LONGEVITE DU CORPS OU LONGEVITE DE L

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LONGEVITE DU CORPS OU LONGEVITE DE L
LONGEVITE DU CORPS OU LONGEVITE DE L'AME?
Le thème de la longévité, abordé aujourd'hui dans le cadre de la première rencontre officielle de la
Fondation Ling, m'a beaucoup interpellé! Longévité de quoi... et pourquoi? Que désire-t-on faire vivre
plus longtemps ? La pureté de l'enfant qui se dissout peu à peu dans le courant de la vie ? La
conscience de quelques instants fugitifs qui laissent entrevoir la possibilité d'un état de conscience
permanent? Ou alors veut-on tendre à la prolongation de la vie, tendre à l'immortalité, à une éternelle
et inaltérable jeunesse?
Je n'entrerai pas dans l'axe anthropologique de la quête universelle de la longévité, laissant avec plaisir
ce domaine à la compétence d'Ilario Rossi. J'aimerais au contraire l'aborder sous le regard de
Paracelse, et dans une moindre mesure de Gurdjieff, mais seulement après m'être attardé quelque peu
sur une question préalable: pourquoi vouloir vivre longtemps ?
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La première réponse immédiate est sûrement: "parce qu'on aime la vie". Mais qu'y a-t-il, véritablement,
de si agréable dans la vie pour désirer la faire durer? L'argent, les honneurs, ou alors plus simplement
les joies passagères de la famille ou des loisirs, des moments agréables ou fascinants d'une existence
calme ou captivante? De très grandes joies, certes, mais qui n'ont jamais suffi à offrir à l'humanité la
sérénité à laquelle elle aspire depuis la nuit des temps. Les Grecs anciens l'avaient déjà compris, eux
qui disaient: "Les préférés des dieux meurent jeunes." Et en dehors de notre tour d'ivoire de privilégiés,
c'est-à-dire dans les 4/5ème de l'humanité, quel plaisir y a-t-il à lutter contre la famine et les épidémies,
pour gagner quelques années de souffrances supplémentaires? Pourtant, les recettes de longévité,
rapportées par les médecines traditionnelles, viennent en grande partie de ces régions meurtries du
monde. Que cherche-t-on là-bas à prolonger? car là-bas, plus encore qu'ailleurs, "les préférés des
dieux meurent jeunes".
Alors peut-être faut-il s'attacher à faire de la terre un jardin agréable à vivre, et, dans ce sens, la quête
du Paradis terrestre justifierait celle de la longévité. Car ce n'est pas en quelques années qu'une tâche
de cette ampleur, pour autant qu'elle soit possible, sera menée. Et si le but de certains est d'améliorer
autour d'eux le bonheur et la justice des hommes, il est vrai que cette oeuvre humanitariste prendra du
temps!
D'autant plus de temps qu'en étudiant un tant soit peu l'histoire de l'humanité, on constate
malheureusement que l'horreur n'a jamais dégoûté l'homme de l'horreur, et que le bonheur n'a jamais
réussi à l'enraciner dans le bonheur.
La deuxième réponse à la question posée précédemment (pourquoi vouloir vivre longtemps ?) est
probablement plus universellement partagée que l'amour de la vie pour la vie: c'est la vie comme lutte
contre la mort, en d'autres termes une réponse à l'an~oisse de mourir. Les hommes ont de tout temps
développé des théories religieuses, occultes ou medicales, dont un des buts est indubitablement
d'apporter un certain réconfort face à la mort, et on peut facilement s'imaginer que la quête de la
longévité entre dans ce processus de repousser l'inexorable fin.
De repousser la vieillesse et la maladie également, car dans une société comme la nôtre, où le culte du
corps jeune rapporte des fortunes aux marchands de beauté en tubes ou en poudre, le mythe de
l'éternelle jouvence trouve toute sa raison. On cultive alors le corps dans un refus du temps qui passe,
dans un déni du cours normal de l'existence, comme si le seul but de la vie était devenu l'ostentation de
la beauté physique. Au point de ne laisser aux vieillards que cette alternative insoluble: vieillir ou mourir,
c'est-à-dire rechercher une longévité qui diminue son angoisse de mourir en accentuant sa déchéance.
Ce choix paraît si peu enviable, qu'il fait dire au Professeur parisien Jean Maisondieu que la démence
sénile est une maladie du désespoir.
Nous parvenons ainsi à l'idée que vie et mort ne sont pas véritablement dissociées l'une de l'autre dans
ce qui sous-tend la recherche de la longévité. Ce qui sert à certains dans leur lutte contre l'angoisse de
mourir, peut aussi servir à d'autres pour se donner le temps nécessaire à accomplir le but de leur vie.
