Les médicaments génériques face au droit de la concurrence

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Les médicaments génériques face au droit de la concurrence
Université Montpellier I
Faculté de droit
2010-2011
Mémoire
Master 2 Recherche Droit du Marché
« Les médicaments génériques face au droit de la concurrence »
Soutenu par Amal AKSBI
Dirigé par Mlle Isabelle ALVAREZ
Table des matières
Introduction ............................................................................................................................................. 1
L’application du droit de la concurrence au droit des médicaments génériques ............................. 4
I.
Les médicaments génériques face au grief de contrefaçon et de concurrence déloyale .............. 4
A.
1)
La recherche d’un équilibre entre droit de substitution et droit des marques .......................... 4
2)
La rupture d’un équilibre entre droit de substitution et droit des marques .............................. 6
Le cadre juridique de la publicité comparative des médicaments génériques ............................. 8
B.
1)
Les conflits entre laboratoires princeps et génériqueurs ......................................................... 8
2)
Les conflits entre génériqueurs .............................................................................................. 11
Le renforcement du droit de la concurrence à travers l’identification de pratiques abusives ....... 13
II.
L’exercice des droits des laboratoires princeps face à l’abus de position dominante ............... 13
A.
1)
Les stratégies condamnées par la qualification d’abus de position dominante ..................... 13
2)
Les stratégies menacées par la qualification d’abus de position dominante ......................... 17
Les ententes entre les laboratoires concurrents ......................................................................... 20
B.
1)
Les accords conclus entre laboratoires princeps.................................................................... 20
2)
Les accords conclus entre laboratoires princeps et génériqueurs .......................................... 22
Bibliographie ......................................................................................................................................... 25
1.
Ouvrages : .................................................................................................................................. 25
2.
Revues juridiques et thèses : ..................................................................................................... 25
3.
Revues spécialisées : ................................................................................................................. 26
4.
Jurisprudence : .......................................................................................................................... 26
5.
Articles et Lois : ......................................................................................................................... 27
Introduction
La maîtrise des dépenses de santé est depuis des années une préoccupation constante
au sein des pays développés. La situation alarmante de l’assurance maladie en France a
conduit à la mise en place d’une politique structurelle de gestion des frais pharmaceutiques
axée sur le développement des médicaments génériques.
Lancée dans le cadre du plan Juppé1 et des ordonnances d’avril 1996, la politique
française des médicaments génériques est célébrée depuis, comme une réussite. Les
gouvernements successifs n’ont pas ménagé leurs efforts pour contribuer à l’essor du marché
de ces médicaments. Dans le rapport annuel rendu par le HCAAM2 en 2009, il est établi que
désormais presqu’une boîte sur quatre de médicament vendu est un générique. En outre, sur
l’ensemble des produits généricables, la pénétration des génériques est passée de 24% à plus
de 80%.
L'article L. 5121-1, 5°, a, du code de la santé publique, transposant l'article 10.2 de la
directive européenne n° 2001/83 définit en ces termes les médicaments génériques : «sans
préjudice des articles L. 611-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, la spécialité
générique d'une spécialité de référence, celle qui a la même composition qualitative et
quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec
la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées. »
Un générique est un médicament qui aura donc la même composition qualitative et
quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique, un profil de sécurité et
d’efficacité équivalent à la spécialité de référence ou produit princeps dont le brevet de
protection est tombé dans le domaine public.
Le générique confère un avantage financier non négligeable. En effet, le prix fabricant
(prix de sortie d’usine) d’un générique doit être inférieur d’au-moins 55% au prix du princeps,
ce qui, compte tenu des marges de distribution différentes, correspond à un prix public (prix
vignetté) inférieur d’environ 45%3.
La politique de développement des médicaments
génériques a permis à l’assurance maladie de réaliser des économies importantes en
réorganisant le marché français des médicaments autour d’une concurrence par les prix.
1
Ordonnance n°96-345 du 24 avril 1996
Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) pérennisé par l'article 72 de la loi n°2005-1579 du
19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006
3
Rapport annuel de 2009 rendu par le HCAAM
2
1
L’idée principale souvent retenue est celle selon laquelle la multiplication des
génériques sur les marchés de médicaments est bonne en soi puisqu’ils sont moins chers. Les
autres considérations telles que les incitations à la découverte de médicaments nouveaux sont
de second rang. En effet, l’objectif poursuivi par les pouvoirs publics était de favoriser les
génériques afin de contribuer à la baisse des dépenses de santé. Cela s’est fait en partant du
postulat qu’un médicament générique qui n’a pas à supporter les frais de recherche et de
développement des produits innovants est moins cher que le médicament princeps4.
Dans un rapport publié par la Commission européenne le 8 juillet 2009 à propos des
marchés des médicaments, la Commission « se comporte comme une autorité de concurrence,
qui pose, selon la théorie économique sous-jacente, que l’affrontement des produits
techniquement substituables, ce qui est la définition même du générique par rapport au
princeps, suffit à satisfaire l’intérêt général »5.
Le droit de la concurrence apparait comme un droit abstrait dès l’instant qu’il est un
droit des marchés, parce que les marchés rendent toutes les choses échangeables les unes les
autres grâce à la monnaie. De ce fait, la substance technique ou politique des biens visés n’est
plus prise en considération.
Cependant, il convient de rappeler que le médicament est un objet économique
particulier parce qu’il a été politiquement posé comme un bien public, dans une perspective
de justice distributive. Le consommer est un moyen pour rétablir ou maintenir un état de santé
affecté par une maladie. Chacun doit donc y avoir accès ce qui suppose un contrôle strict
exercé par les pouvoirs publics. Le risque potentiel et le manque d’expertise du patient
rendent nécessaire la réglementation du marché pharmaceutique.
L’Etat a exercé un contrôle accru sur l’organisation du système de santé en France et
notamment sur le marché des médicaments. Ainsi, la santé est instituée en tant qu’objet
politique tenant à distance le droit de la concurrence. Le directeur général de l’Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), M. Jean MARIMBERT, pose
fermement que « la vocation d’une agence sanitaire telle que l’Afssaps est résolument non
économique »6. La population doit avoir accès aux médicaments selon ses besoins et non pas
4
M.-D. CAMPION et G. VIALA, « Les médicaments génériques », Droit pharmaceutique, éd. Litec, 2003, fasc. 3510.
5
M.-A. FRISON-ROCHE, Concurrence, santé publique, innovation et médicament, LGDJ 2010
6
Th. REVET et L. VIDAL, « Régulateur et sécurité sanitaire des produits de santé », La régulation de la santé,
Annales de la régulation, vol.2, 2009, p. 285-293, p.285. M. MARIMBERT ajoute que l’action de l’Autorité
2
sa capacité à payer. Les contribuables acceptent ce principe de justice distributive qui tient à
distance le droit de la concurrence. De ce fait, il est possible d’affirmer que le droit du
médicament relève d’une façon essentielle du droit de la régulation en ce que l’Etat choisit
pour l’ensemble de la population et redistribue les richesses en fonctions des critères établis.
Le prix des médicaments remboursables était ainsi fixé par le gouvernement. Mais ce
contrôle des prix ne s’accompagnait pas du contrôle des volumes de prescriptions ce qui
rendait cette politique contre-productive tant sur le plan économique (les dépenses de santé ne
faiblissaient pas), que sanitaire (elle favorisait la surconsommation de médicaments). Les
pouvoirs publics ont donc décidé d’instaurer une concurrence sur les prix dans le cas des
médicaments dont les brevets ont expiré. De cette manière, des médicaments génériques ont
pu pénétrer le marché et acquérir des parts de marché dans le secteur pharmaceutique.
Afin d’encourager les patients à se tourner vers les génériques, l’Etat a mené une
politique incitative pour les sensibiliser à la différence de prix alors même que cette dernière
était prise en charge par l’assurance maladie. Le développement des médicaments génériques
a entraîné de facto une forme de concurrence avec notamment les produits princeps auxquels
ils ressemblent.
