L`infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)

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L`infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)
東洋大学人間科学総合研究所紀要 第8号(2008)
27-47
L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)
MORITA Shin’ya *
Résumé
7.
Du latin au français
7.1
Verbe français qui est l’aboutissement d’un verbe latin à infixe nasal
7.1.1
Verbes où la nasale n’apparaît que dans le thème du présent
7.1.1.1 -cumb
7.1.1.2 find
7.1.1.3 frang
7.1.1.4 fund
7.1.1.5 linqu
7.1.1.6 rump
7.1.1.7 scind
7.1.1.8 tang
7.1.1.9 vinc
7.1.2
Verbes où la nasale apparaît dans les deux thèmes du présent et du parfait ou du supin
7.1.2.1 fing
7.1.2.2 ming
7.1.2.3 pand
7.1.2.4 pang
7.1.2.5 ping
7.1.2.6 pins
* A professor in the Faculty of Economics, and member of the Institute of Human Sciences at Toyo University
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28
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7.1.2.7 pung
7.1.2.8 string
7.1.2.9 tund
7.1.3
Verbes où la nasale apparaît dans tous les thèmes
7.1.3.1 jung
7.1.3.2 lamb
7.1.3.3 ling
7.1.3.4
mung
7.1.3.5 plang
7.1.3.6 prehend
7.1.3.7 stingu
(À suivre)
Mots-clés: latin, français, évolution diachronique, aspect, infixe nasal
7. Du latin au français
Comme nous l’avons vu, le sentiment de l’infixe n’est plus senti dans le français prendre avec le temps.
Dès lors, nous nous proposons de retracer l’évolution des verbes latins à infixe nasal. D’abord, nous essayerons
de saisir l’aboutissement d’un verbe latin à nasale infixée du point de vue étymologique, ensuite d’examiner son
changement phonologique et d’analyser son changement selon son type de conjugaison, du latin au français.
7.1 Verbe français qui est l’aboutissement d’un verbe latin à infixe nasal
Pour bien présenter la généalogie de chaque mot, il convient tout d’abord d’en présenter la racine indoeuropéenne et ensuite d’examiner son aboutissement en français.
7.1.1 Verbes où la nasale n’apparaît que dans le thème du présent
7.1.1.1 -cumbo
La racine *keu- « se courber » d’où la forme à vocalisme radical zéro avec élargissement *kub-
> le latin
cub re « se coucher » (< « se courber pour se coucher de tout son long ») ; la forme à nasale infixée *ku-m-b-
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d’où le latin -cumbere « se coucher ou s’allonger ». (Watkins, p.30)
Le français couver, comme verbe transitif et intransitif, continue (v.1121) le latin cub re « être couché, être
alité » dont les formes----on ne sait pourquoi----ont remplacé les formes verbales de la racine *legh-, qui s’est
en revanche maintenue dans les formes nominales (> le français lit). En français, tandis que le sens de
« s’étendre » a été attribué au représentant de colloc re (> coucher), couver s’est spécialisé au sens de « rester
posé sur les œufs pour les faire éclore », d’après un sens tardif de cub re qui a supplanté son composé incub re
(> incubation, incube). Le participe passé féminin couvée est substantivé (v.1100, covede) comme nom d’action
et employé par métonymie pour l’ensemble des œufs couvés en même temps. (Alain Rey, p.933) D’après Le
Grand Robert électronique DMW, ce mot est attesté comme covede vers la fin du 11e siècle.
D’autre part, le français incomber représente un emprunt savant (1440-75) au latin classique incumbere
« s’appuyer, se pencher sur », « s’abattre sur », au figuré « s’appliquer à » et, en bas latin, « incomber à ». Le
verbe latin est formé de in- et de -cumbere « se coucher », forme à infixe nasal attestée seulement dans des
composés et indiquant l’action par opposition à cub re « être couché » indiquant l’état (> couver et incuber).
(Rey, p.1807) Le français succomber, comme verbe intransitif, est emprunté (1376 ; peut-être 1356) au latin
succumbere « tomber sous (qqn) », formé de sub et d’une forme altérée de cub re « être couché » (> couver,
succube), reconstituée en -cumbere. (Rey, p.3673)
D’après Ernout et Meillet (2001 : 153-4), les composés de -cub et de -cumb se présentent comme suit :
ac-cub
« être couché auprès »
con-cub
« être couché ensemble »
d -cub
« être couché dehors »
ex-cub
« être couché dehors »
in-cub
« être couché dans/sur » d’où « couver »
oc-cub
« être couché, reposer auprès » (avec l’idée de mort par rapport à occid et occ d )
pr -cub
« être couché en avant, le long de »
re-cub
« être couché en arrière, sur le dos »
suc-cub
« être couché dessous »
ac-cumb
« se coucher auprès, se mettre à table »
d -cumb
« se mettre au lit ou à table, tomber mourant »
dis-cumb
« s’attabler »
in-cumb
« se coucher, reposer sur » d’où « se donner tout entier à une tâche » ou « peser de tout son
poids sur »
oc-cumb
« se coucher pour mourir, tomber »
pr -cumb
« se pencher en avant, se prosterner »
re-cumb
« se coucher en arrière »
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suc-cumb
« succomber à »
Comme on l’a vu plus haut, cub re s’est spécialisé dans le sens de « couver » en français, où il a remplacé
incub re, tandis que coll re prenait le sens de « coucher ». Les composés de cub re ne survivent donc pas sauf
la forme simple couver et le composé incuber en tant que verbe. Mais le français incuber est emprunté (1771)
au latin incub re pour servir de verbe à incubation. À cet égard, ce n’est que le français couver qui remonte au
latin sans aucune interruption. Pour les composés de cumb , uniquement incomber et succomber survivent,
mais ce sont des emprunts savants. Comme c’est également le cas pour d’autres exemples, le français concubin
est emprunté au latin concubina au féminin (1213). La forme féminine concubine désigne une femme qui vit
avec un homme sans être mariée avec lui. Le masculin concubin (14e s.), fait sur le féminin, a eu du mal à
s’imposer. Il a éliminé le moyen français concubin, repris au 16e siècle au latin concubinus « compagnon de lit »
au sens d’ « homosexuel ». Aujourd’hui, le sens est généralisé et par suite signifie « concubin ou concubine ».
