Moscou apprehendee.
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Moscou apprehendee.
Moscou apprehendee. Du passé avant-gardiste au présent expérimenté. Mémoire de Veronika Pomazkova. Sous la direction de Carola Moujan et Philippe Louguet. Camondo 2014 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Sommaire. 7 Introduction. 11 18 20 Moscou. Ville expérimentale. VKhOUTEMAS. ASNOVA. OSA. Nouvelles typologies d’architectu ww w re sociale. 25 46 48 49 51 52 Gorky parc. Témoin avant-gardiste. VSVKhV. Le premier des PKiO. Les années Betty Glan. Un laboratoire artistique, architectural et urbain. Le déclin. 55 72 73 76 Le retour de Gorky parc. Nouvelle direction. Wowfaus à Gorky parc. Garage à Gorky parc. 81 92 94 95 Moscou aujourd’hui. Nouvelles pédagogies. Strelka. MARCH. 99 Conclusion. 105 Bibliographie. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Introduction Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Ce mémoire est une occasion pour moi de renouer avec mes propres racines et de réapprendre ma ville natale, Moscou. Partie il y a 9 ans, à chaque retour je la reconnais de moins en moins et j’apprends de nouveaux projets. Mes études ici m’éloignent de mon propre héritage et m’amène des connaissances nouvelles, différentes à celles acquises en Russie, simultanément. C’est avec un regard changé qu’en février 2014 je débute ma recherche sur le constructivisme russe, notamment, Konstantin Melnikov. Je ne remercierais pas assez Philippe Louguet qui m’avoir amené vers ce chemin. L’époque des années 20 et 30 est très peu étudiée dans les écoles russes (les cours sur l’histoire d’art s’arrêtent aux ballets Russes de Diaghilev), et j’apprends de loin sur les ateliers VKhOUTEMAS. Jusqu’à mes vingt ans, j’ai dû apprendre plus sur le Bauhaus, que sur l’avant-garde russe. Cela est certainement lié au fait que mes parents, comme les parents de toute ma génération, ont une relation négative avec leur passé soviétique. Ils n’ont pas la nostalgie de ce qui a pu être perdu en 1991, ils ont trop souffert de l’idéologie brisée à la fin de l’URSS... Introduction. Предисловие. 8 En parallèle de ces recherches, je m’intéresse aussi à la vie urbaine actuelle de Moscou, je suis au plus près la chronique de cette ville passionnante. Je me rends alors compte que ce qui m’anime, l’époque avantgardiste et son héritage, anime aussi d’autres personnes, souvent de la même génération que moi. En huit mois de recherches, le débat autour de la maison de Melnikov et de la tour de Choukhov est très animé. Il l’est toujours d’ailleurs. En outre, afin d’élargir ma vision et puisque je m’intéresse aussi à la figure de Rem Koolhaas dans l’histoire liée de son architecture et l’architecture avantgardiste, je visite la Biennale de Venise en septembre 2014. Je me rends alors compte que le pavillon russe, en réponse au thème général « Absorbing Modernity. 1914-2014 », invite à réfléchir ce que le passé russe peut donner au présent commun. Je regarde par la fenêtre du pavillon présentant l’exposition, fausse foire aux idées matérialisées, « Fair Enough », et je vois l’écriture en tubes lumineux « Russia’s past. Our present. » Ce récit raconte l’histoire pas si lointaine des avantgardes russes croyants en idéologie marxiste et au bien qu’elle apportera avec leur œuvre à l’humanité. Il est une histoire de nouveaux lieux pensés pour guérir la société, d’instruire un nouvel homme soviétique, plus précisément du parc Gorky. Il apparaît dans ma recherche comme un témoin de deux époques, celle des années 1920 et 30 et celle de 2010. Il est un lien ici entre Hier et Aujourd’hui moscovite. J’essaye de trouver ainsi la place de l’héritage avantgardiste dans Moscou contemporaine. 9 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Moscou. Ville expérimentale. Moscou appréhendée. Москва воспринятая. жить, чтобы любой для него годах: Plans, coupe et façade de DK Rousakov, Melnikov, 1927. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. 14 ЖИЗНЕННЫЙ И ТВОРЧЕСКИЙ ПУТЬ Облик клубов Мельникова резко выделялся среди окружающей застройки. Таким качеством не обладало тогда большинство новых зданий клубов. Не случайно именно по отношению к внешнему облику клубов Мельникова использовались в те годы метафорические оценки как теми, кому эти клубы нравились, так и теми, кто их критиковал. Метафора с трудом придумывалась по отношению к облику других клубов, а оригинальный образ клубов Мельникова как бы провоцировал на его метафорическую оценку. Приведу ряд метафор, использовавшихся тогда в печа- ти: «Рупор на Стромынке» (клуб имени Русако ва), «Звезда химиков» (клуб в Дулеве), «Сигара Свободы» (клуб «Свобода»), «Клетка попугая» (клуб «Буревестник»). Характерная для клубов Мельникова ориги нальная форма получена не за счет втискивания функции в заранее придуманную форму. Необы ная форма клубов создавалась архитектором одновременно с внутренней организацией прост ранства. Причем, как это ни кажется парадоксальным, наиболее сложная композиция характерна как раз для тех клубов, где Мельник Plan et façade de DK Bourevestnik, Melnikov, 1929. Plans d’étages de DK Bourevestnik, Melnikov, 1929. Couverture de SA, 1926. Moscou appréhendée. Москва воспринятая. Compositions de l’intérieur des cellules d’habitation de Narkomfin, Moisei Ginzbourg, 1930. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. VKhOUTEMAS. ASNOVA. OSA Moscou. Ville expérimentale. Москва. Экспериментальный город. 18 Je pense qu’il est important de dresser le tableau général de la nouvelle scène architecturale russe et moscovite qui suit la Révolution de 1917, afin d’éclaircir l’environnement des projets avant-gardistes que je présente dans cet écrit. 1918 : Moscou redevient la capitale de la Russie, le projet de faire de Moscou marchande la Nouvelle Moscou soviétique se met en marche. Durant les années 20 Moscou ne subit pas de grands changements formels, mais elle devient un épicentre du foisonnement des idées nouvelles. Au début des années 30, le VTsIK (comité central exécutif panrusse) décide de l’indépendance administrative et municipale de la ville de Moscou, afin de propulser le développement de la ville comme une nouvelle ville-modèle soviétique à travers l’élaboration de son plan général. Pour cela à partir de 1918 auprès de Mossoviet (Soviet, organe législatif et exécutif des délégués élus, de Moscou) sont créés les ateliers architecturaux avec notamment Alexeï Chtchoussev et Ivan Joltovsky. Moscou en tant que capital de la Russie Nouvelle soviétique, portera toujours un fort caractère symbolique. Son indépendance est nécessaire afin de relancer plus facilement son économie, aussi pour que certaines décisions puissent être prises plus rapidement. Le plan général de Moscou proposera un nouveau développement industriel et social. Les architectes élaborent des proposition pour de nouvelles voies de transport plus larges, prévoie de grandes zones vertes, quartiers d’habitation ouvrière, etc. Le travail sur l’utopie de la nouvelle ville soviétique sera en outre exposé dans le livre de Nikolaï Milioutine, Sotsgorod. Le problème de la construction des villes socialistes. Bien que dans l’idéale, la ville soviétique serait une ville linéaire, les architectes, comme Chtchoussev et Joltovsky, tiennent à la composition circulaire de la ville de Moscou, formée depuis des siècles. Vient alors l’idée de rajouter de nouveau cercles de circulation qui seront achevés seulement dans les années 2000. Cependant d’autres architectes, comme Ginzbourg et Le Corbusier, proposent des plans généraux beaucoup plus radicaux quant au développement de Moscou. Alexeï Chtchoussev, maître de l’architecture stalinienne, se veut comme un maître de la néorenaissance et du néo-classicisme durant les années 20. Outre son travail pour le Mossoviet, il enseigne également à VKhOUTEMAS, Ateliers supérieurs d’art et de technique, créée en 1920 par un décret de Lénine, la seule école d’art officielle. Parmi ses élèves, certains deviennent de grands architectes soviétiques, Ilya Golosov et Konstantin Melnikov. Vers 1923 trois pôles se créent à la faculté d’architecture de VKhOUTEMAS : ateliers académiques dirigés par Joltovsky, Chtchoussev, Vesnin ; ateliers de gauche unis, OBMAS, dirigés par Ladovsky, Krinsky, Docoutchaev, prônant le rationalisme comme l’avenir de l’architecture et de la société ; ateliers d’architecture expérimentale dirigés par Melnikov et Golosov, concentrant leur recherche sur la méthode fonctionnelle comme concept théorique du constructivisme. Dissous en 1930 avec l’arrivée de la nouvelle politique soviétique, ces ateliers sont donc le foyer à des mouvements importants dans l’art et l’architecture d’avant-garde russe, tels que rationalisme, constructivisme et suprématisme. Outre ces ateliers éducatifs et l’atelier du projet de Moscou auprès de Mossoviet, les architectes dans les années 20 ont la possibilité de se regrouper et former des associations autogérées. Cela permet aux artchitectes de penser librement sur la nouvelle idéologie et son expression spatiale. Les plus importants de ces associations sont ASNOVA, association de nouveaux architectes, et OSA, société des architectes contemporains. ASNOVA est formée en 1923 par Nikolaï Ladovsky, enseignant à VKhOUTEMAS, elle devient le bastion pour les architectes rationalistes russes s’opposant aux architectes constructivistes et fonctionnalistes de OSA, officialisé en 1925. Cette association compte parmi d’autres Alexandre Vesnin, Moisiei Ginzbourg, Ilia Golosov, Ivan Leonidov, Konstantin Melnikov. Elle est la seule à avoir un périodique, SA, Architecture Contemporaine, dans laquelle les architectes exposent leur méthode nouvelle de pensée architecturale, la méthode de la création fonctionnelle. Ils ont la foi dans l’esthétique de la machine et la subordination de l’architecture à une commande sociale nouvelle. 