Ainsi il convient de se demander dans quelle mesure le droit de la concurrence permet
une régulation de la vente de médicaments génériques en France ?
Bien que le secteur pharmaceutique soit régulé de manière stricte par l’Etat, cela n’a
pas été un frein à la nécessaire application du droit de la concurrence au droit des
médicaments génériques (A), un droit de la concurrence qui sera renforcé par la suite, avec
l’identification de pratiques abusives(B).
s’inscrit « dans le contexte de la politique générale de santé publique et des plans ou actions qui la traduisent »
(p.289)
3
I.
L’application du droit de la concurrence au droit des médicaments
génériques
Les médicaments génériques vont être confrontés au droit de la concurrence notamment
au droit de la contrefaçon et de la concurrence déloyale (A). De plus, il sera nécessaire de
déterminer le cadre juridique de la publicité comparative (B).
A. Les médicaments génériques face au grief de contrefaçon et de
concurrence déloyale
Le législateur ainsi que les juges essaieront tant bien que mal de trouver un équilibre
entre droit de substitution et droit des marques (1), une recherche qui aboutira parfois à une
rupture (2).
1) La recherche d’un équilibre entre droit de substitution et droit des
marques
A l’expiration du brevet, les spécialités de référence pourront être généricables. Le
droit des marques qui subsistera, sera le moyen pour les entreprises de faire face à la
concurrence. Cet investissement en marque pourra s’avérer être judicieux à ce moment précis
puisque le produit princeps sera référencé aux yeux de tous comme étant unique ; ce qui
permettra de maintenir la confiance initialement accordée par les consommateurs.
La marque permet d’identifier le produit sur le marché et toute la stratégie de
l’entreprise consistera à imposer le produit comme une référence absolue. On comprend ainsi
la nécessité d’interdire la substitution pour protéger ce droit de marque qui a un impact
économique important.
4
Ainsi, un délit de substitution est consacré à l’article L 716-10 d) du code de la
propriété intellectuelle qui interdit « de sciemment livrer un produit ou fournir un service
autre que celui qui lui est demandé sous une marque enregistrée ».
Cependant, l’article L 5125-23 du code de la santé publique précise que cette
infraction n’est pas constituée lorsque le droit de substitution est exercé par un pharmacien.
Cela se justifie pour des raisons d’ordre économique. En effet, il s’agit là de faciliter la
pénétration des médicaments génériques qui entraînera ensuite une baisse du déficit de la
sécurité sociale.
C’est la loi de financement de la sécurité sociale pour 19997qui
a conféré aux
pharmaciens un droit de substitution. La mise en place de ce droit leur a permis de jouer un
rôle essentiel dans le développement des médicaments génériques. Désormais les pharmaciens
peuvent choisir sous certaines conditions de délivrer un médicament générique en lieu et place
d’une spécialité de référence. Des mesures incitatives telles qu’une réforme des marges ont
été adoptées afin de les encourager à exercer ce droit.
La marque qui prenait le « relais » après que la protection conférée par le brevet cesse,
se retrouve ainsi « limitée » également à la même durée que pour le brevet alors même que la
marque pouvait être renouvelée tous les dix ans de manière infinie. Désormais, le produit
princeps qui est tombé dans le domaine public peut être copié en toute légalité.
Ce principe a fait l’objet d’une jurisprudence constante en la matière.
Dans un litige où la société qui commercialisait le médicament de marque
« Bétadine » agissait en concurrence déloyale pour imitation du contenu du produit, du flacon
et de ses signes distinctifs (les couleurs jaune et rouge, l’utilisation du suffixe « dine »), la
Cour d’appel de Versailles8 a estimé que « le Tribunal a à juste titre rappelé que la fabrication
et la diffusion de produits pharmaceutiques identiques aux " princeps " correspond à la
définition même des médicaments génériques, de telle sorte que l'imitation du produit "
princeps " afin de le substituer totalement dans la pratique médicale ne peut être considérée
comme parasitaire ».
7
Loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 parue au JO n°300 du 27
décembre 1998.
8
CA Versailles, 29 mars 2001, pourvoi n° 1998-5727
5
La Cour ajoute que « s'agissant en particulier de médicaments génériques dont la
généralisation correspond à un objectif de réduction des dépenses de santé par une mise en
concurrence entre fournisseurs, la recherche de compatibilité entre les produits de fabricants
différents, y compris dans le conditionnement de ces produits, correspond à l'exercice normal
de la concurrence dès lors qu'elle ne s'accompagne pas du recours à des procédés
commerciaux illicites ».
Selon Yves Saint-Gal, la concurrence parasitaire peut être définie comme « l’acte ou
les actes d’un commerçant ou d’un industriel qui tire ou s’efforce de tirer profit des
réalisations personnelles d’autrui et du renom acquis légitimement par un tiers, même s’il n’a
pas toujours l’intention de nuire à ce dernier »9. En l’espèce, les juges estiment que l’imitation
du princeps exploité par un laboratoire concurrent ne peut tomber sous la sanction de la
concurrence déloyale
puisque cela correspond à la définition même des médicaments
génériques.
Indirectement, le générique en tant que copie d’un princeps, bénéficiera partiellement
de la renommée de la spécialité de référence.
Bien que cette atteinte au droit des marques par l’invocation de contraintes
économiques puisse se justifier au nom de la liberté du commerce et de l’industrie, ce ne sera
plus le cas dans l’hypothèse où ces contraintes ne dégageront que des intérêts privés. Le droit
des marques demeure un « droit » qu’il convient de protéger.
2) La rupture d’un équilibre entre droit de substitution et droit des
marques
Cette recherche d’un équilibre entre droit de substitution et droit des marques aboutit
parfois à une rupture, notamment lorsque les contraintes économiques seront invoquées dans
un but privé. Dans le cas où les laboratoires se serviraient de cela pour protéger leurs intérêts
particuliers, cette pratique pourra être sanctionnée devant les tribunaux.
9
SAINT-GAL, « Concurrence et agissements parasitaires en droit français et belge », La concurrence parasitaire
en droit comparé Actes du colloque de Lausanne, Librairie Droz, Genève, 1981 p.134
6
De nombreux arrêts sont venus sanctionner des comportements fautifs de sociétés qui
tiraient profit du droit de substitution accordé aux pharmaciens et portaient une atteinte non
justifiée au droit des marques.
Tel était le cas pour un litige dans lequel la société IPSEN avait commercialisé en
1975 après avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché en France, une spécialité
pharmaceutique dénommée « Tanakan ». La société Biogalénique a obtenu le 13 janvier 1986
une autorisation de mise sur le marché de la spécialité « Saphium » transformée en
« Ginkogink » et ce, pour un médicament dit générique du « Tanakan ». Le 3 novembre 1986
la société Biogalénique a adressé à l’ensemble des membres du corps médical français une
lettre circulaire précisant : « Les laboratoires Biogalénique mettent à votre disposition
Ginkogink, extrait concentré de Ginkgo-biloba, strictement identique à l’extrait standard… ».
La Cour d’appel10 avait relevé que les expertises scientifiques effectuées par divers
professeurs, dont elle a précisé les noms et indiqué les juridictions qui les avaient désignés,
avaient établi que les deux spécialités étaient parfaitement distinctes. La société Biogalénique
ne produisait aucune expertise en sens contraire et avait même reconnu dans ses écritures au
cours de la procédure de référé, qu’il n’existait entre ces deux spécialités qu’une identité
relative. Ainsi, ladite société « a abusivement cherché à faire croire à l’ensemble du corps
médical que les deux produits étaient strictement identiques ». La Cour de cassation11 a
confirmé la décision rendue par la Cour d’appel. Cette société s’est donc rendue coupable
d’actes de concurrence déloyale.