7.1.1.2 find
La racine *bheid- « fendre », en face du vieil anglais b tan « mordre », et de l’ancien français beter
« harceler qn d’un chien », d’où la forme à vocalisme zéro avec nasale infixée *bhi-n-d- donne le latin findere
« fendre ». (Watkins p.6)
Le français fendre, comme verbe transitif, est l’aboutissement (vers 980) du latin findere « ouvrir, séparer,
diviser », qui se rattache à une racine indo-européenne qu’attestent le sanscrit bhinádmi « je fends » et le
germanique (le gotique beita « je mords »). Sur fendre ont été construits deux préfixés : pourfendre est attesté
comme verbe transitif, au 13e siècle, de même que purfendre « fendre avec un sabre » à la fin de 11e siècle.
D’autre part, le français refendre est archaïque au sens de « fendre à nouveau » (v.1268). (Rey, p.1412)
Ernout et Meillet (2001 : 235) constatent les composés de find comme suit :
c n-find
« fendre »
dif-find
« faire éclater en fendant »
ef-find
« fendre »
n-find
per-find
« fendre en enfonçant »
« fendre »
Mais aucuns ne survivent en français.
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7.1.1.3 frang
La racine *bhreg- « briser », en face du vieil anglais brecan > l’anglais break, l’ancien français breier
« briser », l’ancien français brier (la forme normande, d’où le français brioche, Rey, p.526) et broyer « pétrir la
pâte avec un rouleau en bois », d’où la forme à vocalisme zéro avec infixe nasal *bhr-n-g- donne le latin
frangere « briser ». (Watkins, p.9)
Le français enfreindre « violer (une loi, un engagement) » est surtout attesté sous la forme enfraindre en
ancien français ( 1er quart du 12e s.), la forme moderne étant dialectale (13e s.), est issu du latin populaire
*infrangere, réfection du latin classique infringere « briser », « abattre, mettre en pièces », au propre et au
figuré, de frangere, de même sens, qui se rattache à une racine indo-européenne *bhreg- « briser ». (Rey,
p.1242)
D’après Ernout et Meillet (2001 : 251), on trouve les composés de frang comme suit : af-, con-, dif-, ef-,
in-, of-, per-, prae-, re-, et suf-fring
avec des doublets en -frang . Mais, aucun d’entre eux ne survit, si ce
n’est le français enfreindre, qui provient du latin infring /infrang . Pour les dérivés du latin frang , on trouve
le français fretin, qui est un diminutif (v.1193) de l’ancien français frait, fret « débris » provenant du participe
passé de l’ancien verbe freindre, fraindre « briser » (1080), issu du latin frang
« briser » (Rey, p.1514) ; le
dérivé fraction, qui est un emprunt (v.1187) au bas latin fracti , - nis « action de briser », terme mathématique
en latin médiéval (1150), « division » ; ce mot dérivé du supin du latin classique frangere « briser » qui se
rattache, comme le gotique brikan « briser » (cf. l’anglais break, l’allemand brechen) à une racine indoeuropéenne *bhreg- « briser ». (Rey, p.1478) ; il en est de même pour le français infraction (1250) (Rey,
p.1834), refrain (1260) (Rey, p.3137) et réfraction (1270) (Rey, p.3137).
7.1.1.4 fund
La racine *gheu- « verser », d’où la forme à vocalisme zéro avec infixe nasal *ghu-n-d- donne le latin
fundre « verser ». (Watkins, p.22)
Le français fondre est l’aboutissement (v.1050, intransitif) du latin fundere « répandre » et « fondre (un
métal) », puis « disperser » et « abattre ». Fundere vient d’une racine indo-européenne *gheuw- ou *gheuexprimant l’idée d’un liquide versé abondamment et de façon continue, et représentée en grec par kheein
« verser, répandre », ainsi que dans plusieurs langues germaniques (par exemple le vieil islandais geysir
« geyser », l’allemand giessen « verser »). (Rey, p.1455)
Pour les composés de fund , Ernout et Meillet (2001 : 261) donne af-, circum-, con-, dif-, ef-, in-, inter-,
of-, per-, prae-, pr -, re-, suf-, et trans-fund .
ad-fund
« verser sur »
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circum-fund
« répandre autour »
c n-fund
« verser ensemble » et « confondre »
dif-fund
« étendre en versant, répandre »
ef-fund
« répandre au dehors »
n-fund
« verser dans, répandre dans »
inter-fund
« couler entre »
of-fund
« répandre devant »
per-fund
« verser sur, arroser, mouiller, tremper »
prae-fund
« arroser préalablement »
pr -fund
« répandre »
re-fund
« renverser »
suf-fund
« verser par-dessous »
tr ns-fund
« transvaser, déverser sur »
Parmi les composés susdits, c n-fund , per-fund
et re-fund
donnent respectivement le français
confondre (1080), parfondre (1382) et refondre (1130). (Le Grand Robert) D’autre part, morfondre (1360)
provient du provençal mourre « museau » et fondre. Mais le français (s’) effondrer (v. 1150), dérive de l’ancien
français esfondrer, du lat. pop. exfunderare « défoncer », de ex-, et fundus « fond », au pluriel fundi du latn
classique. Il n’est donc pas l’aboutissement direct du latin fund .