19 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. En outre de projets d’architecture nouvelle soviétique, les débats sur l’urbanisme et la vie en communauté, SA publie les projets de Le Corbusier. Le livre Vers une architecture de Le Corbusier est lu par les jeunes architectes, la Russie continue de s’intéresser à l’évolution de la pensée contemporaine occidentale. En 1925 Moisei Ginzbourg publie son ouvrage Style et Époque qui est un manifeste de l’architecture constructiviste et une sorte de réponse au Vers une architecture. Les nouvelles typologies d’architecture sociale. Moscou. Ville expérimentale. Москва. Экспериментальный город. 20 Dans les années 20 et début d’années 30 les architectes constructivistes et rationalistes réfléchissent sur les nouveaux modes de vie, en continuité avec la nouvelle philosophie communiste. La recherche d’architectes aboutit à la création de nouvelles typologies d’espaces publics ou communs : DK (maison ou palais de culture), dom-kommouna (maison commune), fabrika-koukhnia (fabrique-cuisine), PKiO (parc de culture et de loisir). Initialement DK, ou les clubs d’ouvriers occupent d’anciens hôtels particuliers abandonnés ou nationalisés comme suite à l’arrivée du nouveau pouvoir. En 1926, la construction de bâtiments spécifiquement pensés comme des DK, est une commande gouvernementale et sociale. Les profsoïouz, unions professionnelles, sont les clients directs des projets de DK auprès d’architectes. Les premiers DK à Moscou sont construits par Melnikov et sont encore utilisés de nos jours, souvent en continuité avec leur passé, comme des lieux d’éducation supplémentaire, des clubs artistiques du week-end. En deux ans, il dessine sept clubs d’ouvriers dont cinq sont réalisés. Pour Melnikov, la non-ressemblance avec d’autres architectures et la transparence de l’activité à l’intérieur des DK sont les idées principales quant à leur conception extérieure. Quant à l’intérieur (et c’est lui qui donne le dessin définitif de la façade), les DK ne peuvent pas être un simple assemblage d’une grande salle utilisée pour les fêtes ou réceptions importantes, avec de petites salles fermées ; le tout assemblé par un couloir. Melnikov veut rompre dans son architecture avec l’enfermement et propose avec les DK une architecture polyvalente composée de successions ou juxtaposition de salles qui peuvent s’assembler ou se séparer selon le besoin. Autre trait important de l’architecture de DK de Melnikov ainsi que de son architecture en générale, est un appel à de nouvelles technologies. Pour Melnikov, comme pour d’autres architectes de l’époque, l’Architecture (avec un grand « A ») est le plus grand des arts, la technologie doit être au service de l’Architecture. Lors de construction des bâtiments de DK, les ingénieurs et les ouvriers de l’époque sont obligés de surmonter des défis lancés par l’architecte. Cela ne veut pas dire que l’architecte est un artiste ignorant, dessinant des projets irréalisables, mais plutôt un maître qui demande de se surpasser, connaissant les limites du réalisable. Pour Melnikov l’Architecture ne doit en aucun cas se substituer à l’ingénierie, dans les années 60 c’est ce qu’il reprochera à l’architecture contemporaine. Le but premier de l’architecte selon Melnikov est une recherche permanente d’espaces véritablement nouveaux, jamais vus, ni sentis. Seule cette méthode donne le droit d’appeler le travail d’un architecte « son œuvre ». Un autre architecte qui dessine énormément de clubs ouvriers à l’époque est Leonidov. La méthode fonctionnelle qui est en cours de définition chez les architectes constructivistes dans les années 20 trouve un autre de ses aspects dans l’œuvre de Leonidov. Il tente de créer un système de modules de DK selon la demande et le besoin de profsoïouz. Selon la pensée constructiviste à chaque fonction correspond une forme la plus adaptée. Ainsi pour chaque activité, telle que cinéma, cantine, ateliers artistiques, sport, cours de théâtre, studio de chorégraphie, etc., Leonidov dessine une forme. Le client selon ses besoins devient un acteur dans la conception du futur bâtiment. Dans l’idéale après avoir défini chaque forme et leur assemblage, l’architecte se met en arrière-plan et il ne reste plus que le client et le constructeur. Ce système s’inscrit alors dans l’histoire du préfabriqué en architecture. L’architecture ici est pensée comme une industrie avec ce qu’elle peut apporter du bien à l’humanité. Les constructivistes dans leurs recherches élaborent également une nouvelle manière de vivre selon la théorie marxiste : les dom-komouna. L’exemple le plus connu est le Narkomfin de Moisiei Ginzbourg construit entre 1928 et 1932 à la demande du commissaire des 21 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Finances, Nikolaï Milioutine. Cette architecture est pensée comme un condensateur social, menant les gens vers une cohabitation harmonieuse. À travers son œuvre, Ginzbourg soulève aussi la question de la place d’une femme dans une société. L’architecture libère ici la femme de sa tâche ménagère de tous les jours ; émancipée elle aura le temps de travailler et de se mettre au même niveau que l’homme dans la société. Une autre manière du vivre ensemble, inventé dans les années 20 est la fabrika-koukhnia. D’une part ces bâtiment sont une ode à l’industrie comme moteur de développement vers un futur meilleur, d’autre part ils offrent un espace outre le travail et la maison, où se crée un lien social. L’échelle de ces bâtiment est parfois impressionnante et aujourd’hui l’idée d’une telle industrialisation de la cuisine paraît sous un autre angle. La conception de fabrika-koukhnia amène encore une fois les architectes à l’idée de construction à partir de module : grande salle pour les banquets, plus petite pour le repas quotidien, le vestiaire, la caisse. Dans les années 20 l’idée du préfabriqué passionne les architectes et elle sera poursuivie sous une forme moins idylliques dans les années d’après-guerre. Moscou. Ville expérimentale. Москва. Экспериментальный город. 22 Travaillant dans les conditions de grand changement politique, économique et social, juste après la Grande Guerre et la Révolution, les architectes avant-gardistes ont peu de moyens pour la réalisation de leurs projets. Ils sont amenés à construire avec des matériaux pauvres dans des délais restreints. Melnikov dit luimême qu’ils étaient parfois amenés à construire avec des ordures, des bâtiments de grande valeur artistique mais d’aucune valeur matérielle. Souvent les bâtiments de l’époque ne sont même pas faits pour durer. Dans les rêves d’architectes ils ne construisent que de l’éphémère en attendant une grande montée économique quand ils pourront tout refaire à neuf. Malgré les restrictions, le courage et l’inventivité de l’époque ont peu de limites. Outre la création de nouvelles typologies de bâtiments sociaux, les architectes avant-gardistes élaborent de nouveaux outils pour penser l’architecture. La compréhension du fait que l’architecture ne peut être pensée qu’en prenant compte tout acteur et utilisateur est nouvelle. La conception va au-delà de recherche de formes nouvelles, elle recherche de nouvelles manières de vivre seul, ensemble, en société et pour un bien commun. En complément de la pensée architecturale occidentale, la pensée avant-gardiste russe donne ses propres réponses, encore importantes à étudier aujourd’hui de mon point de vue. En 1932 les divers groupements d’architectes sont supprimés. Le domaine d’architecture sera désormais organisé selon les principes de la production industrielle : organisation en chaîne (architectes en chef et les sous-architectes de différents « gardes »), établissement de projets types (tels que les habitations de masses, par exemple) et standardisation maximale de la production. SSA, union d’architectes soviétiques, regroupe désormais les architectes ayants droit de poursuivre l’activité professionnelle. Ils deviennent tous employés de l’état. Avec l’instauration du réalisme socialiste comme seul courant d’art possible, en peinture, sculpture et littérature, l’architecture se trouve, elle aussi, fortement contrôlée. À la place de courants divers pensés et tournés vers un futur imaginé avec l’avènement de l’homme nouveau soviétique vient l’architecture stalinienne, néo-classique et monumentale, forte en symboles à la gloire de l’Union soviétique. 