui - Arrête de dire des conneries. - comme quoi chacun se fait une idée très précise de ce qui fait, dans une situation donnée, la justesse énonciative du «je t’aime». ld i Pour conclure sur cette question de la «performativité» de l’énoncé déclaratif-amoureux, je dirai: G ua ra • qu’elle a d’autant plus de chances de s’actualiser que l’énoncé ressemble davantage au canonique «je t’aime», toute «transformation structurale» ayant au contraire pour effet de renforcer le caractère descriptif de l’énoncé: les expansions argumentatives par exemple («je t’aime parce que...»), si elles peuvent servir à étayer la véracité de l’assertion, affaiblissent en même temps le potentiel «performatif» de l’énoncé; • et qu’en tout état de cause, il ne peut s’agir que d’une sorte de quasi-performativité2, et cela même 2. Plutôt que “semi-performativité” − pour un inventaire des différents types de semi-performatifs, voir Verschueren 1995: 301-2. 16 La déclaration d’amour comme acte de langage ld i lorsque l’énoncé déclaratif se présente «à l’état pur», c’est-à-dire lorsque son emploi répond aux quatre conditions suivantes: (1) Il s’agit, pour une histoire conversationnelle donnée, de la première occurrence de l’énoncé. (2) Cet énoncé se réalise bien sous la forme explicite et standard «je t’aime». (3) Il est adressé à la personne concernée. (4) Le verbe «aimer» y désigne cette forme d’amour que le Petit Robert définit comme suit: ua ra «inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l’instinct sexuel mais entraînant des comportements variés.» 2. Déclaration «pure» vs «impure» G Lorsque ces quatre conditions sont réunies, on considérera que l’on a affaire à une déclaration d’amour «prototypique». Corrélativement, il est possible de distinguer quatre sortes de réalisations «impures» de l’acte de langage, caractérisées par une dilution plus ou moins forte de la performativité de l’énoncé déclaratif. 2.1. Le «je t’aime» répété, réasserté, voire ressassé. Barthes encore (Fragments...: 175): 17 Catherine Kerbrat-Orecchioni «Passé le premier aveu, «je t’aime» ne veut plus rien dire; il ne fait que reprendre d’une façon énigmatique, tant elle paraît vide, l’ancien message [...]. Je le répète hors de toute pertinence.» ld i L’affirmation est une fois de plus très excessive (on y reviendra). Mais il est certain qu’à la deuxième ou nième occurrence, le «je t’aime» voit son pouvoir transformateur initial laisser la place à une fonction de simple «maintenance» du lien amoureux. G ua ra 2.2. Deuxième grande catégorie d’énoncés déclaratifs «impurs»: ce sont toutes les variantes de réalisation de l’acte de langage («je suis amoureux/ fou de toi», etc.), qui s’écartent plus ou moins fortement du canonique «je t’aime», et dont le contenu varie aussi bien quant à la nature du sentiment exprimé que quant à son degré. Mentionnons surtout les formulations implicites, dans lesquelles le sentiment amoureux est présupposé («mon amour!») ou sous-entendu, par l’emploi du prénom par exemple («Tristan! – Isolde!»), ou le passage inopiné au tutoiement: «Elle se précipita sur la table, la renversa, et, saisissant le bras de Fabrice, lui dit: - As-tu mangé? 18 La déclaration d’amour comme acte de langage Ce tutoiement ravit Fabrice. Dans son trouble, Clélia oubliait pour la première fois la retenue féminine, et laissait voir son amour.» (La chartreuse de Parme, Paris, Le Livre de Poche, 1972: 466) (On voit par cet exemple, et le suivant, que la déclaration peut être non seulement implicite, mais même inconsciente: ra ld i «Elle leva le visage et la lumière fit luire un léger duvet sur ses joues: «Oh, si seulement un avion survenait en silence et lançait une bombe en plein sur nous, tels que nous sommes ici, en cet instant... Vous ne trouvez pas?» Elle ne se rendait pas compte qu’elle me faisait une déclaration d’amour.» - Mishima, Confession d’un masque, folio 1971: 160) G ua Formulations implicites qui sont en l’occurrence remarquablement diverses, nombreuses et fréquentes (voir par exemple dans Grellet et Kruse le chapitre consacré aux «déclarations masquées»), la forme extrême de ce «masquage» étant la pure et simple dénégation (Danielle Darrieux dans Madame de: «Je ne vous aime pas. Je ne vous aime pas. Je ne vous aime pas.»). La prise en compte de ces réalisations implicites (verbales, et pourquoi pas, non verbales) pose évidemment le problème suivant (dont cet acte de langage n’a d’ailleurs pas le monopole): où commence l’aveu amoureux? à 19 Catherine Kerbrat-Orecchioni ld i partir de quel degré de «clarté» peut-on considérer que l’on a affaire à une «déclaration»? – question fort délicate, à laquelle on ne peut évidemment répondre qu’au cas par cas, en fonction du contexte global, dont le rôle est d’autant plus important (c’est là une règle générale en ce qui concerne le fonctionnement de l’implicite discursif) que la signification est plus profondément enfouie dans l’énoncé. 2.3. Les déclarations qui échappent au schéma communicatif de base, à savoir: ua ra l’émetteur = sujet aimant (i.e. le «déclarateur») énonce le «je t’aime» (ou son équivalent) à l’intention du destinataire = sujet aimé (ou «déclarataire»). G On peut en effet rencontrer d’autres cas de figure, principalement: – Le destinataire ne coïncide pas avec l’être aimé: c’est l’aveu fait à un tiers (sous la forme donc de je l’aimé). C’est naturellement au théâtre que ce dispositif est le mieux attesté, le rôle de «confident(e)» étant comme son nom l’indique essentiellement conçu pour solliciter et recueillir les confidences généralement amoureuses du héros ou de l’héroïne, cela 20