Pour les dérivés de fund , le français foison est issu (vers la fin du 11e siècle) du latin fusio « écoulement,
action de se répandre », de fusum, supin de fundere « fondre ». (Rey, p.1451) Pour d’autres dérivés d’après Le
Grand Robert :
affusion (1546) ; lat. affusio, de affundere « verser sur »
diffuse (1314) ; du lat. diffusus, p. p. de diffundere « répandre », de dis-, et fundere « répandre »
effusion (av. 1150) ; lat. effusio, du supin de effundere, de ex-, et fundere « répandre »
infusion (fin 12e) ; lat. infusio « enduit », de infusum, supin de infundere « verser »
suffusion (v. 1363) ; lat. suffusio, de sub « sous », et fundere « verser »
transfusion (1307) ; du lat. transfusio « transvasement » de transfundere « transvaser »
Tous les mots susdits sont des emprunts au supin de fund . Ils ne sont donc pas à infixe nasal.
7.1.1.5 linqu
La racine *leikw- « laisser » d’où la forme à vocalisme zéro avec infixe nasal *li-n-kw- donne linquere
« laisser, abandonner, quitter ». Le latin linqu
est lui-même peu usité, bien qu’il soit ancien et classique. La
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forme usuelle est un composé où l’aspect déterminé est souligné par un préverbe : d - et re-. En outre, le latin
relinqu , à son tour, a été renforcé en d -relinqu , et en ab-, ob-, sub-relinqu . (Ernout et Meillet, p.361)
d -linqu
« manquer moralement, faillir »
re-linqu
« laisser en arrière »
d -relinqu
« abandonner complètement, délaisser »
ab-relinqu
« laisser »
ob-relinqu
« délaisser » (attesté en obrelictus)
sub-relinqu
« laisser après soi »
Ernout et Meillet (2001 : 361) constatent que le latin linqu et ses composés ne sont pas passés dans les langues
romanes, où ils ont été remplacés par un terme expressif, qui avait une flexion régulière, lax re, d’où l’ancien
français laissier (v.881) et lesser sont issus. (Rey, p.1962) Donc, aucun composé verbal ne passe dans la langue
française. Le substantivé relique (1080) dans Chanson de Roland ; le latin reliquiae « restes », spécialisé dans
un sens ecclésiastique. (Rey, p.3163) ; délinquant/-e, comme adjectif et nom, est le participe présent adjectivé et
substantivé (1375) de l’ancien verbe délinquer (attesté en 1379) « commettre un délit ». (Rey, p.1027)
7.1.1.6 rump
La racine *reup-/*reub- « arracher » donne le sanscrit lumpati « il casse », et le latin rumpere « briser » à
vocalisme zéro avec infixe nasal. (Watkins, p.55) D’abord écrit rumpre (v.980), puis rompre (11e s.), il est issu
du latin rumpere « briser avec force », souvent avec une idée accessoire d’arrachement, d’éclatement, de valeur
concrète et abstraite avec le sens de « couper court à qqch) ». Si la forme à infixe nasal (rump-) est propre au
latin, la racine, avec une alternance p/b (attestée en germanique par coexistence du vieil anglais r ofan « briser,
déchirer » et du gotique raupjan), remonte à l’indo-européen. Le sanscrit a le présent dérivé rúpyati qui
concerne les tiraillements dans le corps. L’italien rompere et l’espagnol romper remontent aussi au latin
rumpere. (Rey, p.3290)
Pour les composés de rump , Ernout et Meillet (2001 : 581-2) donnent ab-, cor-, d -, d - -, inter-, prae-,
pr -, et sub-.
ab-rump
« détacher en brisant, déchirer, rompre brusquement, interrompre »
cor-rump
« faire crever, mettre en pièces complètement, gâter, corrompre »
d -rump
« détacher par rupture, rompre » (attesté en d -ruptus)
d -rump
« mettre en pièces, écarteler, déchirer » (d - = dis- omni-directionnel)
-rump
« faire sortir en éclatant ou en brisant, pousser hors de »
inter-rump
« couper en brisant, mettre en morceaux, briser, interrompre »
ir-rump
« faire irruption dans, se précipiter dans »
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prae-rump
« briser, rompre par devant »
pr -rump
« (se) pousser avec violence en avant, (faire) jaillir, faire sortir avec violence »
sub-rump
« faire tomber en brisant »
Parmi les composés verbaux ci-dessus, ce sont corrompre et interrompre qui survivent en français. D’autre part,
on trouve abrupt, éruption, irruption, et route comme dérivés. Le français abrupt est attesté en 1512,
« dissonant, rauque (voix) », composé du latin abruptus « coupé brusquement », « à pic », et de rumpere
« rompre ». (Le Grand Robert) Le français éruption est attesté en erupcion « irruption » en 1355 dérivé du latin
rupti , du supin de rumpere, de ex- « hors de », et rumpere « briser » (Le Grand Robert) Le français
irruption est un emprunt savant (1495), provenant du latin irrupti , de irruptum, supin de irrumpere, composé
de in- locatif, et de rumpere « rompre, enfoncer ». (Le Grand Robert) Enfin, le français route est, d’abord,
attesté en rote (12e s.), rute (v.1155), puis route (1530). Il devient en latin populaire *rupta, ellipse de via rupta,
de via « voie », et participe passé de rumpere « rompre ». Le sens tient au latin classique rumpere viam « ouvrir,
pratiquer un passage ». (Rey, p.3321, Le Grand Robert)
7.1.1.7 scind
La racine *sek- donne le latin sc re « savoir » à partir de « séparer une chose d’une autre » d’où *skeid« couper, fendre » et *ski-n-d- la forme à vocalisme zéro avec infixe nasal donnent le latin scindere « fendre ».