23 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Gorky parc. Témoin avant-gardiste. Moscou appréhendée. Москва воспринятая. Pavillon Makhorka, Konstantin Melnikov, 1923. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Konstantin Melnikov devant pavillon Makhorka, 1923. À droite : esquisses pour le pavillon de l’URSS à Paris, 1925. VSVKhV, 1923. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. VSVKhV, vers 1925 Moscou appréhendée. Москва воспринятая. VSVKhV sur le plan de Moscou, 1927. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Schémas du lien entre TsPKiO et Moscou, Dolganiv, VKhOUTEIN, 1929. TsPKiO, plan du parterre, Konstantin Melnikov, 1928. Clubs d’enfant, années 1930. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Gloriette sur la berge de Moskova, vers 1935. Vue aérienne sur le restaurant Shestigrannik, années 30. Moscou appréhendée. Москва воспринятая. Vue aérienne sur le restaurant Shestigrannik, années 30. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Attraction Descente en spirale et Tour de parachute, 1932. Sculpture de la Fille à la Pagaie, Ivan Chadr, 1936. TsPKiO Gorky, 1931. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Amphithéâtre sur l’eau, Alexandre Vlasov, 1932. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Patinoire à Gorky parc, 1937. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. VSVKhV Gorky Parc. Témoin avant-gardiste. Парк Горького. Свидетель авангарда. 46 L’histoire du parc de loisir et de culture de Gorky commence en 1922 quand le VTsIK décide d’y installer la première VSVKhV, exposition panrusse d’agriculture, d’artisanat et d’industrie (équivalent des expositions universelles en Europe). Le territoire de 100 hectares donné pour cette exposition n’est pas exploité, c’est une décharge de la ville de Moscou malgré son emplacement proche du centre historique. L’architecte principal choisi par le comité central de l’exposition, Joltovski, travaille à ce moment sur le plan général de la ville de Moscou et a l’idée de transformer ce territoire en un espace vert populaire. L’organisation et la construction de cette exposition précurseur de VDNKh (Exposition d’accomplissements d’économie du peuple) prennent 8 mois, temps record pour l’époque, comportent 255 constructions. Les pavillons temporaires jouent le rôle principal quant à la forme plastique et artistique de l’exposition. Ils sont majoritairement construits en bois, matériau pauvre, sont dessinés par des architectes de courants esthétiques différents : allant de l’éclectisme au constructivisme. Cette exposition est une occasion pour les architectes contemporains d’exprimer spatialement les nouvelles idées exposées sur le papier. Parmi les pavillons, Mashinostroïenie (construction d’automobile), aussi appelé Shestigrannik (Hexagone), et Makhorka (tabac), sont particulièrement intéressants. Le premier est le seul préservé de nos jours, le deuxième est dessiné par Konstantin Melnikov et obtient un grand intérêt auprès d’architectes de l’époque. Le pavillon Shestigrannik est dessiné par Joltovsky, Kokorin et Parousnikov. Son plan reprend la forme d’un hexagone. Chaque côté de cette géométrie est un pavillon indépendant, l’ensemble encerclant un patio avec une fontaine au milieu. Cette composition spatiale permet une circulation fluide dans l’espace d’exposition. Six entrées permettent une séparation de flux de visiteurs. Son patio intérieur d’une forme très géométrique sera apprécié par la suite. Le pavillon deviendra fin des années 20 une grand restaurant populaire avec une terrasse calme et fermée. Ce pavillon est le seul construit en béton armé, seule sa méthode constructive lui permet de rester en vie jusqu’à aujourd’hui. Son état actuel est tout de même alarmant. En 1999, la mairie de Moscou signe un arrêt afin de restaurer ce bâtiment de valeur indéniable. Le pavillon Makhorka, comme je l’ai déjà fait remarquer, a été dessiné par Konstantin Melnikov, il est son premier projet construit. Makhorka se démarque considérablement des autres constructions par sa composition complexe et dynamique de volumes, de vitrages en angle, d’un grand escalier en colimaçon ouvert à l’extérieur, entrant dans un volume en porte-à-faux, le tout en bois. Dans son article sur l’exposition, Moisei Ginzbourg (un des plus grands architectes constructivistes, fondateur du groupe OSA, Organisation des architectes soviétiques) écrit : « Dans le département des traitements se distingue à son profit le pavillon “Makhorka” (de l’architecte Melnikov). Certainement il est une pensée, la plus fraîche et originale, interprétée tout à fait organiquement en bois ».1 Quant à Melnikov, il écrit sur son projet : « 1) les volumes se sont déplacés des supports, 2) l’escalier extérieur ouvert a des marches-consoles, 3) transparence du vitrage d’angle. <...> Les volumes se sont élevés, et la taille misérable du pavillon a glorifié l’Architecture avec un langage nouveau, celui d’EXPRESSION. <...> Je ne voulais pas voir de toitures dans mon œuvre (...) Nous ne savions pas construire la charpente pour les toits plats, comme résultat, les toitures sont toutes déplacées depuis la façade principale, constituant un jeu impétueux de formes 2.» Dans la conception de ce projet, Melnikov applique et vérifie une approche tout à fait nouvelle quant à l’image artistique d’un pavillon d’exposition. Avec des moyens très restreints, Melnikov lance un défi constructif : jamais personne en Russie n’a travaillé comme lui la construction en bois traditionnelle. L’idée très actuelle encore aujourd’hui, d’utiliser la tradition pour en faire quelque chose de cordialement nouveau, anime l’architecte. Par la suite cette approche est développée par Melnikov dans le projet du pavillon de l’URSS à l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 à Paris. Pour l’occident cette exposition est la première occasion d’une observation de la production de la Russie Nouvelle soviétique. 1 KHAN-MAGOMEDOV Selim, Konstantin Melnikov, Moscou, Stroïizdat, 1990, p. 59 2 Op. cit., p. 71 47 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Le premier des PKiO Gorky Parc. Témoin avant-gardiste. Парк Горького. Свидетель авангарда. 48 La création de DK et de complexes sportifs ainsi que l’amélioration de parcs et de squares existants durant les années 20 à Moscou, font émerger une nouvelle typologie d’espace publique : PKiO, parc de culture et de loisir. En mars 1928 Mossoviet décide de la création du premier de ces parcs à la place de VSVKhV. Ce lieu, nommé TsPKiO, parc central de culture et de loisir, devient alors un laboratoire d’expérimentation, le programme des futurs parcs de culture et de loisir s’invente et se vérifie in situ et in vivo. L’ouverture de TsPKiO est très positivement valorisée par la presse. Pour les journalistes, ces PKiO sont une des tendances principales de la reconstruction socialiste des villes. Ils vont former un homme nouveau pendant son temps de repos. Voici une citation (un peu longue) d’un des articles, intitulé « Monument d’une époque » : « Le Parc est une affaire véritable de notre époque. Le Parc doit résoudre un certain nombre d’équations de l’époque. Déjà aujourd’hui il est devenu un centre attirant vers lui des centaines de milliers d’ouvriers de Moscou. Quand il sera décoré architecturalement et organisé culturellement, il deviendra alors un véritable centre de travail culturel de toute la ville, organisant en lui toute la vie culturelle. Le Parc sera répandu sur un vaste espace. Grandissant, il changera l’apparence de Moscou. Devenant le centre architectural de Moscou, le Parc résout le problème de la ville du futur. Le déploiement du Parc prendra deux-trois décennies. Toutes les constructions actuelles en bois seront démolies et remplacées par des aménagements capitaux. Le Parc aura les principales institutions culturelles : les plus grands théâtres, cirques, planétariums, espaces d’exposition. L’architecture est au premier plan. Tous les arts doivent être au service de l’architecture. Le Parc deviendra un monument grandiose de l’époque. Le travail sur le Parc est étroitement lié au travail sur le problème de mode de vie. C’est à l’échelle grandiose que la question de l’organisation de loisir de centaines de milliers d’ouvriers est posée. Diriger la distribution de temps, occuper des centaines de milliers d’hommes, leur