Mais quel but? y a-t-il quelque chose au-delà de l'accumulation des richesses multiples qu'on ne peut
pas emporter dans sa tombe ou du corps jeune que Faust n'a pu conserver qu'en faisant un pacte avec
le diable? La coupure est-elle aussi nette que ce qu'on croit, entre ce monde-ci et celui de l'au-delà, ou
alors pouvons-nous éventuellement rejoindre St-Exupéry lorsqu'il écrit: "Ce qui donne un sens à la vie
donne un sens à la mort".
Il n'est pas possible d'apporter des preuves irréfutables à un quelconque continuum entre la vie et
l'après-vie, et de toute façon, la recherche de preuves, toute rassurante qu'elle soit, tue l'intuition, détruit
la faculté d'ouverture à l'inconnu. Mais on peut se demander si le but de l'existence est de vivre plus
longtemps ou plutôt de nous approcher de la perception intuitive de quelque chose qui nous survivra.
C'est dans ce sens que je me demandais avant d'écrire ce texte, si la recherche séculaire de la
longévité du corps n'était pas une allégorie pour parler de la longévité de l'âme, mais je n'emploierai
plus ce mot "âme" dans la suite de mon exposé, car en fait je ne sais pas ce que c'est. Nous pourrons
peut-être en reparler après une longue vie! Je ne sais d'ailleurs même pas s'il s'agit de quelque chose
d'immortel ou non, mais il me semble que de nombreuses figures spirituelles en ont parlé comme de
quelque chose à construire. A construire, comme si une trace de l'être humain ne pouvait perdurer qu'à
la suite d'un long travail.
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Impossible à ce stade de ne pas mentionner Paracelse, médecin, alchimiste initié, qui a su concilier à
sa façon un travail tant materiel que spirituel, détaillé; notamment dans son traité en latin "De Vita
Longa", le livre de la longue vie.
En tant que médecin recherchant à comprendre aussi bien le visible que l'invisible, la nature de Dieu
que celle de Satan, les choses de la nature que la Transmutation, il ne fait pas de clivage entre les lois
qui régissent le corps et celles qui régissent le monde ou le cosmos. Je le cite (dans Paragranum): "Si
le médecin ne connaît le ciel qu'à l'extérieur, il demeure un astronome ou un astrologue. Mais s'il prend
en considération la dimension invisible de l'homme, alors il connaît deux ciels (...) Grâce à l'extérieur, il
voit l'intérieur". En ce sens, l'alchimie est une science analogique, qui fait correspondre, sur différents
plans, l'énergie et la matière, le ciel et la terre, les astres et les hommes, le yin et le yang; elle cherche
par des recettes symboliques à obtenir simultanément une transformation, une métamorphose, de
l'homme et des metaux que ce dernier utilise dans l'expérience. Quand la légende affirme pouvoir
fabriquer de l'or à partir du plomb ou du mercure, elle ne décrit finalement qu'une manière de créer du
divin en soi à partir des éléments de la vie de tous les jours. Mais la vie doit être longue pour accéder à
la longue vie, à la Vita Longa.
Le point de départ de la préparation secrète de la Longue Vie, qui selon Paracelse peut durer mille ans,
est ce qu'il dénomme l'IIiaster. J'y trouve dans sa description des indices qui me poussent à le
rapprocher du Qi des Chinois, de l'energie vitale dont les notions théoriques et pratiques ont sous-tendu
le séminaire de médecine chinoise organisé l'année dernière à Cery par le Dr Salem.
Dans son étude de Paracelse, Jung décrit l'IIiaster comme le but greffé sur la vie, la vie elle-même, et
au niveau le plus élevé, le ravissement de l'esprit vers un autre monde, celui de l'homme qui peut vivre
plusieurs siècles et qui est appelé Henoch. Ce n'est ainsi pas seulement ce qui appelle à la vie, mais
également la psycho-pompe de la transformation mystique menant à l'immortalité.
Jung parle aussi de la conception de Paracelse d'un "homme primordial immortel, dans le voisinage
duquel l'homme mortel doit être conduit par l'oeuvre alchimique (...) 'ar suite de cette association
étroite, les forces et les qualités du grand homme viennent vivifier, soutenir et guérir la nature terrestre
du petit homme mortel."
L'alchimie ne serait en fin de compte que la description de la transformation intérieure de l'homme sous
l'action de l'énergie vitale captée consciemment. Cette idée de "conscience" est fondamentale dans
l'oeuvre de Georges Gurdjieff que je cite: "Si un homme change à chaque minute, s'il n'y a rien en lui
qui puisse résister aux influences extérieures, cela veut dire que rien en lui ne peut résister à la mort.