(Watkins, pp.58-9) Le français scinder est un emprunt savant (1539 ; repris en 1791) au latin scindere
« fendre », « déchirer » puis « arracher », d’où « diviser, séparer ». (Rey, p.3419)
Pour les composés, Ernout et Meillet (2001 : 602) constatent ab-, circum-, con-, dis-, ex-, inter-, per-, prae-,
pr -, re-, et tran(s)-scind .
ab-scind
« séparer en déchirant »
circum-scind « déchirer autour »
c n-scind
« mettre en pièces »
di(s)-scind
« déchirer, fendre, couper, séparer »
ex-scind
« briser, détruire, renverser, anéantir »
inter-scind
« rompre par le milieu, couper »
per-scind
« déchirer/fendre d’un bout à l’autre, ouvrir »
prae-scind
« séparer, déchirer, retrancher »
pr -scind
« déchirer/fendre en avant »
re-scind
« séparer en déchirant ou en coupant, ouvrir »
tran(s)-scind (aucune définition cf. transc d
« pénétrer par des coups »)
Aucun verbe susdit ne passe dans la langue française. Le dérivé scission est emprunté en 1486) au bas latin
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scissi « coupure, division » provenant de scissum, supin de scind . (Rey, p.3420)
7.1.1.8 tang
La racine *tag- « toucher, manier » d’où la forme à nasale infixée, le latin tangere « toucher » d’où tax re
« toucher ». (Watkins, p.69) Le latin tax
est : 1o fréquentatif-intensif de tang
; 2o emprunt au grec τ σσω
« taxer, évaluer, estimer ». Mais ce verbe n’est pas attesté avant Pline et Sénèque. (Ernout et Meillet, p.678) Le
latin tang est remplacé le plus souvent par un dérivé de l’onomatopée *tok-, qui donne l’italien toccare, et le
français toucher, etc. (Ernout et Meillet, p.676) Ainsi, le verbe simple latin tang ne survit pas dans le français
contemporain.
D’autre part, les composés de tang survivent bien en français. D’après Ernout et Meillet (2001 : 676), on
trouve ci-dessous :
at-ting
« toucher à »
con-ting
« toucher (à) »
ob-ting
« arriver à, échoir »
per-ting
« aller, toucher, atteindre »
Le français atteindre est, d’abord, attesté vers 1100 comme ataindre, et ateindre, provenant du latin populaire
attangere, refait sur le latin classique attingere « arriver à, parvenir ». Les autres composés verbaux de tang ne
survivent pas dans le français contemporain. (Le Grand Robert)
Pour les dérivés, le français tact (1354) provient du latin tactus, supin de tang , de même que le français
contigu (v.1377) dérive du latin contiguus, adjectif dérivé de conting . En outre, contact (1586) et contagion
(1375) dérivent respectivement de contactus et contagi .
À propos, le français teindre provient de la racine *teng- « tremper » d’où dérive le latin ting « plonger
dans un liquide, tremper, colorer ». Ainsi, le mot teindre n’est pas apparenté au groupe du latin tang et de son
composé -ting .
7.1.1.9 vinc
La racine *weik- « combattre » donne le latin vinc
« vaincre » à vocalisme zéro avec nasale infixée. Le
français vaincre est l’aboutissement (v.1130) d’une série de formes issues du latin classique vincere
« l’emporter dans un combat, une lutte ». Le latin vincere se rattache, comme l’ancien haut allemand ubarweha, le gotique weihan, le vieil anglais w gan, à la même racine *weik-. (Rey, p.3988)
En ce qui concerne les composés de vinc , Erout et Meillet (2001 : 736) donnent con-, d -, -, per-, et re-.
con-vinc
« vaincre entièrement, convaincre »
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d -vinc
« vaincre complètement, soumettre »
-vinc
« vaincre complètement »
per-vinc
« vaincre complètement »
re-vinc
« vaincre à son tour »
Parmi les composés verbaux ci-dessus, le latin convinc
et
vinc
donnent respectivement le français
convaincre et évincer. Convaincre est emprunté vers 1174 au latin convincere au sens juridique. Évincer est un
emprunt savant (1412) au latin impérial evincere « triompher de » et en droit « déposséder juridiquement ».
Pour les dérivés de vinc , le français victoire est attesté comme victorie en 1080 dans la Chanson de
Roland et emprunté au latin classique victoria, de victum, supin de vincere.
7.1.2 Verbes où la nasale apparaît dans les deux thèmes du présent et du parfait ou du supin
7.1.2.1 fing
La racine *dheigh- « former, construire » donnant la forme à vocalisme radical zéro avec suffixe *dhighra aboutit au latin fig ra, d’où la forme à vocalisme radical zéro avec infixe nasal *dhi-n-gh- donne le latin
fingere, et de même le grec thinganein « toucher ». (Watkins, p.13)
Le français feindre est issu (1080) du latin fingere « façonner, modeler », d’où « imaginer » puis « inventer
faussement », qui se rattache à la racine indo-européenne *dheig’h- « façonner (de la terre) ». Feindre a d’abord
signifié (1080, pronominal) « s’imaginer, se croire », encore à l’époque classique en emploi transitif (v.1265).
(Rey, p.1408)
Ernout et Meillet (2001 : 236) constatent les composés verbaux de fing .
af-fing
« imaginer en outre, ajouter en inventant »
c n-fing
« imaginer ensemble, concerter »
d -fing
« façonner »
dif-fing
« transformer, refaire »
ef-fing
« faire disparaître, essuyer »
n-fing
« inventer en plus »
per-fing
« former, façonner, représenter »
re-fing
« façonner de nouveau, refaire »
tr ns-fing
« transformer »
Le verbe simple feindre est le seul continuateur du latin fingere. Aucun composé ne survit en français. D’autre
part, pour les dérivés, le français figure est emprunté (v.881) au latin fig ra, mot polysémique : « forme,
aspect », d’où « représentation sculptée », « mode d’expression », « manière d’être ». Fig ra est formé sur le
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radical de fingere « modeler (dans l’argile) » qui a abouti en français à feindre. (Rey, p.1425) Le français fiction
est un emprunt (1223) au latin impérial fictio, de fictus, participe passé de fingere « inventer ». (Rey, p.1422)
7.1.2.2 ming
La racine *meigh- « uriner » donne le germanique à suffixe *mih-stu- « uriner, vaporiser » d’où le vieil
anglais mist « brume ». Le germanique diminutif *mihst-ila- « gui » aboutit au vieil anglais mistel « gui ». La
forme à suffixe *migh-tu- donne le latin mictur re « désirer d’uriner » (désidératif de meiere « uriner »).