Dans une autre affaire le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que « l'utilisation
de la marque d'un médicament de référence est légitime en ce qu'elle est nécessaire à
l'information des pharmaciens pour l'exercice du droit de substitution par un médicament
générique dès lors que ce droit est effectivement ouvert »12. La Cour d'appel de Paris a
partiellement confirmé ce jugement et estimé que la référence à la marque du princeps ne
constituait pas une référence nécessaire, et ce, que le droit de substitution soit ouvert ou non
aux pharmaciens. Elle considère que cela « ne constitue pas le seul moyen pour informer le
public des professionnels de santé, auquel elle s'adresse de la destination thérapeutique du
produit » et que « la mention de la D.C.I13, qui désigne le principe actif du médicament et les
indications thérapeutiques contenues dans la publicité permettaient d'informer de manière
10
CA Paris, 28 septembre 1987
Cour de cassation Chambre commerciale, 27 juin 1989 87-18.583 Inédit
12
TGI Paris, 16 novembre 2004, no RG : 03/10058, Sté Beecham Group Plc c./ SARL G Gam
13
Dénomination commune internationale
11
7
compréhensible et complète les professionnels de santé sur la destination de la "Paroxétine G
Gam", au sens de l'article L. 713-6-b) précité, sans qu'il soit nécessaire de faire référence à la
marque "DEROXAT" »
14
. Cet arrêt a ensuite était cassé par la chambre commerciale de la
Cour de cassation mais sur le fondement d’un autre moyen (voir B) 1)). Elle ne s’était pas
prononcée sur cette question et avait renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles
qui avait retenu la même solution que celle énoncée par la Cour d’appel de Paris. Elle
considère que « la mention de la DCI “Paroxétine” dès lors qu'elle est accompagnée de
l'indication du dosage en principe actif ce qui est le cas dans la publicité incriminée qui
mentionne 20mg ainsi que d'indications thérapeutiques permet d'informer de manière
compréhensible et complète les professionnels de santé sans qu'il soit nécessaire de faire
référence à la marque “Deroxat” ; qu'il ne peut être valablement soutenu que seule la
référence à la marque “Deroxat” est susceptible de procurer une information complète et de
savoir quel médicament générique peut être substitué à cette spécialité princeps ». 15
Ici, comme c’est le cas très souvent, l’action en contrefaçon de marque et l’action en
concurrence déloyale n’aboutissent pas à une condamnation puisque la Cour de cassation
considère qu’il s’agit d’une publicité comparative licite.
B. Le cadre juridique de la publicité comparative des médicaments
génériques
Les litiges relatifs à l’usage de publicité comparative vont concerner des conflits entre
laboratoires princeps et génériqueurs (1) mais également des conflits entre génériqueurs (2).
1) Les conflits entre laboratoires princeps et génériqueurs
La publicité des médicaments fait l’objet d’un encadrement très strict compte tenu de
la nature de l’objet visé. A l’origine la publicité des génériques n’avait pas de réglementation
spécifique et on leur appliquait les règles classiques. Cependant face au déficit de confiance
14
CA Paris, 3 mai 2006, n°RG : 05/01564, Sandoz venant aux droits de la société G Gam c./ Beecham Group PLC.
CA Versailles, 17 sept. 2009, n° RG : 08/06287, Sandoz venant aux droits de la société G Gam c./Beecham
Group PLC
15
8
de la part des patients et au manque d’attrait de la part des professionnels, il a fallu adapter la
publicité aux génériques afin de favoriser leur développement. Un type de publicité a été
particulièrement efficace, la publicité comparative que les laboratoires vont utiliser afin de
promouvoir simultanément leurs médicaments de marque et leurs génériques
L'une des questions posées aux tribunaux en la matière est celle de savoir dans quelles
mesures la publicité faite par le générique peut faire ou non référence à la marque du princeps.
En effet, l'article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle dispose que
« l'enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un
signe similaire comme référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un
service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu'il n'y ait pas de
confusion dans leur origine ». Parallèlement, il est prévu dans le dernier alinéa de cet article,
que si l'utilisation de la marque dans ces conditions porte atteinte aux droits du titulaire, ce
dernier peut demander qu'elle soit limitée ou interdite.
Dès lors une question simple se pose à savoir de quelle manière les génériqueurs
peuvent faire connaître le lancement de leur prochain produit aux pharmaciens.
Dans l’affaire précédemment citée16, s’agissant de la publicité comparative, la Cour
d’appel de Paris considère que l’annonce publicitaire comportant le slogan suivant : « En
avant-première, les Laboratoires G GAM ont le plaisir de vous annoncer la commercialisation
prochaine de la Paroxétine G GAM (Générique de Deroxat) », n’est pas une publicité
comparative. Pour les juges du fond, elle se contente de citer la marque sans qu’il y ait
d’éléments de comparaison. Elle constate que cela introduisait seulement une identification
des deux produits et non une comparaison de leurs qualités essentielles et représentatives
réciproques.
La Cour de cassation17 casse la décision des juges du fond sur le fondement de l’article
L121-8 du code de la consommation relatif à la publicité comparative. Selon elle, cette
annonce constitue une publicité comparative licite. Elle estime « qu’en présentant la spécialité
paroxétine G. Gam comme le générique du Deroxat, la société G. Gam informait le public que
cette spécialité avait la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la
même forme pharmaceutique que la spécialité de référence, et que sa bioéquivalence avec
16
17
Ibid.
Cass. com., 26 mars 2008, no 06-18.366, P+B
9
cette spécialité était démontrée, ce dont il résulte qu’elle procédait à une comparaison de
caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces produits ». La
qualité des destinataires de la publicité est ici prise en considération. En statuant ainsi, la
Haute Cour estime, en effet, que la seule référence à la notion « générique » est une
information suffisante pour le public de pharmaciens (à qui s’adresse l’annonce publicitaire)
qui est un public de professionnels avertis en matière de comparaison entre les médicaments.
Cette décision rendue par la Cour de cassation s’inscrit dans une jurisprudence
constante puisque par la suite, dans un litige opposant la société AstraZeneca SAS à la société
Sandoz, elle réitère sa position.
AstraZeneca, licenciée de la marque « Mopral », fabrique et commercialise en France
sous cette marque une spécialité pharmaceutique à base d’ « Oméprazole » destinée au
traitement des maladies gastro-intestinales. Une de ses sociétés concurrentes, Sandoz, a
obtenu une autorisation de mise sur le marché d’un générique « Oméprazole GNR 20 mg » et
a procédé à la publication de brochures publicitaires annonçant aux professionnels de santé la
commercialisation de sa spécialité générique. La société AstraZeneca a assigné la société
Sandoz en paiement de dommages et intérêts pour préjudice consécutif aux actes de
concurrence déloyale mais aussi pour contrefaçon de la marque « Mopral ». La société
Sandoz n’a pas contesté l’usage de la marque mais elle estime que ses publicités sont licites
au regard de l’article L 121-8 du Code de la consommation. La Cour d’appel a constaté que
les brochures ont bien cité la marque mais n’ont pas comparé le générique au princeps et
qualifie de ce fait, la publicité faite sur le générique de concurrence déloyale. La Cour de
cassation casse la décision des juges du fond en retenant qu’en présentant « Oméprazole GNR
20mg » comme le générique du « Mopral », la société Sandoz avait informé le public qu’il
avait la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme
pharmaceutique que la spécialité de référence, et que sa bioéquivalence avec cette spécialité
était démontrée, ce dont il résultait qu’elle procédait à une comparaison de caractéristiques
essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces produits.