Mais s'il devient indépendant des influences extérieures, s'il apparaît en lui "quelque chose" qui puisse
vivre par lui-même, ce "quelque chose" peut ne pas mourir (...) j1?ur qu'il y ait une vie future, de quelque
ordre qu'elle soit, il faut une certaine cristallisation, une certaine fusion des qualités intérieures de
l'homme". Pour que la vie continue après la mort, Gurdjieff introduit la notion de "corps astral" en
précisant :"Les systèmes que vous connaissez et qui parlent de corps astral affirment que tous les
hommes en ont un. C'est complètement faux. Ce qui peut être appelé "corps astral" est obtenu par
fusion, c'est-à-dire par une lutte, un travail intérieur, terriblement dur."
Il me semble qu'un point commun entre la plupart des mouvement de recherche personnelle ou
spirituelle est cette notion de quelque chose à construire pour accéder à la longévité, pour ne pas parler
d'immortalité. En ce sens, l'alchimie n'est pas la légende d'un mouvement occulte, mais plutôt la
description d'un processus universellement recherché. La "fusion" et la "cristallisation" mentionnées par
Gurdjieff se retrouvaient déjà des siècles plus tôt chez les alchimistes: "brûler le corps de l'air au moyen
d'un feu puissant et il vous imprégnera de la grâce que vous demandez" (tractatus aureus in ars
chemica, 1566). Comme le rajoute Jung, "il faut que l'homme soit mis à chauffer jusqu'au plus haut
degré de chaleur. Car ainsi ce qui est impur est consumé et ce qui est solide reste "sans rouille".
Pendant que l'alchimiste chauffe ses matériaux dans le four, il est pour ainsi dire soumis moralement
aux mêmes tourments par le feu et à la même purification". Il assure ainsi la longévité, non pas du corps
physique, mais d'un corps différent, qui lui survivra.
Mais je constate que ces principes, qui sous-tendent nombre de mouvements initiatiques, sont
unanimement combattus en occident par les religions officielles et les dogmes des différentes églises.
Parler de la grâce divine qui descend sur les fidèles soumis est évidemment plus commode pour
l'autorité religieuse quelle qu'elle soit. Mais j'y vois une autre raison, qui peut même apparaître en bonne
partie justifiée. Une recherche alchimique au sens large peut être dangereuse, ingrate et souvent
tellement longue que le découragement peut en amener les adeptes à repousser toujours plus dans le
futur un engagement personnel, au risque de ne rien entreprendre du tout. "Ce que je ne fais pas
maintenant, je n'aurai qu'à le faire plus tard. Il n'y a pas d'urgence à commencer tout de suite un travail
de si longue haleine !"
Ainsi s'affrontent deux tendances: celle qui s'atèle à la découverte de sa propre survie par la
construction d'une Conscience véritable et celle où l'oeuvre divine se manifeste à travers les
fondements de la Foi. La longévité de celui qui cherche opposée à la longévité de celui qui croit.
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Pourtant, la conscience n'est pas une ....
abstraite, théorique. Elle peut même représenter une
expérience immédiate, directe. Qui n'a pas ressenti en lui, une fois ou l'autre, au hasard d'une
expérience de la vie, cette curieuse impression de plénitude, de présence et d'ouverture qui semble
"tomber du ciel" ? Et qui n'a pas eu envie de la prolonger, de la faire durer pour la sentir encore
davantage prendre possession de notre être tout entier? Les théosophes en parlent, il me semble,
comme d'un fil qui maintient le contact avec le monde pur et innocent de l'enfant. D'autres la désignent
comme le but à atteindre. But ou moyen? Pour Gurdjieff, il s'agit du terrain indispensable pour qu'une
sorte d'alchimie intérieure puisse se dérouler, et que les différentes nourritures que nous recevons
(aliments, air inspiré et impressions) puissent se transformer en matériaux utilisables pour la fabrication
d'un corps plus subtil. On retrouve encore une fois le but symbolique de l'alchimie: fabriquer de l'or à
partir de matériaux vils.
Alors, corps ou âme?
Pour les Chinois anciens, il est clair que la place de l'homme entre le ciel et la terre lui permet de
concilier, en lui, les extrêmes et les opposés. Dépassant les paramètres de la dualité, ouverts dans
l'interrogation, nous pouvons tous accéder à la conscience du moment présent. C'est ainsi que je
comprends cette phrase de Paracelse: "d'abord il faut que la substance vitale impure soit purifiée, les
éléments étant séparés, ce qui se produit du fait de ta méditation". Méditation comme moyen de vivre
réellement, au-delà de la dualité, un moment présent, de le faire durer, d'assurer la longévité d'une
sensation fugitive; ce qui me donne l'envie de faire le dessin suivant:
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On verra alors ce que la Conscience nous permettri- de découvrir. Cela pourra être le thème d'une
rencontre ultérieure de la Fondation Ling... après une jongue vie!