(Watkins, p.40)
Le latin ming a pour composés, d’après Ernout et Meillet (2001 : 404), com-, circum-, d -, et per-ming .
com-ming
« mouiller d’urine »
circum-ming « uriner sur, compisser »
d -ming
« rendre en urinant »
per-ming
« inonder d’urine, compisser »
Ni les formes simples, ni les formes composés n’aboutissent au français. Pour les dérivés, le français miction est
un emprunt de la langue médicale (1618) au bas latin mictio « action d’uriner », variante de minctio, - nis, luimême dérivé du latin minctum, supin de mingere « pisser », mot à la fois technique et populaire. (Rey, p.2230)
7.1.2.3 pand
La racine *pet - « étendre » donne le latin pate
« être ouvert » et pand
« étendre, ouvrir » à nasale
infixée. (Watkins, p.51) Le français épandre est un emprunt francisé (1080, espandre) au latin expandere
« étendre, déployer, étaler », au figuré « développer », préfixé par ex- de pandere « écarter, déployer, étaler ».
Les principaux emplois du verbe sont attestés au milieu du 12e siècle. Il signifie d’abord (1080) « répandre » et
notamment (v. 1190) « verser, répandre (un liquide) », d’où au figuré « prodiguer, verser en abondance ». (Rey,
p.1264)
Pour les composés verbaux de pand , d’après Ernout et Meillet (2001 : 478-9), on trouve dis-, ex-, op-,
prae-, et re-pand .
dis-pand
« étendre en tous sens »
ex-pand
« exposer à l’air »
op-pand
« étendre devant »
prae-pand
« communiquer en répandant (la lumière) »
re-pand
« ouvrir »
Le français épandre (1080) provient du latin expandere, de ex-, et pandere « étendre, déployer ». De même, le
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français répandre est attesté en respandre (12e s.), de re-, et épandre. Pour les dérivés, le français expansion
(1584) est un emprunt au bas latin expansio, du supin exp nsum, du latin classiqque expandere « déployer ». Le
français passim est l’emprunt non modifié (1868) de l’adverbe latin passim « ça et là, surtout ». (Le Grand
Robert)
7.1.2.4 pang
La racine *pag- / pak- « fixer » ; la forme nasalisée *pa-n-g- donne le latin pangere « fixer ». La racine
*p k- aboutit au latin p x « paix » et au latin pac sc « faire un traité ». (Watkins, p.46)
Le latin pang a pour composés, d’après Ernout et Meillet (2001 : 479), ap-, com-, d -, ex-, im-, op-, re-,
et sup-.
ap-ping
« attacher à, fixer à »
com-ping
« assembler en serrant »
d -pang
« fixer »
ex-ping
« pousser dehors »
im-ping
« enfoncer, planter dans »
op-pang
« ficher devant ou contre »
re-pang
« mettre en terre, enfouir »
sup-ping
« ficher sous, enfoncer sous »
Ni les formes simples, ni les formes composés de pang
n’aboutissent pas au continuateur en français.
Pour les dérivés verbaux, le français payer est issu (v.980) du latin p c re « pacifier », dérivé de p x. (Rey,
p.2622) De même le français apaiser dérive de paix (1160-1174). (Rey, p.2530) En ce qui concerne d’autres
mots dérivés, le latin p x est un nom d’action, de genre féminin, du type nex, presc s, etc., de la racine *p k« fixer par une convention, résoudre par un accord entre deux parties », alternant avec *p g-, qui désigne
surtout un acte physique. À cette même racine appartiennent les formes anciennes, pacit, pacunt, du verbe
pacere. La langue classique a gardé l’inchoatif pac scor (doublet pac sc , dans Naevius et Plate), de même
sens que pacere et pacti . (Ernout et Meillet, p.473) Le français paix est issu, sous la forme pais (apr.950)
devenue paix par adjonction du -x étymologique, du latin pax, pacis « fait de passer une convention entre deux
parties belligérantes ». (Rey, p.2529) Le français païen est issu très anciennement, et d’abord sous la forme
pagien (881), du latin p g nus, tiré de p gus, lui-même dérivé avec le sens propre de « borne fichée en terre »
(encore dans la Vulgate) de pangere « ficher, enfoncer » d’où « établir solidement », « graver dans la cire,
écrire » (ses plus proches représentants en français sont compact, impact). Pangere est apparenté à la racine de
p x (> paix). P gus a pris ensuite le sens de « territoire délimité par des bornes, district, circonscription
territoriale rurale », souvent associé à v cus qui désigne le centre des habitations ; un dérivé (p g nsis) a donné
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)
39
pays. (Rey, p.2522) Enfin, le français pacte est emprunté (1304-1305, pas) au latin pactum « accommodement,
convention », souvent employé dans les expressions qu
pact
« de quelle manière », t l pact
« de telle
façon », avec le sens affaibli de « manière, raison, mode ». Il s’agit du neutre substantivé de pactus, participe
passé du verbe inchoatif pac sc « conclure un accord » (de même sens que l’ancien pacere) qui appartient à la
racine indo-européenne *pag-/pak- « enfoncer, fixer », « fixer par une convention ». (Rey, p.2519)
7.1.2.5 ping
La racine *peig- /*peik- « couper, marquer par incision » ; la forme nasalisée *pi-n-g- donne le latin
pingere « broder, tatouer, peindre ». (Watkins, p.47)
Le français peindre est issu (1080) du latin pingere « couvrir de couleurs, teindre », « orner, décorer » et
aussi « représenter par pinceau », au figuré « dépeindre par la parole ». Ce verbe se rattache à la racine indoeuropéenne *peig-. (Rey, p.2633)
En ce qui concerne les composés de ping , Ernout et Meillet (2001 : 508) constatent ap-, com-, d -, ex-, et
re-.
ap-ping
« ajouter par la peinture »
com-ping
« recouvrir d’une peinture »
d -ping
« dépeindre »
ex-ping
« dépeindre »
re-ping
« recolorer »
Le latin d ping
et reping
donnent respectivement le français dépeindre (v.1212) et repeindre (1290).