De plus, la société AstraZeneca reproche à la société Sandoz d’avoir présenté
faussement sa spécialité « Oméprazole » comme un générique avant son inscription au
répertoire de l’AFSSAPS. La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel sur
cette disposition également. Elle relève que les juges du fond auraient dû rechercher si « un
nombre significatif » de pharmaciens avaient décidé d’acheter la spécialité générique, après
10
avoir vu la publicité, alors même qu’ils pensaient que cette spécialité était déjà inscrite au
répertoire des génériques ou s’ils avaient renoncé à cet achat, après la lecture du fax mailing
qui était adressé à une partie des officines du territoire national indiquant que l’inscription au
répertoire de l’AFSSAPS n’avait pas encore eu lieu.
La référence au médicament princeps constitue une comparaison implicite rendant
licite la publicité au regard des exigences légales. Ainsi, on peut en déduire qu’une publicité
de médicament n’est trompeuse que si « un nombre significatif » de pharmaciens a décidé, au
vu des publicités, d’acheter la spécialité générique dans la croyance erronée que cette
spécialité était déjà inscrite au répertoire des génériques. Il est intéressant de constater que
pour qu’une publicité soit considérée comme trompeuse, elle doit « tromper » un grand
nombre de personnes.
2) Les conflits entre génériqueurs
Outre le conflit que se livrent les laboratoires princeps et les génériqueurs, ces derniers
mènent une lutte sans merci entre eux pour se répartir ces nouvelles parts de marché.
Ce cas de figure est illustré dans une affaire18 où deux des plus grands génériqueurs
présents sur le marché se sont opposés en raison de l’utilisation par l’un d’entre eux, en sa
faveur, d’une publicité qui s’appuyait sur les conclusions d’une enquête de notoriété réalisée à
sa demande par l’institut de sondage Sofres. Son adversaire, quant à lui, soutenait que les
conclusions de cette enquête avaient été exploitées de manière non objective. Il faisait
référence à une enquête réalisée par l’institut de sondage Ifop dont les conclusions étaient
différentes de celles réalisées par Sofres.
En l’espèce, le Tribunal de commerce de Nanterre19 considère qu’ « En utilisant les
résultats d'une étude de notoriété non dédiée aux génériques et sur partie de l'échantillon
grand public total consulté, pour en tirer l'allégation « Sandoz n°1 des génériques en notoriété
», Sandoz a créé une ambiguïté de nature à induire en erreur le lecteur lequel est conduit à
croire que Sandoz bénéficie d'une notoriété n°1 parmi les médicaments de génériques, ce qui
18
19
Frédéric Nadaud, « L’Actualité du droit de la consommation », Chron. ADC 2006/6 p.23
TC Nanterre, 27 mai 2005, Biogaran c/ Sandoz
11
n'est pas établi à la période des faits ». Le Tribunal en a déduit que les annonces publicitaires
étaient trompeuses et constitutives de publicité comparative illicite sanctionnée sur le
fondement de l’article L121-8 du Code de la consommation. La Cour d’appel de Versailles20 a
confirmé ce jugement.
Ces deux sociétés se sont retrouvées dans une autre affaire où la société Biogaran cette
fois-ci, s’est vue reprocher l’utilisation d’un pictogramme similaire à celui apposé par Sandoz
sur le conditionnement de l’un de ses produits. La Cour d’appel de Versailles estime que bien
qu’il ait été « démontré que la publicité organisée en faveur du conditionnement des produits
de Sandoz privilégie l’information des consommateurs finaux sur le « bon usage du
médicament », dont l’emballage est utilisé « comme un vecteur fondamental du service rendu
au client », la société Biogaran avait effectué d’importants investissements publicitaires. Il ne
pouvait ainsi lui être reproché de « s’être placé dans le sillage de la société intimée Sandoz
pour faire l’économie des dépenses nécessaires à la diffusion de ses propres médicaments et
de leur emballage ». Ainsi, pour les juges du fond, le parasitisme n’est pas constaté et ils
considèrent donc qu’il n’y a pas eu de concurrence déloyale.
Les médicaments étant des biens de consommation particuliers, ils sont soumis à des
procédures d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Elles conditionnent de manière
absolue l’usage du médicament dans les limites fixées par l’AMM. La directive 2004/27/CE
met en place une procédure AMM abrégée spécifique aux génériques. Cette procédure
simplifiée permet une concurrence plus importante des médicaments entre eux grâce à la
réduction des délais de commercialisation.
En outre, en matière de médicaments, la marque est soumise à un contrôle
administratif spécifique réalisé par l’AFSSAPS.
L'article R. 5121-3, dernier alinéa, du Code de la santé publique précise ainsi : « sans
préjudice de l'application de la législation relative aux marques de fabrique, de commerce et
de service, le nom de fantaisie (...) doit être choisi de façon à éviter toute confusion avec
d'autres médicaments et ne pas induire en erreur sur la qualité ou les propriétés de la
spécialité. ».
A défaut, la délivrance de l'AMM pourra être refusée. Les laboratoires fabriquant et
commercialisant des génériques ne pourront choisir une dénomination similaire ou proche de
20
CA Versailles, 11 septembre 2006
12
celle du produit princeps, alors même que plus de 100 000 marques sont déposées aujourd'hui
en France en classe 5 et visent essentiellement les produits pharmaceutiques21
Le contrôle de l'AFSSAPS peut s'analyser comme un contrôle ab initio du caractère
contrefaisant de la marque.
II.
Le renforcement du droit de la concurrence à travers l’identification
de pratiques abusives
Les laboratoires princeps vont être tentés d’exercer leurs droits pour empêcher l’accès
au marché à des génériqueurs au risque de se voir reprocher des abus de position dominante
(A), les pratiques abusives pourront également prendre la forme d’ententes entre les
laboratoires concurrents (B).
A. L’exercice des droits des laboratoires princeps face à l’abus de position
dominante
Les laboratoires princeps vont adopter certaines stratégies qui tomberont sous le coup
de la qualification d’abus de position dominante (1) ou en seront menacées (2).
1) Les stratégies condamnées par la qualification d’abus de position
dominante
Il apparaît nécessaire de déterminer les facteurs qui incitent les génériqueurs à pénétrer
sur un marché. En effet, une entrée de génériques qui se ferait de manière assez ralentie
pourrait se justifier par l’absence d’incitations privées à entrer sur un marché. Dans le rapport
établi par CRA dans le cadre de l’enquête sectorielle menée par la Commission européenne,
il a été relevé que « l’incitation privée des génériqueurs à pénétrer sur un marché est
fortement affectée par le mode de régulation choisi ». Cependant, cela pourrait tout aussi bien
21
O. BINDER et N. BOINET, « Médicaments génériques : droit des marques, droit de substitution et publicité
comparative », LPA 1999, n° 102, p. 4-13
13
laisser planer un doute quant à l’existence d’un faisceau d’indices permettant de constater des
pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par des laboratoires princeps. Le secteur
pharmaceutique, d’un point de vue concurrentiel, apparaît singulier puisqu’une entreprise qui
souhaite y pénétrer devra nécessairement être d’une taille assez importante au vu des
investissements coûteux qu’elle devra réaliser. Ces grandes firmes devront adapter leur
politique commerciale pour éviter d’être écartées du marché en multipliant des stratégies qui
seront soumises elles-aussi au droit de la concurrence.
Cette adaptation de la stratégie commerciale pourra relever dans certains cas d’une
pratique concurrentielle normale mais sera dans d’autres cas, qualifiée de pratique
anticoncurrentielle visant à écarter ou ralentir l’accès au marché aux génériqueurs.
Tout d’abord, il convient de préciser qu’il a été jugé qu’un médicament générique et
son princeps relèvent du même marché, les deux produits ayant le même principe actif et étant
délivrés pour des indications strictement identiques22.
Les juridictions nationales et européennes ont reconnu qu’il est légitime qu’une
entreprise, même en situation dominante sur un marché, établisse des stratégies afin de faire
face à la concurrence d’autres offreurs23.