donner la possibilité de se reposer et de se divertir culturellement, détruire imperceptiblement les habitudes et les traditions bourgeoises, leur apprendre de se réjouir et d’œuvrer ensemble, systématiquement, à chaque pas, sans le pédantisme officieux éduquer en eux l’homme nouveau ; c’est cela la tâche principale des organisateurs et des dirigeants du Parc. Tous les arts doivent se mettre au service de cette tâche 3.» Les attentes de moscovites sont grandes envers ce parc tout à fait nouveau. Ils ne restent pas passifs dans sa création et souvent pendant les « soubbotniki » (travail social libre du samedi), il viennent dans le parc pour aider avec sa construction et n’hésitent pas de parler de leurs idées aux profsoïuz et plus directement à l’administration du parc. Les années Betty Glan En 1928 Konstantin Melnikov dessine le parterre de TsPKiO et son projet est réalisé grandeur nature avec le travail bénévole des Moscovites. Seulement la fontaine imaginée par Melnikov n’est pas réalisée. Celle-ci devait être une composition aqua-architecturale qui ne devait « avoir besoin d’aucune forme sculpturale. Les gens se promènent sous les jets d’eau étincelants»4. L’organisation du parc Gorky garde encore aujourd’hui une grande partie du dessin initial de Melnikov. En 1928 le futur Gorky parc ouvre ses portes, mais il n’est pas encore terminé. En 1929 Mossoviet souhaitant le développement de ce parc à espoir national, invite Betty Glan, âgée seulement de 25 ans, en tant que directeur du parc. Arrivant à ce post important, elle n’a pas forcément beaucoup d’expérience (administration durant deux ans d’un DK), mais elle a beaucoup d’envie, d’idées et d’énergie. Betty Glan reste directrice de TsPKiO jusqu’en 1937. Les années de sa direction sont appelées « l’époque d’or » du parc, à ce moment on l’appelle « combinat culturel d’altération de la conscience », « université verte », « club à ciel ouvert », « propagandiste du nouveau mode de vie ». En effet, la classe ouvrière et l’intelligentsia moscovites et d’autres villes soviétiques viennent passer du temps dans ce parc. Les enfants et les adolescents peuvent choisir l’atelier correspondant à leur centre d’intérêt (cela va des sciences précises aux arts plastiques), venir jouer à toute sorte de « balls » : football, handball, volleyball, cricket, tennis, ping-pong, 3 KHAN-MAGOMEDOV Selim, L’architecture de l’avant-garde soviétique. 2ème livre : problèmes sociaux, Moscou, Stroïizdat, 2001, p. 655 4 Op. cit., p. 651 49 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Gorky Parc. Témoin avant-gardiste. Парк Горького. Свидетель авангарда. 50 pétanque, etc. Plusieurs attractions sont aussi proposées dans le parc : une descente en spirale sur des tapis et une tour pour des sauts en parachute entre autres. La politique soviétique tente à supprimer la famille en tant qu’unité de société ; les PKiO y jouent pour le gouvernement un rôle important. Différentes classes se croisent dans le PKiO, font des activités ensemble, partagent les tables communes pendant les repas et les encas. Aujourd’hui ce lieu serait appelé un tiers lieu, tel qu’il est défini en 1980 par Ray Oldenburg. PKiO est un véritable laboratoire social, ses créateurs en ont la conscience comme le montrent les écrits de l’époque. Le Gorky parc, comme je l’ai déjà remarqué est le premier de PKiO, il devient ainsi un modèle pour tous les autres parcs qui seront aménagés dans les villes soviétiques. L’idéologie socialiste soviétique trouve en PKiO une expression spatiale. Betty Glan invite tout d’abord deux jeunes scénographes, frères Stenberg, qui seront par la suite célèbres par leurs affiches de cinéma. Ils recherchent essentiellement ce que l’on appellerait aujourd’hui l’identité graphique du parc. Toutes les constructions existantes sont peintes initialement en rouge révolutionnaire ce qui ne les met pas en valeur selon Betty Glan. Les Stenberg durant plusieurs mois cherchent une nouvelle palette ainsi que des solutions peu couteuses quant à la décoration des allées (n’oublions pas que la Russie Soviétique a très peu de moyens à ce moment). En 1931, l’ensemble du parc devient plus clair : les Stenberg choisissent le blanc, le bleu clair, le beige et le jaune citron comme couleurs principales. Une autre idée de frères Stenberg est de repenser la décoration du parc les jours de fête par des drapeaux rouges. Ils créent ainsi un système de drapeaux de tailles, formes et couleurs différentes s’éloignant du symbole révolutionnaire. « Le plus beau était tout de même le décor vert et floral du parc combiné avec les fontaines, les étangs, les ruisseaux, les cascades. Le soir la verdure, l’eau, les sculptures, le tout illuminé habilement, paraissaient tout à fait différemment que le jour : le tout devenait mystérieux et féérique »5 Une grande importance dans la décoration du parc est donnée à la sculpture. Architecte Alexandre Vlasov (qui deviendra plus tard l’architecte générale de Kiev, 5 GLAN Betty, Gorky parc, le début de l’histoire, Moscou, Parc Gorkogo, 2013, p. 44 puis de Moscou) décore la place centrale du parc, les berges. Il imagine aussi un ensemble sculptural autour de l’étang des Pionniers : des cygnes en marbre et des grenouilles-fontaines. D’autres sculptures sont commandées auprès d’atelier de musée des Beaux Arts : des copies en plâtre, faute de moyens, de sculptures antiques. Malheureusement jadis important, l’ensemble du décor sculptural n’est pas parvenu à nos jours. Seules quelques unes de sculptures de l’époque sont restées, trouvées et restaurées en 2011. Un laboratoire artistique, architectural et urbain À l’initiative de Betty Glan, en 1929 EL Lissitzky crée des ateliers architecturaux au sein de TsPKiO. Ils sont ouverts aux étudiants et aux jeunes diplômés de VKhOUTEIN (VKhOUTEMAS renommé en 1926). Ces ateliers donnaient des idées et des projets supplémentaires afin d’améliorer le parc. Dès sa création le TsPKiO n’est jamais figé, il est en évolution continue. Jusqu’en 1932 El Lissitzky guide les jeunes architectes dans leur processus créatif, puis il est succédé à la recommandation de Joltovsky, par Alexandre Vlasov. Joltovsky le trouve talentueux et connaît son intérêt pour la culture de parcs et de jardins. Dans les années 30, Alexandre Vlasov dessine et supervise la réalisation d’un certain nombre de projets : théâtre d’été pour 20 mille spectateurs, amphithéâtre sur l’eau pour 700 personnes, le premier rideau d’eau, le musée du travail. Il continue aussi de décorer les étangs et les fontaines. En 2011 lors de la réhabilitation du parc certaines de ses idées sont reprises et réalisées. En 1937 lors d’une exposition internationale à Paris Vlasov obtient le « Grand prix » pour son travail au sein de TsPKio. En outre de l’architecture de Vlasov, le cinéma le plus populaire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale se trouve sur le territoire du parc, dessiné par un architecte brésilien. Pour que les adultes puissent passer un moment tranquille et agréable, des écoles et des crèches d’un jour sont aussi organisées dans le TsPKiO. Cette idée sera reprise également en 2011. En 1931 le TsPKiO obtient le nom de Maxime Gorky, le célèbre écrivain du réalisme soviétique. 51 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Le déclin de Gorky Parc. En 1937 Betty Glan est arrêtée avec son mari et elle passera 17 ans dans des camps pour des fautes qu’elle n’avait jamais faites. Son départ marque la fin d’une époque pour le parc : les directeurs qui la succèdent n’ont plus la même énergie et le même enthousiasme envers ce lieu. Le parc continue d’exister tel qu’il a été imaginé à son origine et peu à peu il ne correspond plus à l’époque dans laquelle il existe. À partir des années 80 des attractions chinoises commencent à prendre leur place sur le territoire du Gorky parc. En 1990 une partie de parc est même sous-louée à des entrepreneurs qui montent, entre autres, un complexe grandiloquent de divertissements appelé Tchoudograd (Ville Magique) avec un prix de tickets exorbitant. D’autres locataires sans autorisation spécifique et puisque personne ne leur en demande une, construisent une quantité importante de kiosques préfabriqués qui prolifère sur le territoire du parc. TsPKiO perd à ce moment son âme, son idée originale ne correspond plus à son état physique. Après la chute de l’URSS en 1991, le parc continue d’exister de cette manière, les sculptures des années 30 sont soit parfois cassées, parfois volées. La direction du parc ne s’occupe plus d’évolution de parc, de son unité, elle ne fait que gagner de l’argent avec son passé glorieux et son emplacement central en sous-louant des espaces. Gorky Parc. Témoin avant-gardiste. Парк Горького. Свидетель авангарда. 52 53 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Le retour de Gorky Parc. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Vue sur Tchoudograd à Gorky parc, 1998. Gorky parc, 2011. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Pavillons de cafés, location sportive, Wowhaus, 2011. Cinéma en plein air, Wowhaus, 2011. Moscou appréhendée. Москва воспринятая. La patinoire, Wowhaus, 2012. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Aménagement de l’étang des Pioniers, Wowhaus, 2012. Aménagement des berges de la Moscova, Wowhaus, 2013. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Pavillon de Garage à Gorky Parc, 2012. Pavillon estival de Garage, 2013. Pavillon Shestigrannik, 2007. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Restaurant Vremena Goda, 2012. Projet de réhabilitation de OMA, Rem Koolhaas et Form pour Garage, 2012. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Plan de Moscou. 2014 Gorky Parc Neskouchny Sad Leninsky Gory Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Plan de Gorky Parc, 2014 - monuments de l’époque de l’URSS - constructions de Wowhaus, 2011-2014 - centre pour la culture contemporaine Garage, 2012-2013 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Nouvelle direction. Le retour de Gorky Parc. Парк Горького. Возвращение. 72 En 2008 TsPKiO fête ses 70 ans, beaucoup d’artistes, essentiellement de vieux artistes sont invités à cette fête pauvre et non pas digne du passé de ce lieu. De 1992 à 2010, le maire de Moscou reste inchangé : Youry Loujkov. Il est une figure politique que beaucoup de personnes n’apprécient guère aujourd’hui. Faut-il avoir suffisamment de recul historique pour pouvoir réellement comprendre le bien et le mal qui a pu être fait durant son « règne » ; cependant c’est justement pendant ses années que le Gorky parc voit son déclin. En 2010 Moscou a enfin un nouveau maire et c’est à ce moment-là que le département de Moscou décide de changement de la direction de TsPKiO. C’est un jeune député, Sergueï Kapkov, âgé seulement de 36 ans, qui occupe alors durant presque deux ans le poste de directeur. Fin 2011 son directeur adjoint, Olga Zakharova, prend sa place toujours suite à la décision prise par le département de Moscou. Sergueï Kapkov devient alors chargé de culture de la ville de Moscou alors que Olga Zakharova devient la deuxième femme-directeur de TsPKiO depuis sa création. Les années 2010 et 2011 seront le début d’une grande réhabilitation de Gorky parc ainsi qu’à partir de 2013 des parcs voisins, Neskouchny Sad et Leninsky Gory. Ces derniers, après le succès de l’opération de Gorky parc, sont annexés à l’administration de Gorky parc, et sont actuellement réhabilités par la même direction. Tout d’abord, un grand ménage est fait sur le territoire : toutes les constructions non autorisées sont démolies, le Tchoudograd est enlevé avec toutes ses attractions chinoises. L’entrée dans le parc est désormais de nouveau gratuite. La nouvelle direction du parc souhaite redonner au parc ce qu’il a pu perdre au cours de l’histoire. D’une part, les bâtiments, ensembles paysagers et sculpturaux qui restent encore dans le parc, sont restaurés. D’autre part, un grand travail de diagnostique historique est fait, notamment, la consultation et la réédition de l’autobiographie du premier directeur du parc, Betty Glan. Pour la nouvelle direction de Gorky parc le plus important est de rajouter du nouveau, de l’original, d’intéressant dans le parc. Le parc renouvelé a tout de suite un grand succès. En espace d’un an, le nombre de visiteurs par jour est passé de 10.000 à 100.000. Selon la direction, ce succès n’est pas un effet de mode, mais il est dû à une réponse adéquate envers la demande sociale formée dans les années 2000. À savoir, une nouvelle couche sociale de jeunes actifs, cultivés et créatifs, apparaît. En accord avec la nouvelle politique de la ville de Moscou de faire place aux jeunes, à leur énergie, leurs idées, Gorky parc invite un jeune bureau d’architecture, Wowhaus, pour la conception de nombreuses constructions dans le parc. Parmi d’autres, écoclub pour les enfants, coworking ; sont de nouveaux types d’espaces publiques à Moscou. D’autres idées sont puisées dans le passé : cinéma en plein air, différents clubs de sport, club d’échec, la plus grande des patinoires artificielles d’Europe. L’identité visuelle du parc est développée par le studio le plus important de Moscou, Art.Lebedev, fondé en 1995. À partir de 2013, le parc édite son journal officiel où l’on peut trouver des informations pratiques, les projets à venir du parc ainsi que des statistiques sous forme ludique. En 2012 le Centre pour la Culture contemporaine Garage déménage dans le parc, dans un pavillon éphémère spécialement conçu par Shigeru Ban. En 2015 Garage déménagera dans le pavillon Shestigrannik et ancien restaurant des années 60, Vremena Goda, les deux réhabilités par OMA et Rem Koolhaas en collaboration avec Form Bureau. WowHaus à Gorky Parc Bureau d’architecture Wowhaus est fondé en 2007 par Oleg Chapiro et Dimitry Likin, nés en 1964 et 1966 respectivement. Ces deux architectes ont chacun un passé différent. À savoir, Chapiro commence sa carrière comme architecte déclaré à l’union des architectes soviétiques, Likin quant à lui obtient son diplôme d’architecte en 1990, mais commence sa carrière comme rédacteur de différents magazines russes, puis continue à travailler à la télévision jusqu’en 2007. Ils sont deux architectes les plus âgés en chef, 19 jeunes architectes de 25 à 35 ans travaillent au sein du bureau architectural. Très rapidement, l’agence se spécialise dans la conception des espaces publics, balayant toute échelle d’intervention possible. Selon Wowhaus, 73 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Le retour de Gorky Parc. Парк Горького. Возвращение. 74 l’architecte contemporain revient vers l’universalité : « il doit facilement passer de l’échelle d’un réverbère à celle de problèmes de planification d’une ville. » Cette agence devient connue en 2010 avec leur projet pour l’institut Strelka de média, design et architecture ; en 2011 presque toutes les nouvelles constructions dans le Gorky parc leur sont confiées. Une vingtaine d’édicules dans Gorky parc sont construits aujourd’hui selon les plans de Wohaus. Je m’arrête sur la conception des pavillons plurifonctionnels abritant entre autres, des cafés, restaurants, locations d’équipement sportif ou encore les clubs d’enfants. Au delà de la poursuite des idées initiales du parc quant au caractère éphémère des pavillons, Wowhaus décide que chacune de leurs constructions serait montable et démontable. Les membres d’équipe se rendent compte que dans les conditions contemporaines, l’architecture répondante à la demande sociale ne peut plus être pérenne. La pérennité signifie pour eux un coût supplémentaire. La transportabilité d’architecture est aussi un avantage prenant en compte la situation actuelle moscovite, où le coût du loyer n’est pas toujours assuré. En outre, une construction semi-éphémère1 est plus respectueuse de son environnement, qu’elle soit installée en zone urbaine ou dans la nature. La capacité de s’adapter à des conditions météorologiques très différentes entre été et hivers est un autre point important à toute architecture moscovite. D’une part, la fonctionnalité d’un lieu ne doit pas souffrir de changement de saisons, d’autre part, le choix constructif doit supporter la variation importante de température. Même si Wowhaus justifie le choix de construction en bois comme une tradition historique du parc, ce choix est aussi une question de cout et de poids. Le socle en bois, étant un agrandissement extérieur de chacun des pavillons, il peut s’adapter à tout dénivelé et cache astucieusement la partie technique indispensable. Certains sont déployés respectueusement autour d’arbres ou réverbères, ceux-là étant fixes sur le territoire du parc. Quant à l’utilisation de la couleur en façade, nous pouvons percevoir ici l’idée de frères Stenderg. Elle aide à créer une unité, et apporte de la gaîté à la géométrie simple des formes architecturales. La typographie utilisée en façade poursuit, elle aussi, la 1 J’emploie ce terme car, comme exemple, leur projet initialement d’architecture éphémère de Strelka reste en place depuis bientôt 5 ans. tradition d’architecture avant-gardiste. Le même pavillon peut aussi bien servir en été à la location de raquettes de tennis, ping-pong, ballons de foot, etc. ; qu’en hivers à la location de ski de fond et de luges. Il peut aussi faire partie intégrante de la grande patinoire : il devient un abri, un vestiaire, une zone de repos. La patinoire, installée de mi-octobre à mi-mars, crée un lien tant social, qu’architectural. Les bousculades deviennent alors inévitables, les différents édicules, notamment les kiosques de street food ou les terrasses chauffées de cafés étant accessibles directement depuis la patinoire. La patinoire devient itinéraire