(Le Grand Robert) Les autres ne survivent pas en français.
Pour les dérivés de ping , le français peintre est issu (1165) du latin tardif *pinctor, à l’accusatif
*pinctorem, réfection du latin classique pictor d’après pingere dont il est dérivé. (Rey, p.2634) Le français
peinture est issu (1121) du latin tardif *pinctura, réfection d’après le verbe pingere du latin classique pictura
« art de peindre », « ouvrage peint », « action de farder », « enluminure », employé au figuré pour la
description, le tableau fait par la parole ou l’écrit. Pict ra est dérivé de pictor et a donné l’anglais picture
« image ». (Rey, p.2635)
7.1.2.6 p ns
La racine *peis- « écraser » ; *pis-to à suffixe donne le latin pistillum « pilon »; *pi-n-s- à infixe nasal
donne le latin p nsere « piler ». (Watkins, p.48)
Aucun mot dérivé n’aboutit directement au français. Mais, le français pétrir est issu vers 1175 du bas latin
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第8号
pistrire « malaxer de la farine avec de l’eau pour en faire une pâte », dérivé de pistrix « celle qui pétrit ». Pistrix
est dérivé du latin p ns , dont une variante a donné indirectement pister et piste. (Rey, p.2691)
7.1.2.7 pung
La racine *peuk- / *peug- « piquer »; *pug- à vocalisme radical zéro donnant *pug-no- à suffixe aboutit au
latin pugnus ‘fist’ d’où pugn re « combattre » ; la forme à vocalisme radical zéro avec infixe nasal *pu-n-gdonne pungere « piquer ». (Watkins, p.51)
Le français poindre est attesté, d’abord puindre (1080), issu du latin pungere « piquer » d’où, moralement
« faire souffrir, tourmenter ». Le mot appartient à la même racine indo-européenne signifiant « frapper » que le
latin pugnus. (Rey, p.2811)
Pour les composés de pung , d’après Ernout et Meillet (2001 : 546), on trouve com-, ex-, inter-, per-, et re-.
com-pung
« piquer (d’aspect déterminé) »
ex-pung
« piquer tout en travers »
inter-pung
« ponctuer »
per-pung
« percer de part en part »
re-pung
« piquer à son tour »
Aucun composé n’aboutit au français.
Pour les dérivés, le participe présent poignant (1080) a eu le sens de « au galop » puis de « piquant »
(1119). (Rey, p.2812) Le français poing, attesté d’abord par puing (1050), poign (1080), puis par poing (v.
1175), est issu du latin pugnus « main fermée » et, par métonymie, « contenu d’un poing, poignée ». Ce mot se
rattache peut-être à la racine indo-européenne à p initial que l’on rencontre en latin, dans pungere « piquer » et
qui correspondrait à l’idée de « choc » : le poing serait d’abord ce qui sert à frapper, à créer un choc. (Rey,
p.2812) Le français point est issu (av. 1100) du latin punctum, dérivé du supin (punctum) de pungere et qui, à
partir du sens de base de « piqûre, action de piquer », a développé de nombreuses acceptions particulières
concrètes et abstraites. (Rey, p.2813) Enfin, le français point est issu (v.1150) du bas latin puncta « estocade »,
féminin substantivé de punctus, participe passé passif de pungere. (Rey, p.2816)
7.1.2.8 string
La racine *streig- « caresser, frotter » ; la forme nasalisée *stri-n-g- donne le latin stringere « serrer ».
(Watkins, p.67) Le français éteindre est issu (v. 1135, estreindre) du latin stringere « serrer, resserrer,
étreindre », au participe passé strictum, mot de la même famille que strigilis « racloir ».
Le latin string a pour composés, d’après Ernout et Meillet (2001 : 657), ad-, circum-, con-, d -, di(s)-, in-,
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)
41
inter-, ob-, per-, prae-, re-, sub-, et super-.
ad-string
« attacher étroitement »
circum-string « serrer autour »
c n-string
« lier ensemble étroitement »
d -string
« enlever en serrant, frotter avec le strigile »
distring
« lier d’un côté et d’un autre, maintenir écarté ou étendu »
n-sring
« lier »
inter-string
« serrer au milieu »
ob-string
« lier devant ou sur, serrer en liant »
per-string
« resserrer, effleurer »
prae-string
« serrer en avant, effleurer »
re-string
« serrer/attacher, en ramenant en arrière »
sub-strig
« lier, serrer, nouer »
super-string
« lier par-dessus »
Parmi les composés ci-dessus, adstring , c nstring , et restring aboutissent respectivement au français
astreindre vers la fin du 12e siècle (Rey, p.240), contraindre vers 1120 (Rey, p.875), et restreindre vers 1130
avec francisation les verbes en -eindre comme étreindre. (Rey, p.3215) Les autres ne survivent pas en français.