Les entreprises peuvent développer des stratégies tarifaires afin de faire face à
l’arrivée de nouveaux concurrents, les génériqueurs. Une affaire avait suscité de nombreuses
interrogations quant à la possibilité de pratiquer des prix prédateurs sur un marché non
dominé, par construction d’une réputation agressive. En l’espèce, la société Flavelab qui
fabrique et commercialise des médicaments génériques, avait saisi le Conseil de la
concurrence pour des pratiques émanant du laboratoire GlaxoSmithKline. Ce dernier détenait
une position dominante sur le marché de l’ »Aciclovir » injectable (80 à 90% des parts de
marché). La société Flavelab lui reprochait de vendre la « Céfuroxime » (un antibiotique
injectable) à un prix inférieur à son prix d’achat afin de l’écarter de ce marché. Le Conseil de
la concurrence24 a condamné le laboratoire GlaxoSmithKline à une amende de 10 millions
d’euros pour pratique de prédation consistant à se construire une réputation d’agressivité avec
22
Cons. conc., 11 décembre 2007, Société Arrow Génériques, déc. N° 07-MC-06 ; P. ARHEL, « Abus de position
dominante visant à retarder l'apparition d'un générique », RLC 2008/15, n° 1052.
23
Dans un arrêt du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, le TPICE indique (points 111-112) « il s’ensuit que
l’article 86 du traité (devenu article 102 TFUE) interdit à une entreprise dominante d’éliminer un concurrent et
de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par
les mérites ».
24
Cons. conc, 14 mars 2007 déc. N° 07-D-09
14
la mise en œuvre de prix bas sur le marché de la « Céfuroxime » (non dominé par le
laboratoire GlaxoSmithKline) dans le but de retarder l’arrivée des génériques sur le marché de
l’ « Aciclovir » injectable (dominé par le laboratoire GlaxoSmithKline). En effet, le CCP25
détenu par le laboratoire GlaxoSmithKline arrivait à expiration, il s’agissait pour lui de se
créer une réputation d’entreprise agressive pour contrer l’entrée des génériqueurs. La Cour
d’appel de Paris26 a infirmé cette décision et le ministre chargé de l’économie a formé un
pourvoi. La Cour de cassation27 rejette le pourvoi au motif que « Les articles L. 420-2 du
Code de commerce et 82 du Traité CE présupposent l’existence d’un lien entre la position
dominante et le comportement prétendument abusif qui n’est normalement pas présent
lorsqu’une pratique abusive est mise en œuvre sur un marché distinct du marché dominé ; que
ces dispositions peuvent cependant trouver application notamment lorsque l’autorité de
concurrence démontre l’existence de circonstances particulières ». Ainsi, lorsqu’une pratique
présumée être anticoncurrentielle intervient sur un marché distinct du marché dominé,
l’existence d’un lien de causalité entre cette pratique et la position dominante détenue doit
être établie.
Des stratégies visant à limiter les exportations des médicaments peuvent être
recherchées par les entreprises. En effet, le médicament est un bien particulier dont le prix est
librement fixé par chaque Etat membre de l’Union européenne. Etant un bien, il est soumis au
principe de la libre circulation au sein des Etats membres. Un problème se pose donc pour ces
entreprises en raison de la variété des prix des médicaments qui sont fixés selon la politique
des pays.
En France, il convient de distinguer les exportateurs (qui ne vendent pas sur le
territoire national) des grossistes répartiteurs (qui peuvent exporter mais sous réserve de
respecter des obligations particulières). Le Conseil de la concurrence (devenu aujourd’hui
l’Autorité de la concurrence) n’est pas contre l’idée d’instaurer des limitations quantitatives
aux grossistes répartiteurs mais les laboratoires devront prendre des engagements qui
25
Le CCP ou certificat complémentaire de protection est un titre spécial qui prolonge les droits et obligations
du propriétaire d'un brevet pharmaceutique ou phytopharmaceutique. Le CCP prend effet au terme de la
protection conférée par le brevet. La durée de validité d’un CCP varie en fonction de la date à laquelle il a été
demandé ou délivré. Disponible à http://www.inpi.fr/fr/questions-faq/question/faq_question/quest-ce-quuncertificat-complementaire-de-protection-ccp-1646.html?cHash=ae0809e860
26
CA Paris, 1re ch., sect. H, n° RG : 2007/07008, disponible à www.autoritedelaconcurrence.fr
27
Cass.Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, P+B+R
15
permettront d’encadrer les quotas28 ou de promouvoir la transparence par exemple. En ce qui
concerne les exportateurs, le Conseil de la concurrence considère que le refus opposé par des
laboratoires pharmaceutiques à leur encontre n’est pas constitutif d’un abus puisque les prix
étant fixés par l’Etat, la concurrence ne peut pas jouer normalement29.
Sur le plan communautaire, la Cour de justice30 a été saisie à titre préjudiciel de la
question du commerce parallèle des médicaments. En l’espèce, il s’agissait de savoir si le
laboratoire GlaxoSmithKline, qui avait changé de politique commerciale de manière soudaine
en refusant de livrer ses grossistes exportateurs et de procéder à des ventes directes, usait
d’une stratégie abusive. Le comportement de GSK en Grèce était en cause puisque le but du
laboratoire était d’éviter les importations parallèles de certains médicaments à destination
d’autres Etats membres, où le remboursement des médicaments délivrés sur ordonnance était
sensiblement supérieur à celui pratiqué en Grèce. La Cour considère que « l’article 82 TCE
doit être interprété en ce sens qu’une entreprise détenant une position dominante sur le
marché pertinent des médicaments, qui afin d’empêcher les exportations parallèles que
certains grossistes effectuent d'un État membre vers d'autres États membres, refuse de
satisfaire des commandes ayant un caractère normal passées par ces grossistes, exploite de
façon abusive sa position dominante ». La CJCE semble ici adopter une solution de
compromis, l’entreprise pharmaceutique qui refusera la livraison ne sera pas sanctionnée
automatiquement. Elle le sera dans le cas où elle refusera de livrer des commandes normales.
La stratégie des ventes liées a aussi été utilisée dans l’industrie pharmaceutique. Cette
pratique consiste à conditionner l’achat d’un produit à l’achat d’un autre produit. Dans
certains cas, il s’agira d’inciter le client à acheter les deux produits en consentant des
avantages financiers. Cela a été l’objet d’un litige dans lequel la société Lilly France qui
détient le monopole de la production et de la distribution du « Dobutrex » (médicament
exclusivement commercialisé dans les établissements hospitaliers) et qui est titulaire du brevet
de ce médicament, a décidé à partir de 1988 de majorer son prix de vente. En effet, à compter
de cette date, la société Lilly France ne disposait plus du brevet de la « Vancomycine »,
médicament également commercialisé dans les hôpitaux et cliniques, dont elle avait le
monopole de production et de commercialisation. Lilly France a donc soumis l’octroi d’une
28
Décision n°07-D-22 du 5 juillet 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution
des produits pharmaceutiques
29
Décision n°05-D-72 du 20 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par divers laboratoires
dans le secteur des exportations parallèles de médicaments.
30
CJCE, 16 septembre 2008, Sot. Lélos kai Sia EE e.a. c. GlaxoSmithKline AEVE Farmakeftikon Proïonton, aff. Jtes
C-468/06 à C-478/06.
16
remise tarifaire accordée sur l’achat du « Dobutrex » à la condition pour ces établissements
d’acheter en même temps de la « Vancomycine ». Le Conseil de la concurrence31, saisi par le
ministre de l’économie, a condamné la société Lilly France en estimant que cette pratique
était illicite. Cette remise avait nécessairement pour effet de « dissuader les pharmacies
d’établissements hospitaliers de s’adresser à des entreprises concurrentes pour obtenir
séparément de la Vancomycine ». La Cour de cassation32 a confirmé la décision rendue par
les juges du fond et a condamné la société Lilly France sur le fondement de l’article 8 de
l’ordonnance du 1er décembre 1986. Elle cite la décision rendue par la Cour d’appel qui avait
relevé que « cet avantage financier était fictif puisque le prix tarif du Dobutrex (avait) été
majoré de 54,8% de 1987 à 1991 et que cette pratique avait un effet discriminatoire, tant à
l’égard des établissements qui acquéraient du Dobutrex sans acheter de la Vancomycine, que
des concurrents de la société Lilly, qui étaient victimes de la position dominante que cette
entreprise détenait sur le marché du Dobutrex et dont l’accès était ainsi limité sur le marché
de la Vancomycine ».