secondaire et/ou toute autre : la perception de l’espace change alors une fois que le flâneur se met en patins. L’attention est donnée à différents facteurs entrant en jeux dans une architecture. Le travail de la lumière simple et efficace rajoute de la magie au lieu aussi bien en été qu’en hiver. Ce dernier en Russie est toujours bipolaire : il est une source de joie et de dépression à la fois. La nuit tombe tôt et la nature humaine supporte mal le manque de lumière naturelle. Tout de même l’hiver apporte une multitude d’activités nouvelles dans la ville et dans la nature. Pour la première fois, l’architecture publique à Moscou réfléchit et essaye de répondre à ce thème. Dans le cadre de développement commun de Gorky parc, Neskouchny Sad et Leninsky Gory, l’équipe de Wowhaus réfléchi sur un concept général d’aménagement des berges de la Moscova sur le territoire. Pour cela la direction du parc confie aux architectes cinq points stratégiques sur le parcours le long de la Moscova entre Gorky parc et Leninsky Gory. Pour répondre au problème d’absence de toute infrastructure sur ce territoire, les architectes élaborent un jeu de construction de différents modules indépendants. Chacun de ces modules a sa propre fonction : location de vélos, toilettes, kiosque de street food et de boissons, abris pour agents de sécurité. Encore une fois, la couleur est utilisée afin de créer une unité, quant à la lumière, outre son pouvoir symbolique, elle assure la sécurité des promeneurs la nuit tombée. 75 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Garage à Gorky Parc Le retour de Gorky Parc. Парк Горького. Возвращение. 76 Fille d’un millionnaire du pétrole et campagne du milliardaire Roman Abramovitch, Daria Zhoukova, jeune femme de 33 ans joue un rôle important dans la vie artistique de Moscou d’aujourd’hui. Après le divorce de ses parents quand elle était à peine née, sa mère part avec elle aux États-Unis, puis à 16 ans elle reçoit l’invitation de son père de le rejoindre à Londres où elle étudie la naturopathie. Cette jeune femme est imprégnée de culture occidentale d’une part et reçoit une éducation familiale russe d’autre part. En 2007 elle commence son projet de Centre pour Culture contemporaine « Garage », ou GCCC, sponsorisé par Roman Abramovitch. En 2008, le centre s’installe dans le Bakhmetevsy garage à bus, bâti en 1926 par Konstantin Melnikov et restauré à l’occasion. Dès le début de ce projet, Zhoukova montre alors son intérêt pour l’héritage avant-gardiste et soviétique plus largement. Ce bâtiment à plan libre offre 8.500 m2 d’espace d’exposition et une hauteur sous plafond monumentale. Depuis sa création, le centre se veut un lieu d’enseignement et d’initiation aux arts plastiques, à l’architecture, au cinéma et à la musique. En 2008 ce type de lieu est rare à Moscou. Dans les années 2000 à Moscou, différents clusters culturels se forment : Vinzavod, Flacon, Arma, Red October, Proekt Fabrika, Artplay. Selon l’étude de Tatyana Polyakova, diplômée de Strelka, contrairement aux clusters en Europe occidentale, les clusters à Moscou ne communiquent pas avec le voisinage du quartier où ils se trouvent. Le but de leur création est de proposer un « nouveau lieu sympathique aux artistes et à la communauté professionnelle 2.» Garage devient le premier lieu de ce genre à Moscou, proposant des expositions à prix réduit et des cours d’initiation à l’art contemporain ouverts au grand public. En 2009 Daria Zhoukova présente l’exposition « Un certain état du monde ? », sélection d’œuvres de la collection de François Pinault. Ainsi elle s’affirme comme une figure désormais majeure sur la scène d’art et de galeries moscovites. Outre un lieu éducatif, GCCC devient un espace de rencontres et d’échanges privilégié pour la scène artistique russe. 2 POLYAKOVA Tatyana, Cultural clusters as a social magnet, s.n., 2012, p.53 Au moment où les travaux de la réhabilitation de Gorky parc commencent, Roman Abramovitch et Daria Zhukova montrent leur intérêt et soutiennent financièrement le grand changement. En 2012, le Garage déménage dans le Gorky parc, réaffirmant à une plus grande échelle son rôle dans la promotion et le développement d’art contemporain et de culture à Moscou. GCCC s’installe dans un pavillon éphémère de 2.400 m2 spécialement conçu par Shigeru Ban, sa première construction en Russie. Fidèle à son approche architecturale, dans la construction de cet espace ouvert et lumineux, il emploie des tubes de 6 mètres en papier recyclé, fabriqués à St-Petersburg. La première exposition organisée dans cette espace rend hommage à la tradition des constructions éphémères dans le Gorky parc au XXe siècle. Elle montre au public pour la première fois les plans originaux de la VSVKhV gardés dans les archives du parc. En 2013, GCCC organise un concours ouvert aux jeunes architectes russes âgés de 35 ans maximum, afin de construire un pavillon estival. Les 7 « champignons » démesurés abritent dans la journée du soleil les visiteurs. Ils peuvent emprunter des livres dans la bibliothèque du Garage, les lires confortablement dans des chaises longues ou fauteuils ; travailler puisque, comme dans tout le parc, le wi-fi est libre d’accès. Les enfants sont aussi les bienvenues, tout comme dans d’autres espaces de Gorky parc, des activités leur sont proposées. Le soir ces mêmes champignons après avoir absorbés l’énergie solaire, s’illuminent, offrant une nouvelle vision de ce lieu. La même année, Form Bureau (une autre agence d’architecture russe avec une jeune équipe, tous moins de 35 ans), conçoit pour GCCC le Centre éducatif, accueillant le public lors de conférences, séminaires et cours, ouverts à tous à partir de 3 ans. Pour finir, en 2012 Daria Zhoukova annonce d’ouverture en 2015 du lieu définitif de son centre devenant musée d’Art contemporain Garage. La rénovation du Bakhmetevsy garage de Melnikov lui a permis le retour sur la scène urbaine moscovite. Toujours dans la même lignée, Zhoukova décide de la rénovation des « semi-ruines » de Shestigrannik et de l’ancien restaurant « Vremena Goda », bâtiment de 5.400 m2 des années 60, se trouvant juste à côté. Ce projet est confié à l’agence OMA et Rem Koolhaas en collaboration avec 77 Le retour de Gorky Parc. Парк Горького. Возвращение. 78 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Form Bureau. Dès ses années d’études, Koolhaas est fasciné par l’architecture avant-gardiste russe ; Leonidov et Melnikov sont pour lui, les maîtres d’architecture. Certes, ces deux bâtiments ne sont pas représentatifs du mouvement avant-gardiste, mais en quelque sorte Koolhaas rendrait l’hommage à ses maîtres et leur héritage. Le 27 avril 2012, le projet de la rénovation de Vremena Goda est présenté à la presse. Koolhaas affirme que l’état délaissé depuis deux décennies rajoute un charme romantique au bâtiment. Le projet sauvegarde l’état de ruine, vient la soutenir de manière sûre, mais réversible afin de laisser place aux générations à venir et leurs idées. Ici non seulement la mémoire du lieu de restauration populaire est ressuscitée, mais c’est aussi le récit de son abandon et son contexte historique qui sont préservés. Gorky parc est le premier projet social de cette envergure à Moscou post-soviétique. Aujourd’hui grâce à sa réhabilitation lancée par un petit cercle de personnes enthousiastes, Gorky parc reprend sa place d’un « combinat de nouvelles idées ». Il joue un rôle majeur dans le loisir actif, culturel, et écoresponsable. Quatre autres parcs, sans compter les territoires voisinant Gorky parc, sont en cours de réhabilitation aujourd’hui à Moscou, mais aussi dans d’autres villes post-soviétiques en Russie. L’histoire se répète : étant le premier des PKiO, Gorky parc partage son expérience dans URSS ; étant le premier à se rénover, il partage de nouveau son expérience dans la Russie. 79 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Moscou aujourd’hui. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Institut Strelka , vue sur l’île de l’ancienne chocolaterie Octobre Rouge, 2011. Institut Strelka, 2013. Narkomfin, 2013, Natalia Melikova. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Narkomfin, 2013, Natalia Melikova. Moscou appréhendée. Москва воспринятая. Narkomfin, 2013, Natalia Melikova. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Projet de rénovation de Narkomfin, Kleinwelt Architekten. «Narkomfin Now», Daria Zaïtceva. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. «Narkomfin Now», Alexy Piven. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Nouvelle pédagogie moscovite. Moscou aujourd’hui Москва сегодня 92 Entre 2010 et 2012, trois écoles privées dans le domaine d’architecture ouvrent leurs portes. Le fondateur de MARCH (d’une de ces écoles), Evgueny Asse dans son interview pour Domus parle de monopole d’éducation architecturale tenue par MARKhI, institut d’architecture de Moscou. De 1933 à 2010, elle est la seule à Moscou qui peut délivre le diplôme d’architecte. Cette école est créée par un décret de VTsIK suite à la fermeture de VKhOUTEIN. Comme je l’ai déjà fait remarquer, avant la fermeture de VKhOUTEIN, trois pôles s’organisent au sein de cette institution : les ateliers académiques, les ateliers de gauche unis et les ateliers d’architecture expérimentale. En 1933 MARKhI est formée à la base des ateliers académiques. Jusque dans les années 70, elle reste en négation de l’architecture rationaliste et constructiviste. À partir du moment où l’architecture stalinienne sera critiquée, MARKhI donnera aux étudiants une certaine vision de courants avant-gardistes, sans rentrer dans le détail de ce qu’ils pourraient apporter véritablement. Cet institut reste fidèle aux ordres classiques et sa pédagogie reste conservative encore aujourd’hui. En 2004 j’obtiens mon baccalauréat à Moscou et malgré mon grand intérêt pour l’architecture, je n’ai pas la moindre envie de tenter le MARKhI. Il est important pour moi, de dire un mot sur ce qui était mon éducation en Russie. À 6 ans je passe une sorte de concours pour entrer dans l’école n° 1243. Elle fait partie de vieilles écoles russes, réformées durant les années de l’URSS, conçues, sans le cacher, afin de produire la classe intellectuelle. Encore aujourd’hui, le but de ces écoles spécialisées est de permettre aux élèves sélectionnés de se développer le plus largement possible. La sélection à l’âge de 6-7 ans est une question délicate. Je ne peux que supposer, vingt ans après, que les directeurs de ces écoles cherchent tout d’abord une chose imperceptible de première vue dans les enfants, une étincelle de talent quelconque, je pense. Je grandis dans ma classe avec des amis talentueux dans un domaine, mais presqu’avec un handicape dans un autre. Une école normale à Moscou, aurait considéré la moitié de ma classe comme tout simplement « attardés ». En Russie nous n’avons pas peur de soulever la question de talent ou de don. Dans les livres ou entretiens que j’ai pu consulter durant ma recherche, je me rends compte que les architectes russes reviennent souvent à cette question. De Melnikov à l’agence Wowhaus, pour eux le talent d’un architecte est indispensable. Pour Oleg Chapiro, « afin de créer un objet véritablement réussi et esthétiquement complet, l’architecte a besoin d’une constante tout à fait irrationnelle. Cette constante est le pouvoir interne d’un architecte. Ce que l’on nomme tout simplement “talent”. Dit plus simplement, l’activité architecturale n’est pas pour tous 1.» Pour Melnikov l’artiste est « né artiste pour une raison qui nous est inconnue » 2 et qui ne sera jamais connue, « la création est un mystère »3. Cependant si cette voie est donnée à la naissance, l’homme n’a plus le choix que de la suivre. Cette pensée revient souvent dans la culture et l’éducation russe. En revenant vers la question des écoles spécialisées, ce que j’ai appris de plus important c’est de penser librement, de voir largement et de ne jamais cesser d’apprendre. D’une manière ou d’une autre, c’est ce que nos professeurs nous répétaient tous les jours durant 10 ans. En 2004, la réalisation de la manière d’enseignement à MARKhI, mais aussi d’enseignement dans d’autres écoles supérieures à Moscou, est dure pour moi. Je comprends alors que je n’aurais pas ma place dans une institution russe et je suis presque forcée à partir. Je crois sincèrement ne pas être la seule : gardant le contact avec quelques-uns de mes amis d’enfance, je suis leur parcours. Je vois la difficulté que nous avons tous eu lors de passage d’une école spécialisée vers une institution supérieure conservative. Pour Oleg Chapiro de Wowhaus, le système soviéticorusse des écoles supérieures est un véritable anachronisme qui ne donne pas la clé d’universalité quant à l’éducation architecturale. Chapiro aujourd’hui est un des membres du conseil d’administration de l’institut Strelka.L’ouverture des ces nouvelles écoles est une tentative d’en finir avec le monopole de MARKhI et de proposer un enseignement plus libre et expérimental. 1 wowhaus.ru/office 2 KHAN-MAGOMEDOV Selim, Konstantin Melnikov, Moscou, Stroïizdat, 1990, p. 11 3 Op. cit., p. 11 93 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Strelka, un nouveau laboratoire de recherches urbaines Moscou aujourd’hui Москва сегодня 94 Cet institut « pour une ville sociale » est fondé en 2009 afin de changer le paysage culturel et physique des villes en Russie. À travers ses activités éducatives, Strelka promeut les changements positifs et crée de nouvelles idées et valeurs. Cette institution est privée avec une approche éducative expérimentale. La formation en anglais dure seulement 9 mois et chaque année de nouveaux thèmes de recherche sont proposés aux étudiants venant de différentes villes en Russie et aussi du monde entier. Le programme se veut multidisciplinaire et il est élaboré afin de booster l’énergie créative de chaque étudiant. Strelka veut créer le futur de Russie. Elle apprend la pensée critique, la recherche créative afin d’aboutir à un projet applicable à la solution de problèmes réels de villes russes. Outre la formation de 9 mois, Strelka est un lieu public ouvert à tous. L’équipe de l’institut Strelka est majoritairement jeune, encore une fois, nombreux ont moins de 35 ans. De 2009 à 2013, une de mes amis d’enfance, Alina Vasilenko, travaille sur le programme éducatif de Strelka, de sa part j’ai pu apprendre l’énergie dépensée, comme exemple, à joindre Rem Koolhaas en personnes, afin de le convaincre venir enseigner à Moscou. Il sera la première « star » à suivre durant 9 mois l’évolution de travail de recherches d’étudiants. Un autre ami d’enfance, Ivan Solomin, et qui ne connaissait pas Alina avant Strelka, fait partie de la première promotion d’étudiants. Après avoir fini HSE, Higher School of Economics, de Moscou, et sans trouver de travail lui correspondant, il se relance dans les études. « Russia’s Energy Future. A Case Study of Biogas » est le résultat de son travail de 9 mois. Même si Strelka est officiellement « institut de média, design et architecture », en réalité chaque étudiant prend la voie qui lui convient et la recherche va au-delà de ces trois notions. À la suite de ce passage par une approche nouvelle dans l’éducation, Ivan Solomin se réapprend et poursuit durant deux ans ses études en architecture urbaine à Hong-Kong. MARCH, alternative pour les « survivants » de MARKhI En 2012 Evgueny Asse (entre autres, il dirige le pavillon russe à la Biennale de Venise de 2004 à 2006), ouvre l’école appelée MARCH, École d’architecture de Moscou. Elle s’installe dans un des clusters culturels déjà formés, Artplay. La formation dure deux ans, elle est proposée aux diplômés en architecture ou urbanisme du niveau de License. À la sortie de l’école, les étudiants obtiennent le niveau Master. L’idée de Asse est essentiellement de proposer une alternative au Master de MARKhI. Depuis 1987 Asse enseigne à MARKhI et il voit donc de l’intérieur ce qui marche et ce qui ne marche pas dans cette école. Quand il donne son interview à Domus, il parle donc en connaissance de cause. Le projet de sa propre école se forme depuis plus de 10 ans et d’une manière symbolique, ce projet se réalise en même temps que les autres projets de cette envergure. La fin des années 2000 et le début 2010 à Moscou sont comme une époque de nouveau souffle. La ville arrive enfin à se relever de la chute d’idéologie soviétique. Elle retrouve ce qu’elle a pu perdre au cours de l’histoire, à savoir son énergie créative et expérimentale. Un des professeurs de MARCH est Alexandre Brodsky, le Maître de l’architecture de papier russe. « Certaines périodes de ma vie sont celles quand j’étais artistes, mais je voulais être architecte. À d’autres moments je pratiquais l’architecture et je n’avais pas le temps pour être artiste. Aujourd’hui est un heureux moment quand j’arrive à combiner les deux. », dit-il. Le moment présent est un moment important dans l’évolution de la ville de Moscou. En octobre 2014 les étudiants de MARCH, de MARKhI et de l’école des Beaux Arts de Stroganov, sont invités à faire un workshop commun. Le thème de ce workshop est de faire revenir Narkomfin dans la vie culturelle de Moscou. Ce workshop vient comme une nécessité d’une réponse à l’interview du propriétaire actuel de Narkomfin, Alexandre Senatorov. Il est publié en juillet 2014 dans le magazine influant à Moscou, Afisha ; et rencontre directement une grande polémique. En 2007, après avoir acheté la presque intégralité de Narkomfin, Alexandre Senatorov décide de le réhabiliter en « hôtel-boutique ». Cependant les études plus poussées démontrent l’invalidité de cette idée. Le projet actuel pour ce bâtiment, classé monument historique, 95 