Pour les dérivés de string , le français étroit est la réfection (13e s.) de formes en ei- comme estreiz (1080),
estreit (v. 1155) issues du latin strictus « serré », « concis », « sévère, rigoureux », participe passé adjectivé de
stringere « serrer ». De même, le français strict apparaît, selon le dictionnaire de Trévoux de 1752, au début du
18e siècle mais sans doute plus tôt encore, le dérivé strictement étant attesté beaucoup plus tôt (1503) ; c’est un
emprunt savant au latin strictus « serré, étroit», « bref, concis (d’un style) » et « rigoureux, sévère » ; strictus,
qui a abouti à étroit, est le participe passé passif de stringere « serrer, resserrer » dont est issu étreindre. (Rey,
p.3651)
7.1.2.9 tund
La racine *(s)teu- « pousser, frapper » avec des dérivés qui se rapportent aux objets saillants, fragments, et
certaines notions et qualités expressives ; la forme nasalisée à vocalisme radical zéro *tu-n-d- d’où le latin
tund « battre ». (Watkins, p.66-7)
Ernout et Meillet (2001 : 707) constatent les composés verbaux de tund comme suit :
con-tund
« écraser (d’aspect déterminé) »
d -tund
« briser »
ex-tund
« faire sortir en frappant »
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第8号
in-tund
« piler »
ob-tund
« battre fortement, émousser »
per-tund
« percer d’outre en outre, transpercer »
re-tund
« refouler »
Ce groupe de tund , soit simple, soit composé, n’aboutit pas au français. D’autre part, en ce qui concerne
les dérivés de -t sum, supin de tund , le français percer est issu (1080) d’un latin populaire *pertusiare « faire
un trou, perforer », dérivé de pert sum, supin du verbe classique de même sens pertund . (Rey, p2653) Certes,
ce verbe est apparenté à tund , mais il en dérive indirectement. Le français possédait déjà contondre (1430)
représentant du latin contund , utilisé aux 15e-16e siècle et repris 19e au siècle, mais peu usité. Contusion est
emprunté (1314) au latin cont si , (Rey, p.880) et de même obtus est emprunté (1363) au latin obt sus
« émoussé », le participe passé de obtundere. (Le Grand Robert)
7.1.3 Verbes où la nasale apparaît dans tous les thèmes
7.1.3.1 jung
La racine *yeug- « lier, unir »; *yug- à vocalisme radical zéro donne le latin jugum « joug » ; la forme
nalaisée *yu-n-g- donne le latin jungere « lier ». (Watkins, p.79) Le français joindre est issu (1080) du latin
jungere, verbe appartenant au groupe indo-européen de jugum « joug » et qui, d’un sens primitif précis,
« atteler », a élargi son sens à « unir deux à deux, lier, assembler, attacher », et spécialement « réunir deux
terres » (au passif « être contigu ») ; transposé au figuré, il correspond à « lier d’un lien moral, associer, réunir
(des qualité) », et spécialement « lier les mots dans une phase ». (Rey, p.1919)
Pour les composés de jung , d’après Ernout et Meillet (2001 : 328), on trouve comme suit :
ab-jung
« détacher du joug, dételer »
ad-jung
« adjoindre »
con-jung
« attacher, atteler ensemble »
d -jung
« dételer »
di(s)-jung
« désunir, disjoindre »
in-jung
« attacher dans/sur/à » et « imposer »
s -jung
« séparer, éloigner »
sub-jung
« soumettre au joug, mettre dessous »
Sauf ab-jung , d -jung , sub-jung , ce verbe simple et ses composés aboutissent bien aux continuateurs en
français. Les continuateurs sont adjoindre, attesté sous la forme ajoindre (v.1190) et en roman adjungeat « il
joint » dès le 8e siècle (Rey, p.36) ; conjoindre, issu (v.1160) du latin conjung
(Rey, p.851) ; déjoindre,
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)
43
emprunté au latin d -joindre vers le 12e siècle (Le Grand Robert) ; disjoindre, étant la réfection (1361) de
desjoindre, de des- (dé-) et joindre après le latin disjung (Rey, 1098) ; enjoindre, attesté en 1138, et francisé
(1168-91) d’après joindre. (Rey, p.1244). En outre, le français rejoindre est attesté (v.1050), du préfixe re- et
joindre, mais il n’a de définition de rejung
dans aucun dictionnaire, donc il semble qu’il ne remonte pas au
latin classique.
Pour les dérivés, le français joint, participe passé adjectivé (11e s.), a été substantivé au 13e s. au sens de
« joug », d’après un ancien sens du verbe joindre « atteler ». (Rey, p.1920) Le français joug d’abord
orthographié jou (v. 1120), a pris son -g final par rétablissement savant du g étymologique, au 13e siècle. Le
latin jugum, qui a des correspondants dans le grec zugon, le hittite iugan, le sanscrit yuga-n et le gotique juk,
remonte à une racine indo-européenne *yug- qui se rapporte à l’attelage. (Rey, p.1924) Conjuguer (1572) et
subjonctif (1529) sont apparentés à la racine.
7.1.3.2 lamb
Ni Ernout et Meillet (2001) ni Watkins (1985) ne constate d’étymologie claire pour lamb . Watkins (1985 :
35) donne la racine *leb- « lèvre » ; le germanique *lepp- > le vieil anglais lippa « lèvre » ; *lab-yo- à suffixe
donne le latin labium ‘lip’ ; *lab-ro- donne le latin labrum « lèvre », mais il ne fait pas l’objet d’une mention du
latin lamb . Pour les composés de lamb , Ernout et Meillet (2001 : 338) donnent ad- « lécher autour », d « lécher », - « enlever avec la langue », et prae- « déguster auparavant », mais tous sont rares et tardifs, où le
préfixe ajoute au simple les nuances ordinaires. Aucun n’aboutit au français contemporain.
7.1.3.3 ling
La racine *leigh- « lécher » ; *li-n-g- à nasale infixée donne le latin lingere « lécher ». (Watkins, p.36) Le
français lécher est issu (v. 1120) d’un verbe francique de même sens *lekkôn, postulé d’après le moyen
néerlandais licken, lecken, l’ancien haut allemand lecchon et l’allemand lecken. Les mots germaniques
appartiennent à la même racine indo-européenne que le latin lingere « lécher », le grec leikhein, le vieux slave
li o « je lèche ». (Rey, p.1995) Certes, il est apparenté au latin ling , mais il n’en est pas continuateur
proprement dit.
Pour les composés de ling , Ernout et Meillet (2001 : 360) constatent ab-ling « humecter, bassiner », d ling « lécher », -ling « lécher », et ob-ling « lécher ». De même que dans le cas du simple ling , il n’y a
pas de continuateur en français.
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第8号
7.1.3.4 emung
La racine *meug- « visqueux » ; la forme nasalisée *mu-n-g- > le latin mungere « moucher » ; le latin
m cus > le français mucus (Watkins, p.42) Le français moucher est issu (fin 10e s.) du latin tardif muccare
dérivé (6e s.) de m cus, variante de m cus « morve ». (Rey, p.2301) Donc, de même que le latin ling , il n’a
pas de continuateur direct.