D’autres stratégies ont été exploitées par les laboratoires pharmaceutiques, elles n’ont
pas fait l’objet de condamnation mais risquent de tomber sous le qualificatif d’abus de
position dominante.
2) Les stratégies menacées par la qualification d’abus de position
dominante
Une de ces stratégies repose sur le dénigrement du générique qui va pénétrer le
marché. Le Conseil de la concurrence33 a eu à se prononcer sur ces agissements après avoir
été saisi par la société Arrow Génériques. Cette dernière reproche à la société ScheringPlough, qui détient une position dominante sur le marché de la buprénorphine haut dosage
(BHD), d’abuser de cette position en dénigrant le générique mais aussi en modifiant les
conditions de commercialisation du « Subutex » afin d’accorder aux pharmaciens des
avantages visant à empêcher le développement du générique commercialisé par la société
Arrow Génériques sur ce marché. En ce qui concerne les pratiques de dénigrement, le Conseil
31
32
Cons. conc., 5 mars 1996, déc. N° 96 D 12, Rec. Lamy, no 676, obs. V. Sélinsky ; CA Paris, 6 mai 1997.
Cass. com., 15 juin 1999 : Société Lilly France (R.J.D.A. 8-9/1999, no 1013 ; Bull. civ. IV, no 128, p. 106)
33
Décision n° 07-MC-06 du 11 décembre 2007 relative à une demande de mesures conservatoires présentée
par la société Arrow Génériques. Disponible à http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/07mc06.pdf
confirmée par CA Paris, 5 févr. 2008, Société Schering-Plough (BOCCRF 3 août 2009), et en cassation par Cass.
com., 13 janv. 2009 : Bull. civ. 2009, IV, no 2.
17
de la concurrence estime que de telles actions de dénigrement de la part d’un opérateur en
position dominante peuvent être qualifiées d’abusives. Il se réfère à une décision antérieure34
en rappelant au point 100 que "La concurrence suppose un certain degré de rivalité et de
compétition entre les acteurs d’un marché. Néanmoins, cette lutte pour la conquête de la
clientèle n’autorise pas tous les comportements, surtout de la part d’une entreprise qui,
détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière.
Parmi les actes qui peuvent être regardés comme abusifs, le dénigrement occupe une
place majeure. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un
produit ou un service identifié ; il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d’un
acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit
sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier ». Le Conseil considère qu’en l’espèce,
« le dénigrement ne s’appuie pas sur des constatations avérées, c’est-à-dire sur des défauts
observés à la suite de la commercialisation du générique à compter du 1er avril 2006, mais sur
des effets prétendument néfastes dus notamment à l’un des excipients utilisés, sans que ces
effets n’aient été à aucun moment constatés, ou sur une moindre efficacité du générique, sans
que celle-ci soit établie ». Il a décidé de prendre des mesures conservatoires et d’enjoindre au
laboratoire Shering de procéder à ses frais à la publication de la décision dans des journaux
spécialisés.
Le rapport d’enquête sectorielle réalisée par la Commission européenne cité
précédemment fait état d’un certain nombre de stratégies relatives aux brevets. En principe, le
simple dépôt de brevet n’est pas abusif en soi. La Cour de justice estime que « le seul fait
d’obtenir le bénéfice d’un droit exclusif accordé par la loi, droit dont la substance consiste à
pouvoir empêcher la fabrication et la vente des produits protégés par des tiers non autorisés,
ne peut être regardé comme une méthode abusive d’élimination de la concurrence »35. Elle
ajoute que « la faculté pour le titulaire d’un brevet pour modèle ornemental de s’opposer à la
fabrication pour des tiers, aux fins de la vente sur le marché intérieur ou de l’exportation, de
produits incorporant le modèle ou d’empêcher l’importation de pareils produits qui auraient
été fabriqués sans son consentement dans d’autres Etats membres constitue la substance de
son droit exclusif ». Ainsi, un laboratoire princeps titulaire d’un brevet peut user du droit qui
lui est conféré pour protéger la commercialisation de son produit. Cependant, dans certains
34
Déc. n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom
dans le secteur de l’accès à Internet à haut débit
35
CJCE, 5 octobre 1988, Régie nationale des usines Renault, aff.53/87
18
cas la réglementation relative aux brevets a été utilisée pour empêcher l’accès au marché des
fabricants de médicaments génériques.
Ces stratégies visent par exemple à prolonger indument la durée des brevets. Pour cela,
les laboratoires vont déposer toute une série de brevets (brevet sur la molécule et ses
différentes structures chimiques, sur le mode de synthèse, sur les méthodes de traitement, sur
le procédé de fabrication…) qui vont s’échelonner dans le temps ; ce qui aura pour
conséquence de rendre plus difficile l’identification des brevets valides par les génériqueurs et
d’allonger la période d’exclusivité. On peut dénombrer jusqu’à 1000 brevets pour un seul
médicament. Cette stratégie de « grappe de brevets » ou « patent clusters » est très utilisée,
notamment pour les « blockbusters » qui sont des médicaments dégageant plus d’un milliard
de chiffre d’affaires mondial. En règle générale, cette multiplication des brevets intervient peu
avant que la molécule ne tombe dans le domaine public.
Ainsi, aux Etats-Unis, le laboratoire GlaxoSmithKline avait déposé quatre nouveaux
brevets, deux ans seulement avant l’expiration des brevets dont il était titulaire pour le
médicament « Augmentin ». Les tribunaux ont fait droit à la demande des génériqueurs qui
contestaient la validité de ces brevets au motif qu’il s’agissait de copies des brevets initiaux36.
Une autre affaire concernant cette fois-ci la société AstraZeneca37, qui a été condamnée pour
avoir induit en erreur divers offices nationaux des brevets pour obtenir des CCP prolongeant
ainsi la durée du brevet qu’elle disposait sur le « Losec ». Cette entreprise avait également été
sanctionnée pour avoir demandé l’annulation d’autorisations de mise sur le marché qui avait
eu pour conséquence de priver les génériqueurs de la spécialité de référence, ce qui était
indispensable à l’entrée ou au maintien des génériques.
D’autres stratégies ont été avancées dans le rapport d’enquête de la Commission
européenne, notamment l’abus de procédure. On regroupe sous ce vocable l’ « exercice
d’actions en contrefaçon destinées à adresser un signal d’agressivité aux concurrents, recours
systématiques et pressions exercées auprès des autorités chargées de délivrer des autorisations
de mise sur le marché »38.
36
N. GRANDFILS, V. PARIS, C. SERMET, « Les laboratoires pharmaceutiques face à l'arrivée des génériques :
quelles stratégies pour quels effets ? », Bulletin d'information en économie de la santé, IRDES, n° 84, oct. 2004.
Disponible à http://www.irdes.fr/Publications/Qes/Qes84.pdf
37
Com. CE, 15 juin 2005, communiqué de presse n° IP mai 737 ; N. FAGERLUND et S. BO RASMUSSEN,
AstraZeneca : the first abuse case in the pharmaceutical sector, Comp. Newsletter, n°3, Autumn 2005, p. 54.