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Moscou aujourd’hui Москва сегодня 96 se trouvant aujourd’hui en état alarmant ; est proche de ce que ce bâtiment a été à son origine. La partie habitée de Narkomfin resterait avec des appartements privés et séparés. Senatorov dit avoir assez d’amis ayant envie d’acquérir l’habitation dans ce monument avantgardiste. La partie commune de Narkomfin resterait publique et accueillerait un restaurant et un centre pour les enfants. La manière de dire des choses et le rapport nonchalant de première vue envers la restauration fidèle de Narkomfin, choquent les lecteurs et les spécialistes d’héritage soviétique. Comme il arrive souvent, tout le monde est contre, mais ne propose pas une alternative. C’est dans ce contexte que les étudiants sont amenés à réfléchir sur le futur de ce dom-komouna. La réponse sous le titre « Narkomfin Now » est celle qui attire le plus mon attention. L’équipe de deux étudiants de MARCH et d’une étudiante de MARKhI, est la seule à proposer une réponse sensible. Ils n’expriment pas une négation du projet de Senatorov qui, à mon avis, a le droit d’être. Le propos de ces trois étudiants est tel : « la maison c’est le passé, et nous ne comprenons pas ce qui sera son futur, mais il nous est très important de matérialiser son état présent tel qu’il est, avant sa restauration 4.» Malgré son état flagrant, Narkomfin inspire encore aujourd’hui à la créativité. Chacun de l’équipe donne une réponse simple et évidente à l’émotion suscitée chez eux par Narkomfin. Pour Alexandra Bogdanova l’important est de garder la trace de ce bâtiment lors de sa future rénovation. Elle propose alors une œuvre de land art devant la maison. Selon Daria Zaïtceva, Narkomfin évoque un sentiment de risque, de défi ; et ce sentiment est semblable pour elle à celui quand elle pratique la Highline. 4 www.archi.ru/russia/58383/vozvraschenie-doma Quant à Alexy Piven, dernier membre de l’équipe, Narkomfin l’intéresse dans son état présent, quand il est déjà « vieilli, sage et indépendant » Il a tout de même besoin de soutien. Il imagine alors une performance avec 8 ballons gigantesques allégeant la fatigue que Narkomfin a pu accumuler durant son siècle. Cette réponse symbolique me touche plus particulièrement. Elle exprime ma propre sensation que j’ai pu avoir en apprenant sur le présent souvent misérable de l’héritage avant-gardiste à Moscou. Ces bâtiments, tout comme les personnes âgées ont été délaissées à la chute de l’URSS. Aujourd’hui la tendance se renverse, la rénovation et la réintégration de l’héritage soviétique dans la vie de Moscou va souvent en parallèle avec la tentative de la réintégration de vieilles générations dans la vie contemporaine.5 97 5 j’écris cela en pensant à la réhabilitation d’un des DK récemment à Moscou. Des cours d’initiation à l’ordinateur et à l’internet sont proposés gratuitement aux retraités du quartier. Cet exemple est sans précédant à Moscou. Mais cela est encore une autre histoire. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Conclusion. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Conclusion. Вывод. 100 Durant mon récit entre le passé avant-gardiste et le renouveau présent de la ville de Moscou, je reviens à la question qui m’anime depuis de nombreux années de mes études : le patrimoine et sa conservation. Cette question à Moscou suscite des querelles à ne plus en finir parmi différents acteur. Elle finissent très souvent de même manière. Le temps que les penseurs de différents organismes de préservation de l’héritage architectural se battent pour savoir qui est-ce qui a raison ; un bulldozer arrive dans la nuit et démolit l’héritage en question. Comme le remarque bien Alexandre Senatorov, il n’existe pas encore en Russie de « concept défini de ce qui est véritablement précieux dans les monuments historiques ». Les questions patrimoniales sont si complexes qu’elles prennent une forme d’une non-action. Moscou aujourd’hui expérimente avec son passé, son présent et son futur. L’indécision de certaines structures administratives donnent une marge à ceux qui sont prêt à l’action. L’atmosphère artistique de laboratoire de nouvelles idées de l’époque constructiviste est de retour. La génération de mi-vingtenaires et mi-trentenaires, enfants de Perestroïka (1985-1991), sont aujourd’hui dans la vie active de la société. L’exemple de Gorky parc nous montre plusieurs choses. Premièrement, cette jeune génération a une capacité réelle d’agir suivant ses idées. Deuxièmement, (et c’est ce qui m’importe le plus) son histoire montre qu’il suffit de réanimer son idée originale, l’adapter à l’époque dans laquelle nous vivons, pour que le parc revive et que la mémoire de ce lieu ressuscite. Formellement le parc ne ressemble pas à celui de 1920-30, mais aujourd’hui son rôle éducatif, sportif, d’un condensateur social, est revenu. Il est de nouveau dans la vie quotidienne des Moscovites, il n’est pas oublié et c’est ainsi qu’il est préservé. Les photos de l’époque témoigneront toujours de la forme passée du parc, l’autobiographie de Betty Glan donnera toujours le récit de la vie du parc à ses débuts. Seule le retour du passé vers le présent offre au Gorky parc sa deuxième vie. Le monument doit s’intégrer dans la vie urbaine contemporaine pour que sa véritable existence persévère. Je me répèterais en disant que les architectes avant-gardistes n’ont pas l’ambition de construire pour une durée définitive. Il arrive même que leur ambition est de démolir et refaire à neuf leurs bâtiments « provisoires ». La question de ce patrimoine humain devient sous cet angle d’autant plus complexe. La valeur des idées appa- rues dans les années 20 et 30 ne serait-elle pas plus importante que la valeur matérielle de ce qui a été construit ? Le savoir, la mémoire d’un élément moteur du passé est finalement plus important à transmettre aux générations à venir que sa trace matérielle et donc pérenne. L’état actuel de Narkomfin lui confère une dimension nouvelle, celle de grand vécu. Quand il sera refait à neuf, il va certainement perde cette dimension mystique qu’il a aujourd’hui. La ville qui se « respecte » ne peut pas accepter d’avoir une telle œuvre mal-vieilli en plein centre. Cette envie de se débarrasser de refaire une façade lisse, neuve, avec les nouveaux matériaux, de Narkomfin, comme d’autres monuments historique ; est finalement proche de la peur sociale formée au cours de XXe siècle, de vieillissement naturel et humain. La culture occidentale a tout de même l’acceptation de la ruine. Je pense au romantisme, John Ruskin, Arts & Craft ; mais aussi à la fascination des découvertes Antiques et Égyptiennes. Tout cela a pu donner naissance à des choses nouvelles. D’autres cultures ont un rapport d’autant plus étroit avec la ruine. Un arbre qui pousse au milieu d’un temple peut être signe de Dieu et signe d’abandon selon la perception culturelle. Aujourd’hui nous serons amener de plus en plus à la réhabilitation dans les villes qui ne peuvent plus s’agrandir dans les situations actuelles économiques. La question fondamentale de ce qu’est le patrimoine, de ce que nous laisserons aux génération à venir ne cessera pas de se poser. Il faut prendre en compte l’ensemble de questions sous-jacentes afin de pouvoir redéfinir le système actuel de valeurs. P.S. Pour anecdote, le critique d’architecture le plus influent russe, Grigory Revzin, déclare qu’avec le scandale autour de la tour de Choukhov une chose est claire : les russes ont inventé un nouveau concept quant à la préservation de l’héritage, son déplacement. Il propose alors de mettre des skis sur tous les monuments pour facilité leur déplace d’un lieu à un autre, puis à un autre. Ce pèlerinage inversé ne peut qu’être positif puisqu’il apportera une valeur ajoutée à chaque lieu. En Russie nous rions toujours de nos malheurs. Cette idée est barbare mais tout de même elle aussi, peut nous apporter quelque chose. 101 Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Pour finir, maintenant que mon travail s’arrête quelques instants, je peux revoir « Stalker ». Avec la nouvelle connaissance que j’ai pu acquérir durant cette recherche sur mon propre héritage, je pourrais certainement voir ce film sous un angle nouveau pour moi. À savoir, la nature prenant le dessus sur la ville, elle est la forme la plus avancée de la ruine. Ce mot au sens négatif prend aujourd’hui une nouvelle valeur positive. Moscou aujourd’hui Москва сегодня 102 Cadre du film « Stalker » de A.Tarkovsky. Moscou appréhandée. Москва воспринятая. Bibliographie. COHEN Jean-Louis, Le Corbusier et la mystique de l’URSS, Pierre Mardaga éditeur, 1995, 326 p. ESSAÏAN Elisabeth, Moscou, Portrait de ville, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2009, 72 p. 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Remerciements. Carola Moujan et Philippe Louguet