7.1.3.5 plang
La racine *pl k- « frapper » ; les variantes nasalisées *pla-n-k-, et *pla-n-g- d’où l’anglais fling « lancer,
jeter » et le plangere « se frapper la poitrine, les cuisses, en signe de deuil », « pleurer, se lamenter sur »
(Watkins, p.51) Le français plaindre est issu par évolution phonétique (v. 1050) du latin plangere, dont le
premier sens est « frapper » (conservé par la langue poétique), et qui s’est spécialisé pour « se frapper la
poitrine, les cuisses, en signe de deuil ». À l’époque impériale, le verbe s’est employé comme terme expressif et
pittoresque pour « se lamenter sur (qqn/qqch) », « témoigner de la compassion » et même « pleurer », sens
conservé par les langues romanes (italien piangere). (Rey, p.2768)
Pour les composés de plang , Ernout et Meillet (2001 : 512) constatent com-plang « plaindre » et d plang « pleurer, déplorer ». Le français complaindre est issu d’un latin vulgaire *complang et est attesté vers
1150. Mais d -plang ne survit pas en français. Le français complainte, dérivé de complang , est le participe
passé féminin substantivé (v.1175) de l’ancien verbe complaindre (v.1150). (Rey, 823-4)
7.1.3.6 prehend
La racine *ghend- (*ghed-) « prendre, saisir » d’où le latin prehendere (Watkins, p.22) Le français prendre
est issu dès le roman (842) du latin prehendere, forme plus usuelle de praehendere, syncopée en prendere. Le
verbe latin exprime comme capere, le fait de saisir physiquement et par l’esprit, de surprendre sur le fait, de se
saisir de qqn, de l’arrêter, et, avec un nom de lieu pour complément, de prendre possession, d’occuper, ou
seulement d’atteindre. Praehendere est composé de prae « devant » et d’un verbe simple *hendere qui n’est pas
attesté isolément, mais dont la racine signifiant « saisir » figure (avec prae) dans praeda ( > le français proie) et
seule dans hedera ( > le français lierre). Le *hend- de pre-hendere concorde de son côté avec la racine grecque
de kheisomai « je contiendrai » (de *khend-somai). (Rey, p.2912)
Pour les composés de prehend , d’après Ernout et Meillet (2001 : 531), on trouve comme suit :
ap-pre(he)nd
« saisir »
com-pre(he)nd « se saisir de (d’aspect déterminé) »
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (IV)
d -pre(he)nd
« saisir »
im-pre(he)nd
« entreprendre »
re-pre(he)nd
« prendre et ramener en arrière, reprendre »
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Sauf impre(he)nd , les autres aboutissent au français contemporain. Le français emprise (1175) représente le
participe passé substantivé au féminin de l’ancien verbe emprendre « entreprendre » (1080), issu du latin
classique prehend . (Rey, p.1227) Les continuateurs sont : apprendre (950) ; comprendre (v.1122) ; déprendre
(1170) ; reprendre (v.1132). (Le Grand Robert).
Le français appréhender est le doublet savant de apprendre, emprunt (13e s.) au latin classique apprehend .
Mais on trouve uniquement les substantivés compréhension, et préhension.
7.1.3.7 stingu
La racine *steig- « coller » ou « pointu » ; la forme nasalisée *sti-n-g- donne le latin stinguere « éteindre »
(peut-être à l’origine « piquer ») et son dérivé évident distinguere « séparer, distinguer » ; le latin -st g re d’où
nst g re « piquer des éperons » > « stimuler, exciter ». (Watkins, p.65) Le simple est peu usité en latin, et par
suite uniquement les composés sont attestés. Le français distinguer est emprunté (1310) au latin distingere (ou
distinguere) « séparer, diviser » et, au figuré, « différencier », « nuancer, diversifier » et, avec une nuance
temporelle, « séparer par une pause ». Ce verbe est formé de dis- impliquant une séparation et d’un second
élément *stingere à infixe nasal, tiré de *st g re, forme attestée en composition dans nstig re « piquer
contre ». Ce type contient une racine indo-européenne *stig- « piquer », également représentée en grec
(> stigmate) et dans les langues germaniques (> étiquette, stick, tiquet). (Rey, p.1106) D’autre part, le français
éteindre, sous la forme esteindre (1130-1140), représente l’aboutissement du latin populaire *extingere, du latin
classique exstinguere « faire cesser de brûler » et « effacer, faire cesser », d’origine obscure. Exstinguere, non
soutenu par un verbe simple, a été supplanté par d’autres mots dès l’époque latine. Ainsi, par euphémisme, on
disait gnem t t re « calmer, apaiser le feu ». (Rey, p.1323)
D’après Gaffiot (Dictionnaire latin-français, Hachette, 2000) :
dis-tingu
« séparer »
exs-tingu
« éteindre »
ins-ting(u)
« pousser, exciter »
inters-tingu
« éteindre complètement »
re-stingu
« éteindre »
sting
« piquer »
stingu
« éteindre »
Parmi les verbes susdits, seuls distingu et exstingu survivent comme continuateurs en français.
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第8号
(À suivre)
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ラテン語における鼻音接中辞と
そのアスペクト機能について(IV)
森田 信也*
本稿はラテン語の鼻音接中辞の意味とそのアスペクト機能について論じたものであ
る。MORITA(2007)L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin(III)の続
編である。第 7 章では、鼻音接中辞を含む動詞について、ラテン語からフランス語へ
の音韻論的および形態論的変化について概観した。ラテン語での鼻音の現われ方によ
って、すなわち、7.1.1 では現在幹のみに鼻音が現われるもの、7.1.2 では現在幹と完了
幹(または完了分詞)に現われるもの、7.1.3 では全ての語幹に現われるもの、という
区分でフランス語に引き継がれた動詞群を分析を試みた。(次号に続く)
キーワード:ラテン語からフランス語へ、鼻音接中辞、音韻変化、動詞の活用タイプ、
アスペクト
*人間科学総合研究所研究員・東洋大学経済学部
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