38
Comm.Eur, Communication, Synthèse du rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique, 8 juillet 2009
p.37
19
Le Tribunal de première instance consacre l’idée que l’accès au juge est un droit
fondamental « et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des
circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’intenter une action en justice est
susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l’article 86 du Traité
(devenu article 102 TFUE) »39. Selon le rapport préliminaire de l’enquête sectorielle, entre
2000 et 2007, au sein de l’union européenne, les laboratoires princeps et les génériqueurs
étaient impliqués dans au moins 1300 litiges liés aux brevets et concernant le lancement de
produits génériques. Il s’agit la plupart du temps de recours émanant d’entreprises innovantes.
Cependant, les juridictions ont tranché en faveur des entreprises de génériques le plus souvent
(62% des cas). Aux Etats-Unis, des laboratoires ont été soupçonnées d’avoir usé des recours
pour violation du brevet à cause du caractère suspensif sur la commercialisation des
génériques. Ils ont été condamnés à verser des sommes importantes en raison de la perte
engendrée par le retard de la mise sur le marché des génériques40.
B. Les ententes entre les laboratoires concurrents
Les accords entre les laboratoires sont sujets à caution en droit de la concurrence, et en
particulier par le droit des ententes qui les appréhendera différemment selon leur degré de
nocivité. Certains accords seront conclus entre laboratoires princeps (1) alors que d’autres le
seront entre laboratoires princeps et génériqueurs (2).
1) Les accords conclus entre laboratoires princeps
Suite à l’enquête sectorielle publiée en juillet 2009, la Commission européenne a
confirmé que le 12 janvier 2010, elle a envoyé, en vertu des règles de l’UE en matière
d’ententes et d’abus de position dominante, des demandes de renseignements à un certain
nombre d’entreprises pharmaceutiques. La commissaire Mme Kroes a notamment déclaré que
« l’enquête de la Commission relève d’importants manquements dans le secteur
pharmaceutique. Les règlements amiables relatifs à des brevets posent problème, notamment
lorsqu’un laboratoire de princeps rémunère un fabricant concurrent de produits génériques en
39
40
TPICE, 17 juillet 1998, ITT Promedia NV. c. Commission, aff.T-111/96
Préc. Synthèse du rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique
20
contrepartie d’un report de l’entrée d’un médicament générique sur le marché. Nous devons
examiner les accords de cette nature pour mieux comprendre pourquoi ils sont conclus, par
qui et dans quelles conditions. Ce travail nous permettra également de prendre des mesures si
nécessaires ».
Les laboratoires princeps peuvent conclure des accords de licence afin de faire valoir
un nouveau brevet.
Ce type de contrat permet à un laboratoire sur le point de perdre la protection conférée
par son brevet, d’acquérir des droits exclusifs sur un procédé de fabrication ou un
intermédiaire de synthèse en contrepartie, il devra lui verser des redevances. Lorsque cet
accord concerne une molécule au stade de son développement, ce sera un moyen pour le
laboratoire preneur d’avancer dans les projets de recherche et d’innovation sans avoir à
débourser des sommes importantes et en limitant les risques. Ces accords sont susceptibles
d’encourager l’innovation et la concurrence, de ce fait ils peuvent bénéficier d’une exemption
par catégorie, en application du règlement communautaire sur les transferts de technologie41.
Le temps venu de la fabrication des médicaments, les laboratoires peuvent conclure
des accords de spécialisation. Ce sont des « contrats par lesquels les parties s’entendent, sur
une base unilatérale ou réciproque, pour que l’une cesse ou s’abstienne de fabriquer un
médicament et s’engage à acheter à l’autre son produit, tandis que cette dernière s’engage à
fabriquer et à fournir le médicament en question »42.
Etant donné que les entreprises concernées contribuent à améliorer la production ou la
distribution des produits en concentrant leurs activités et en travaillant de manière beaucoup
plus efficace, ces accords ne seront pas considérés comme illicites au regard du droit de la
concurrence. En effet, un règlement d’exemption par catégorie43 couvre de telles pratiques à
la condition que les entreprises ne possèdent pas une part de marché cumulée dépassant le
41
Pour bénéficier de l’exemption par catégorie, les parts de marché ne devront pas excéder un seuil de 20% et
les contrats ne devront pas cacher en réalité des pratiques illicites. Comm. CE, Règlement (CE) n°772/2004 du
27 avril 2004 concernant l’application de l’article 81 (devenu article 101 TFUE), paragraphe 3, du Traité à des
catégories d’accords de transfert de technologie, JOUE L 123, 27 avril 2004.
42
Jean-Christophe RODA, Maître de conférences à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III Centre de Droit
économique, « Les pratiques de l’industrie pharmaceutique au regard du droit de la concurrence », sous la
direction de C. JOURDAIN-FORTIER et I. MOINE-DUPUIS, éd. Litec, 2010.
43
RÈGLEMENT (UE) n°1218/2010 DE LA COMMISSION du 14 décembre 2010 relatif à l'application de l'article
101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d'accords de
spécialisation
21
seuil de 20% ou ne commettent pas d’actes illicites (entente sur la fixation des prix, la
répartition des marchés).
Les laboratoires de princeps peuvent également conclure des accords de recherche et
de développement. Ce type d’accords à l’instar de ceux cités précédemment, ne pose pas en
principe de problèmes de concurrence. En effet, même s’ils concernent des concurrents
directs, ils permettent une coopération en matière de recherche et de développement et
contribuent à promouvoir le progrès technique et économique en encourageant les nouveaux
progrès grâce à l’échange d’un savoir-faire complémentaire au bénéfice des consommateurs.
Ainsi, ces accords bénéficieront d’une exemption si la part de marché cumulée des entreprises
n’est pas supérieure à 25%44. Ce seuil étant apprécié à la date de la conclusion de l’accord.
L’enquête sectorielle a aussi révélé l’existence d’accords entre laboratoires de princeps
qui ne visent plus la phase de recherche et de développement de nouveaux produits, mais la
phase de commercialisation. Ces accords peuvent contenir des clauses d’exclusivité et/ou de
non-concurrence de longue durée. De ce fait, ils sont sujets à caution en droit de la
concurrence notamment s’ils vont au-delà de ce que permettent les Règlements relatifs aux
accords de recherche et de développement et aux accords de technologie.
2) Les accords conclus entre laboratoires princeps et génériqueurs
L’une des caractéristiques essentielle du secteur pharmaceutique est la concurrence
importante que se livrent les laboratoires princeps et les fabricants de génériques. Plutôt que
de recourir à des tribunaux, certains laboratoires ont préféré s’allier avec l’ « ennemi ».
Des laboratoires ont donc cédé des AMM bis de leurs médicaments princeps ou ont
accordé des licences commerciales à des génériqueurs.
Le titulaire de l’AMM va conférer une AMM bis à un tiers qui pourra bénéficier de ses
dossiers techniques pour permettre d’exploiter la même spécialité sous une marque
44
RÈGLEMENT (UE) n° 1217/2010 DE LA COMMISSION du 14 décembre 2010 relatif à l’application de l’article
101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de
recherche et de développement
er
Ces règlements d’exemption sont entrés en vigueur le 1 janvier 2011. Cependant, une période transitoire de
deux ans est prévue durant laquelle les règlements 2658/2000 et 2659/2000 restent en vigueur pour les
accords qui y sont conformes mais qui ne remplissent pas les nouvelles conditions fixées par les nouveaux
règlements.
22
différente45. Ainsi, en 2001 le laboratoire GlaxoSmithKline a accordé une version générique
de son produit princeps « Augmentin » en passant un accord avec le laboratoire Biogaran
(filiale du groupe Servier). Ces accords ont un intérêt pour les laboratoires princeps mais
également pour les fabricants de génériques. Ces derniers bénéficient en règle générale d’un
droit de pré-entrée les autorisant à commercialiser leurs génériques entre 1 et 5 mois avant
l’expiration du brevet du princeps. Ce qui va leur donner un avantage non négligeable vis-àvis des autres génériqueurs qui devront attendre que le brevet du médicament princeps soit
tombé dans le domaine public pour rentrer sur le marché. Le génériqueur devra quant à lui,
obligatoirement s’approvisionner en principe actif et produit fini auprès du laboratoire
princeps avec qui il a signé l’accord.
L’enquête sectorielle a mis en exergue l’existence d’accords horizontaux liant les
entreprises innovantes et les fabricants de génériques destinés à retarder l’entrée sur le marché
des génériques. En effet, certains laboratoires princeps et génériqueurs ont eu l’idée de
conclure des accords dont l’objet est de prolonger de manière artificielle la durée de vie de la
molécule originale. Ce sont des « accords de report d’entrée par lesquels le laboratoire
innovant verse une somme d’argent au fabriquant du générique, en échange de l’engagement
de ce dernier de différer l’entrée sur le marché de son produit, prolongeant ainsi
artificiellement le monopole du princeps »46.
Le rapport préliminaire de l’enquête sectorielle constate qu’au bout de deux années de
présence sur le marché, les génériques sont en moyenne 40% moins chers que les
médicaments princeps. La concurrence des produits génériques entraîne donc une baisse
importante des prix pour les consommateurs. La conclusion d’accords de report d’entrée
apparait de facto très difficilement justifiable au regard du droit de la concurrence même si la
question de la licéité de tels accords n’a toujours pas été tranchée en France ou dans l’Union
européenne. Cependant, il apparait clairement que cela ne saurait tarder à la suite de
l’ouverture de l’enquête menée par la Commission européenne.
Aux Etats-Unis, la question de la licéité des accords de report d’entrée est discutée.
Ces accords résultent le plus souvent d’un règlement à l’amiable d’un litige de brevet, qui fait
suite à un dépôt d’une ANDA47 par un génériqueur et d’une plainte pour contrefaçon déposée
à son encontre par le titulaire du brevet. Dans un litige concernant le « Hytrin » qui est un
45
Art. R 5121-29 2° du CSP prévoit cette procédure
Art. R 5121-29 2° du CSP
47
Abbreviated New Drug Application ou ANDA est une demande abrégée de nouveau medicament.
46
23
médicament permettant de traiter l’hypertension, une plainte a été déposée par la Federal
Trade Commission. Elle visait Abbott Laboratories qui avait été accusé d’avoir versé 4,5
millions de dollars par mois à Geneva Pharmaceuticals pour que la commercialisation du
générique du « Hytrin » soit reportée à la date du verdict. En l’espèce, Geneva s’était engagé à
ne pas renoncer à sa période d’exclusivité de 180 jours48. En 2000, un Tribunal a conclu que
l’accord entre Abbott et Geneva était constitutif d’une entente horizontale illégale au regard
de la Loi Sherman49.
48
Aux États-Unis, le premier génériqueur sur un marché bénéficie d’une exclusivité de marché de 180 jours.
Aucun autre concurrent générique ne peut alors entrer sur le marché avant l’échéance de ladite période
d’exclusivité
49
Voir “In re Terazosin Hydrochloride Antitrust Litigation”, U.S. District
Court for the Southern District of Florida, 2000.
24
Bibliographie
1. Ouvrages :




M.-A. FRISON-ROCHE, Concurrence, santé publique, innovation et médicament, LGDJ 2010
Th. REVET et L. VIDAL, « Régulateur et sécurité sanitaire des produits de santé », La
régulation de la santé, Annales de la régulation, vol.2, 2009, p.285-293
Jean-Christophe RODA, Maître de conférences à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
Centre de Droit économique, « Les pratiques de l’industrie pharmaceutique au regard du
droit de la concurrence », sous la direction de C. JOURDAIN-FORTIER et I. MOINE-DUPUIS, éd.
Litec, 2010
SAINT-GAL, « Concurrence et agissements parasitaires en droit français et belge », La
concurrence parasitaire en droit comparé Actes du colloque de Lausanne, Librairie Droz,
Genève, 1981 p.134
2. Revues juridiques et thèses :
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O. BINDER et N. BOINET, « Médicaments génériques : droit des marques, droit de
substitution et publicité comparative », LPA 1999, n° 102, p. 4-13
M.-D. CAMPION et G. VIALA, « Les médicaments génériques », Droit pharmaceutique, éd.
Litec, 2003, fasc. 35-10
Frédéric Nadaud, « L’Actualité du droit de la consommation », Chron. ADC 2006/6 p.23
25
3. Revues spécialisées :
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N. GRANDFILS, V. PARIS, C. SERMET, « Les laboratoires pharmaceutiques face à l'arrivée des
génériques : quelles stratégies pour quels effets ? », Bulletin d'information en économie de la
santé, IRDES, n° 84, oct. 2004. Disponible à http://www.irdes.fr/Publications/Qes/Qes84.pdf
N. FAGERLUND et S. BO RASMUSSEN, AstraZeneca : the first abuse case in the
pharmaceutical sector, Comp. Newsletter, n°3, Autumn 2005, p. 54. Com. CE, 15 juin 2005,
communiqué de presse n° IP mai 737
4. Jurisprudence :
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TGI Paris, 16 novembre 2004, no RG : 03/10058, Sté Beecham Group Plc c./ SARL G Gam
TC Nanterre, 27 mai 2005, Biogaran c/ Sandoz
CA Versailles, 29 mars 2001, pourvoi n° 1998-5727
CA Paris, 3 mai 2006, n°RG : 05/01564, Sandoz venant aux droits de la société G Gam c./
Beecham Group PLC.
CA Versailles, 17 sept. 2009, n° RG : 08/06287, Sandoz venant aux droits de la société G Gam
c./Beecham Group PLC
CA Paris, 1re ch., sect. H, n° RG : 2007/07008.
Cass. com., 27 juin 1989, n° 87-18.583 Inédit
Cass. com., 26 mars 2008, n° 06-18.366, P+B
Cass.Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, P+B+R
Cass. com., 15 juin 1999 : Société Lilly France (R.J.D.A. 8-9/1999, no 1013 ; Bull. civ. IV, no
128, p. 106)
Cons. conc., 11 décembre 2007, Société Arrow Génériques, déc. N° 07-MC-06 ; P. ARHEL, «
Abus de position dominante visant à retarder l'apparition d'un générique », RLC 2008/15, n°
1052.
Cons. conc., 5 mars 1996, déc. N° 96 D 12, Rec. Lamy, no 676, obs. V. Sélinsky ; CA Paris, 6
mai 1997.
Cons. conc, 14 mars 2007 déc. N° 07-D-09
Cons. conc., 7 juillet 2007, déc. n°07-D-22 relative à des pratiques mises en œuvre dans le
secteur de la distribution des produits pharmaceutiques
Cons. conc., 20 décembre 2005, déc. n°05-D-72 du 20 relative à des pratiques mises en
œuvre par divers laboratoires dans le secteur des exportations parallèles de médicaments.
Cons. conc., 11 décembre 2007, déc.n° 07-MC-06 du 11 relative à une demande de mesures
conservatoires présentée par la société Arrow Génériques. Disponible à
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/07mc06.pdf confirmée par CA Paris, 5 févr.
2008, Société Schering-Plough (BOCCRF 3 août 2009), et en cassation par Cass. com., 13 janv.
2009 : Bull. civ. 2009, IV, no 2.
CJCE, 16 septembre 2008, Sot. Lélos kai Sia EE e.a. c. GlaxoSmithKline AEVE Farmakeftikon
Proïonton, aff. Jtes C-468/06 à C-478/06.
CJCE, 5 octobre 1988, Régie nationale des usines Renault, aff.53/87
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
TPICE, 17 juillet 1998, ITT Promedia NV. c. Commission, aff.T-111/96
5. Articles et Lois :

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Art. R 5121-29 2° du CSP
Loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 parue
au JO n°300 du 27 décembre 1998
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